Pourquoi nous ne pouvons pas être Charlie

VoltaireEn ces jours entachés par les événements tragiques de Paris, on discute beaucoup de la soi-disant « liberté d’expression ».  Depuis le lycée, on nous fait croire que nous la devons à Voltaire et à ses collègues des Lumières, autrement dit, aux pères génétiques de cette Révolution Française qui inaugura l’extermination systématique de la modernité et la haine idéologique qui infeste l’histoire depuis deux siècles et demi (une brève remarque sur Voltaire afin de clôturer définitivement le débat : il n’a jamais dit ni prononcé le célèbre « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire » mais en revanche il avait l’habitude de clôturer ses lettres par « écrasons l’infâme » en se référant principalement aux « fanatiques » catholiques).  Permettez-moi donc d’exercer moi-même cette soi-disant liberté d’opinion que d’aucuns prétendent illimitée et non-censurable.  Elle l’est en réalité uniquement quand ça les arrange, comme nous allons le voir.

Tout d’abord il me semble curieux de devoir se sentir obligé de condamner sans équivoque l’ignoble massacre parisien.  Entre personnes dotée de cœur et d’esprit, cela devrait être évident et implicite.  Faut-il vraiment commencer chaque discours un plus peu articulé que « vous êtes soit dans le camp des victimes soit dans celui des bourreaux » par de telles prémisses ?  Sommes-nous vraiment si peu intelligents ?  Je vous le demande parce que ces derniers jours, j’ai remarqué ce constant amalgame par lequel le simple refus de déclarer « je suis Charlie » semble couvrir une inavouable approbation implicite du massacre.  En tant que catholique, à la différence de ce milieu athée et agnostique radical de gauche dans lequel se complait Charlie Hebdo et également, hélas, une grande majorité de la population post-chrétienne, je crois fermement dans l’existence de l’âme, au Jugement dernier, en la résurrection de la chair et en la vie éternelle et donc dans le fait que tout ne s’arrête pas une fois que le souffle de vie quitte le corps.  C’est précisément pour cela que, dès que j’ai appris la nouvelle du massacre, j’ai prié pour les victimes, les blessés, leurs famille et pour la France qui fut autrefois « fille aînée de l’Eglise ».  Parce que pour un catholique, ce sont tout d’abord des personnes qui sont mortes et qui ont été blessées, des personnes uniques et singulières dans leur spécificité et dont la vie est toujours inestimable, au diable donc le totem païen de cette « liberté d’expression » illusoire qui n’existe que pour ceux qui restent dans les clous d’un conformisme de masse totalitaire.

« Liberté d’expression » en France : un « homophobe » accompagné au poste de gendarmerie.

« Liberté d’expression » en France : un « homophobe » accompagné au poste de gendarmerie.

Je pourrais citer des dizaines d’exemples qui déconstruisent ce mythe propagé avant tout par la réaction épidermique d’une foule émue par l’histoire de ces crayons brisés à cause de caricatures contre le Prophète.  Nous pourrions même y croire et nous laisser aller à y trouver quelque consolation devant tant d’horreur en faisant de ces victimes des héros tragiques et les martyrs de la parole libre.  Mais en réalité, dans un Occident qui se pose en défenseur de cette liberté, ces mots ne sont-ils pas plutôt des paroles en l’air ?  Parlons-en, de cette France où, par exemple, des citoyens sont arrêtés pour le seul délit d’avoir participé aux manifestations « homophobes » de la Manif pour tous ou simplement pour avoir osé en porter le t-shirt.  Cette France où l’autre jour, l’humoriste Dieudonné a payé de sa liberté sa dénonciation de cette morale à deux vitesses.  Pensons encore aux récentes sorties des grands défenseurs de la « liberté d’expression » en Italie quand des membres de centres socioculturels et autres activistes ont tenté un peu partout de saboter les mouvements de prières silencieuses organisées par les Sentinelles debout en faveur de la famille naturelle (on voit que pour ces excités d’un autre âge le droit de la parole s’oppose, par un curieux raccourci, à celui du silence).  Ou encore à ceux qui empêchèrent en son temps à Benoît XVI de s’exprimer à l’Université La Sapienza de Rome.  Je pense également ici aux Etats-Unis où l’atrice Kaley Cuoci-Sweeting a été descendue en flammes par les associations féministes pour avoir affirmé n’avoir jamais milité pour leur cause et aimer préparer à dîner pour son mari cinq fois par semaine à tel point qu’elle a été contrainte de retirer ses propos de façon humiliante et à remercier publiquement « ces femmes courageuses qui ont tant contribué à mon succès (sic) ».  Combien d’exemples similaires vous viennent à l’esprit ?  La liste est longue…

Kaley Cuoco-Sweeting (avec son mari), « coupable » de lui préparer trop souvent à dîner.

Kaley Cuoco-Sweeting (avec son mari), « coupable » de lui préparer trop souvent à dîner.

J’entends venir déjà la sempiternelle objection « mais aucun de ces personnes n’a été tuée à cause de ses opinions, c’est beaucoup moins grave ! ».  Cette sottise contribue au contraire à renforcer les doutes : si c’est seulement devant des tragédies comme celle de Charlie Hebdo que nous sommes capables de nous distinguer du reste du monde sur base de la supériorité de notre civilisation « libre », est-ce que ce n’est pas justement parce que cette liberté nous fait défaut lorsqu’il s’agit d’en appliquer les valeurs autoproclamées au quotidien ?  Bien entendu !  Ecoutons également les prêches solidaires des grands de ce monde (une autre formule creuse et obséquieuse que je n’ai jamais comprise, au mieux appelons-les « les puissants ») bras dessus bras dessous à Paris alors qu’ils sont eux aussi coupables de guerres et d’atrocités variées qu’aucun cortège n’a jamais pleurés par des calicots tels que « Je suis le Donbass », ou la Syrie, ou la Lybie, le Nigéria, etc.  Mais je n’ai pas ici la prétention de me lancer dans une analyse géopolitique qui nous permettrait certes de mieux comprendre un scénario dans lequel apparaissent des responsabilités louches et où l’on pratique allègrement le deux poids deux mesures de façon flagrante sur fond d’espionnage nauséabond, même si nous apprendrions peut-être bien plus de la sorte que par le (presque) rassurant prisme du choc des civilisations si cher à Huntington.

Il faut analyser les choses sans avoir peur d’utiliser une grille de lecture chrétienne qui devrait pas être une simple option, un espèce d’héritage poussiéreux dont nous devrions avoir honte parce qu’il serait démodé comme le prétendent trop de prélats et de faux prophètes soi-disant catholiques.  Il faut bien comprendre que ne pouvons pas « être Charlie » non par besoin stérile d’être contre par principe mais parce que nous avons le devoir de libérer le Christ de la cage protestante et laïque de la sphère privée pour le remettre au cœur d’une société qui, nous en sommes témoins chaque jour, en a tellement besoin.

Nous ne pouvons pas laisser l’émotion suscitée par la tragédie submerger et prendre en otage la lucidité indispensable pour analyser la liberté d’expression et ses limites, surtout lorsqu’il s’agit de la comprendre en partant du Christ qui, sur ce point de vue, a été très clair : « Amen, je vous le dis : Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils auront proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours. » (Mc 3, 28-29).  Quant à savoir si les ignobles caricatures de Charlie Hebdo étaient, du point de vue chrétien, une satire acceptable ou entrent dans la catégorie des outrages impardonnables s’ils ne sont pas reniés, chacun peut se faire sa propre opinion ici.  Et si c’est le cas, face à la perspective de condamnation éternelle décrite par le Seigneur en personne, il ne nous reste qu’à espérer de tout cœur que la mort ait trouvé les caricaturistes dans une tardive demande de pardon.

Les catholiques bien-pensants qui se disent « charitables » et « tolérants », que ceux qui disent « on ne juge pas » peuvent bien se scandaliser: la nécessité d’enfin rétablir les droits de Dieu est bien plus forte que l’ambigüité qui consisterait à penser que les rappeler reviendrait à se substituer au jugement divin et qu’il vaudrait donc mieux adopter une attitude visant à « éviter d’ennuyer ceux qui ne croient pas ».  Nous ne pouvons pas savoir si ce repentir providentiel a bien eu lieu (nous devons le souhaiter sincèrement) mais ce cela ne nous évite pas de devoir appeler les choses par leur nom.  Les caricatures de Charlie Hebdo ne relèvent pas de la satire mais bien d’une volonté obstinée de blasphémer qui n’a rien à voir avec l’exercice de la liberté de pensée.  Non, ce n’est ça la liberté d’expression que nous devons défendre.  Personne ne mérite d’être trucidé parce qu’il a blasphémé (comme Antonio Margheriti l’a bien expliqué dans son article : pour nous occidentaux aux racines chrétiennes, ce concept est tout naturel mais pour le légalisme ontologique islamiste, c’est le devoir inverse d’infliger la peine capitale qui s’impose naturellement).  Mais, ceci dit, il est évident que le blasphème ne constitue pas un droit sur lequel fonder une civilisation qui vaille la peine que l’on meure pour elle.  L’interprétation de la liberté d’expression selon Charlie Hebdo est erronée et constitue une revendication d’impunité pour la profanation déconnectée de l’indispensable recherche de vérité sans laquelle toute liberté d’expression n’est que licence gratuite, bestiale et arbitraire.  L’Occident est en phase terminale et l’iconoclastie blasphématoire n’en est pas le traitement mais l’un des symptôme.

Gardons cela bien à l’esprit parce que, comme bon nombre l’ont immédiatement pressenti, il n’y a qu’un pas à franchir entre s’en prendre au fondamentalisme islamique et faire l’amalgame avec tous les extrémismes religieux – avec naturellement le catholicisme en tête de liste.  Dans cet Occident cancéreux où les croyances et les différences sont neutralisées pour « éliminer les conflits », certains pensent qu’il « suffirait de supprimer toutes les religions pour obtenir enfin la paix entre les gens » (il paraît que même Umberto Eco l’aurait affirmé mais, par chance, je n’en trouve pas de trace).  C’est l’indifférence – distillée à doses homéopathiques par des siècles d’endoctrinement maçonnique et laïque – que l’on retrouve dans les discussions de comptoir ou sur les réseaux sociaux.  C’est la complaisance obscène d’un journaliste d’un quotidien national italien que, toujours sur Facebook, j’ai fini par supprimer de mes amis parce qu’il qualifiait de « splendide » la caricature de la sœur avec le crucifix (qui figure dans le lien mentionné ci-dessus) pour ensuite qualifier de propos haineux ma propre définition qui la décrivait, pour des raisons iconographiques bien précises, comme « satanique » (la typique morale à deux vitesses des rejetons de Voltaire pour lesquels toute opinion contraire à la leur est une incitation à la haine qui doit être rejetée mais qui trouvent en même temps outrageux, contre toute logique élémentaire, que la liberté de parole puisse contenir une responsabilité conditionnée à ce que l’on dit parce qu’au fond, elle est révocable »).  Ou encore la haine cruelle des lecteurs du Fatto Quotidiano qui  mettent une chandelle à leur fenêtre en mémoire des victimes le dimanche et qui sont capables de se déchaîner le lundi en commentant de la manière la plus féroce la nouvelle du cancer de la ministre libérale Emma Bonino à laquelle il conviendrait plutôt de souhaite une prompte guérison et une conversion encore plus miraculeuse.  Ici encore, les exemples sont légion dans les faits divers quotidiens.

La Liberté coiffée du bonnet phrygien dans les rues de Paris dimanche : idole païenne à laquelle des hécatombes de victimes ont été sacrifiées.

La Liberté coiffée du bonnet phrygien dans les rues de Paris dimanche : idole païenne à laquelle des hécatombes de victimes ont été sacrifiées.

La « liberté d’expression » comme nous l’entendons normalement dans cet Occident de l’apostasie finale est donc un faux mantra, un totem que l’on dresse et que l’on occulte en fonction des sournoises nécessités politiques du moment.  Dimanche, on la brandit dans cette marche pathétique des chefs d’états bras dessus bras dessous et lundi, on l’escamote avec des intrusions toujours plus orwelliennes dans nos vies privées individuelles.  C’est l’énième mirage d’une modernité bâtie sur  des mythes mensongers (il est inquiétant de voir s’agiter à Paris le mannequin de la « Liberté » coiffé du bonnet phrygien ou nom duquel tant de sang a coulé) et des lois que l’on applique à nos ennemis mais que l’on interprète pour nos amis et vice-versa, dans une folie désespérée où seul compte le dogme de l’enfouissement des derniers résidus de Dieu sur la terre.  Des résidus qu’il faudrait écraser, violer et exécrer pour qu’enfin l’homme puisse recevoir le feu prométhéen (on y revient toujours : la gnose luciférienne) de la Liberté des Danton et des Robespierre alors que nous devrions plutôt nous référer à un Français bien plus noble, Blaise Pascal, pour redéfinir les traits d’une société pour laquelle il vaille la peine de mourir : « Rien n’accuse davantage une extrême faiblesse d’esprit que ne pas connaître quel est le malheur d’un homme sans Dieu ; rien ne marque davantage une mauvaise disposition du cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles ; rien n’est plus lâche que de faire le brave contre Dieu. »

Post scriptum : la couverture de Libération du jeudi 15 janvier.  Les faits viennent corroborer les thèses exposées dans cette article : ils ne combattent pas pour la véritable liberté d’expression pour tous (Dieudonné a été emprisonné le mardi 13) mais pour leur pensée unique qui n’est autre que le droit de blasphémer et d’insulter.

Post scriptum : la couverture de Libération du jeudi 15 janvier. Les faits viennent corroborer les thèses exposées dans cette article : ils ne combattent pas pour la véritable liberté d’expression pour tous (Dieudonné a été emprisonné le mardi 13) mais pour leur pensée unique qui n’est autre que le droit de blasphémer et d’insulter.

Par Luca Dombré, d’après un article original en italien traduit et publié avec l’autorisation de l’auteur.

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