L’Eglise belge doit repartir de zéro

Antonio Margheriti

Il m’en coû­te de devoir déce­voir l’administrateur de ce site car je sais qu’il souf­fre quand je lui dit que, déso­lé pour lui, non seu­le­ment la Belgique n’est plus chré­tien­ne mais que dans ce qu’il reste – je par­le de l’institution – il ne sub­si­ste plus rien de chré­tien et enco­re moins de catho­li­que. La Belgique n’est plus qu’un pays radi­ca­le­ment déchri­stia­ni­sé qui a pris la rou­te, puisqu’il n’y a pas de limi­te au pire, de l’antichristianisme le plus hysté­ri­que, à com­men­cer par ce qui se pas­se à l’intérieur de ces bâtis­ses qui ne con­tien­nent que du vide et qui n’ont plus d’église que le nom, si tant est qu’elles n’aient pas enco­re été con­ver­ties en disco­thè­ques, en super­mar­chés ou en ciné­mas.

La Belgique n’a plus d’Eglise : elle a tou­jours davan­ta­ge de musul­mans, d’athées, d’anticléricaux, d’indifférents mais qua­si­ment plus de chré­tiens. Ce que l’on obser­ve à l’intérieur et à l’extérieur de l’église cor­re­spond à l’application à la let­tre du pro­gram­me de cet­te franc-maçonnerie dont les loges ont tou­jours été si pro­fon­dé­ment enra­ci­née en Belgique, sur­tout en Wallonie, et dont auto­ri­tés catho­li­ques sont en train d’épouser les idées, dans une fui­te en avant sui­ci­dai­re.

L’écrivain Vittorio Messori avait rai­son lorsqu’il appe­lait depuis Rome à une remi­se à zéro de tou­tes les insti­tu­tions catho­li­ques pré­sen­tes dans ce pays qu’il con­si­dè­re arti­fi­ciel, à l’instar de l’union espa­gno­le et de ces « états-tampons » que le catho­li­ci­sme main­te­nait autre­fois ensem­ble et qui, aujourd’hui que ce lien se déli­te, voient émer­ger en leur sein des for­ces cen­tri­fu­ges obsé­dées par le démem­bre­ment. Car ces insti­tu­tions sont inu­ti­les, elles ne ser­vent plus et, com­me tout ce qui est inu­ti­le, elles sont noci­ves.  Le cler­gé et les fidè­les qui ont ces­sé d’être chré­tiens for­ment un espè­ce de mala­die auto-immune au sein de l’Eglise un peu com­me ces anti­corps qui, après avoir muté, s’attaquent aux cel­lu­les sai­nes plu­tôt qu’aux cel­lu­les mala­des et qui, au lieu de défen­dre l’organisme, l’exposent ensui­te à tou­tes les infec­tions jusqu’à en pro­vo­quer le décès.

Je sais que je fais souf­frir mon édi­teur bel­ge en lui disant tout cela mais la souf­fran­ce par amour n’est jamais un mal et, sur­tout, elle n’est jamais per­due: elle for­ti­fie et por­te du fruit. Car si le grain de blé ne meurt …

En revan­che, le chré­tien en Belgique qui souf­fre de la per­te du chri­stia­ni­sme mais qui refu­se de se rési­gner est un signe d’espérance pour l’avenir. Non pas que je sois opti­mi­ste mais en tout cas je gar­de  espoir com­me le vieux curé de ma parois­se à Rome qui, pen­dant son homé­lie, par­lait du sel qui a per­du sa saveur.  Or c’est juste­ment sa saveur qui défi­nit le sel et sans elle il n’est plus rien.

Le sel de la terre

Combien de fois – disait donc ce prê­tre en par­lant de ses con­frè­res – notre paro­le n’a‑t-elle pas été nébu­leu­se, diluée, bana­le, insi­gni­fian­te, insi­pi­de non pas par dou­ceur mais par per­ver­sion ; com­bien de fois notre réser­ve n’a‑t-elle été le symp­tô­me de notre tié­deur et de notre froi­deur plu­tôt que de notre luci­di­té et de notre séré­ni­té, sans autre but que celui qu’on nous lais­se tran­quil­le, qu’on nous fiche la paix, qu’on ne nous cau­se pas de pro­blè­mes, dans le seul but d’éviter de nous bat­tre, con­sen­tant ain­si à deve­nir les com­pli­ces et les témoins pas­sifs de tou­tes ces folies que le mon­de inven­tait jour après jour.

Combien de fois n’avons-nous pas réduit le feu de la paro­le et le sang du Christ en une hypo­cri­te gym­na­sti­que éthi­que et exo­ti­que en sur­fant sur la peau tatouée de la der­niè­re mode, deve­nue cui­ras­se de notre indif­fé­ren­ce, sans la lais­ser péné­trer notre âme, jusqu’à finir par ser­vir sans croi­re der­riè­re notre masque à dou­ble visa­ge ?

Combien de fois n’avons-nous pas réduit le scan­da­le de l’incarnation à une bouil­le mora­li­ste, non pas par­ce que nous étions nous-mêmes moraux mais par­ce que la seu­le cho­se dont nous nous sou­cions enco­re était de pré­ser­ver notre indi­vi­dua­li­sme con­for­ta­ble qui s’est mué en bureau­cra­tie jusque dans les égli­ses : nous qui étions apô­tres, nous som­mes deve­nus des employés à con­trat à durée indé­ter­mi­née, des sala­riés avec tous les avan­ta­ges sociaux qui en décou­lent, et nous avons ain­si pré­fé­ré la sécu­ri­té de la pré­voyan­ce à cel­le de la Providence et de la priè­re. Combien de fois ne sommes-nous pas tran­sfor­més en diplo­ma­tes, en « gens biens sous tous rap­ports », en paci­fi­stes ou en « hom­mes de dia­lo­gue », uni­que­ment par­ce que nous n’avions plus rien à dire, plus rien à témoi­gner et donc plus rien à com­bat­tre ?

Et sur­tout pour­quoi avons-nous vou­lu évi­ter à tout prix de pren­dre le moin­dre risque, allant jusqu’à fai­re de la pru­den­ce évan­gé­li­que qui nous invi­tait autre­fois à être « pru­den­ts com­me le ser­pent et can­di­des com­me la colom­be » l’alibi de notre déser­tion ?

Nous som­mes le sel qui a per­du sa saveur, nous som­mes une vaste éten­due déser­ti­que et ari­de de néant. Nous som­mes ceux avec ou sans lesquels tout reste­ra pareil.  Ceux que plus per­son­ne ne croit par­ce qu’ils ont eux-mêmes per­du la foi et qu’ils ne sont plus cré­di­bles.

Mais voi­ci pour­tant son mes­sa­ge d’espérance, un mes­sa­ge que je par­ta­ge moi aus­si, et que je con­fie à mon ami bel­ge :

« Vivement que ce chri­stia­ni­sme aban­don­ne enfin les ori­peaux deve­nus trop grands de la reli­gion de mas­se de jadis, vive­ment qu’il renon­ce aux fastes et aux hon­neurs d’une égli­se inféo­dée à des Etats qui l’ont reniée jusqu’à se renier eux-mêmes, vive­ment qu’elle devien­ne peti­te et hum­ble. Parce que c’est cela sa voca­tion : le petit trou­peau ». 

De peti­tes com­mu­nau­tés d’hommes de bon­ne volon­té qui veu­lent vivre com­me Lui nous l’a appris.  Lui, le Roi de cieux et non le Prince de ce mon­de, quels que soient les masques et les noms à la mode qu’on lui don­ne à cha­que nou­vel­le géné­ra­tion, qu’il s’agisse d’idéologie ou de vogues, dans l’Eglise ou en-dehors.

En effet, l’adhésion au catho­li­ci­sme ne peut plus être une habi­tude, une cou­tu­me socia­le et poli­ti­que, quel­que cho­se dont on héri­te­rait un peu com­me une mai­son de famil­le qui pas­se de père en fils et à laquel­le on ne fait même plus atten­tion ou com­me ces vieux bibe­lot qu’on n’apprécie guè­re à for­ce de les avoir en per­ma­nen­ce sous les yeux.

Refugium frigidorum

La voca­tion du chri­stia­ni­sme, c’est juste­ment la Vocation. La res­sen­tir.  Se sen­tir appe­lé à.  Aujourd’hui plus que jamais, le chri­stia­ni­sme doit être choi­si.  Après l’avoir mûre­ment exa­mi­né, éva­lué, sou­pe­sé.  Comme un con­joint.  Il doit être pré­fé­ré pour pou­voir deve­nir un che­min et un choix de vie, un com­pa­gnon fidè­le dans le bon­heur com­me dans les épreu­ves sur ces rou­tes si lon­gues et obscu­res.

Qu’avons-nous fait des disci­ples du Christ ? Où sont-ils tous pas­sés ?  Pourquoi sont-ils par­tis ?  Et ceux qui restent, qu’est-ce qui a bien pu les ren­du amers au point qu’ils en arri­vent même à haïr leur pro­pre Mère, à cri­ti­quer sa ver­tu, à être les seuls fils au mon­de à lui sou­hai­ter un pas­sé de pro­sti­tuée et un ave­nir de con­cu­bi­ne ?  Que sommes-nous deve­nus ?  Non, ce n’est pas pos­si­ble de vivre com­me cela en Eglise !  Ce n’est pas cela être chré­tien.

Etre chré­tien, cela ne peut pas non plus être – com­me en Allemagne – un job assor­ti d’un con­trat de tra­vail en bon­ne et due for­me, qui plus est gras­se­ment rému­né­ré pour autant que l’on ne fas­se pas pre­u­ve de trop de zèle reli­gieux; cela ne peut pas deve­nir – com­me en Belgique – un loi­sir ou une espè­ce de club pour per­son­nes âgées où l’on vient pal­lier ses pro­pres fru­stra­tions, ses échecs sociaux, pro­fes­sion­nels et fami­liaux en les fai­sant payer aux rares pra­ti­quan­ts qui restent; cela ne peut pas non plus être le refu­gium fri­gi­do­rum de vira­gos en man­que d’affection, de ména­gè­res dése­spé­rées et avi­des de revan­che, de demi-femmes et de demi-bonnes sœurs (pareil­les à des créa­tu­res mytho­lo­gi­ques bimor­phes) aux vel­léi­tés « intel­lec­tuel­les », mania­ques du con­trô­le et fru­strées en famil­le – si tant est qu’elles en aient une — ni de peti­ts homon­cu­les aspirants-généraux d’armées clé­ri­ca­les en dérou­te retran­chés dans les sacri­sties pour trom­per leur ennui, leur inu­ti­li­té et leur alié­na­tion ; ni de per­son­nes qui vont à l’église com­me on va chez le psy­cha­na­ly­ste : pour éta­ler des pul­sions répri­mées que jamais ils n’ont osé mon­trer au grand jour, quit­te à tran­sfor­mer la mai­son de Dieu en lupa­nars excen­tri­ques et ana­chro­ni­ques de leurs bla­sphè­mes et de leurs aspi­ra­tions copu­la­toi­res devant lesquel­les tout l’univers se mar­re, lui qui est déjà pas­sé à autre cho­se depuis bel­le luret­te alors qu’eux en sont restés à Onan ; ni de beaux par­leurs ou de poli­ti­cards mar­gi­naux en mal de tri­bu­nes et d’auditoires dans le mon­de laïc qui vien­nent cher­cher un remè­de à leur névro­se der­riè­re le pupi­tre d’une insti­tu­tion ecclé­sia­le tou­jours bien dispo­sée envers la médio­cri­té siru­peu­se et gluan­te qui défie l’intelligence, se tran­sfor­mant ain­si en une sor­te d’hybride mon­strueux qui n’est déjà plus laïc mais qui n’est pas enco­re tout à fait prê­tre, qui n’est plus rien et que l’on pour­rait dési­gner par l’adjectif sub­stan­ti­vé de « clé­ri­cal », des chan­tres de ce pro­gres­si­sme post­chré­tien nord-européen qui s’acharnent sans relâ­che sur les pau­vres peti­ts fidè­les de bon­ne volon­té.

Une petite chose

Non, une Eglise rédui­te à de tel­les extré­mi­tés pour main­te­nir une appa­ren­ce de gran­deur, c’est la der­niè­re cène du Sanhédrin, pas cel­le du Christ. Moi aus­si, j’attends avec impa­tien­ce que le chri­stia­ni­sme rede­vien­ne une peti­te cho­se, com­me il l’était à ses débu­ts, com­me il l’était pour le Christ : mais com­bien de gran­des cho­ses n’ont-elles pas été enfan­tées par cet­te peti­te cho­se ?  L’Evangile nous rap­pel­le ce mor­ceau de levain.  Le sel, la levu­re : voi­là les ingré­dien­ts, pas grand-chose au fond.  Mais ce sont eux qui sou­tien­nent le mon­de.

Il nous faut deve­nir des moi­nes laïcs sans fuga mun­di mais en mar­che dans le mon­de; à com­men­cer par notre mai­son qui est géné­ra­le­ment l’environnement le plus imper­méa­ble et le pre­mier lieu de mis­sion in par­ti­bus infi­de­lium pour annon­cer l’Evangile vivant, la paro­le qui s’est fai­te chair et vie.  Vivre com­me le Maître nous l’a ensei­gné.

Mais cela ne plaît pas à ceux qui sont chré­tiens par­ce que leur famil­le l’était, par habi­tu­de, embour­geoi­sés, désor­mais bla­sés et indif­fé­ren­ts ; ceux qui ont leur chai­se réser­vée aux pre­miers rangs à l’église et qui, tout en restant assis, gra­vis­sent peu à peu les mar­ches du chœur jusqu’à en chas­ser les con­sa­crés pour se fai­re eux-mêmes les grand-prêtres de leur nar­cis­si­sme mala­dif, les clé­ri­caux en som­me.

Or le chri­stia­ni­sme ne s’accommode pas des intri­gues de cour, des comi­tés, des salons, des sacri­sties et des sal­les où l’on par­le pour ne rien dire et enco­re moins de ces leçons de « réac­tua­li­sa­tion » qui dégé­nè­rent sou­vent en fru­stra­tion et en démo­li­tion : ces fameu­ses cho­ses inu­ti­les qui devien­nent noci­ves dont je par­lais pré­cé­dem­ment.  Il ne peut pas deve­nir une com­pé­ti­tion inter­ne à celui qui esca­la­de­ra en pre­mier les mar­ches de l’autel en mar­chant sur la tête des autres.

Être chré­tien, ce n’est pas une car­riè­re. Pourtant, on en est même venu à par­ler des « droi­ts » de tel­le ou tel­le caté­go­rie pri­vi­lé­giée dans les égli­ses, dans une imi­ta­tion risi­ble du mon­de sécu­lier, tan­dis que l’on fai­sait s’abattre la dam­na­tio memo­riae sur les « devoirs » du chré­tien de sor­te que cha­cun veut com­man­der mais que plus per­son­ne ne veut ser­vir ; cha­cun veut don­ner son avis mais… qui reste pour prier?  Qui con­so­le­ra les mala­des, les souf­fran­ts, les pécheurs et les mou­ran­ts ?

J’ai été cho­qué quand un ami bel­ge m’a racon­té l’histoire de son père à l’agonie en soins pal­lia­tifs. Il cher­chait dése­spé­ré­ment un prê­tre pour lui don­ner l’ultime récon­fort mais il ne s’en trou­va pas.  Et c’est alors que se pré­sen­ta, de l’équipe d’aumônerie de l’hôpital, l’une de ce théo­lo­gien­nes clé­ri­ca­li­sées pétrie de ces beaux discours bien-pensants dégou­li­nan­ts de freu­di­sme à bon-marché mais dépour­vue de la moin­dre once de véri­té, inca­pa­ble de vivre ni de témoi­gner de la moin­dre affec­tion pour récon­for­ter le mori­bond.

A son grand désar­roi, le fils du mou­rant la ren­voya sèche­ment d’où elle venait en exi­geant un véri­ta­ble prê­tre et pas une rado­teu­se venue instru­men­ta­li­ser la souf­fran­ce d’autrui dans le but de se met­tre en com­pé­ti­tion « avec les hom­mes ».

Car ce post-christianisme par­le tou­jours pour ne rien dire et exclu­si­ve­ment de lui-même, de sa peti­te per­son­ne : de prê­tres, de prê­tres qui veu­lent des rela­tions sexuel­les, de prê­tres qui en ont, de prê­tres mariés, de prê­tres qui vou­dra­ient se marier, de prê­tres pédo­phi­les, de femmes-prêtres, de prê­tres gays, de prêtres-à-porter, de prê­tres et enco­re de prê­tres…

Mais qui par­le enco­re de la Personne du Christ ? Quand on le fait, c’est pour expé­dier l’affaire avec dédain, com­me un vieux machin à « inter­pré­ter », com­me si l’Evangile était écrit en hié­ro­gly­phes.  Il n’y a pas de créa­tu­res plus misé­ra­bles et insi­gni­fian­tes que ces prê­tres sans Christ qui se sont fait eunu­ques pour un règne auquel ils ont renon­cé et qui ne ser­vent plus à rien.  Les demi-prêtres, les « non-eunuques » qui ne vou­dra­ient don­ner que le mini­mum au Christ tout en s’adonnant plei­ne­ment à leurs désirs, aux fem­mes, aux enfan­ts et aux aman­ts.  Ceux-là ne ser­vent ni au Christ ni aux fidè­les et même l’« affec­ti­vi­té » tant espé­rée n’y trou­ve semble-t-il pas son comp­te.

Qui m’a touché ?

C’est pré­ci­sé­ment du fond de ce gouf­fre de soli­tu­de, d’inepties et d’inutilité dans lequel la Belgique se com­plaît et dans lequel elle con­ti­nuer à s’enfoncer que l’on entend sour­dre la mode­ste sour­ce du futur.

La voi­là la solu­tion, la seu­le qui reste avant de tom­ber en hypo­ther­mie et de ne plus rien res­sen­tir du tout : il faut remon­ter la pen­te, aban­don­ner le far­deau clé­ri­cal et insti­tu­tion­nel au fond du trou pour remon­ter à mains nues en sui­vant la lumiè­re tout en haut. On s’écorchera les mains aux aspé­ri­tés de la paroi, on se bri­se­ra les ongles, on risque­ra même de dégrin­go­ler mais en fin de comp­te, on relè­ve­ra enfin le défi de s’en sor­tir.

Le pre­mier qui y par­vien­dra sera char­gé de tout repren­dre depuis le début, à la maniè­re des pre­miers apô­tres qui se retrou­vè­rent seuls en ter­re païen­ne après que le Maître eut quit­té cet­te ter­re. Être le fer­ment.  Etre le sel.  Construire de peti­tes égli­ses « dome­sti­ques », des minu­scu­les céna­cles, pre­sque clan­de­stins, dans lesquels les nou­veaux chré­tiens pour­ront écou­ter d’un cœur nou­veau ces paro­les du Messie, tou­jours sub­ver­si­ves quel­le que soit l’époque et quel que soit le régi­me, et recom­men­cer à espé­rer con­tre tou­te espé­ran­ce.

Redevenir le petit trou­peau qui mise à nou­veau sur le Dieu de Jésus-Christ et qui cher­che, un par un, des com­pa­gnons de rou­te. Une rou­te que nos pères ont fou­lée pen­dant des mil­lé­nai­res avant que leurs fils ne la per­dent de vue, une rou­te qui n’a pas de fin et qu’il faut à cha­que fois par­cou­rir depuis le début.  Et avec les nou­veaux « dou­ze » de bon­ne volon­té ren­con­trés en che­min, com­me autant de com­pa­gnons de soli­tu­de unis par l’aliénation d’être igno­rés des métro­po­les, dans une allian­ce entre per­son­nes libres et étran­gè­res, cor ad corum loqui­tur.

Le chri­stia­ni­sme n’est pas fait pour les mas­ses indi­stinc­tes, com­me le pen­sent ces idéo­lo­gies qui se sont fai­tes théo­lo­gies : Jésus n’a jamais par­lé à des caté­go­ries socia­les, il s’est tou­jours adres­sé au cœur de cha­que per­son­ne qu’il ren­con­trait sur son che­min. Lorsqu’une fou­le entou­rait Jésus et que tous cher­cha­ient à l’entendre, à le voir et à le tou­cher, tout à coup, der­riè­re lui, une main effleu­ra par en bas la fran­ge de son vête­ment.  Jésus s’arrêta net et deman­da : « Qui m’a tou­ché ? ».  Parmi cet­te fou­le de mains qui le tou­cha­ient, il avait sen­ti les mains les plus néces­si­teu­ses et les plus sin­cè­res : cel­les d’une pau­vre veu­ve aban­don­née.  Elle était là pour lui et lui était là pour elle, elle l’avait tou­ché et il l’avait sen­ti.  Parmi tou­tes.  Ils s’étaient choi­sis.  Librement. Il lui a ten­du la main pour la rele­ver de la pous­siè­re dans laquel­le elle ram­pait et dont elle se nour­ris­sait, elle qui avait été rabais­sée au der­nier rang de l’humanité après avoir som­bré dans la fan­ge la plus noi­re, dans les affres du malheur et de la soli­tu­de.  Il l’a pri­se par la main pour la rame­ner sur le che­min.  Toucher à nou­veau la fran­ge de son vête­ment.  Afin qu’il se rap­pel­le notre nom, qu’il n’oublie pas notre pau­vre­té, qu’il nous appel­le ses amis com­me il l’avait fait avec ses disci­ples.

« Seigneur, à qui irions-nous ? ». Nulle part : c’est lui qui vien­dra nous trou­ver là où deux ou trois per­son­nes de bon­ne volon­té seront réu­nies en son nom et ensui­te, ce sera la mul­ti­pli­ca­tion des pains et des pois­sons.  Le Maître n’a‑t-il pas dit que pour être avec Dieu, il suf­fit qu’une poi­gnée de croyan­ts soient unis par la priè­re quel­que part?  Les mai­sons par­ti­cu­liè­res, dans un pays com­me la Belgique, devien­dront les cathé­dra­les du nou­veau chri­stia­ni­sme où se ras­sem­ble­ront les nou­veaux dou­ze apô­tres deve­nus frè­res au nom de l’Unique, se rap­pe­lant mutuel­le­ment ce qu’Il nous avait ensei­gné ; et l’invitant à par­ta­ger le repas où il se fera pain et vin.  Parce que c’est juste­ment quand nous avons tout per­du que Dieu nous pré­pa­re tout pour nous.

Alors pour­quoi avoir peur ? Qu’est-ce que la Belgique aurait à per­dre à se débar­ras­ser du bou­let d’un clé­ri­ca­li­sme sclé­ro­sé et séni­le qui n’est plus qu’un far­deau pour l’esprit et dont les paro­les creu­ses ne font que l’éloigner davan­ta­ge de la lumiè­re tout en haut du pui­ts où il gît ina­ni­mé ?  Le chri­stia­ni­sme bel­ge aurait-il peur de mou­rir ?  Mais il est déjà mort !  Tertullien disait : « nous som­mes semen­ce : plus ils nous fau­chent et plus nous nous mul­ti­plions ».  Un chré­tien qui n’a pas per­du la foi ou qui l’a retrou­vée ne se préoc­cu­pe pas du len­de­main, il fait ce qu’il doit fai­re aujourd’hui, il n’a pas peur.

Pour être logé et nour­ri, il ne comp­te pas sur l’Etat, sur le léga­li­sme, sur la bureau­cra­tie, sur cet argent qui obsè­de le cler­gé et qui les ras­su­re plus enco­re que la Providence, mais sur ce Dieu qui, s’il habil­le les oiseaux du ciel « mieux que le roi Salomon dans tou­te sa splen­deur » et nour­rit avec tant de pro­di­ga­li­té les fleurs de la ter­re, se préoc­cu­pe bien davan­ta­ge de son trou­peau réu­ni pour cher­cher en lui le pasteur, le bâton et la hou­let­te « qui nous con­so­lent ». Et alors nous pour­rons dire les mots du « psau­me de la con­fian­ce » :

Passerais-je un ravin de ténè­bres, je ne crains aucun mal car tu es avec moi… Grâce et bon­heur m’accompagnent tous les jours de ma vie, j’habiterai la mai­son du Seigneur pour la lon­gueur de mes jours

C’est faci­le à dire, me répondrez-vous. Par où com­men­cer ?  C’est sim­ple : par soi-même.  Il faut avant tout redé­cou­vrir soi-même le Maître. Cor ad corum loqui­tor. Chercher à tou­cher la fran­ge de son vête­ment avec un cœur sin­cè­re et plein de que­stions.

Il ne faut pas ima­gi­ner de gran­des cho­ses, on peut très bien réa­li­ser des peti­tes cho­ses peu à peu, com­me les enfan­ts qui appren­nent à fai­re leurs pre­miers pas en s’agrippant à tout ce qu’ils trou­vent, hési­tan­ts, lut­tant con­tre la for­ce de la gra­vi­té qui les atti­re en per­ma­nen­ce vers le bas.

Il n’y a aucu­ne autre voie que cel­le qui con­si­ste à repar­cou­rir le che­min de l’histoire du salut, à mar­cher là où Il a Lui-même mar­ché, à s’arrêter là où Lui s’est arrê­té, même si cet­te rou­te est cel­le qui mène au Calvaire et que les hal­tes sont cel­les de la Passion.

Il y a une Eglise mor­te et une Eglise nais­san­te qui doit se déci­der à naî­tre, en vie. Et pour sur­vi­vre, elle devra rési­ster aux vapeurs méphi­ti­ques que l’Eglise mor­te va libé­rer pour l’étouffer dans l’œuf.  Le pre­mier cal­vai­re c’est celui que l’on subit de la part des « chré­tiens » qui ont oublié jusqu’au sens de ce mot mais qui occu­pent l’église com­me un pui­ts à empoi­son­ner avant la défai­te fina­le de cet­te armée dis­so­lue en dérou­te qui, déjà, est pas­sée à l’ennemi.

Mais com­me disait François Mitterrand à la fin de sa vie, « il n’y a qu’un seul regret après tout : celui de ne pas avoir été des sain­ts. »

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