La grand-mère et le théologien

Cher ami bel­ge, pen­se à ta grand-mère!

Voilà quel­ques mois que j’é­tais sans nou­vel­les de notre ami Antonio Margheriti .  Entièrement absor­bé dans la rédac­tion d’u­ne com­pi­la­tion de ses con­ver­sa­tions avec un ancien pré­si­dent de la répu­bli­que ita­lien­ne et tou­jours sur la rou­te entre Rome et son Sud natal, il a cepen­dant, non sans insi­stan­ce de ma part, accep­té de rédi­ger un arti­cle pour ce blog.  Je lui avais deman­dé un arti­cle de théo­lo­gie avec des réfé­ren­ces fia­bles, un arti­cle sérieux qui trai­te du Salut et la Vie éter­nel­le. 

Mal m’en a pris.

En lieu et pla­ce d’u­ne apo­lo­gie, j’ai reçu une cri­ti­que.  Au lieu d’un tex­te scien­ti­fi­que, j’ai reçu un tex­te inspi­ré.  En gui­se de réfé­ren­ces, j’ai reçu une histoi­re.  Après l’a­voir lu, j’a­voue que je ne savais pas trop quoi fai­re.  Et puis j’ai réa­li­sé que le pro­blè­me, ce n’é­tait pas son tex­te, c’é­tait ma deman­de.  Alors j’ai déci­dé de le publier tel quel.

Olivier.

L’enfer est pavé de “sources sûres”

L’écrivain Antonio Margheriti

Avant tout, il vou­lait quel­que cho­se de “sérieux” mais qui puis­se par­ler à un public de “non-théologiens”.  Il est de noto­rié­té publi­que que l’Europe du Nord regor­ge de ces peti­ts théo­lo­giens de cha­pel­le qui ont éle­vé leur pro­pres “selon moi” ana­chro­ni­ques et apo­dic­ti­ques au rang de théo­lo­gie alors qu’en revan­che, les croyan­ts se font de plus en plus rares, qu’ils soient sim­ples fidè­les ou même théo­lo­giens.   Aucune crain­te à avoir donc, je suis bien loin d’ê­tre moi-même un théo­lo­gien et je me moque éper­du­ment, com­me d’ail­leurs beau­coup d’au­tres devra­ient le fai­re, de la théo­lo­gie de ces pré­su­més théo­lo­giens .  On a les a pris bien trop au sérieux, à l’in­star du mon­de laïc et de ses soi-disant “intel­lec­tuels à la page” que l’on recon­naît faci­le­ment au fait qu’ils sont, les uns com­me les autres, en per­ma­nen­ce à côté de la pla­que.  D’autant que par­mi tous ces “théo­lo­giens” auto­pro­cla­més, à pei­ne dix pour cent sera­ient en droit de reven­di­quer ce titre qu’ils usur­pent plus ou moins abu­si­ve­ment alors qu’autrefois, il y a bien long­temps, il dési­gnait le “som­met de la con­nais­san­ce” spé­cu­la­ti­ve.

Jésus-Christ lui-même n’a pas fait de spé­cu­la­tions, il a pris des exem­ples vivan­ts, des per­son­nes, des cho­ses de la vie, la vie elle-même, pour mon­trer – et non pas pour démon­trer – ce que veut dire être chré­tien et com­ment déjà gagner le ciel sur la ter­re.

Dans sa com­man­de cir­con­stan­ciée, mon ami bel­ge m’a éga­le­ment deman­dé un arti­cle basé sur des “sour­ces sûres”.  Et je me suis dit en moi-même que l’en­fer était juste­ment pavé de ces sour­ces “sûres”.  En effet, c’e­st ce même ami qui m’a­voue à con­tre­cœur qu’en Belgique, c’e­st juste­ment en se basant sur ce fatras de sour­ces fia­bles, au mépris de la Source par excel­len­ce qu’e­st le Christ, qu’on en est aujour­d’­hui réduit à se baser sur deux sour­ces incon­tour­na­bles et tout aus­si con­ta­mi­nées l’u­ne que l’au­tre: un agno­sti­que com­me Bultmann et un gno­sti­que com­me Rahner, deux post-chrétiens…  et der­riè­re eux, les égli­ses se sont ine­xo­ra­ble­ment vidées au fur et à mesu­re que l’on déchri­stia­ni­sait inten­tion­nel­le­ment la Belgique.  C’est ain­si qu’ils ont  len­te­ment mais sûrement détruit l’é­di­fi­ce chré­tien au lieu de le ren­for­cer.

Des “sour­ces sûres”, dit-il!  Me deman­der une cho­se pareil­le à moi!  C’est con­tre mes prin­ci­pes. Ce syn­dro­me fait par­tie du mal dont souf­fre le chri­stia­ni­sme d’au­jour­d’­hui, et plus par­ti­cu­liè­re­ment ce chri­stia­ni­sme “pro­fes­sion­na­li­sé” du Nord: en Allemagne, on est par­ve­nu à tran­sfor­mer l’Eglise en une véri­ta­ble indu­strie, la plus gran­de du pays, une indu­strie laï­que — voi­re même mili­tan­te — et le salut des âmes a fait pla­ce à la logi­que du pro­fit, le Décalogue à la loi des affai­res, de sor­te que l’in­du­strie clé­ri­ca­le est deve­nue un sec­teur éco­no­mi­que com­me les autres.

Le chri­stia­ni­sme doit rester sim­ple

J’ai tou­jours tout fait pour évi­ter cela, com­me s’il fal­lait cher­cher les sour­ces du chri­stia­ni­sme chez ces “pro­fes­seurs”.  Au con­trai­re, le chri­stia­ni­sme trou­ve sa sour­ce dans le Christ.  Le chri­stia­ni­sme est et doit rester une cho­se sim­ple.  Il doit d’a­bord con­si­ster en un témoi­gna­ge per­son­nel dans lequel on se met en jeu, on prend des risques… alors que le “pro­fes­sion­na­li­sme” sert juste­ment à évi­ter les risques.  Quant à ces “sour­ces sûres” — qui ne le sont sou­vent pas tant que ça — quel­les sont-elles à l’ex­cep­tion des Docteurs et des Pères de l’Eglise qui ont tout dit au moment où il fal­lait le dire et qui en ont sou­vent dit bien plus qu’il n’en fal­lait pour le sim­ple chré­tien?  C’est le retour du fan­ta­sme de ces pui­ts de scien­ce dont par­lait Saint Paul: “A cau­se de ta con­nais­san­ce, ton frè­re qui est fai­ble péri­ra, ton frè­re pour lequel le Christ est mort…”  Comment oublier en outre ces autres paro­les de Jésus quand il mani­fe­ste son inten­tion de “con­fon­dre les sages” pour révé­ler tou­te cho­se aux “peti­ts”?

L’auteur et jour­na­li­ste catho­li­que Vittorio Messori

Vittorio Messori m’a un jour con­fié au cours d’un échan­ge de mails  que le pro­blè­me actuel du chri­stia­ni­sme c’é­tait l’en­nui.  L’ennui devant ces nou­veau­tés trop sou­vent édi­tées, devant la répé­ti­tion des cho­ses déjà con­nues, les bâil­le­men­ts devant le “déjà enten­du” qui finit par pro­vo­quer l’in­dif­fé­ren­ce.  A l’é­po­que, je n’en étais pas vrai­ment con­vain­cu: sommes-nous vrai­ment cer­tains que nous par­lons enco­re de Jésus aux gens et aux peti­ts enfan­ts?  En Occident, ne s’agit-il pas davan­ta­ge d’un vague sou­ve­nir, s’il est vrai qu’en Belgique, com­me par­tout ail­leurs, on envo­ie les enfan­ts à une espè­ce de caté­chi­sme  dont ils res­sor­tent sans même savoir com­ment fai­re un signe de croix ni ce qu’il signi­fie?  Et ce n’e­st pas un pro­blè­me pro­pre à la Belgique: mon frè­re aîné, qui vit depuis long­temps dans le Nord de l’Europe, ne sait lui-même plus com­ment fai­re ce signe.  J’avais été davan­ta­ge con­vain­cu par ce qu’Antonio Socci m’a­vait dit à une autre occa­sion: “Je suis allé à l’u­ni­ver­si­té pour par­ler de la vie de Jésus et ces audi­toi­res bon­dés de jeu­nes bap­ti­sés qui ava­ient tout oublié m’é­cou­ta­ient les yeux écar­quil­lés, com­me si je leur racon­tais pour la pre­miè­re fois une histoi­re incon­nue qui les lais­sait bou­che bée.  Rien à voir avec l’en­nui!”  Bouche bée, disait-il.  Et pour­tant c’e­st une histoi­re qui dure depuis deux mil­le ans mais soit!

Le problème du christianisme, c’est la disparition des grand-mères

Le caté­chi­sme me suf­fit, un peu com­me ces bon­bons que ma grand-mère m’of­frait de temps en temps: des peti­tes dra­gées savou­reu­ses, arti­sa­na­les, pré­pa­rées selon une recet­te ance­stra­le dont je n’ai jamais oublié la saveur.  Je ne l’ai jamais oubliée par­ce que j’ai vu, et si j’ai cru, c’e­st par­ce que j’ai vu la foi de ma grand-mère, une foi rudi­men­tai­re mais qui con­te­nait l’es­sen­tiel de ce qui sert au croyant.  J’ai sur­tout vu la cohé­ren­ce entre ces dra­gées de doc­tri­ne qu’el­le m’of­frait et sa pro­pre vie: j’ai vu la séré­ni­té et la for­ce qui s’en déga­geait.  Cette fem­me iro­ni­que et tra­gi­que à la fois, com­me le sont les matro­nes du Sud pro­fond de l’Italie, gran­des jusque dans le malheur, je l’ai vue s’en­fon­cer dans des décon­ve­nues sans fin mais à cha­que fois, elle retom­bait sur ses pieds, inde­struc­ti­ble, sans lar­mes.  Ma grand-mère Rosa est la seu­le fem­me que j’a­ie jamais vu prier la tête droi­te, hau­te et vic­to­rieu­se.  Elle savait! Née en 1908, pre­sque anal­pha­bè­te, elle savait tout ce qu’il y avait à savoir: l’es­sen­tiel lui avait été tran­smis par des gens qui n’é­ta­ient pas plus instrui­ts qu’el­le.

Il y a une cho­se que ma grand-mère n’a jamais su: elle n’a jamais su qu’il y avait des “théo­lo­giens”.  Si elle l’a­vait su et qu’el­les les avait écoutés, elle les aurait envoyés d’un petit sou­ri­re se cher­cher un tra­vail, si elle ne leur avait pas elle-même mis dans les mains cet­te bêche, ora et labo­ra, qu’el­le maniait si sou­vent.  A moins d’ê­tre au mini­mum Ratzinger, on ne s’au­to­pro­cla­me pas théo­lo­gien.  Mais il se fait que cer­tains se sont impro­vi­sés “théo­lo­giens” du jour au len­de­main, qu’ils ont for­mé des peti­tes parois­ses, des dio­cè­ses, des pro­vin­ces, des régions, cha­cun avec sa pro­pre théo­lo­gie qui, à y regar­der de plus près, n’e­st pas sans rap­pe­ler le gen­re de cho­se que l’on peut lire sous la plu­me des com­men­ta­teurs dans les édi­to­riaux des journaux libé­raux à la mode ou car­ré­ment dans les trai­tés d’hy­drau­li­que.

Quand la médio­cri­té se fait théo­lo­gie, elle pro­vo­que l’en­nui.  L’ex-président ita­lien Cossiga a un jour dit ceci: “si l’ex­cès de doc­tri­ne ne fait pas le saint, le man­que de doc­tri­ne fait l’hé­ré­ti­que et l’hé­ré­ti­que est tou­jours une per­son­ne sans fan­tai­sie et ennuyeu­se car l’en­nui est la mère de tou­tes les héré­sies.”  Le pro­blè­me d’u­ne cer­tai­ne Europe du Nord, qui fut  autre­fois chré­tien­ne, c’e­st moins le man­que de doc­tri­ne que le man­que de fan­tai­sie, l’ab­sen­ce de cet­te sain­te levi­tas qui carac­té­ri­se à elle seu­le les géan­ts de la foi, par con­sé­quent le pro­blè­me de l’Europe du nord c’e­st l’en­nui, la mère de l’hé­ré­sie.  Il faut en reve­nir aux grand-mères.

Le pro­blè­me de la foi, c’e­st la dispa­ri­tion des grand-mères

Voici ce que disait le car­di­nal Wetter qui suc­cé­da à Ratzinger à Munich: “le pro­blè­me de la foi d’au­jour­d’­hui, ce n’e­st pas seu­le­ment la mau­vai­se théo­lo­gie” qui, mal­gré qu’el­le for­me de mau­vais prê­tres, demeu­re un phé­no­mè­ne éli­ti­ste, “le pro­blè­me de la foi d’au­jour­d’­hui, c’e­st la dispa­ri­tion des grand-mères”, leur dispa­ri­tion com­me péda­go­gues, com­me caté­chi­stes, leur dispa­ri­tion de la vie de leur petits-enfants à cau­se de cet­te frac­tu­re de com­mu­ni­ca­tion qui s’e­st creu­sée entre les géné­ra­tions.  Pendant des siè­cles, l’Eglise n’a­vait pas beau­coup d’ef­forts à four­nir pour for­mer les jeu­nes géné­ra­tions: le plus gros, c’est-à-dire l’es­sen­tiel, “c’é­ta­ient les grand-mères qui s’en char­gea­ient” avec tout l’a­mour dont elles éta­ient capa­bles.  Aujourd’hui, avec le retour de ce néo­pa­ga­ni­sme et de ce néo­gno­sti­ci­sme qui mépri­se le corps tout en l’i­do­lâ­trant, il devient dif­fi­ci­le de trou­ver des fem­mes qui accep­tent enco­re de vieil­lir et d’ê­tre appe­lées “grand-mères”…  Au con­trai­re, on trou­ve de plus en plus de soi­xan­te­nai­res qui aspi­rent à deve­nir mamans “pour la pre­miè­re fois” et qui trou­vent même par­fois une issue médi­ca­le à leur déli­re égoï­ste.  Là aus­si, ce tedium vitae qui décou­le du nihi­li­sme ambiant, à l’in­star de ces per­ver­sions décri­tes dans les pages du Marquis de Sade, trou­ve son ori­gi­ne dans ce cul­te du rien qui ennuie, qui se tran­sfor­me en cul­te de ce qui est bizar­re, bas, cor­po­rel, sor­di­de, fécal, mor­ti­fè­re, autre­ment dit de tout ce qui est dégra­dant pour l’hom­me.

Maintenant, tu vas deve­nir un chré­tien accom­pli

Quand, après des années de caté­chi­sme dans une bon­ne parois­se du Sud, avec un bon curé et une bon­ne caté­chi­ste — sin­cè­re­ment catho­li­ques, ce qui est déjà bienarri­va le jour de la der­niè­re éta­pe sacra­men­tel­le — la confir­ma­tion ‑ma tra­gi­que et auto­ri­tai­re grand-mère, qui n’é­tait pas fem­me à mon­trer volon­tiers ses sen­ti­men­ts, m’ar­rê­ta en che­min avec un sou­ri­re empreint de sages­se et d’é­mo­tion bour­rue, ce qui me gêna un peu.  Elle tint à m’ex­pli­quer en quel­ques mots lapi­dai­res ce que je m’ap­prê­tais à fai­re: “Maintenant, tu vas deve­nir un chré­tien accom­pli”.  Stop.  La confir­ma­tion!  Et pen­dant tou­tes ces années de caté­chè­se dont je me sou­viens à pei­ne, je ne l’a­vais pas com­pris: avec ce sacre­ment, on devient un “chré­tien accom­pli” et de fait, ma grand-mère m’a pré­ci­sé: “Un quart le bap­tê­me, un quart la con­fes­sion, un quart la com­mu­nion et le der­nier quart la con­fir­ma­tion”.  Et sur sa lan­cée: “Avec le bap­tê­me nous offrons notre âme à Dieu, avec la con­fes­sion notre con­scien­ce, avec la com­mu­nion notre cœur et avec la con­fir­ma­tion notre volon­té”.  Ces quel­ques mots tout sim­ples, ces peti­tes dra­gées ultra-concentrées de sain­te doc­tri­ne, je ne les ai jamais oubliées, au con­trai­re de tout le reste.  Mais je ne suis pas deve­nu com­me ma grand-mère car, par après, j’ai en par­tie accep­té la cor­rup­tion.  Mais si j’ai pu en par­tie m’en sor­tir par la sui­te, ce fut grâ­ce à ses paro­les qui, même si je n’en étais à l’é­po­que pas conscient, m’a­va­ient fait catho­li­que pour tou­jours en gra­vant en moi la mar­que des géné­ra­tions chré­tien­nes des aïeux qui m’a­va­ient pré­cé­dés dans la foi et avec lesquels je suis aujour­d’­hui tou­jours lié dans la com­mu­nion des sain­ts.

Ma grand-mère vivait cha­que jour dans le con­cret et pas dans les abstrac­tions, elle n’a­vait pas le temps de s’en­nuyer et c’é­tait pareil pour les curés de cam­pa­gne et pour les fidè­les qui alla­ient à l’é­gli­se.  Elle vivait la foi, elle ne la pen­sait pas.  C’est pour cela qu’el­le en témoi­gnait de façon extraor­di­nai­re.  Et cré­di­ble.

L’imitatio Christi est un fait et non un théorème

Ce n’e­st pas un sché­ma par­fait dépour­vu de réa­li­té qui rend cré­di­ble une idée: c’e­st la mise en pra­ti­que de cet­te idée dans la réa­li­té qui la rend cré­di­ble.  Ce n’e­st qu’ain­si que l’on devient cré­di­ble et que l’on est cru.  Du reste, com­me se plai­sait à le dire Don Giussani, le chri­stia­ni­sme n’e­st pas une cul­tu­re, une phi­lo­so­phie, une reli­gion, une spi­ri­tua­li­té ni un psy­cho­lo­gi­sme ou un sen­ti­men­ta­li­sme, qui ne sont que des abstrac­tions: c’e­st un Fait.  Et ce fait, c’e­st la vie d’un hom­me qui vit, qui meurt et qui res­su­sci­te le troi­siè­me jour selon les écri­tu­res.  En ren­con­trant cet hom­me, on con­fron­te notre vie à la sien­ne; il ne s’a­git pas d’un échan­ge de vues au sujet de l’u­ni­vers mais d’u­ne Imitatio Christi.  Il n’y a pas d’au­tre éco­le, il n’y a pas d’au­tre pro­fes­sion­nel qui tien­ne.  Parce qu’il est écrit que “vous n’a­vez qu’un seul maî­tre” et “mau­dit soit l’hom­me qui se con­fie dans l’hom­me”, à tout le moins ceux qui pré­ten­dent ensei­gner sans mon­trer l’e­xem­ple, c’est-à-dire sans vivre com­me Il l’a ensei­gné.  Gardons à l’e­sprit que l’i­mi­ter Lui, c’e­st déplai­re au mon­de et que le mon­de — à com­men­cer par le cler­gé mon­da­ni­sé et par les chré­tiens ni chauds ni froids – te le feront payer chè­re­ment.  Ils te per­sé­cu­te­ront, te cou­vri­ront de ridi­cu­le, t’in­ti­mi­de­ront et cher­che­rons à te met­tre de côté.  Alors même ceux qui au début sont pleins de bon­ne volon­té finis­sent par renon­cer face au cal­vai­re qui s’an­non­ce à l’ho­ri­zon et ce mon­de le sait bien mais, en bais­sant les bras, ils oublient ces paro­les du Maître: “Heureux êtes-vous si l’on vous insul­te, si l’on vous per­sé­cu­te et si l’on dit faus­se­ment tou­te sor­te de mal con­tre vous, à cau­se de moi.”  Même au sein de la com­mu­nau­té chré­tien­ne, il est cou­rant de trou­ver des enne­mis farou­ches de l’i­mi­ta­tion du Christ.

Quelques autres, en revan­che, rési­stent et bra­vent ce cal­vai­re en accep­tant de le vivre.  Et ceux-là, le mon­de les craint par­ce qu’ils désta­bi­li­sent les tiè­des.  Or les tiè­des rem­plis­sent les chai­res, même dans les égli­ses.  Ceux qui sui­vent le Christ sont sour­ce de scan­da­le par­ce que leur vie devient un aver­tis­se­ment et un acte d’ac­cu­sa­tion pour leurs con­scien­ces mori­bon­des et engour­dies par les plai­sirs mon­dains; ils sont crain­ts et haïs par­ce qu’ils sont por­teurs d’u­ne “mala­die” con­ta­gieu­se: l’e­xem­ple de la cohé­ren­ce.  Mais sur­tout, en restant fer­mes dans leur foi qui s’in­car­ne dans leur vie et non pas dans des théo­rè­mes, ceux qui sui­vent le Christ susci­tent l’é­ton­ne­ment, à l’in­star de ce sol­dat romain qui, devant la croix du con­sum­ma­tum est, alors que même le ciel s’ob­scur­cit et que la ter­re se met à trem­bler, s’ex­cla­me “Mais alors, cet hom­me était vrai­ment le fils de Dieu!”.

Rien ne sert de démontrer: il faut montrer

Et voi­là que le bon ami qui m’a com­man­dé cet arti­cle me deman­de qu’il soit “desti­né à ouvrir les yeux de ceux qui ont appris que le salut était essen­tiel­le­ment imma­nent, ter­re­stre, social, psy­cho­lo­gi­que ou poli­ti­que.  Ceux qui cro­ient que la chu­te, l’en­fer, le para­dis et le péché ori­gi­nel sont des mythes inven­tés par l’Eglise”.

Je com­prends bien ce qu’il vou­drait mais que voulez-vous dire à des âmes pareil­les?  Nous en som­mes arri­vés à un point où il n’y a plus rien à dire.  Les mots nous man­quent et, d’ail­leurs, ils ne suf­fi­sent pas, ils n’ont plus d’u­ti­li­té et ceux qui pou­va­ient les pro­non­cer, les grand-mères, les chré­tiens et les prê­tres ne l’ont pas fait à temps.  Mon cher ami bel­ge, il n’y a plus rien à expli­quer, il n’y a plus rien à dire.  Il faut à pré­sent mon­trer.  C’est pour cela que l’on per­sé­cu­tait les sain­ts et que l’on vou­lait lapi­der les pro­sti­tuées qui ava­ient croi­sé le regard du Messie: par­ce qu’ils mon­tra­ient, par­ce qu’en eux tou­te cho­se deve­nait nou­vel­le et qu’ils éta­ient le témoi­gna­ge écla­tant, phy­si­que et visi­ble de l’ac­tion de la Grâce à laquel­le ils s’é­ta­ient aban­don­nés.  Ils éta­ient deve­nus un Fait vivant.  Ils éta­ient des tor­ches vivan­tes au beau milieu des fume­rol­les de la tié­deur qui ne pro­duit plus de lumiè­re; leur clar­té était insup­por­ta­ble pour les cœurs qui se com­plai­sent dans le brouil­lard et pour les cer­vel­les qui se nour­ris­sent de cal­culs.  Ils sont deve­nus la “hon­te” des doc­teurs à la nuque rai­de, gon­flés com­me des cobras qui cra­chent dans le tem­ple le venin de la médi­san­ce sur le pau­vre publi­cain à genoux, tou­ché par la Grâce, qui se frap­pe la poi­tri­ne et qui, à pré­sent qu’il voit la lumiè­re, réa­li­sant enfin l’ob­scu­ri­té dans laquel­le il se trou­vait, deman­de au Maître de se rap­pe­ler de son nom, de ne pas oublier sa pau­vre­té, d’ê­tre son ami.

Ces hom­mes et ces fem­mes per­dus et retrou­vés com­me les bre­bis éga­rées sont deve­nues des fai­ts, c’est-à-dire des sain­ts et c’e­st la rai­son pour laquel­le ils ont tou­jours été scan­da­le pour les juifs et folie pour les païens.  Ce sont eux qui vivent le chri­stia­ni­sme par­ce que la seu­le façon de pro­fes­ser le chri­stia­ni­sme c’e­st de le vivre en lais­sant ce Verbe s’in­car­ner à l’in­fi­ni dans le corps obéis­sant des hom­mes.  Encore une fois, une par­fai­te Imitatio Christi.  Mais dans cet­te Eglise déca­den­te rem­plie de théo­lo­giens de salon, on a finir par désin­car­ner à nou­veau le Verbe, la chair est rede­ve­nue paro­le, paro­le vai­ne, opi­nion misé­ra­ble.  Le remè­de, ce sont les Faits.  La ré-incarnation du Verbe.

Ainsi soit le néant

Que te dire d’au­tre, mon cher ami bel­ge?  Dans le chri­stia­ni­sme, l’es­sen­tiel c’e­st d’Être.  Et pour com­men­cer à Être, il faut renon­cer aux œuvres et aux ten­ta­tions alan­guis­san­tes qui sou­vent pré­sen­tées sous cou­vert de “rai­son”, d’ ”huma­ni­té” par le Malin dont le chef d’œu­vre con­si­ste juste­ment à fai­re croi­re rai­son­na­ble­ment aux clercs qu’il n’e­xi­ste pas.

Il faut mou­rir au mon­de pour ensui­te décou­vrir qu’il est tout à fait pos­si­ble de se pas­ser de ces cho­ses que l’on croyait essen­tiel­les par­ce que, com­me disait Benoît XVI, “Dieu n’en­lè­ve rien mais il don­ne tout: n’ayez pas peur!”.  C’est le mon­de qui te fait croi­re qu’il te don­ne tout, com­me le Démon le pré­ten­dait au Christ sur la mon­ta­gne, mais au lieu de cela il t’en­chaî­ne à la tyran­nie de tes pro­pres désirs qui ne sont qu’il­lu­sions et tri­stes­se.

Dieu n’en­lè­ve rien mais il don­ne tout

Cette tri­stes­se mor­ti­fè­re qui ne s’in­té­res­se qu’à la mort, qui insi­nue la con­fu­sion et distil­le son venin dans les par­le­men­ts, les éco­les, les mai­sons et jusque dans les parois­ses déso­lées d’u­ne gran­de par­tie de cet­te Europe du Nord qui se fait aujour­d’­hui le chan­tre de l’eu­tha­na­sie des vieil­lards et des enfan­ts, des avor­te­men­ts rou­ti­niers et tar­difs, des “maria­ges” homo­se­xuels qui glo­ri­fient la sté­ri­li­té et tran­sfi­gu­rent ain­si le sens latent de la volon­té d’a­néan­tis­se­ment d’u­ne civi­li­sa­tion tou­te entiè­re: la mort pour les enfan­ts, la mort pour les mala­des, la mort pour les vieux, la mort pour ceux qui sont inu­ti­les, la mort pour ceux qui sont seuls, la mort pour ceux qui ne con­nais­sent plus l’a­mour, la mort pour les per­dan­ts, la mort aus­si pour les gagnan­ts des bre­lo­ques inu­ti­les du mon­de, la mort com­me uni­que désir pour tous.  La mort com­me seu­le issue.  Le droit à la mort.  La civi­li­sa­tion de la mort.

Même le droit posi­tif qui avait été créé pour pro­té­ger la vie de l’hom­me est deve­nu l’in­sti­ga­teur et le pro­tec­teur de la mort dans cet­te Europe du Nord qui mar­che à recu­lons où l’on a désin­car­né le Verbe dans le but de divi­ni­ser la chair mor­tel­le de l’hu­ma­ni­té et où l’on a réduit l’in­car­na­tion à une théo­rie, une fable, à une super­sti­tion.

Le néant qui, après l’en­nui, mène à la tri­stes­se et se mue en désert.  Et le désert c’e­st le lieu des démons, là où fina­le­ment il n’y a rien d’au­tre que la mort.  Ainsi soit le néant.  Le néant, c’e­st l’é­tat natu­rel de Lucifer qui tient dans sa main la pous­siè­re à laquel­le sont retom­bés les royau­mes domi­nant mers, mon­ta­gnes, vil­les et hom­mes qu’il avait pro­mis en échan­ge d’un acte de sou­mis­sion.

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