Un dialogue intime avec Jésus (2)

Le dimanche suivant

L'écrivain Antonio Margheriti

L’écrivain Antonio Margheriti

Je commence à prendre goût à arriver à l’heure à l’église le dimanche depuis que j’ai découvert qu’il était possible de bavarder avec Jésus.  J’ai découvert qu’il nous parlait à travers la partie la plus profonde de notre être.  Il y a dans notre cœur un morceau de chair qui a été préservé de la souillure du péché originel et qui a conservé toute sa pureté.  C’est à travers elle que Jésus résonne en nous, du cœur à l’esprit.  Notre conscience la plus profonde se résout à lui faire écho: c’est comme cela qu’il nous répond.  C’était probablement déjà ce qui se passait pour Don Camillo.

Il y en qui parleront de schizophrénie.  Ce sont des imbéciles, en fait.

Je suis en proie à plusieurs phobies qui m’empoisonnent la vie et m’ôtent la joie de vivre comme la peur de la maladie, la peur de l’idée même de la mort.

J’arrive à l’église et je m’assois.  Je le contemple à travers son effigie posée sur l’autel: la magnifique icône qui m’est devenue familière.  Derrière cette image se trouve le Dieu vivant sur sa « sainte montagne », le tabernacle.

Où es-tu?

« Voilà, c’est encore moi.  Je suis là avec toutes mes angoisses.  Où es-tu?  Je souffre de ta non présence comme la petite Thérèse sur son lit de mort.  Montre-moi un seul instant ton visage et toute peur disparaîtra, montre-moi ta Sainte Face! »

Je m’attendais à une réponse rapide mais elle ne vint pas.  Jésus m’abandonnait à mon monologue sans rien dire.  Un lourd manteau de solitude commença à m’envahir, pareil à un vertige de l’âme.  J’ai douté.  Alors, je me souvins du moment où Saint Thomas avait lui aussi douté parce qu’il n’avait pas vu.  Cependant, cela ne suffit pas à m’apaiser: « Alors, montre-moi le visage des démons, c’est pareil! ».  Silence.

Ce silence…  Je n’imaginais pas qu’il n’était qu’un prélude à la surprise et qu’il n’était destiné qu’à me faire regretter ces interminables instants d’épreuve et d’amère solitude.  Car il était sur le point d’être rompu, à mon grand étonnement.

Je vois le garçon à la voix stridente s’avancer vers l’ambon pour chanter le psaume, sa guitare à la main.  Ses mots résonnent dans l’édifice: « Un pauvre crie, le Seigneur entend, il le délivre de toutes ses angoisses ».  C’est David dans le psaume qui contrefait l’insensé devant Abimélech et c’est la voix de Dieu lui-même qui répond à mon appel.

Tu m’as entendu!

« Alors, tu m’as entendu! »

« Je ne suis pas sourd: comme toi, je fais souvent semblant de ne pas entendre.  Je te mets à l’épreuve, parfois avec le sourire. »

« Alors, tu as entendu ce que je t’ai demandé. »

« Dès avant ta naissance, je connaissais déjà ton nom. »

« Montre-moi ton visage, qu’est-ce que cela te coûterait?  Un seul instant! »

« Je ne peux pas. »

« Tu peux tout. »

« Ce n’est pas parce qu’on peut faire une chose qu’elle est nécessairement bonne.  Tu en veux la preuve?  Alors laisse-moi te demander pourquoi tu veux tellement voir mon visage. »

« Parce que le visage du Dieu dissipe nos doutes, disperse en souriant toutes nos angoisses et change nos deuils en une danse. »

« Cela ne m’enchante gère de t’entendre parodier les psalmistes, mon ami.  Tu veux voir mon visage pour te sentir meilleur que les aux autres.  Je ne peux pas te faire cela. »

« Si mon père pouvait faire quelque chose pour me faire sentir meilleur que les autres, il le ferait. »

« Il ne le ferait pas parce que la perception de sa propre supériorité trouve sa source dans le mépris de son prochain et dans la défiance de Dieu.  J’ai déjà eu assez de mal ces dernières jours avec Umberto Eco. »

« Je ne suis pas Umberto Eco. »

« Et pourtant tu voudrais tellement lui ressembler, n’est-ce pas?  Si je t’en donnais l’occasion, tu vendrais ton âme au diable et tu n’hésiterais pas un seul instant à me renier, comme il l’a fait.  Je l’ai permis parce qu’il le désirait, il a fait son choix.  Comme pour lui, je dois sans cesse remédier à tes nombreux actes de vanité car tu es sans cesse dévoré par la pire sorte d’orgueil qui soit: celle qui se nourrit du sentiment de culpabilité.  Ne me demande plus jamais de voir mon Visage, tu signerais ta perte. »

« Dans ce cas, j’ai un supplique en réserve à te faire. »

« Tu aimes négocier.  Quel grand commerçant tu ferais.  Et quel grand escroc… »

« Seigneur, laisse-moi raconter ton histoire à travers la vie des hommes, toi qui es le Dieu de toutes les solitudes. »

« Fais-le. »

« J’essaye mais je n’y tiens plus… voilà ce que je voulais te demander: libère-moi du démon de l’avarice. »

« Je t’ai fait don d’une grande intelligence et j’ai fait en sorte que tu sois capable de la faire passer dans tes écrits.  C’est ton talent.  Le pire c’est que tu en es conscient.  Voilà ton combat. »

« Pourquoi me laisses-tu désarmé devant l’avarice?  Guéris-moi de cette paresse méridionale qui m’afflige. »

« Si je ne t’avais pas infligé la paresse, si tu n’avais pas cette limite qui te pousse à t’humilier, ton insolence intellectuelle se changerait en un orgueil qui n’aurait de cesse de me défier et tu n’hésiterais pas à blasphémer mon nom son vergogne: tu as appris l’art de tuer par la parole mais ce n’est pas pour cela que je t’en ai fait don. »

« Et alors à quoi me servent-elles? »

« A les mériter!  Homme de peu de foi et sans mémoire!  As-tu déjà oublié les paroles du Pape qui nous dit d’aimer?  C’est Benoît qui disait que Dieu n’enlève rien mais qu’il donne tout.  Tes angoisses te rappellent ta mort, ta paresse te donne le sens de la précarité, tes idées te permettent de te remettre en question: tout cela te sauvera de nombreuses idées saugrenues, de tant de choix infâmants et te gardera de l’ivresse des illusions du monde.  Quand tu auras renoncé à tout cela, tout te sera donné. »

Tu me demandes d’écrire avec mon propre sang?

« Qu’adviendra-t-il de moi? »

« Tu ne compteras pas ta peine et tu travailleras sans relâche à la sueur de ton front.  Tu écriras à genoux afin que la sueur et les larmes se cristallisent en diamants pour évoquer mon salut.  Alors tu seras sauvé. »

« Tu me demandes d’écrire avec mon propre sang? »

« Non, avec le mien. »

« Ainsi soit-il! »

S’en suivit alors un long silence un peu contrarié de ma part avant que je ne change de sujet.

« Tu as entendu ta propre parabole aujourd’hui?  Le fils prodigue: j’étais en train de me dire que ce n’était pas tant la demande de pardon que le fait de reconnaître ses propres fautes et de désirer sa punition qui avait sauvé le fils dépravé. »

« J’ai en effet prononcé ces paroles mais c’est sur un autre détail que j’attire ton attention: le péché pousse le fils dépravé à tout perdre et le réduit à faire paître les porcs.  Penses-y: aujourd’hui ils sont si nombreux à faire pareil que cet enfant et à tout dilapider tout dans des plaisirs éphémères avant d’en être réduit à se soumettre à des bêtes et à les adorer.  Ils appellent « fils » leurs propres animaux.  Triste sera leur sort: la solitude sera leur unique compagne. »

« Moi aussi je me sens seul », lui dis-je.

Me reconnaîtrez-vous?

Alors, Jésus cessa de me parler.  D’un seul coup, il se fondit dans le silence absolu duquel il avait surgit, me laissant seul précisément au moment où j’étais en train de me plaindre.

A ce moment, je remarque qu’un enfant trisomique aux cheveux roux était en train de me fixer en silence au milieu de la foule.  Nos regards se croisèrent et je lui rendis son regard bridé.  Il se mit alors à me sourire de toute sa bouche vermeille.

Laissant son père, il vint s’asseoir à côté de moi pendant que je suivais la messe et il me pris la main sans plus vouloir la lâcher.

Jésus est là, à côté de moi avec ses yeux en amande, avec sa bouche vermeille, sa peau d’albâtre et ses cheveux roux.

« Me reconnaîtrez-vous? »

Les hébreux l’ont reconnu dans le buisson ardent qui brûlant sans se consumer.  Nous avons reconnu Jésus dans l’incarnation, le Dieu fait homme manifesté dans la chair et non plus dans des choses inanimées.  C’est dans l’homme qu’il demeure à nos côtés, comme dans cet enfant qui me tient la main pour me rassurer.  Le Messie était à côté de moi et je ne l’avais pas reconnu.

Par Antonio Margheriti, d’après un article original en italien traduit et publié avec l’autorisation de l’auteur.

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