L’interview censurée de Hans Urs von Balthasar

L’interview interdite et perdue de Hans Urs von Balthasar par Vittorio Messori.  En exclusivité, 30 ans plus tard.

En exclu­si­vi­té en fra­nçais dans une tra­duc­tion de Rédaction Diakonos.be

uvb1En exclu­si­vi­té et pre­sque dans son inté­gra­li­té, le livre-interview dispa­ru et mis à l’index il y a plus de tren­te ans.  Dans cet entre­tien con­tro­ver­sé de Hans Urs von Balthasar avec Vittorio Messori, le grand théo­lo­gien suis­se se lan­ce dans une cri­ti­que en règle de l’Eglise post-conciliaire, du pro­gres­si­sme (sans pour autant épar­gner les leféb­vri­stes) et prend ses distan­ces avec « l’oracle » de Vatican II, Karl Rahner.  Il pro­po­se une réfor­me « tri­den­ti­ne » des sémi­nai­res et cri­ti­que ver­te­ment le théo­lo­gien Hans Küng (le maî­tre à pen­ser du car­di­nal Walter Kasper).  La réac­tion de ce der­nier fut si vio­len­te qu’el­le a pro­vo­qué la mise à l’index de ce livre qui fut à l’époque pre­sque immé­dia­te­ment reti­ré de la ven­te et envoyé au pilon avant de tom­ber dans l’ou­bli d’u­ne véri­ta­ble dam­na­tio memo­riae cou­ver­te par la loi du silen­ce.  Le plus frap­pant cepen­dant c’est que cet­te inter­view nous sem­ble pour­tant ter­ri­ble­ment actuel­le : rien n’a vrai­ment chan­gé depuis lors.  Nous vous pro­po­sons donc de redé­cou­vrir ce docu­ment non seu­le­ment rare mais véri­ta­ble­ment introu­va­ble tran­smis par son auteur, l’auteur et jour­na­li­ste Vittorio Messori, qui nous a auto­ri­sé à le publier.

Avant-propos d’Antonio Margheriti

Antonio Margheriti

Antonio Margheriti

Je vous fais cadeau de quel­que cho­se que per­son­ne n’aurait pu ima­gi­ner, d’un docu­ment que son auteur lui-même pen­sait défi­ni­ti­ve­ment per­du et tom­bé dans l’oubli.  Je veux par­ler d’un livret édi­té vers sep­tem­bre 1985, il y a tout juste tren­te ans.  Un livre qui fut reti­ré de la ven­te et envoyé au pilon avant même son arri­vée en librai­rie sur ordre de l’éditeur, qui avait à son tour reçu un ordre du quo­ti­dien catho­li­que l’Avvenire, qui l’avait à son tour reçu du Vatican, qui l’avait reçu des pro­gres­si­stes alle­mands, qui à leur tour l’avaient reçu du démon qui les avait inspi­rés.  Ce livre a été con­dam­né à l’oubli, tant et si bien qu’il n’apparaît dans aucu­ne biblio­gra­phie des nom­breu­ses étu­des réa­li­sés sur Hans Urs von Balthasar, le théo­lo­gien de la beau­té et l’un des plus grands théo­lo­giens du XXè siè­cle dont Henri de Lubac disait qu’il était pro­ba­ble­ment l’un des hom­mes les plus cul­ti­vés de son temps.  Cette inter­view a été tota­le­ment rayée de la car­te et n’est enco­re aujourd’hui men­tion­née nul­le part.

von Balthasar, acquarelle

von Balthasar, aqua­rel­le

Il s’agit en fait d’un long entre­tien dans lequel le célè­bre von Balthasar, à l’issue du syno­de extraor­di­nai­re de 1985, se con­fie à Vittorio Messori, lequel avait, peu de temps aupa­ra­vant, lui-même lan­cé une autre bom­be ecclé­sia­le, le fameux Entretien sur la foi dans lequel, pour la tou­te pre­miè­re fois, un cer­tain pré­fet de la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi son­nait la fin de la récréa­tion et des excès con­te­sta­tai­res et déli­ran­ts qui ava­ient sui­vi le con­ci­le, notam­ment con­cer­nant la théo­rie de la libé­ra­tion et ses déri­ves mar­xi­stes.  Ce livre avait pro­vo­qué à sa sor­tie un véri­ta­ble trem­ble­ment de ter­re à l’échelle pla­né­tai­re.

Ce docu­ment con­sti­tue lui aus­si une bom­be qui fut, elle, immé­dia­te­ment désa­mor­cée par une réac­tion en chaî­ne des lob­bies théo­lo­gi­ques, une réac­tion qui effra­ya von Balthasar lui-même qui dut se résou­dre à publier un démen­ti dans les jour­naux alle­mands.  Malheureusement pour lui, cet­te inter­view avait été enre­gi­strée et là voi­là de retour, sor­tie de l’oubli tren­te ans plus tard, avec l’autorisation de Messori lui-même.

J’avoue avoir res­sen­ti un fris­son d’exaltation lor­sque j’ai lu que von Balthasar tour­nait Hans Küng en ridi­cu­le, le décri­vant avec une maî­tri­se rare com­me un mer­ce­nai­re de la théo­lo­gie dénué de tout cré­dit auprès des théo­lo­giens sérieux mais qui avait sans dou­te des prê­ts à rem­bour­ser… en ven­dant aux jour­naux à scan­da­le ses abon­dan­tes opi­nions à géo­mé­trie varia­ble de théo­lo­gien de salon.  Il pour­suit par une cri­ti­que en règle des théo­lo­gies de la libé­ra­tion, de la con­te­sta­tion clé­ri­ca­le, de la pério­de post-conciliaire qui a mul­ti­plié les struc­tu­res étouf­fant la foi et les évê­ques au lieu de les sim­pli­fier.  Il décla­re ensui­te son amour pas­sion­né pour l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine, « con­tre tout com­ple­xe anti-romain ».

Avant de vous livrer le tex­te de cet entre­tien, je sou­hai­te vous racon­ter à tra­vers quel­ques anec­do­tes savou­reu­ses com­ment cet­te piè­ce rare est entrée en ma pos­ses­sion.  Si cet­te intro­duc­tion ne vous inté­res­se pas, c’est sans dou­te que vous êtes inca­pa­ble d’apprécier ce docu­ment à sa juste mesu­re.  Dans ce cas, n’hésitez pas à pas­ser direc­te­ment au tex­te de l’entretien entre Messori et von Balthasar.

Laissez-moi vous racon­ter com­ment ça s’est pas­sé

Hans Urs von Balthasar

Hans Urs von Balthasar

Vittorio Messori est un écri­vain pro­fes­sion­nel de « long-sellers », c’est-à-dire qu’il n’écrit pas seu­le­ment des livres qui bat­tent tous les records de ven­te à leur sor­tie com­me le font best-sellers mais des livres au long cours desti­nés à rester au cata­lo­gue pen­dant des décen­nies, par­fois pour tou­jours et à être réé­di­tés régu­liè­re­ment.  Il s’agit là du sum­mum du suc­cès pour un écri­vain, sa con­sé­cra­tion défi­ni­ti­ve en quel­que sor­te, et c’est aus­si la situa­tion idéa­le et ô com­bien rare et rêvée pour celui qui vit de sa plu­me.  Par un véri­ta­ble mira­cle, cet écri­vain est éga­le­ment un jour­na­li­ste catho­li­que qui par-dessus le mar­ché écrit sur des suje­ts catho­li­ques.  En Italie, ce pri­vi­lè­ge revient à Umberto Eco bien sûr mais éga­le­ment, si pas davan­ta­ge, à Vittorio Messori.  Il est piquant de con­sta­ter que tous deux trai­tent du même sujet de fond : la foi catho­li­que.  L’un pour la fou­ler aux pieds et l’autre pour la défen­dre.  Disons qu’ils se trou­vent à éga­li­té, sauf qu’il est plus aisé de réfu­ter Eco, il suf­fit d’avoir un peu étu­dié, et aus­si du fait que son seul véri­ta­ble livre, Le Nom de la Rose, soit pré­ci­sé­ment un roman, donc une fic­tion, et qui plus est une fic­tion idéo­lo­gi­que com­me l’a admis son auteur « pous­sé par le besoin d’assassiner un moi­ne », une fic­tion sans dou­te per­ver­se mais qui n’enlève rien au fait que ce livre soit tout de même un chef d’œuvre.

Vittorio Messori, quant à lui, écrit des livres au long cours, des livres pré­mé­di­tés.   Il est tout à fait con­scient que cer­tains d’entre eux devien­dront des clas­si­ques, grâ­ce à son flair bien sûr, mais aus­si grâ­ce à son expé­rien­ce et à sa lon­gue car­riè­re au jour­nal La Stampa où il était respon­sa­ble du sup­plé­ment heb­do­ma­dai­re de ce véné­ra­ble quo­ti­dien, Tuttolibri, dans les années soixante-dix.

Il y avait autre­fois à Turin une mai­son d’édition appar­te­nant à Piero Gribaudi, un autre catho­li­que qui méri­te­rait qu’on par­le de lui.  Ce Gribaudi était une véri­ta­ble réfé­ren­ce dans le mon­de de l’édition reli­gieu­se.  Un soir, alors qu’ils dîna­ient ensem­ble dans la mai­son que Messori pos­sè­de à Turin, il posa sou­dain sa four­chet­te, le regar­da droit dans les yeux et lui dit : « Tu sais, Messori, dans ma lon­gue vie d’éditeur, tu es la seu­le per­son­ne con­vain­cue qu’elle écri­rait un best-seller du pre­mier coup que j’ai ren­con­trée à vrai­ment l’avoir fait ».  Il a de l’intuition cer­tai­ne­ment, de l’expérience sans aucun dou­te, mais éga­le­ment une bon­ne dose de réa­li­sme et il pose un regard par­fai­te­ment luci­de sur son épo­que et sur l’état des cho­ses.

Vittorio Messori

Vittorio Messori

Rien sur­pre­nant donc à ce que ce soit lui qui ait eu l’honneur d’interviewer celui qui allait un jour deve­nir le pape Benoît XVI et qui était alors enco­re le con­tro­ver­sé « Panzerkardinal », le Préfet de l’ex-Saint-Office, le « Grand Inquisiteur » com­me le sur­nom­ma­ient alors non seu­le­ment les tenan­ts du pro­gres­si­sme « catho­li­que » les plus témé­rai­res et les plus dévian­ts mais aus­si ceux qui éta­ient plus modé­rés.   Il ne faut pas s’étonner non plus  que Messori ait pré­mé­di­té ce livre en étant cer­tain qu’il ferait l’effet d’une bom­be.  Et en effet, ce livre fit grand bruit et déclen­cha à sa sor­tie une véri­ta­ble réac­tion en chaî­ne de pro­te­sta­tions dans le mon­de catho­li­que, par­ti­cu­liè­re­ment de la part de fran­ge la plus con­te­sta­tai­re du cler­gé qui fit de Ratzinger un mon­stre réac­tion­nai­re aux yeux des pro­gres­si­stes qui s’étaient eux-mêmes entre­temps tran­sfor­més en mar­xi­stes à retar­de­ment et en guer­riers rou­ges, la mitrail­let­te à la main avec Messori dans leur ligne de mire.  Sur con­seil de la poli­ce, il dut en effet se cacher dans un lieu tenu secret après avoir reçu des mena­ces de mort de la part de « catho­li­ques ouverts au dia­lo­gue », « démo­cra­tes » et, cela va sans dire, « non-violents » qui le jugea­ient cou­pa­ble non seu­le­ment d’avoir inter­viewé le « Grand Inquisiteur » mais sur­tout de lui avoir don­né rai­son.

J’ai inter­ro­gé Messori en per­son­ne sur le gen­re de best-long-seller que fut l’Entretien sur la foi pour savoir s’il y avait vrai­ment eu pré­mé­di­ta­tion.

uvb33« J’étais plei­ne­ment con­scient de ce que je vou­lais fai­re et je m’attendais éga­le­ment aux con­sé­quen­ces.  Ratzinger pas, dans sa can­deur.  Il n’arrivait pas à com­pren­dre ce que je vou­lais fai­re.  Tant et si bien que lor­sque je lui ai appor­té le manu­scrit com­me con­ve­nu, il me reçut tout affai­ré :  « J’ai les visi­tes ad limi­na et tant d’autres cho­ses à fai­re.  Je le don­ne­rai à Dom Clemens pour qu’il y jet­te un œil ».  Il s’agissait de son secré­tai­re, le seul prê­tre que je con­nais­se qui soit né et ait été ordon­né à Berlin, capi­ta­le de cet­te Prusse dont Donose Cortes qui y fut ambas­sa­deur disait qu’elle « avait pour père le dia­ble en per­son­ne ».  Je m’indignai devant le carac­tè­re expé­di­tif de sa réac­tion : « Mais Eminence, permettez-moi d’insister.  Lisez-le vous-même très atten­ti­ve­ment.  Ce tex­te susci­te­ra de nom­breu­ses polé­mi­ques dans le mon­de entier. »  Il me regar­da avec ses yeux bleus écar­quil­lés de petit enfant : « Polémiques ?  Warum ? ».  Pourquoi ?  Je réus­sis fina­le­ment à le con­vain­cre de le lire et il me resti­tua le manu­scrit quel­ques jours plus tard pre­sque sans aucu­ne cor­rec­tion : « L’une ou l’autre cho­se que vous me fai­tes dire [NDR. Messori n’enregistrait pas ses inter­views en géné­ral et pre­nait des notes à la main], je ne pen­se pas les avoir dites.  Mais vous avez bien fait de me les attri­buer par­ce que si je ne les ai pas dites pré­ci­sé­ment de cet­te façon-là c’est sans dou­te par­ce que j’avais oublié de le fai­re… ».  Il eut la loyau­té de me défen­dre en public lor­sque l’on cher­cha à désa­mor­cer la bom­be en disant qu’il ne s’agissait pas de l’Eglise selon Ratzinger mais bien selon Messori, ce jour­na­li­ste ten­dan­cieux qui avait réus­si à abu­ser un théo­lo­gien sérieux mais sans défen­se. »
C’est ain­si que naquit un best-long-seller pré­mé­di­té.

Messori ajou­te éga­le­ment ceci :

Le journaliste catholique et le Préfet de l'orthodoxie à l'époque de l'Entretien sur la Foi. On voit aisément qu'ils s'agit des monstres sanguinaires que les progressistes avaient décrits. Progressistes qui entretemps s'étaient armés de mitraillettes pour jouer aux révolutionnaires en Amérique du Sud.

Le jour­na­li­ste catho­li­que et le Préfet de l’or­tho­do­xie à l’é­po­que de l’Entretien sur la Foi. On voit aisé­ment qu’ils s’a­git des mon­stres san­gui­nai­res que les pro­gres­si­stes ava­ient décri­ts. Progressistes qui entre­temps s’é­ta­ient armés de mitrail­let­tes pour jouer aux révo­lu­tion­nai­res en Amérique du Sud.

« Je ne sais pas si tu pos­sè­des l’annexe au der­nier volu­me de l’Histoire de l’Eglise de Fliche et Martin, la plus com­plè­te histoi­re de l’Eglise.  On y par­le d’un théo­lo­gien hol­lan­dais qui, plein de fiel, décla­ra le jour de la publi­ca­tion que ce livre devrait être gra­vé dans les mémoi­res com­me celui qui son­na la fin de la pério­de post-conciliaire pour­tant rem­plie d’espérances et de per­spec­ti­ves enthou­sia­sman­tes.  C’est pré­ci­sé­ment ce que je vou­lais : fai­re sif­fler la fin de la récréa­tion par le gar­dien de l’orthodoxie lui-même ».
Même si la récréa­tion n’est pas enco­re tout à fait finie pour tout le mon­de.  De nom­breux étu­dian­ts ont aban­don­né l’école et quel­ques autres ont même été ren­voyés.

Messori est un écri­vain qui n’a jamais con­nu l’échec dans sa car­riè­re édi­to­ria­le incroya­ble­ment chan­ceu­se.  Comme il est d’un natu­rel très patient et que je crois que je l’amuse un peu — et que je m’amuse moi-même par­ce qu’il a tou­jours plus d’un tour dans son sac – il m’arrive de le taqui­ner.  Je lui dis qu’il aurait fal­lu publier des inter­views de Del Noce par Messori (ce livre aurait été un autre long-seller, un clas­si­que intem­po­rel), d’Andreotti, du car­di­nal Brandmüller, de von Balthasar mais qu’on a rien vu de tout cela.  Naturellement il m’en avait expli­qué les rai­sons et on ne pou­vait cer­tes rien lui repro­cher, il est d’ailleurs tout excu­sé même si ces livres jamais nés sont une per­te pour nous tous.  Imaginez un peu un livre-interview entre Messori, le grand écri­vain catho­li­que et Andreotti, le mon­stre sacré de la poli­ti­que ita­lien­ne discu­tant de la papau­té.  Malheureusement Andreotti n’en fit qu’à sa tête et publia un livre de son côté, avec un résul­tat déce­vant alors que c’est pour­tant lui qui avait lan­cée l’idée de ce livre à qua­tre mains.  Je sais tout cela mais je tara­bu­ste quand même Messori, cer­tain de sa réac­tion, en l’accusant de tirer des plans sur la comè­te.  En matiè­re de réac­tion, on peut par­ler d’arroseur arro­sé.

Je devais en effet être rou­ge de hon­te lorsqu’il me cloua le bec avec une répon­se embar­ras­san­te pour quelqu’un qui, com­me moi, se fait pas­ser pour un « expert » de l’œuvre de Messori : il m’avoua qu’en réa­li­té le livre-interview de von Balthasar par Messori avait bien été publié sans que je ne le sache, même s’il s’agissait davan­ta­ge d’un opu­scu­le que d’un livre, et qu’il avait été reti­ré de la ven­te.  L’humiliation était pour moi tota­le.

C’est à pré­sent à son tour de se moquer de moi : « Dis-donc, pour un Messorien (hélas la cruau­té humai­ne est sans limi­te), ne pas savoir que j’ai bien écrit un livre-interview avec von Balthasar, c’est gra­ve ! ».  Et il me don­ne ensui­te le coup de grâ­ce : « Tu peux m’accuser de tout mais pas de tirer des plans sur la comè­te.  Je suis peut-être par­fois un peu pares­seux mais cer­tai­ne­ment pas un Don Quichotte de la plu­me ».  Me voi­là bien remis à ma pla­ce.  Lorsque j’y repen­se avec le recul, ce fut plu­tôt une chan­ce.

le sénateur italien Gian Guido Folloni, à l'époque directeur du journal l'Avvenire

le séna­teur ita­lien Gian Guido Folloni, à l’é­po­que direc­teur du jour­nal l’Avvenire

En effet, à pei­ne m’avait-il fait pas­ser l’envie de le taqui­ner en me prou­vant une fois de plus qu’il avait tou­jours un coup d’avance sur moi que je m’entendis bal­bu­tier la queue entre les jam­bes quel­que cho­se com­me « Mais je n’ai jamais trou­vé tra­ce de ce livre nul­le part, je le jure !  Je sais bien que vous aviez inter­viewé le grand théo­lo­gien mais j’ignorais qu’il en était sor­ti un livret.  J’irai le cher­che sur Amazon, Ebay, au dia­ble Vauvert s’il le faut ».

Comme à son habi­tu­de, Messori n’hésite pas à ten­dre la main à celui qu’il vient de met­tre au tapis car au fond, même s’il n’en a pas l’air, c’est quelqu’un de géné­reux.  Et de fait, il me pro­po­se quel­que cho­se : « Si jamais je le retrou­ve, com­me il n’est pas bien épais, je t’en enver­rai une pho­to­co­pie.  Pour autant que j’arrive à le retrou­ver dans ma biblio­thè­que…   Il faut croi­re que la dam­na­tio memo­riae a eu de l’effet même sur son auteur ».

Damnatio memo­riae ?  Mais de quoi parle-t-il ?  Je le lui deman­de et je décou­vre qu’il y a une histoi­re sor­di­de der­riè­re tout cela.

« Ce livre a pro­vo­qué une tel­le polé­mi­que que l’éditeur – je pen­se qu’il s’agissait de l’Ancora – l’a fait reti­rer des librai­ries.  Principalement par­ce que von Balthasar disait que Hans Küng n’était, non seu­le­ment plus catho­li­que, mais qu’il n’était plus chré­tien du tout.  Une bagar­re s’en sui­vit avec un Küng écu­mant de rage, tant et si bien que von Balthasar lui-même prit peur et pré­ten­dit qu’il n’avait jamais dit cela.  Mais lors de cet­te inter­view, j’étais accom­pa­gné de Folloni qui était alors direc­teur du quo­ti­dien l’Avvenire.  Aussi bien l’Avvenire que l’éditeur déci­dè­rent que ce livre (qui n’était en fait qu’une peti­te bro­chu­re) n’était qu’un évé­ne­ment regret­ta­ble nul et non ave­nu.   Sapristi, nous en aurions des histoi­res à racon­ter, nous autres les vieux…  »

Incroyable !  Le plus grand et le plus cul­ti­vé des théo­lo­giens de la pério­de post-conciliaire et de tout le ving­tiè­me siè­cle, du haut de son grand âge, aurait eu peur des abo­ie­men­ts enra­gés de ce théo­lo­gien de paco­til­le de Küng ?  De ce mon­stre d’égocentrisme, de ce con­fé­ren­cier cou­reur de cache­ts ?  Eh bien oui mais pas uni­que­ment de lui en réa­li­té, mais de tou­te la cli­que des théo­lo­giens de lan­gue alle­man­de de l’époque et prin­ci­pa­le­ment des suis­ses ultra-progressistes et déjà post-catholiques, qui éta­ient déjà par­ti­cu­liè­re­ment vio­len­ts, into­lé­ran­tes, agres­sifs, con­for­mi­stes, révé­lant les côtés les plus som­bres de l’âme teu­ton­ne (une fois que Messori est lan­cé, rien de l’arrête), c’est-à-dire de ce bar­ba­re jamais tout à fait mort qui cou­ve sous les cen­dres de leur puri­ta­ni­sme bour­geois et qui tôt ou tard réap­pa­raît sous la for­me d’un Hitler, d’un Bismarck, d’une Merkel…  L’Attila éter­nel.

Messori me pré­ci­se éga­le­ment ce qui suit, con­cer­nant cet­te affai­re théologico-internationale :

Portait de von Balthasar au fusain

Portait de von Balthasar au fusain

« En tout cas, von Balthasar a eu une réac­tion mesqui­ne qui nous a mis dans l’embarras.  Comme il n’avait pas vu d’enregistreur, il s’était ravi­sé et inquié­té de ce qu’il avait dit et il ten­ta de me coin­cer en pré­ten­dant qu’il n’avait jamais dit que Küng n’était plus chré­tien.  Mais à Bâle, j’étais accom­pa­gné de Guido Folloni qui, flai­rant la polé­mi­que, avait mis son enre­gi­streur en poche et en avait fixé le micro à la bou­ton­niè­re, masqué par je ne sais quel écus­son.  Sans dou­te celui de l’AC Reggio dont il était sup­por­ter.  Espérant donc cou­vrir ses arriè­res au moins en zone ger­ma­ni­que, von Balthasar publia un démen­ti en me trai­tant de mani­pu­la­teur dans les colon­nes du Frankfurter Allgemeine Zeitung.  Naturellement, j’en fus rapi­de­ment infor­mé et je lui fit par­ve­nir une copie de l’enregistrement par cour­rier.  Il bre­douil­la des excu­ses et con­ti­nua à par­ler de qui­pro­quo alors qu’il avait répé­té par trois fois, en tapant du poing sur la table dans son super­be cha­let de Bâle : « Ich wie­de­rho­le, mei­ne Herren: Küng ist nicht mehr chri­stlich!». Küng n’est plus chré­tien.

Entretemps, le lob­by des théo­lo­giens pro­ches de Küng s’était mobi­li­sé et même Folloni prit peur par­ce que le résu­mé de l’entretien avait été tout d’abord publié dans l’Avvenire.  Plusieurs per­son­nes influen­tes s’en sont ensui­te mêlées et les tra­duc­tions furent suspen­dues et l’original reti­ré des librai­ries.  L’éditeur le reti­ra sous l’insistance « du Vatican » et ce, mal­gré l’enthousiasme de Jean-Paul II qui l’avait fait tra­dui­re en vites­se en polo­nais et qui s’en était pro­cu­ré quel­ques copies qu’il distri­buait per­son­nel­le­ment à ses visi­teurs.

Messori fit le gros dos et prit les cho­ses avec phi­lo­so­phie : « Comme tu le sais, j’ai l’habitude de ne pas m’en fai­re, sans dou­te par­ce que je ne me prends pas trop au sérieux.  Cette fois enco­re, j’en ai ri et j’ai lais­sé tom­ber.  Tant pis pour eux… ».  Quelques jours plus tard, un fait lui revint en mémoi­re à l’improviste, un autre cail­lou dans la chaus­su­re dont il vou­lut se débar­ras­ser : « En triant des vieux papiers, je tom­bai sur un rendez-vous que j’avais pris le 10 février 1986 avec Elio Guerriero, un laïc (même si je pen­se que c’était un ancien sémi­na­ri­ste) qui diri­geait alors plu­sieurs col­lec­tions reli­gieu­ses.  Il tra­vail­lait entre autres avec les Editions Saint-Paul et était secré­tai­re de rédac­tion pour l’Italie de Communio,  la revue vou­lue, com­me on le sait, par le Cardinal Ratzinger en réac­tion à la revue Concilium.  C’était un grand expert de von Balthasar et il tra­vail­lait à une œuvre monu­men­ta­le sur sa pen­sée.  Je savais qu’il se ren­dait sou­vent à Bâle pour lui ren­dre visi­te et je l’ai donc appe­lé pour lui deman­der de dire à von Balthasar que Messori était plus déçu que bles­sé et qu’il était fâché par le com­por­te­ment inqua­li­fia­ble du Maître qui l’avait démen­ti dans son dos dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung alors qu’il avait répé­té par trois fois dans l’interview que « Küng n’est plus catho­li­que et n’est même plus chré­tien ».  Guerriero le lui dit et rap­por­te que, hochant la tête, von Balthasar lui avait alors répon­du « Eh, je sais bien, ce n’était pas très beau mais je n’avais malheu­reu­se­ment pas le choix. ».  Autrement dit, Küng  et sa cli­que lui ava­ient mis une pres­sion tel­le qu’il avait été con­traint de fai­re mar­che arriè­re.  J’en avais bien l’intuition mais j’aurais pré­fé­ré qu’il me le dise ouver­te­ment plu­tôt que de nier devant mes pro­te­sta­tions avant de mar­mon­ner ensui­te des cho­ses incom­pré­hen­si­bles ».

Ceci dit, après avoir con­ver­ti au for­mat Word cet ancien docu­ment, il me don­na l’autorisation de le publier sur mon blog, “PapalePapale” en me disant : « Ce tex­te était sor­ti de ma mémoi­re et si je l’ai retrou­vé, c’est un peu grâ­ce à toi.  Fais-en ce que bon te sem­ble, publie-le sur ton site si tu veux ».

Le voi­ci donc, en exclu­si­vi­té com­me on dit.

 

 

Un entretien entre Hans Urs von Balthasar et Vittorio Messori

Par Vittorio Messori

Le théologien Hans Urs von Balthasar

Le théo­lo­gien Hans Urs von Balthasar

« Je vous en prie, nous dit-il en nous con­gé­diant après un long entre­tien, ne fai­tes pas de moi une vedet­te.  L’important, ce sont les pro­blè­mes et pas ma per­son­ne ».  Il doit par­tir, nous l’avons rete­nu plus long­temps que pré­vu mais, par un trait qui révè­le son atten­tion aux per­son­nes, il s’informe de notre pro­gram­me et tient à nous don­ner quel­ques infor­ma­tions pra­ti­ques.  « Je vous recom­man­de le buf­fet de la gare : les prix sont rai­son­na­bles et on y man­ge pas mal ».

Il est grand et sec, vêtu d’habits som­bres et austè­res, d’une luci­di­té perçan­te : à 80 ans, le « Maître de Bâle », « l’homme le plus cul­ti­vé du siè­cle », l’auteur de pas moins de soi­xan­te ouvra­ges qui ont pro­fon­dé­ment mar­qués notre épo­que (com­me l’a con­fir­mé le prix Paul VI qu’il vient de rece­voir), Hans Urs von Balthasar est plus actif et plus pré­sent que jamais.

Dans la Rome de Jean XXIII, on se méfiait déjà de lui, de son ouver­tu­re et de son atten­tion aux signes des temps.  Ce n’est qu’en 1969 que pris fin ce qu’il appel­le lui-même son long exil avec l’invitation de Paul VI en per­son­ne à rejoin­dre la Commission théo­lo­gi­que inter­na­tio­na­le asso­ciée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.  Penseur par­mi les plus moder­nes et pour­tant incroya­ble­ment ancré dans la gran­de tra­di­tion de l’Eglise, le destin de von Balthasar a été celui d’autres grands maî­tres de la théo­lo­gie catho­li­que, de Maritain à son grand ami et men­tor De Lubac, qui ont été, com­me lui, loués pour leur pro­gres­si­sme avant Vatican II et suspec­tés d’être trop modé­rés ensui­te, tout au moins aux yeux des lob­bies qui con­trô­lent et mani­pu­lent une gran­de par­tie de l’actualité de l’Eglise.  Personne cepen­dant, ni avant ni après lui n’a jamais mis en dou­te son incroya­ble sta­tu­re théo­lo­gi­que ni sur­tout, ce qui est plus impor­tant, spi­ri­tuel­le.  Les nom­breux volu­mes de La Gloire et la croix, son œuvre majeu­re, comp­tent déjà par­mi les clas­si­ques mais tout le mon­de con­nait éga­le­ment son enga­ge­ment dans la théo­rie et la pra­ti­que de la mysti­que qu’il con­si­dè­re com­me le som­met de l’expérience reli­gieu­se.

von Balthasar jeune étudiant en littérature germanique à Vienne en 1927

von Balthasar jeu­ne étu­diant en lit­té­ra­tu­re ger­ma­ni­que à Vienne en 1927

Située dans l’Arnold Böcklin-Strasse de cet­te vil­le de Bâle qui est depuis des siè­cles un véri­ta­ble creu­set de théo­lo­gie, de phi­lo­so­phie et d’aventures de la pen­sée, la peti­te mai­son de von Balthasar a cet­te grâ­ce mode­ste et discrè­te si carac­té­ri­sti­que de la Suisse alle­man­de.  Un por­tail don­ne sur un jar­di­net à pei­ne plus grand qu’une plate-bande et en haut de l’escalier, le vieux pro­fes­seur nous accueil­le et nous gui­de vers une étu­de jon­chée de livres.  En entrant, on ne peut s’empêcher de scru­ter les murs pour y trou­ver des indi­ces révé­la­teurs sur notre hôte.  En effet, dans l’entrée elle-même, nous obser­vons deux por­trai­ts révé­la­teurs: Sainte Thérèse de Lisieux et le masque mor­tuai­re d’Ignace de Loyola (von Balthasar fut jésui­te jusque 1948 avant de pas­ser ensui­te vers le cler­gé dio­cé­sain, mû par un des­sein d’apostolat bien pré­cis).

L’étude est domi­née par une gran­de sta­tue en bois de la Vierge et au-dessus de la por­te est suspen­due cet­te tra­gi­que Crucifixion de Grünewald devant laquel­le Dostoïevski tom­ba dans un déli­re épi­lep­ti­que : il s’agit sans dou­te de l’œuvre pic­tu­ra­le qui illu­stre le mieux que « Jésus ago­ni­se­ra jusqu’à la fin du mon­de » com­me l‘évoquait Blaise Pascal, cet autre grand maî­tre à pen­ser très cher à von Balthasar.  Aux côtés de la Trinité, de Marie et de l’Eglise le « cas sérieux » de la Croix trô­ne au cen­tre de sa réfle­xion com­me une sen­ten­ce sur les opti­mi­smes humains trop faci­les et super­fi­ciels.

Sur son bureau, devant une peti­te pho­to de Jean-Paul II, un exem­plai­re du Basel Zeitung est ouvert.  Il s’agit de l’un des nom­breux jour­naux du mon­de qui ont publié la der­niè­re dia­tri­be de Hans Küng con­tre le Pape et ses plus pro­ches col­la­bo­ra­teurs.

Au début de l’entretien, je lui deman­de spon­ta­né­ment s’il a lu le tex­te de son col­lè­gue qui, com­me lui, est né dans le can­ton de Lucerne.  Il hoche la tête d’un air tri­ste et se met à par­ler d’une voix bas­se en me fixant droit dans les yeux :

Küng n’e­st plus chré­tien depuis bel­le luret­te

Beaucoup ignorent que Hans Küng, l'extravagant agitateur plus ou moins théologien est en fait un prêtre. Voici une très rare photo de lui portant l'habit clérical alors qu'il était très jeune

Beaucoup igno­rent que Hans Küng, l’ex­tra­va­gant agi­ta­teur plus ou moins théo­lo­gien est en fait un prê­tre. Voici une très rare pho­to de lui por­tant l’ha­bit clé­ri­cal alors qu’il était très jeu­ne

« Cela fait au moins dix ans que cet hom­me répè­te sans ces­se la même cho­se.  La seu­le cho­se qui a chan­gé c’est que son ton est de plus en plus polé­mi­que.  En réa­li­té, depuis la publi­ca­tion de son livre “Etre chré­tien”, Hans Küng n’est plus chré­tien. »

Vous vou­lez dire qu’il n’est plus catho­li­que.

« Non, il n’est plus chré­tien.  Il suf­fit de lire ses der­niers livres, même le tout der­nier dans lequel il par­le des autres reli­gions.  Kung n’est plus chré­tien.  Pour lui, Jésus n’était rien d’autre qu’un pro­phè­te et le pro­blè­me se réduit à une discus­sion pour savoir s’il a été un pro­phè­te plus grand que le Bouddha, que Confucius ou que Mahomet.  Ce n’est pas par hasard que l’Ayatollah Khomeini l’a invi­té en Iran pour don­ner des con­fé­ren­ces dans lesquel­les il a répé­té qu’il n’y avait qu’un seul Dieu et de nom­breux pro­phè­tes.  Désormais, pour lui – et il le dit d’ailleurs clai­re­ment dans son livre qui n’a pas enco­re été tra­duit en ita­lien – le chri­stia­ni­sme n’est qu’une voie de salut par­mi d’autres. »

S’il en est vrai­ment ain­si, il est inu­ti­le de s’attarder sur ce « dia­lo­gue » qu’il récla­me à grand cris avec la hié­rar­chie catho­li­que.

« Küng a lui-même choi­si de sor­tir de l’Eglise, il n’a plus donc rien à dire aux évê­ques.  En réa­li­té, il n’a même plus rien à dire à per­son­ne, à com­men­cer par les pro­te­stan­ts.  En effet, depuis que son insti­tut de théo­lo­gie œcu­mé­ni­que a per­du la recon­nais­san­ce offi­ciel­le de l’Eglise catho­li­que, Küng ne repré­sen­te plus que lui-même.  Peut-être est-ce juste­ment éga­le­ment à cau­se de la situa­tion dans laquel­le il se trou­ve qu’il a dépla­cé son discours de l’œcuménisme entre chré­tiens vers l’œcuménisme avec les reli­gions non chré­tien­nes. »

Et pour­tant on a l’impression qu’il con­ti­nue à exer­cer une cer­tai­ne influen­ce : la plu­part des grands quo­ti­diens des pays riches ont con­sa­cré plu­sieurs pages à son réqui­si­toi­re con­tre le Pape et con­tre Ratzinger.

Hans Urs von Balthasar

Hans Urs von Balthasar

« Il repré­sen­te la pen­sée d’une cer­tai­ne intel­li­gen­tsia mais avec  de moins en moins de poids.  Il a per­du de l’influence en Allemagne et il n’est plus que rare­ment invi­té à des con­fé­ren­ces, sur­tout dans les uni­ver­si­tés.  C’est la rai­son pour laquel­le il voya­ge à l’étranger : il a la répu­ta­tion d’être un bon ora­teur et sur­tout, d’être un enne­mi de Rome.  Ce sta­tut lui atti­re de nom­breu­ses sym­pa­thies dans cer­tains milieux. »

La viru­len­ce de son atta­que con­tre l’actuel pré­fet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a même sur­pris ceux qui éta­ient au cou­rant de ses rela­tions ten­dues avec le pro­fes­seur Ratzinger lorsqu’ils ensei­gna­ient tous les deux à Tübingen.

« Je crois qu’il est éga­le­ment exa­spé­ré par sa per­te d’audience.  Par ail­leurs, il ment lorsqu’il accu­se Ratzinger d’avoir chan­gé depuis qu’il “a fait car­riè­re” com­me il dit.  Je con­nais Ratzinger depuis le début et il a tou­jours été pareil, il a tou­jours pen­sé pareil.  En tout cas, ce n’est pas Ratzinger mais Küng qui atta­que Vatican II en le jugeant enco­re “clé­ri­cal”, étroit, insuf­fi­sant et qui récla­me un Vatican III.  Ratzinger est fidè­le au con­ci­le com­me vous le démon­trez dans votre “Entretien sur la Foi”. »

Ratzinger a rai­son sur tou­te la ligne

L’édition alle­man­de n’est dispo­ni­ble que depuis quel­ques semai­nes. Vous l’avez déjà lue ?

Le professeur Ratzinger

Le pro­fes­seur Ratzinger

« Bien sûr que je l’ai lue.  Ce que j’en pen­se ?  Il n’y a pas grand-chose à en dire : Ratzinger a rai­son.  Certains con­si­dè­rent com­me étant du pes­si­mi­sme ce qui n’est en fait que du réa­li­sme : ceux qui ont le cou­ra­ge de la véri­té doi­vent bien le recon­naî­tre.  Personne ne par­le jamais de cet­te immen­se et épou­van­ta­ble défec­tion de prê­tres et de sœurs qui sont par­tis et qui con­ti­nuent à s’en aller par mil­liers. »

Donc, vous vous recon­nais­sez dans la lec­tu­re que fait Ratzinger de ces vingt der­niè­res années ?

« On peut se deman­der si ce qui est arri­vé a été cau­sé par le Concile (et Ratzinger l’exclut) ou si les con­di­tions qui ont pro­vo­qué le déchaî­ne­ment de la cri­se éta­ient déjà pré­sen­tes aupa­ra­vant.  Il est évi­dent que Jean XXIII (le vrai, pas le per­son­na­ge mythi­que qu’on a fait de lui après sa mort) ne s’attendait pas à ce que les cho­ses se dérou­lent de cet­te façon. »

Pourtant, vous fai­tes par­tie de ceux qui ont pré­pa­ré le cli­mat qui a abou­ti au Concile.  Votre livre « Raser les bastions » est paru en 1952 et vous a valu pas mal d’ennuis avec Rome à l’époque.

Le livre controversé de von Balthasar qui lui valut une grande méfiance de toute la hiérarchie catholique dans les années 50, dans une édition italienne. Aujourd'hui difficile à trouver.

Le livre con­tro­ver­sé de von Balthasar qui lui valut une gran­de méfian­ce de tou­te la hié­rar­chie catho­li­que dans les années 50, dans une édi­tion ita­lien­ne. Aujourd’hui dif­fi­ci­le à trou­ver.

« Il y a eu un qui­pro­quo autour de ce livre.  Je vou­lais que l’on “rase les bastions” non pas pour fuir l’Eglise mais pour per­met­tre à l’Eglise d’être tou­jours plus mis­sion­nai­re et d’annoncer l’Evangile avec tou­jours plus d’efficacité. »

L’intention ini­tia­le des Pères con­ci­liai­res était éga­le­ment mis­sion­nai­re mais on a l’impression qu’au lieu de se pro­je­ter ad extra, on s’est replié ad intra entre nous dans d’interminables discus­sions sur des pro­blè­mes inter­nes.

« Tout à fait, tous ces docu­men­ts que per­son­ne ne lit, ces papiers que j’étais moi-même obli­gé de jeter tous les jours, tou­tes ces struc­tu­res, ces admi­ni­stra­tions de nos con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les et de nos dio­cè­ses !  Ce sont pré­ci­sé­ment ceux qui deman­da­ient la sim­pli­fi­ca­tion de la Curie romai­ne qui ont con­tri­bué à créer une con­stel­la­tion de mini-curies à la péri­phé­rie de l’Eglise. »

La bureau­cra­tie clé­ri­ca­le étouf­fe la mis­sion chré­tien­ne

Donc, vous êtes d’accord avec ceux qui dénon­cent le risque qu’avec cet­te hyper­tro­phie des struc­tu­res clé­ri­ca­les, l’Eglise finis­se par se tran­sfor­mer en une gigan­te­sque bureau­cra­tie qui ne ser­vi­rait qu’elle-même.

L'ordination sacerdotale de Balthasar qu'il a reçue en Bavière des mains du cardinal Faulhaber, le même qui consacra Ratzinger 20 ans plus tard.

L’ordination sacer­do­ta­le de Balthasar qu’il a reçue en Bavière des mains du car­di­nal Faulhaber, le même qui con­sa­cra Ratzinger 20 ans plus tard.

« Bien sûr.  Relisons ensem­ble l’Evangile : Jésus a tou­jours con­fié une char­ge à une per­son­ne, jamais à des insti­tu­tions.  C’est sur la per­son­ne de l’évêque que se fon­de l’Eglise et non pas les bureaux dio­cé­sains.  Il n’y a rien de plus gro­te­sque que de pen­ser que le Christ aurait vou­lu créer des com­mis­sions !  Nous devons redé­cou­vrir une véri­té catho­li­que : dans l’Eglise, tout est per­son­nel, rien ne doit être ano­ny­me.  Pourtant, c’est bien der­riè­re des struc­tu­re ano­ny­mes que se cachent aujourd’hui tant d’évêques.  Toutes ces com­mis­sions, ces sous-commissions, ces grou­pes et ces bureaux en tous gen­re…  On se plaint que nous man­quons de prê­tres, et c’est vrai, alors que des mil­liers d’ecclésiastiques sont pré­po­sés à la bureau­cra­tie clé­ri­ca­le.  Tous ces docu­men­ts, ces papiers que per­son­ne ne lit et qui n’ont d’ailleurs aucu­ne impor­tan­ce pour l’Eglise vivan­te…  la foi est bien plus sim­ple que tout cela. »

Mais alors pour­quoi, à votre avis, cela s’est-il pro­duit ?

« Peut-être ont-ils l’impression de pou­voir ain­si affron­ter la cri­se, l’impression de fai­re quel­que cho­se.  Nous vivons dans un mon­de tech­ni­que, alors on fait con­fian­ce à l’ordinateur.  L’informatique a fait aujourd’hui son appa­ri­tion dans nos dio­cè­ses et on dres­se des tableaux de sta­ti­sti­ques avec la fré­quen­ce des mes­ses, le nom­bre de com­mu­nions distri­buées…  Autant de cho­ses qui n’ont stric­te­ment aucu­ne espè­ce d’importance : il n’y a que Dieu qui devrait tenir ce gen­re de comp­tes par­ce que pour lui, une seu­le com­mu­nion véri­ta­ble a plus de valeur que dix mil­le com­mu­nions super­fi­ciel­les enre­gi­strées par l’ordinateur. »

Beaucoup pen­sent que c’est la cri­se du con­cept authen­ti­que­ment catho­li­que d’Eglise qui repré­sen­te aujourd’hui le pro­blè­me le plus urgent et qu’il fau­drait en par­ler au syno­de.

Une photo très rare de von Balthasar revêtu des ornements de prêtre célébrant la messe. Il préférait les débats et les vêtements laïcs.

Une pho­to très rare de von Balthasar revê­tu des orne­men­ts de prê­tre célé­brant la mes­se. Il pré­fé­rait les déba­ts et les vête­men­ts laïcs.

« Peut-être que Vatican II a pas­sé trop de temps à par­ler de la struc­tu­re de l’Eglise.  La Lumen gen­tium dont par­le la con­sti­tu­tion con­ci­liai­re, ce n’est pas l’Eglise, c’est le Christ.  Il est clair que, avec une lec­tu­re erro­née de Vatican II, on a fait de l’Eglise un grou­pe davan­ta­ge social que mysté­rieux et sacra­men­tel.  Nous voyons en revan­che que depuis le début, la com­mu­nau­té chré­tien­ne pos­sè­de une struc­tu­re, une hié­rar­chie vou­lue par le Christ et basée sur le col­lè­ge apo­sto­li­que.  Bien sûr que ce que les gens cher­chent aujourd’hui, c’est le Christ et non l’Eglise qui, dans sa face visi­ble, ne sem­ble guè­re cré­di­ble à de nom­breu­ses per­son­nes qui vivent à l’extérieur de celle-ci.  Nous devons insi­ster davan­ta­ge dans nos pré­di­ca­tions sur l’unicité de Jésus, sur sa per­son­ne : c’est lui qui atti­re les hom­mes depuis tou­jours.  Mais com­me le rap­pel­le juste­ment Vatican II, nous ne devons pas oublier qu’il n’y a pas de Christ sans l’Eglise et nous devons donc en mon­trer l’absolue néces­si­té. »

Outre cet­te thé­ma­ti­que ecclé­sio­lo­gi­que, quel autre sujet faudrait-il met­tre au cen­tre des tra­vaux du pro­chain Synode extraor­di­nai­re ?

« On pour­rait rap­pe­ler ce que disait mon ami Karl Barth, le grand théo­lo­gien pro­te­stant qui, dans les der­niè­res années de sa vie, décla­rait dans une con­fé­ren­ce radio­pho­ni­que : “Ne fai­tes pas, vous les catho­li­ques, les bêti­ses que nous les pro­te­stan­ts avons fai­tes depuis un siè­cle.” ».

En par­lant de bêti­ses, quel­le est d’après vous, cel­le qu’il serait le plus urgent de sou­met­tre à l’attention du Synode ?

« Peut-être s’agit-il du pro­blè­me dont on a beau­coup par­lé lors de la récen­te con­ven­tion romai­ne sur Adrienne von Speyr.  C’est-à-dire le pro­blè­me de l’étude de la bible et de l’exégèse soi-disant “scien­ti­fi­que”.  Ces spé­cia­li­stes ont beau­coup tra­vail­lé mais il s’agit d’un tra­vail qui ne nour­rit pas la foi des croyan­ts.  Il faut redé­cou­vrir une lec­tu­re plus sim­ple de l’Ecriture et équi­li­brer l’exégèse “scien­ti­fi­que” avec une exé­gè­se “spi­ri­tuel­le”, qui ne soit pas tech­ni­que et qui s’inscrive dans la gran­de tra­di­tion patri­sti­que.  Je ne pen­se pas que le Synode puis­se résou­dre ce pro­blè­me mais il pour­rait peut-être don­ner un signe dans cet­te direc­tion. »

Il faut recom­men­cer le caté­chi­sme

Il est de tou­te façon impos­si­ble d’interdire par décret aux exé­gè­tes de fai­re leur tra­vail.

Dans sa bibliothèque à Bâle

Dans sa biblio­thè­que à Bâle

« En fait, ce n’est pas ce que je dis.  Je pen­se au dra­me que vivent ces mêmes spé­cia­li­stes, sou­vent de bons et pieux chré­tiens, qui doi­vent pour­tant effec­tuer un tra­vail qui soit du niveau des uni­ver­si­tés aux­quel­les ils appar­tien­nent.  C’est une con­di­tion qui n’est pas tou­jours faci­le à vivre.  Les éru­di­ts ont bien sûr le droit de con­si­dé­rer l’Ecriture com­me un vieux livre par­mi tant d’autres qu’il con­vien­drait donc d’étudier en uti­li­sant les mêmes tech­ni­ques que pour les autres tex­tes.  Mais l’écriture qui comp­te pour la foi, ce n’est pas celle-là : ce qui comp­te c’est la bible en tant que lieu où l’Esprit Saint par­le du Christ d’une façon nou­vel­le à cha­que géné­ra­tion. »

Cette appro­che « scien­ti­fi­que » de l’Ecriture sem­ble avoir des retom­bées et des con­sé­quen­ces décon­cer­tan­tes dans la pasto­ra­le quo­ti­dien­ne.

La revue qu'il a fondée avec Ratzinger et quelques autres en réponse aux dérives progressistes de la théologie postconciliaire

La revue qu’il a fon­dée avec Ratzinger et quel­ques autres en répon­se aux déri­ves pro­gres­si­stes de la théo­lo­gie post­con­ci­liai­re

« En effet, les hypo­thè­ses des spé­cia­li­stes par­vien­nent aux prê­tres et aux laïcs diluées voi­re défor­mées et elles font des dégâ­ts.  J’écoutais enco­re récem­ment une homé­lie dans laquel­le un curé expli­quait la ren­con­tre des disci­ples avec le Christ sur le che­min d’Emmaüs, se sen­tant obli­gé de pré­ci­ser à ses audi­teurs qu’il ne s’agissait pas d’un épi­so­de “histo­ri­que”.  Ce dou­te finit par enva­hir la réa­li­té et la maté­ria­li­té mêmes des raci­nes de la foi : le récit de la Résurrection. »

Peut-être que chez les gens ordi­nai­res, cet­te con­fu­sion est aggra­vée par le fait que la caté­chè­se n’atteint plus grand-monde.  Certains ensei­gnan­ts pré­ten­dent que de nom­breux laïcs se ruent sur les cours de théo­lo­gie sans pour autant en maî­tri­ser les bases, c’est-à-dire le caté­chi­sme.

« Oui, il fau­drait reve­nir à des caté­chè­ses sérieu­ses, authen­ti­ques.  Là aus­si Ratzinger a rai­son : nous devons retrou­ver la struc­tu­re indi­spen­sa­ble de tou­te caté­chè­se véri­ta­ble : le Credo, le Pater, les sacre­men­ts, le Dieu créa­teur, le Dieu rédemp­teur, l’Esprit qui vit dans l’Eglise.  On ne peut plus accep­ter que cha­cun se fas­se son pro­pre tex­te à sa mode : il y en a des cen­tai­nes en cir­cu­la­tion rien que chez nous, en zone ger­ma­no­pho­ne.  Souvent, ils ne sont même pas authen­ti­fiés par les évê­ques. »

Pour les adep­tes de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, Jésus n’e­st qu’un pro­phè­te raté

Pourtant, cer­tains caté­chi­smes offi­ciels (com­me Pierres Vivantes en France) ont été approu­vés par la Conférence épi­sco­pa­le natio­na­le au grand com­plet mais ont mal­gré tout essuyé des cri­ti­ques de Rome et ont dû être modi­fiés par la sui­te.

Jean-Paul II lors d'un voyage en Amérique Latine sermonnant publiquement Ernesto Cardenal, prêtre, ministre et défenseur de la théologie de la libération... à main armée

Jean-Paul II lors d’un voya­ge en Amérique Latine ser­mon­nant publi­que­ment Ernesto Cardenal, prê­tre, mini­stre et défen­seur de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion… à main armée

« Nous reve­nons à ce que je disais con­cer­nant les struc­tu­res ano­ny­mes : ce sont sou­vent des grou­pes ano­ny­mes, des bureaux ou des com­mis­sions et non des évê­ques à pro­pre­ment par­ler avec un nom et un pré­nom qui don­nent ces auto­ri­sa­tions.  Je pen­se éga­le­ment que cer­tains évê­ques éprou­vent une sor­te de crain­te à l’égard de cer­tai­nes mino­ri­tés agres­si­ves.  On racon­te que dans plu­sieurs cas, qua­tre ou cinq per­son­nes ont pris la mains sur des con­fé­ren­ces épi­sco­pa­les tout entiè­res, et non des moin­dres. »

Il faut éga­le­ment avouer que les pro­blé­ma­ti­ques aux­quel­les cer­tai­nes Conférences sont con­fron­tées sont tel­le­ment épi­neu­se qu’il est dif­fi­ci­le d’obtenir l’unanimité.  La Conférence épi­sco­pa­le bré­si­lien­ne, par exem­ple, se retrou­ve à devoir gérer un cas com­ple­xe com­me celui de Leonardo Boff.

« Léonard Boff, com­me Hans Küng, n’est plus chré­tien. »

C’est gra­ve, ce que vous dites.

« Ce n’est pas moi qui le dit, c’est lui dans son livre “Passion du Christ, pas­sion des hom­mes”, dixiè­me édi­tion, dans lequel il admet ne pas croi­re à la divi­ni­té de Jésus.  Il sou­tient ce que sou­te­nait déjà Albert Schweitzer au début de ce siè­cle.  Comme lui, Boff con­si­dè­re com­me un acquis que la divi­ni­sa­tion de Jésus soit l’œuvre des disci­ples après la Passion et que donc Jésus n’aurait été qu’un pro­phè­te qui anno­nçait l’arrivée immi­nen­te du Royaume.  Le Royaume n’est pas arri­vé, l’échec a été total.  A la lumiè­re de cet­te inter­pré­ta­tion, le cri sur la croix (“Mon Dieu, mon Dieu, pour­quoi m’as-tu aban­don­né ?”) n’exprimerait que le dése­spoir d’un hom­me qui aurait échoué. »

Cette résur­gen­ce des vieil­les thè­ses du libé­ra­li­sme de la Belle Époque euro­péen­ne pour­rait éga­le­ment con­fir­mer ce que beau­coup sou­pçon­nent déjà : cer­tai­nes théo­lo­gies de la libé­ra­tion ne sont que des expor­ta­tions vers le Tiers-Monde des pro­dui­ts désor­mais démo­dés de quel­ques intel­lec­tuels occi­den­taux.

Le pape Jean-Paul II tenait Hans Urs von Balthasar en grande estime, au point de vouloir le faire cardinal

Le pape Jean-Paul II tenait Hans Urs von Balthasar en gran­de esti­me, au point de vou­loir le fai­re car­di­nal

« Il y a du vrai dans ce que vous dites.  Les fon­de­men­ts de ces théo­lo­gies de la libé­ra­tion pro­vien­nent bien d’Europe mais cer­tai­nes appli­ca­tions vio­len­tes ont été éla­bo­rées sur pla­ce.  L’un des pères de la théo­lo­gie de la libé­ra­tion, l’allemand J.B. Metz, a don­né des con­fé­ren­ces en Amérique lati­ne mais là-bas, de nom­breu­ses per­son­nes l’ont jugé trop abstrait et ont vou­lu tran­sfor­mer ses théo­ries en révo­lu­tion armée.  Je crois que le docu­ment de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a rai­son : on ne peut pas uti­li­ser les ana­ly­ses mar­xi­stes com­me si elles n’étaient qu’un outil tech­ni­que ordi­nai­re. »

L’influence réel­le de cer­tai­nes théo­lo­gies de la libé­ra­tion sur les popu­la­tions fait enco­re débat : d’aucuns pré­ten­dent qu’il s’agit enco­re d’un phé­no­mè­ne éli­ti­ste.

L'âge mûr

L’âge mûr

« Beaucoup pen­sa­ient que la révo­lu­tion mar­xi­ste aurait eu lieu en quel­ques années seu­le­ment.  Ça n’est pas arri­vé mais aujourd’hui on endoc­tri­ne le peu­ple, en le “con­scien­ti­sant” par des publi­ca­tions cen­trées sur le Christ liber­ta­dòr, le “naza­réen sub­ver­sif”.  Ratzinger a don­né la prio­ri­té à ce pro­blè­me par­ce qu’il tou­che à des poin­ts fon­da­men­taux de la foi.  Il est urgent de fai­re quel­que cho­se là-bas.  Les théo­lo­giens ne doi­vent plus s’improviser socio­lo­gues ou éco­no­mi­stes.  Il me sem­ble que tou­tes les théo­lo­gies de la libé­ra­tion oublient que l’essentiel du Nouveau Testament, c’est la cha­ri­té : il n’y a besoin de rien d’autre, il suf­fit de la vivre. »

De nom­breu­ses per­son­nes vous répon­dra­ient que la cha­ri­té c’est juste­ment d’aider les pau­vres à fai­re la révo­lu­tion.

« Même le Pape a dit qu’il fal­lait pri­vi­lé­gier les pau­vres (c’est l’Evangile) mais à Puebla, il a éga­le­ment répé­té très clai­re­ment que le chri­stia­ni­sme doit s’abstenir de tou­te for­me de vio­len­ce et que le cler­gé ne doit en aucun cas pren­dre part à une poli­ti­que par­ti­sa­ne.  Les “pau­vres de Yahvé” de la Bible n’ont rien à voir avec le pro­lé­ta­riat de Marx. »

Les pro­blè­mes sont tel­le­ment nom­breux et impor­tan­ts que cer­tains, sur base de l’actualité de ces der­niers mois, crai­gnent que l’Eglise ne devien­ne ingou­ver­na­ble depuis Rome.

« Vatican II uti­li­se le ter­me de “com­mu­nion hié­rar­chi­que” pour dési­gner la com­mu­nion de tous les évê­ques avec Rome, sym­bo­le visi­ble de l’unité.  On est en droit de se deman­der si cer­tains évê­chés entre­tien­nent enco­re avec le pape cet­te “com­mu­nion d’amour” dont par­le, par exem­ple, Saint Cyprien. »

Vous reve­nez sur le sujet des Conférences épi­sco­pa­les.

La revue qu'il a fondée avec Ratzinger et quelques autres en réponse aux dérives progressistes de la théologie postconciliaire

La revue qu’il a fon­dée avec Ratzinger et quel­ques autres en répon­se aux déri­ves pro­gres­si­stes de la théo­lo­gie post­con­ci­liai­re

« Le Concile n’a con­sa­cré qu’une peti­te phra­se à ces Conférences.  Certains, de tou­te évi­den­ce, en ont fait une que­stion cen­tra­le.  Quand la struc­tu­re devient trop pesan­te, l’évêque finit par être para­ly­sé. »

Que pensez-vous de l’état actuel de la litur­gie ?

« Si je me réfè­re à la zone ger­ma­ni­que, j’ai l’impression qu’elle est sobre et que, si elle est bien mise en œuvre (c’est-à-dire de façon beau­coup plus respec­tueu­se du sacré), elle est plu­tôt bien accep­tée par la majo­ri­té de ceux qui vont enco­re à l’église. »

Mgr Lefebvre et les siens ne sont pas les “vrais catho­li­ques”

C’est une répon­se ras­su­ran­te dans la mesu­re où elle répond à cer­tains milieux inté­gri­stes qui ont fait de la réfor­me litur­gi­que leur che­val de batail­le.  D’autant plus que le cen­tre du mou­ve­ment leféb­vri­ste se trou­ve juste­ment ici, en Suisse.  On oublie trop sou­vent que c’est de là que pro­vien­nent des atta­ques très dures diri­gées con­tre le Pape et con­tre Ratzinger.

« Monseigneur Lefebvre et les siens ne sont pas les vrais catho­li­ques.  L’intégrisme de droi­te me sem­ble enco­re plus incor­ri­gi­ble que le libé­ra­li­sme de gau­che.  Ils cro­ient déjà tout savoir et n’avoir plus rien à appren­dre.  Par ail­leurs, ils pré­ten­dent être fidè­les aux papes mais uni­que­ment à ceux qui leur don­nent rai­son, c’est un peu con­tra­dic­toi­re.  Cependant ces atta­ques en tenail­le, sur deux fron­ts à la fois, sont typi­ques de la pha­se qui suit cha­que con­ci­le. »

L’Eglise est fémi­ni­ne: Marie vient avant Pierre

En voya­geant  en l’Europe et en Amérique du Nord, on a l’impression que les reli­gieu­ses, les sœurs, sont plus décon­cer­tées que les autres par une cer­tai­ne pré­di­ca­tion et qu’elles souf­frent peut-être davan­ta­ge de cet­te cri­se.

Avec son confrère allemand Otto Karrer (1888-1976) qui abandonna les Jésuites en 1933 pour expérimenter l'œcuménisme, une expérience qui se révélera vaine, infructueuse et même dommageable

Avec son con­frè­re alle­mand Otto Karrer (1888–1976) qui aban­don­na les Jésuites en 1933 pour expé­ri­men­ter l’œ­cu­mé­ni­sme, une expé­rien­ce qui se révé­le­ra vai­ne, infruc­tueu­se et même dom­ma­gea­ble

« Pour appor­ter une répon­se juste aux pro­blè­mes de la fem­me dans l’Eglise, il faut ren­dre la pla­ce qu’elle méri­te à une mario­lo­gie à la fois très sobre et très juste.  Il fau­drait rap­pe­ler à tous les catho­li­ques – à com­men­cer par les fem­mes – que, dans l’Eglise, Marie occu­pe une pla­ce enco­re plus impor­tan­te que cel­le de Pierre.  L’Eglise est une réa­li­té fémi­ni­ne qui se trou­ve devant les suc­ces­seurs, mascu­lins eux, des apô­tres : le prin­ci­pe marial (donc le prin­ci­pe fémi­nin) est plus impor­tant que cet­te hié­rar­chie elle-même qui est con­fiée à la com­po­san­te mascu­li­ne.  Certaines sœurs – sou­vent pous­sées par cer­tai­nes théo­lo­gies mascu­li­nes – ne voient que les curés, les prê­tres, et pen­sent ain­si que l’ordination sacer­do­ta­le repré­sen­te le pou­voir le plus éle­vé dans l’Eglise.  Mais c’est du clé­ri­ca­li­sme, ça.  Marie – et il ne s’agit pas ici de fai­re de sen­ti­men­ta­li­sme – est le cœur de l’Eglise.  Un cœur fémi­nin que nous devons appré­cier à sa juste valeur, en équi­li­bre avec le ser­vi­ce de Pierre.  Il ne s’agit pas là de dévo­tio­na­li­sme mais d’une théo­lo­gie qui s’inscrit dans la gran­de tra­di­tion catho­li­que. »

Donc, la dévo­tion maria­le si sin­gu­liè­re de Jean-Paul II revê­ti­rait éga­le­ment une signi­fi­ca­tion théo­lo­gi­que bien pré­ci­se ?

« Tout à fait.  Le Pape sait que la base de l’Eglise ce n’est pas lui mais bien Marie.  Ce n’est pas par hasard qu’il a choi­si “Totus Tuus” com­me devi­se de son pon­ti­fi­cat.  Il n’est sans dou­te pas néces­sai­re de pro­cla­mer de nou­veaux dog­mes mariaux mais nous devons redé­cou­vrir la riches­se de ceux qui exi­stent déjà et qui sont indi­spen­sa­bles à l’équilibre de la foi authen­ti­que. »

Revenir au modè­le de sémi­nai­re tri­den­tin

Les reli­gieu­ses sont sou­vent en cri­se.  Mais le malai­se des prê­tres exi­ste aus­si depuis un cer­tain temps.  Quelles en sont les cau­ses prin­ci­pa­les ?

von Balthasar dans une photo curieuse

von Balthasar dans une pho­to curieu­se

« Il est sou­vent très dif­fi­ci­le d’être envoyé dans des parois­ses déchri­stia­ni­sées où le curé ne comp­te plus.  Il fut un temps où il était le cen­tre de tout et main­te­nant il doit cou­rir der­riè­re les gens pour ten­ter de les rete­nir.  Pour affron­ter et sup­por­ter cet­te situa­tion, il fau­drait une autre for­ma­tion des prê­tres. »

Que voulez-vous dire ?

Il fau­drait retour­ner à un modè­le de sémi­nai­re tra­di­tion­nel, je dirais même “tri­den­tin”, avec quel­ques adap­ta­tions pru­den­tes.   Je serais d’accord de ne pas per­met­tre à la plus gran­de par­tie des jeu­nes sémi­na­ri­stes d’étudier dans les uni­ver­si­tés com­me c’est le cas actuel­le­ment.  Ils devra­ient étu­dier dans de vrais sémi­nai­res, qui soient sérieux, “clé­ri­caux”, qui les for­me­ra­ient donc à deve­nir des “clercs” et qui sera­ient en mesu­re de les pré­pa­rer à leur ser­vi­ce tou­jours plus dif­fi­ci­le.  Les uni­ver­si­tés exter­nes ne peu­vent pas fai­re cela.  L’Evêque devrait avoir la pos­si­bi­li­té de recréer des sémi­nai­res selon les indi­ca­tions don­nées par Rome et de nom­mer des pro­fes­seurs de con­fian­ce.  Mais sou­vent, même s’il vou­lait le fai­re, il en serait empê­ché par tou­tes ces struc­tu­res qu’on a créées autour de lui. »

Vous dres­sez un bilan con­tra­sté du con­ci­le, entre zones de lumiè­re et zones d’ombre.  Cela sem­ble être éga­le­ment le cas dans la réa­li­té.

Avec le père Luigi Giussiani et, de dos, le futur cardinal Angelo Scola

Avec le père Luigi Giussiani et, de dos, le futur car­di­nal Angelo Scola

« Chaque Concile a été sui­vi d’une pério­de de chaos.  Il faut éga­le­ment met­tre dans la balan­ce cer­tai­nes cho­ses qui sont en train de naî­tre com­me de jeu­nes pous­ses, enco­re peti­tes mais déjà vigou­reu­ses, et qui ont été semées par le Concile.  Aujourd’hui on trou­ve dans les chai­res de théo­lo­gie une géné­ra­tion qui avait 18–20 ans en 1968 et dont l’enseignement est carac­té­ri­sé par un esprit libé­ral et con­te­sta­tai­re.  Il n’y a plus de grands théo­lo­giens com­me autre­fois.  Mais une nou­vel­le géné­ra­tion est en train d’arriver, des jeu­nes qui se rebel­lent con­tre un cer­tain con­for­mi­sme et qui ont l’intention de fai­re une théo­lo­gie qui soit à la fois ouver­te à l’Écriture et qui s’inscrive dans la gran­de tra­di­tion catho­li­que.  Même par­mi les théo­lo­giens qui sont actuel­le­ment en pla­ce, on peut trou­ver des per­son­nes soli­des qui sont en train de repen­ser la foi d’une façon entiè­re­ment nou­vel­le.  Ratzinger a fait du bon tra­vail dans ce sens.  Laissons tra­vail­ler l’Esprit : cer­tains ger­mes sont en train de sor­tir de ter­re et ils ne vont cer­tai­ne­ment pas à l’encontre du Concile authen­ti­que mais en sont au con­trai­re issus. »

Le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi comp­te éga­le­ment les nou­veaux mou­ve­men­ts ecclé­siaux par­mi ces signes d’espérance.

uvb27« Il a rai­son.  Ils con­sti­tuent, entre autre, la pos­si­bi­li­té pour l’Eglise de fai­re une théo­lo­gie vivan­te.  Mais chez cer­tains d’entre eux, cet élan magni­fi­que s’accompagne d’une ten­ta­tion de repli sur soi.  Le dan­ger pour cer­tains serait de se tran­sfor­mer pre­sque en sec­tes et de se refer­mer sur soi-même alors qu’il faut, plus que jamais, “raser les bastions”, c’est-à-dire se pro­je­ter dans la mis­sion et vers le mon­de. »

Ne s’agit-il pas en fait d’un repli instinc­tif pour ten­ter de sau­ve­gar­der une iden­ti­té catho­li­que qu’ils sen­ti­ra­ient mena­cée ?

« Je vou­drais met­tre sur pied un insti­tut sécu­lier auquel je sou­hai­te­rais tran­smet­tre un esprit véri­ta­ble­ment catho­li­que, une iden­ti­té d’Eglise bien clai­re.  Mais, au-delà de cela, je dési­re qu’il soit le plus ouvert pos­si­ble à tous.  Il faut sur­veil­ler sa mai­son et la gar­der bien ran­gée mais les por­tes doi­vent rester gran­des ouver­tes à tout qui vou­drait entrer. »

Vous avez été for­mé dans l’Eglise pré­con­ci­liai­re et vous y avez tra­vail­lé de nom­breu­ses années.  Vous avez ensui­te vécu, en tant que théo­lo­gien, ces deux décen­nies qui ont sui­vi le Concile.  Quelles sont selon vous les dif­fé­ren­ces les plus mar­quan­tes entre ces deux pha­ses ?

Le théologien assistant à une messe lors d'un rassemblement des amis de Communio dans les années 1980

Le théo­lo­gien assi­stant à une mes­se lors d’un ras­sem­ble­ment des amis de Communio dans les années 1980

« Mon ami et maî­tre De Lubac a rai­son et Ratzinger lui aus­si a rai­son lorsqu’ils refu­sent de par­ler d’Eglise “pré” ou “post” con­ci­liai­re.  Il n’y a qu’une seu­le Eglise.  Je vois les méri­tes et les défau­ts de l’avant et de l’après mais ce qui me sem­ble le plus impor­tant c’est de vivre l’essentiel de l’Eglise et cela n’a pas chan­gé et ne chan­ge­ra jamais.  Il ne faut pas trop rai­son­ner sur l’Eglise : il faut avant tout la vivre.  Tout en sachant qu’elle n’a tou­jours été qu’un mode­ste trou­peau et qu’elle le reste­ra tou­jours. »

Il y a une pho­to du Pape sur votre table.  Cela con­fir­me ce qu’on dit sur l’amitié et l’estime pro­fon­de que vous por­tez à Jean-Paul II.  Et l’on sait que ces sen­ti­men­ts sont réci­pro­ques.

La dernière photo du théologien, deux semaines avant sa mort alors qu'il venait de recevoir la nouvelle de sa création comme cardinal. Il mourut cependant trois jours avant d'en recevoir les insignes

La der­niè­re pho­to du théo­lo­gien, deux semai­nes avant sa mort alors qu’il venait de rece­voir la nou­vel­le de sa créa­tion com­me car­di­nal. Il mou­rut cepen­dant trois jours avant d’en rece­voir les insi­gnes

« En effet.  J’aime beau­coup ce Pape.  Mais au fond, ce n’est pas ça l’important.  L’important pour tou­te l’Eglise c’est plu­tôt que cet hom­me vive de priè­re.  Lorsqu’il ren­tre de ses voya­ges érein­tan­ts, sa sui­te tou­te entiè­re – des pré­la­ts aux jour­na­li­stes – est rom­pue de fati­gue.  Lui pas, il est rayon­nant : c’est la priè­re qui le nour­rit.  Quand il est venu ici en Suisse, quelqu’un l’a insul­té à Einsiedeln.  Il s’est tu et ensui­te, on ne sait pas bien com­ment, il a dispa­ru.  Peu après, on l’a retrou­vé  dans une peti­te cha­pel­le, pro­ster­né devant le taber­na­cle.  Je l’ai ren­con­tré à son retour à Rome : il était frais et dispos com­me jamais.  “Votre Sainteté, lui dis-je, com­ment faites-vous pour ne jamais être fati­gué ?”.  Il m’a répon­du en riant : “Ce voya­ge en Suisse n’était qu’un entraî­ne­ment pour me pré­pa­rer à ma visi­te aux Pays-Bas.”  [NDR. Où, de fait, la con­te­sta­tion clérico-progressiste y atteint le para­do­xe de ces domi­ni­cains qui lan­cè­rent des pavés sur le Pape]  Son secret, c’est cet­te priè­re dans lequel il est plon­gé en per­ma­nen­ce. »

Le chri­stia­ni­sme n’e­st pas “ano­ny­me” com­me le vou­drait Rahner

Parmi les cho­ses qui préoc­cu­pent le plus le Pape dans ses voya­ges hors d’Europe, il sem­ble qu’il y ait la chu­te des efforts mis­sion­nai­res vers les non-chrétiens.

Karl Rahner, son confrère jésuite allemand

Karl Rahner, son con­frè­re jésui­te alle­mand

« Oui et on peut en impu­ter la respon­sa­bi­li­té à une cer­tai­ne inter­pré­ta­tion, diluée et sans dou­te tron­quée, de la théo­lo­gie de Karl Rahner et de sa théo­rie du “chré­tien ano­ny­me”.  Rahner a sans dou­te four­ni l’occasion à cer­tains théo­lo­giens d’exprimer ce qu’ils pen­sa­ient tout bas : selon eux, la grâ­ce se trou­ve déjà en cha­que hom­me, quel que soit sa foi (ou son absen­ce de foi) et la mis­sion du chré­tien serait uni­que­ment cel­le d’affermir ces gens dans leur con­vic­tion.  Par ail­leurs, je pen­se qu’on a accor­dé une atten­tion exclu­si­ve, ou en tout cas exces­si­ve, à l’émancipation socio-économique alors que la pre­miè­re riches­se que nous devons don­ner aux pau­vres, c’est l’Évangile.  Nous ne pou­vons pas repor­ter l’annonce du Christ mort et res­su­sci­té jusqu’à ce que tous les pro­blè­mes éco­no­mi­ques soient réso­lus. »

Dialoguer, sans se fai­re d’il­lu­sions

En tant que Suisse de lan­gue alle­man­de, vous avez tou­jours été par­ti­cu­liè­re­ment atten­tif au pro­blè­me des rap­ports entre les dif­fé­ren­tes con­fes­sions chré­tien­nes.  Que pensez-vous de l’état actuel de l’œcuménisme ?

Son confrère jésuite De Lubac, grand ami de von Balthasar et appelé en même temps que lui à la pourpre cardinalice

Son con­frè­re jésui­te De Lubac, grand ami de von Balthasar et appe­lé en même temps que lui à la pour­pre car­di­na­li­ce

« Malheureusement, le dia­lo­gue s’est révé­lé être un phan­ta­sme, une chi­mè­re.  Il n’est pas pos­si­ble de dia­lo­guer avec les Eglises qui n’ont pas cet­te uni­té visi­ble et con­crè­te qu’est la papau­té.  Les Eglises pro­te­stan­tes sont tel­le­ment frag­men­tées sous tant de déno­mi­na­tions et même divi­sées en leur sein qu’il est pos­si­ble de s’entendre avec une per­son­ne, avec un théo­lo­gien mais ça s’arrête là par­ce que d’autres vien­dront dire qu’ils ne sont pas d’accord.  J’en fait l’expérience avec Karl Barth : après de nom­breu­ses ren­con­tres et un tra­vail achar­né, nous pen­sions avoir atteint une base d’accord pos­si­ble.  Mais lor­sque nous l’avons ren­due publi­que, un  autre pro­fes­seur de théo­lo­gie de Zurich s’est immé­dia­te­ment insur­gé, puis un autre et enco­re un autre, eux aus­si pro­te­stan­ts mais en désac­cord com­ple­ts avec ce que Barth disait.  Il en va de même par­tout dans le mon­de issu de la Réforme : per­son­ne ne pour­ra, par exem­ple, fai­re en sor­te que l’anglicanisme soit une Eglise, divi­sé en dif­fé­ren­tes sou­ches com­me il l’est ».

C’est une situa­tion déce­van­te mais qui, il faut l’espérer, ne s’applique pas aux Eglises ortho­do­xes orien­ta­les.

Karl Barth, théologien luthérien et grand ami de von Balthasar

Karl Barth, théo­lo­gien luthé­rien et grand ami de von Balthasar

« Malheureusement si.  On a beau se met­tre d’accord avec Athénagoras, il y aura tou­jours un autre métro­po­li­te, un autre archi­man­dri­te ou un autre évê­que qui ne sera pas d’accord.  Même dans le discours œcu­mé­ni­que, il faut du réa­li­sme : la situa­tion (et nous l’avons vu récem­ment avec le docu­ment de Lima sur le Baptême, l’Eucharistie et le Mariage qui a deman­dé beau­coup de tra­vail et qui a été reje­té par de nom­breu­ses Eglises) ne per­met pas de se fai­re d’illusions. »


Un arti­cle tra­duit de l’i­ta­lien par la Rédaction Diakonos.be avec l’au­to­ri­sa­tion de ses auteurs, la ver­sion ori­gi­na­le est dispo­ni­ble ici.

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