Je confesse…

L'écrivain Antonio Margheriti

L’écrivain Antonio Margheriti

Alors que j’écoute et que je pense à tout cela, je contemple les voûtes de cette église de quartier que je n’ai jamais aimée et que je n’avais jamais considérée comme ma maison. Cette fois, oui, je me sens en famille, je fixe ces voûtes et elles me semblent infiniment chères. On dirait la charpente du ventre d’un grand bateau perdu en pleine tempête au beau milieu de l’océan.  Et je me sens moi aussi sur la barque de Pierre avec Jésus à bord qui fait semblant de dormir. Et ma panique se calme et se transforme en rire lorsque le Messie ouvre un œil, qu’il me fixe et qu’il dit à voix basse : « Ne craignez pas : je suis là, ne le voyez-vous pas ? Allons, du calme… voyons ce que font les autres, et Pierre. Toi, fais semblant de rien. » Malgré cela, je me suis dit que cette barque-ci, perdue dans la mer immense de la mondanité perdue, menacée par les flots et par les voies d’eau, tourmentée et battue par les tempêtes, freinée et repoussée par tous les vents contraires, cette barque dans laquelle je me trouve à nouveau ce soir ne coulera jamais, je le sais.

Pardonnez cet article impromptu, rédigé à l’insu même de mes amis qui collaborent généreusement à mon blog PapalePapale.com. En ce jour de la Saint François, jour d’ouverture d’un synode potentiellement riche de discorde et peut-être aussi d’espérance, voire même du point de non-retour… avant que toute chose ne soit renouvelée. Non par les hommes, mais par le Ciel.

Dans cette ambiance de ruine imminente, de rupture de toutes les digues et de désolation, alors que monte la tentation de l’autodestruction et de la reddition inconditionnelle, s’organise également une résistance qui ne se nourrit pas seulement d’espérance humaine.

Je ne sais pourquoi, dans ce paysage chaotique et plombé sur lequel avance la tempête, l’on a comme la sensation de distinguer à l’horizon deux figures sereines, un homme et une femme. Jésus et Marie. Les membres de l’Eglise. Cette Eglise est là, à l’horizon, portée fermement par les anges à leurs pieds. Les hommes ne réussiront jamais qu’à détruire qu’un amas de pierres contre lequel ils s’acharnent comme obsédés par l’esprit du monde. Parce que la vénérable Eglise, au moment opportun, sera rendue, renouvelée et reconstruite directement par les anges à l’endroit où elle se trouvait. Comme elle était avant et peut-être même encore plus belle qu’auparavant.

Nous vivons des moments d’épreuves terribles mais également d’attente. Ces derniers temps, je me suis souvent surpris à repenser à cette parabole. La barque de Pierre qui rendrait déjà bredouille est malmenée par une tempête, on craint le pire. Jésus est à bord mais c’est comme s’il n’y était pas, malgré tout ce tumulte, il dort. En réalité il fait semblant. Et c’est alors que tous, pris par la panique, l’appellent qu’il ouvre les yeux. Il est calme et il dit – j’imagine avec son regard ironique –: « Hommes de peu de foi ! ». Comment est-ce possible ? Vous m’avez à bord et vous avez peur de couler à cause d’une simple tornade ? Moi qui ai même marché sur les eaux ! » Et ensuite ces paroles éternelles qui font écho à ce frêle esquif qu’est l’Eglise universelle: « Sois sans crainte, petit troupeau ».

Je suis heureux de vous retrouver.

J’étais perdu et je me suis retrouvé : me revoici

Me revoici après cette longue période pendant laquelle je n’étais pas en vacances comme certains le pensent mais où j’ai pris le temps de réfléchir. Et en fait de réflexion, j’ai vécu le déclin, l’égarement, la douleur, la perte grave, une véritable descente aux enfers dans ce qui fut probablement l’une des pires périodes de ma vie au cours de laquelle j’ai été malmené, transpercé, déchiré, brisé en mille morceaux, anéanti. Mais ce fut également un moment de lente et pénible catharsis, de régénération pas à pas dans laquelle, précipité que je fus aux derniers rangs de l’humanité, tel un esclave, j’ai touché le fond d’où je n’avais plus qu’à remonter, une marche après l’autre. Avec une volonté nouvelle d’y parvenir, une véritable soif de lumière que je n’avais jamais éprouvée jusqu’alors, estimant que je me trouvais mieux dans la pénombre. Mais lorsque j’ai vu le noir absolu, je n’ai rien désiré d’autre que la pleine lumière, comme un besoin irrépressible de respirer enfin après être resté trop longtemps sous l’eau.

Alors que je suis à peine en train de me remettre peu à peu de cette chute dans le noir, je bénis et j’embrasse cette providentielle main invisible qui bouscule et qui relève, qui provoque la crainte et qui console, qui m’y a jeté pour mieux me sauver et qui s’est ensuite abaissée pour m’aider à me relever et à remonter la pente. De mon plein gré.

J’en reviens un peu changé et avec un désir de continuer à changer encore. J’espère que vous êtes encore tous là.

Oh, j’en aurais des choses à vous dire mais comment faire ? Tout ce que je peux faire, c’est prendre une pièce de cette grande mosaïque faite de quotidien et d’éternité et de vous la présenter pour vous faire comprendre.

Le synode, le pape. L’Eglise, les temps, le monde, la prophétie. Tant de choses, par où commencer ?

Une petite histoire

J’ai découvert dernièrement que j’avais longtemps essayé de réprimer ma veine de narrateur, au point d’en avoir honte. Aujourd’hui, j’ai presque mené à terme un premier récit dont je ne tarderai pas à vous parler. Entretemps, j’ai entamé différents autres projets narratifs. Dans l’un d’entre eux, il y a un fragment qui ne fera sans doute jamais partie d’aucune histoire, en fin de compte.

Le voici (vous n’êtes pas obligé de le lire : n’hésitez pas à passer au paragraphe suivant, vous ne perdrez rien).

Un jour, au siècle dernier, alors que les médias n’existaient pas encore, un vieux maître d’école primaire qui n’avais jamais quitté sa province, apprenant que l’un de ses anciens élèves, devenu séminariste, était sur le point de partir pour Rome, l’appela pour lui faire part de ses dernières volontés : « Quand tu seras à Rome, va à la Chapelle Sixtine et regarde bien chaque détail, ensuite viens me raconter. A ton retour, je veux tout savoir car toute ma vie j’ai désiré la voir. »

Le séminariste tint sa promesse et se rend sur les lieux où il passe toute une journée à observer et répertorier chaque détail de la Chapelle. A l’heure de la fermeture, il n’avait pas encore fini de tout consigner par écrit mais il avait déjà rempli tout son carnet. Il s’émut alors de son vieux maître et se tourmentait : « Comment ferais-je pour tout lui raconter ? Pour me souvenir de chaque chose ? Et surtout, comment vais-je trouver les mots justes pour restituer l’idée de tant de beauté jusque dans la représentation des choses terribles ? »

Le jour du retour arriva. Il frappa à la porte du vieux maître qui lui ouvrit tout de suite. Passant outre les politesses, il lui demanda immédiatement : « Alors, comment c’était la Chapelle de Michel-Ange ? Raconte-moi tout. »

« Maître, c’est tellement… tellement…»

« Tellement ? »

« Tellement de tout : tellement beau, il y a tellement de choses »

« Oh, je ne suis qu’un vieux fou avec une idée fixe : il me reste peu de temps à vivre mais s’il le faut, je l’emploierai entièrement pour tout écouter, je veux tous les détails »

Le séminariste était dans l’embarras. « Maître, toute ma mémoire ne suffirait pas à contenir la Chapelle Sixtine et tous les mots que je connais ne suffiraient pas à la décrire »

Un voile de déception assombrit alors le visage du vieillard. Le séminariste en conçut beaucoup de tristesse et chercha à le consoler : « Alors, j’ai pensé à prendre note dans ce carnet, même si par manque de temps et d’espace, tout ne s’y trouve pas. » Et il sortit le carnet rempli de notes : « Vous connaissez mon écriture et vous n’aurez aucun mal à la lire puisque c’est vous qui m’avez appris à écrire et à rire de mes erreurs ». Il posa le carnet devant lui et s’étonna que le vieux maître n’allonge pas la main pour le prendre.

« Je suis trop vieux, je ne lis plus, c’est de toi que je voulais savoir ce que tu avais vu… », répondit-il, déçu et sérieux, « serait-ce possible que tu aies tout regardé sans rien voir ? »

« Hé bien, j’ai vu… je suis resté des heures à regarder et j’ai vu… »

« Alors, raconte-moi, qu’est-ce que tu as vu ? »

Le séminariste se mit alors à réfléchir à ce qu’il avait vraiment vu parmi les milliers de choses qu’il avait regardées. Et seul un détail lui revint en mémoire, le seul qu’il n’ait pas seulement regardé mais qu’il ait véritablement « vu », tout le reste lui sembla alors superflu, tellement ce détail qu’il avait vu et compris résumait l’ensemble.

« Maître, au centre de la Chapelle, là où se trouve le grand autel, j’ai vu le gigantesque doigt de Dieu toucher le doigt de l’homme allongé comme inanimé sur le sol, pour lui transmettre la vie et le mettre en marche »

Le Maître demeura les yeux fermé, les lèvres entrouvertes, sans rien dire, sans poser la moindre question comme s’il contemplait lui-même, enfin, la Chapelle Sixtine. Cet unique détail rapporté par un témoin avait suffi à transmettre l’essence de l’œuvre à son imagination.

Ensuite, encore emporté par l’émerveillement de sa découverte, le vieux maître parla, ou plutôt balbutia quelque chose :

« Tant de beauté… c’est insupportable… ». Et il mourut.

Tout cela pour vous dire que… comment fait-on pour faire le point de la situation en seulement quelques pages ? Comment faire pour trouver les mots justes lorsqu’ils vous échappent ? C’est ainsi que j’ai décidé de vous raconter un seul détail non pas hors contexte mais faisant partie du tout.

Laissez-moi donc vous parler de ce « doigt de Dieu » qui touche celui de l’homme et qu’il m’a semblé apercevoir dans une paroisse : selon moi, au fond, il porte en lui tout le reste sans s’encombrer des détails triviaux, presque pornographiques qui font aujourd’hui les gros titres et malheureusement aussi le quotidien de notre Eglise à commencer par son cœur politique (car son cœur de chair et d’esprit, c’est le Christ), le Vatican qui d’après les journaux serait un sordide lieu de coucheries entre monseigneurs de bonne société.

Dans ce petit détail que je m’apprête à vous raconter se trouve un témoignage personnel dans lequel selon moi tout se retrouve. Tout ce qui compte, au moins.

Je confesse à vous aussi, mes frères

Je confesse que je n’ai jamais renié mes convictions jansénistes sur les sacrements de la confession et de la communion même si je n’en ai jamais fait étalage. Mais je les ai, et je le confesse.

Je confesse m’être ces derniers temps éloigné de la grâce de Dieu et de la vie chrétienne. De ne pas être en paix avec Dieu, raison pour laquelle je me suis tenu éloigné de la confession, de la communion et enfin pour laquelle j’ai fini par délaisser la messe et la prière.

Je confesse avoir eu une « nuit obscure » qui n’avait rien de mystique mais au cours de laquelle, alourdi par mon propre péché et par un sentiment de culpabilité « calviniste » j’en suis venu à implorer le ciel, si quelqu’un s’y trouvait, de soulever le rideau pour me montrer une frange de son vêtement parce que je m’étais mis à douter comme Thomas. J’ai fait l’expérience du néant et de l’égarement, je le confesse. A un certain moment, même si je suis capable de mensonge et d’hypocrisie jusqu’à un certain point, j’ai même cessé d’écrire et de témoigner de ce qu’en réalité je ne vivais pas, ou plus, si tant est que je l’aie jamais vraiment vécu.

Je confesse également que parfois, en pensant à l’histoire humaine de Jésus et nonobstant tout ce que je viens de dire, il m’est arrivé de m’émouvoir jusqu’aux larmes. « Je serais vraiment déçu si quelqu’un comme toi n’était pas vraiment Dieu, s’il tant est qu’il y ait un Dieu et qu’il existe. »

Je confesse, dans le même ordre d’idées, que jusqu’à présent, ma conversion n’a été qu’une équivoque ou plutôt une ébauche qui a toujours risqué de rester en l’état et de ne plus évoluer. C’est-à-dire une conversion de tête, culturelle, intellectuelle. Mais j’étais bien loin de la conversion du cœur, celle qu’au fond demande Jésus. Maintenant je me suis mis en route mais je suis encore en chemin et la route est longue et pleine de tentations.

Je confesse devant vous et devant Dieu n’être en aucune manière un catholique et encore moins un chrétien exemplaire et ne jamais l’avoir été. Si j’ai parfois pu laisser entendre le contraire, c’est parce que je vous mentais et que je dissimulais la vérité, par calcul et vanité, et également par autosuggestion. J’ai péché de façon répétée plusieurs fois et en de nombreuses choses : j’ai connu, alors que je « prêchais » toutes les plus formidables tentations de Satan et je ne suis pas encore immunisé contre elles. Personne ne l’est : les souillures de la chair, l’ambition, l’envie, la calomnie…

Toutefois, je cherche aujourd’hui de m’en remettre dans les mains de Jésus et de m’abriter sous le manteau de Marie et de me confier en eux : j’essaye de résister de mon mieux aux appels sordides. Que Dieu me pardonne. Qu’il me pardonne du bien que je n’ai pas eu l’occasion de faire, du mal que j’ai rendu pour le mal, d’avoir donné un serpent à celui qui m’offrait une colombe. Je vous confesse tout au nom de cette catharsis que je choisis de faire.

Oui, je le confesse également, même si je sais que certains choix pieux suscitent la jalousie et déchaînent les assauts téméraires de l’Antique Adversaire. Je confesse que je choisis de rechristianiser ma vie peu à peu, un pas après l’autre, afin de pouvoir dire un jour, arrivé au terme du chemin (que j’espère le plus lointain possible) : « Seigneur, ce n’est plus moi qui vis, c’est toi qui vis en moi : de quoi aurais-je peur ? ».

J’ai commencé lentement ce chemin : j’apprends à prier le rosaire, par morceaux, mais tous les jours ; j’ai appris à cultiver un rapport surnaturel avec les saints qui me sont les plus chers ; j’ai pardonné à ceux qui je haïssais pour m’avoir fait du mal et à ceux qui m’ayant fait du mal ou non, j’ai calomnié par mépris et que j’ai tenté de détruire ; j’essaye de vivre dans la pureté autant que possible, j’ai décidé de consacrer quelques heures chaque semaine à des personnes dans le besoin ; j’essaye de faire un travail sur mon cœur et sur ma vie afin de pouvoir un jour m’approcher à nouveau de la confession sacramentelle de tous mes péchés et de pouvoir me réconcilier avec Dieu dans l’eucharistie, lorsque je serai certain d’être devenu un tabernacle purifié digne de le recevoir en moi.

Tout cela demande un investissement très important mais le simple fait de m’y atteler me rend serein : vos prière m’aideront sans doute et seront les bienvenues, tout particulièrement celles des personnes consacrées. Ou celles de ceux qui ont quelque chose à me reprocher.

Je suis retourné à la messe

A ce propos, je me suis remis à respecter le précepte de la messe dominicale et j’assiste, dans un esprit nouveau, à la divine liturgie. Je n’allais plus à la messe depuis longtemps.

Le voilà, ce dernier détail dont je voulais vous parler : il s’agit de mon « doigt de Dieu » personnel :

L'église Sainte Marie Goretti à Rome

L’église Sainte Marie Goretti à Rome

Hier soir, dimanche donc, j’ai décidé d’aller à la messe dans la paroisse la plus proche, ici à Rome, avec la ferme intention d’y retourner chaque dimanche suivant. A dire vrai,  cette perspective me pesait un peu : la paresse et l’ennui cherchaient à me décourage d’avance de toutes les façons possibles. Laissez-moi mieux m’expliquer : ce n’était pas vraiment la messe en elle-même qui me dérangeait mais bien ce à quoi elle a été réduite. Je savais déjà à quoi m’attendre : une musique tonitruante à me trouer les tympans, des accords de guitares mièvres et des chansonnettes fausses ; des « prières des fidèles » délirantes et mégalomaniaques que personne au paradis ne pourrait écouter sans bailler et encore moins approuver ; des prédications logorrhéiques laissées en suspens et bien souvent déclamées dans un mauvais italien par quelque prêtre étranger de passage pendant que les fidèles chattent distraitement sur leur IPhone ; une monotonie générale ; un défilé de lectures ânonnées par des laïcs sans expression, diction ni dévotion un peu comme ces leçons ennuyeuses d’école primaire qu’on finit par ne plus comprendre à force de les répéter ; tous ces gens qui se lèvent instantanément à la consécration pour se réveiller après une demi-heure de sermon. En fait, toutes ces choses qui vous ennuient vous aussi.

Je me suis dit : « Seigneur, j’irai à la messe mais ne croyez pas que cela me réjouisse et que j’en ressortirai particulièrement édifié, je le fais uniquement par respect pour toi puisque je tiens compte de ton avis mais pour moi, cela reste un acte pénitentiel. » C’est dans cet état d’esprit que je me suis rendu à pas lents à la paroisse Sainte Marie Goretti, à l’heure pour une fois. Je savais à quoi m’attendre : j’y étais déjà allé deux fois et chaque fois j’en étais ressorti avec des haut-le-cœur.

A peine entré, j’ai pensé : « Tout est resté tel que je l’avais laissé il y a des mois : courage !». Puis je me suis dit : « Pour une fois, je ne suis pas à l’église pour m’occuper du contexte et le critiquer mais pour moi-même et pour Dieu ».

Dieu semblait m’avoir écouté cette fois et il m’a souhaité la bienvenue avec cette ironie à peine voilée, raffinée et un peu incisive que je lui connais.

La messe commence. Bon, il y a une guitare et une voix un peu aigrelette et trop haute se met à chanter. Mais, pour une fois, il y avait également de l’orgue : le résultat final n’est pas si mal et un je-ne-sais-quoi de solennel se répandait pour le première fois dans ce morne temple. Les gens étaient différents des autres fois et ils étaient moins nombreux, ce qui avait son importance. En revanche, beaucoup d’asiatiques et de latino-américains.

Le prêtre est hispanique, il cherche un peu ses mots en italien, il est jeune et barbu mais il me donne l’impression d’être un bon prêtre, très doux.

Cela me frappe et c’est alors qu’arrive une seconde sensation étrange : alors que je récite les habituelles prières liturgiques de l’introït que j’avais l’habitude de débiter par cœur et sans réfléchir, je me suis surpris à en savourer chaque mot – et je pense que je n’étais pas le seul – ils m’apparaissent soudain étrangement beaux et je le fais avec une émotion étrange, la gorge nouée. Tout cela m’émerveille : je le sens, je le vis. Voilà, c’est cela la « participation » active à la liturgie, me dis-je. Cela ne me fatigue pas comme les autres fois : voilà, me dis-je, peut-être l’ironie de Dieu. Ou peut-être, me dis-je, est-ce la première fois que j’y participe avec « un cœur nouveau ». J’avais à de nombreuses reprises ces derniers temps demandé à Dieu de m’arracher mon cœur « de pierre » pour m’implanter un « cœur nouveau » ; de chair.

Jusqu’à espérer contre toute espérance.

Commencent les lectures des fidèles et revoici l’ironie de Dieu.

Première lecture : une jolie dame fait la lecture, avec une diction parfaite, cinématographique et aucune parole ne m’échappe, je ne suis pas distrait. Une lecture bien faite : miracle ! Mais cela n’en reste pas là : un jeune homme mince s’approche de l’ambon d’où commencer à s’élever un psaume sublime, avec les mots de Dieu. J’en suis tout retourné et mon attention ne fait qu’augmenter. Dieu m’offre un moment de beauté après que je me sois lamenté sur l’absence de beau à son repas : c’est sa façon à lui, dans sa grande miséricorde, de me remercier d’avoir accepté son invitation. Quelle ironie.

Pendant ce temps, je pensais au Synode, à ce qu’on en dit dans les médias, à toute cette grisaille au dehors, aux scandales ourdis dans les alcôves, à la barque de Pierre malmenée par les flots, de façon grotesque, sans aucune respect de la part des agences de presse, comme celle du Christ dont je devine le visage, derrière celui du prêtre, couvert de ridicule, de crachats et de soufflets pendant que le monde le jugeait en l’ayant déjà condamné d’avance, le réduisant à une parodie de roi avec une couronne d’épines et un manteau pourpre, jeté en pâture aux moqueries de la foule. Alors que « personne autour de lui ne s’était rendu compte que l’univers lui faisait infamie, et ce fut une grande coulée de sueur et d’amour. » comme dira de lui la poétesse folle Alda Merini.

J’écoute avec une vive appréhension cette jolie dame avec la plus belle diction qu’il m’ait été donné d’entendre pour autant que je m’en souvienne. Et il me semble y voir le symbole de la clarté que Dieu veut répandre en ce triste jour sur les questions de notre temps. Cette clarté que l’on remet en question pour la première fois dans l’histoire de l’homme, allant même jusqu’à la nier avec rancœur et vanité ; cette « parole du Seigneur » qui nous parle encore aujourd’hui comme aux hébreux d’autrefois, par la bouche des prophètes et qui nous dit :

Après que Dieu eut créé les animaux et laissé à l’homme le soin de leur donner un nom pour qu’il lui tiennent compagnie, vu qu’ils ne lui étaient pas d’une grande utilité…

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra. » Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un.

Ces paroles, nous les avons entendues depuis notre enfance mais aujourd’hui, dans cette église, dans ce silence assourdissant, elles revêtent une puissance nouvelle, inédite et troublante, comme si c’était la première fois qu’on les entendant. Parce que Dieu lui-même a aboli toutes les idéologies du monde en peu de mots et sans équivoque. Ces mêmes idéologies qui en ce moment même prennent l’Eglise d’assaut et s’y infiltrent avec une obstination sournoise et effrayante, l’agressant du dehors et surtout du dedans jusqu’à ce qu’elle explose ou qu’elle implose. Ces paroles de Dieu lui-même semblent presque scandaleuses aujourd’hui, capables de défier le monde et même de le vaincre contre toute espérance.

« Nous rendons grâce à Dieu ». Vraiment ! Cette fois la réponse rituelle à la lecture n’a pas été automatique mais réfléchie… « je te remercie… merci pour l’avoir dit : nous ne sommes pas seuls ! ». Espérons contre toute espérance.

Et tu verras les fils de tes fils

Et pendant que j’écoute le jeune homme mince chanter la parole de Dieu dans le psaume à l’ambon, mes pensées s’envolent et je me mets à songer au bonheur d’être ainsi récompensé comme Dieu le promet à celui qui est fidèle à l’ordre des choses établies par sa main :

Heureux qui craint le Seigneur
et marche selon ses voies !

Tu te nourriras du travail de tes mains :
Heureux es-tu ! A toi, le bonheur !

Ta femme sera dans ta maison comme une vigne généreuse,
et tes fils, autour de la table, comme des plants d’olivier (…)
et tu verras les fils de tes fils.

Mon Dieu, y-a-t-il une image plus belle et plus désirable que celle-là ? Ecoutez plutôt : « ton épouse comme une vigne généreuse… tes fils comme des plants d’olivier ».  Et l’on s’imagine ces enfants devenus grands, beaux et forts autour de la table du dîner où ta sueur les nourrit pour qu’ils puissent un jour éprouver eux aussi cette joie et que tu puisses contempler avec fierté les enfants de tes enfants. Qu’est-ce que cette beauté bouleversante, virile et sensuelle a de commun avec la langueur dégoûtante et flasque que le monde nous propose aujourd’hui et voudrait imposer même à l’épouse du Christ, l’Eglise, attifée comme une vieille femme publique sifflée sur la place du village ? Ma vigne, l’épouse et les plants d’olivier, les enfants comme une bénédiction de Dieu autour de la table de leur père : comme c’est beau ! Que peut-on souhaiter de plus ?

Cette vision éclatante fait soudain vibrer les vitraux de Saine Marie Goretti et j’ai l’impression que les murs eux-mêmes s’ébranlent et il me semble entendre le Démon rugir de colère au-dehors, rongé par la haine et la jalousie et vouloir s’abattre sur le saint édifice pour interrompre et profaner ce moment de vérité sublime par l’obscénité et la rébellion. Mais les vitraux du temple, remplis de l’Esprit Saint comme l’oxygène dans les poumons tiennent bon face à ses assauts et il ne peut pas entrer. Il règne au contraire une grande paix et mon trouble ne fait que grandir : je pense aux vitraux et aux murailles du Vatican et je nourris la même espérance. Ou plutôt en ce moment, je crois fermement que le Temple de Pierre, là où veille l’Apôtre endormi dans le sommeil terrestre, sera préservé des attaques de Lucifer et de ses légions terrestres et surnaturelles et de ses prêtres apostats.

Comme si je l’entendais pour la première fois.

Vient ensuite le moment de l’Evangile. Le prêtre, avec beaucoup d’humilité et de modestie commence à le lire et on sent bien que lui aussi entend ce qu’il est en train de lire et malgré sa sobriété, ces paroles l’emplissent de ferveur comme s’il les lisait et qu’il les prononçait pour la première fois : c’est le Messie lui-même qui lui indique le chemin et qui le fait se sentir moins seul lui aussi dans ce monde et dans cette église en ce moment. C’est comme si nous aussi nous nous rendions tous compte pour la première fois que cette « Parole du Seigneur » est celle de Jésus qui avait dit ceci :

Des pharisiens l’abordèrent et, pour le mettre à l’épreuve, ils lui demandaient : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » (…)

Jésus répliqua : « (…) au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! »

De retour à la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur cette question. Il leur déclara : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. »

Dans l’édifice, le silence est total. Pour la première fois, on n’entend nul éternuement, nulle sonnerie de portable, tout reste immobile comme suspendu : tout le monde était vraiment en train d’écouter et l’on se doute qu’en même temps chacun compare Ses paroles, si claires, avec ce qu’on voit à la télévision et ce que disent certains évêques sécularisés sur l’homme et la femme, sur le mariage et le divorce. « Alors c’est vraiment ce que Jésus a dit ? Mais alors… » pourquoi ses propres prêtres disent-ils le contraire, le censurent-ils même et le discréditent-ils avec suffisance ? Quel sens tout cela a-t-il ? Leurs pensées émerveillées se matérialisent presque jusqu’à en devenir visible en se libérant dans l’air.

Les mots prononcés par Lui à travers son serviteur acquièrent de fait une puissance inédite et résonnent dans l’air et pourtant… ils restent obéissants mais implacables, définitifs, totaux. C’est vraiment la voix du Christ que j’entends, je perçois sa volonté immuable mais dépourvue d’arrogance. Et j’ai presque envie de pleurer. De joie.

Parole du Seigneur, excusez du peu…

Le prêtre s’apprête à commencer son homélie : il rappelle à chacun qu’aujourd’hui s’ouvre le synode sur la famille et répète les mots forts du Seigneur : « homme et femme… que personne ne les sépare ». Il le fait avec beaucoup de délicatesse, d’humilité, presque comme s’il s’excusait, comme si…

… comme s’il était embarrassé par ce qui est écrit et le fait que ce soit l’exact opposé de la pensée du monde. Ou mieux : il le fait, pourrait-on dire, avec une certaine crainte… avec une certaine peur plus précisément, une peur du vacarme du monde, de la mort civile de celui qui ne marche pas sur la ligne fixée, la peur du « scandale » tellement ces mots sont actuellement « subversifs » et je peux percevoir le danger comme lui, le pressentiment que quelque énergumène enivré par l’esprit de ce monde ne se lève au milieu de l’assemblée des fidèles pour se rebeller, pour insulter le prêtre et hurler aux « temps nouveaux » et à « l’église nouvelle », pour refuser avec fureur les paroles du Christ lui-même (auquel il communiera dans quelques instants en croquant bruyamment l’hostie à pleines dents, engloutissant sa propre condamnation). Ces paroles, que valent-elles encore face à tous ces théologiens et ces faiseurs d’opinion à la mode, laïcs et cléricaux, qui règnent sur les médias, à commencer par les médias catholiques officiels, y compris l’Avvenire et l’Osservatore Romano qui ces deniers jours n’ont pas manqué d’exalter la « multitude » des gens qui exigent de pouvoir répudier leur femme ou leur mari, comme s’il s’agissait de l’exode du peuple élu… dans un tonnerre d’applaudissements : finalement, diront-ils ivres de malice… nous pouvons forniquer avec la bénédiction, sinon de Dieu, tout au moins de l’Eglise. Satan s’est déguisé en prêtre, en évêque et à ses heures perdues en journaliste « catholique ».

Une chose est sûre : ce dimanche, ils auront tous entendu avec leurs deux oreilles, aujourd’hui ils savent sans équivoque quelle est la volonté de Jésus. A partir de maintenant, personne ne pourra se perdre en conjectures car voici venu le moment d’exercer son libre arbitre : ou bien on est avec Lui ou bien on est contre Lui. Il en va de même pour le synode. Bien que de nombreux évêques se considèrent au-dessus de la volonté de Dieu mais pas de celle de Scalfari [NdT : l’un des plus anciens et puissants patrons de presse d’Italie].

Jésus à bord fait semblant de dormir

Intérieur de Sainte Marie Goretti

Intérieur de Sainte Marie Goretti

Alors que j’écoute et que je pense à tout cela, je contemple les voûtes de cette église de quartier que je n’ai jamais aimée et que je n’avais jamais considérée comme ma maison. Cette fois, oui, je me sens en famille, je fixe ces voûtes et elles me semblent infiniment chères. On dirait la charpente du ventre d’un grand bateau perdu en pleine tempête au beau milieu de l’océan.

Et je me sens moi aussi sur la barque de Pierre avec Jésus à bord qui fait semblant de dormir. Et ma panique se calme et se transforme en rire lorsque le Messie ouvre un œil, qu’il me fixe et qu’il dit à voix basse : « Ne craignez pas : je suis là, ne le voyez-vous pas ? Allons, du calme… voyons ce que font les autres, et Pierre. Toi, fais semblant de rien. »

Malgré cela, je me suis dit que cette barque-ci, perdue dans la mer immense de la mondanité perdue, menacée par les flots et par les voies d’eau, tourmentée et battue par les tempêtes, freinée et repoussée par tous les vents contraires, cette barque dans laquelle je me trouve à nouveau ce soir ne coulera jamais, je le sais. Au contraire, elle poursuivra sa route et après la pluie vient le beau temps.

Petit troupeau, petite Eglise qui, envers et contre tout, malgré ce que les gens disent, maltraitée, ridiculisée, couverte d’opprobre et martyrisée chaque jour un peu plus à cause de ce que tu es, tu continues à vivre, à battre, à combattre pour rester fidèle à toi-même et à ton Seigneur, à sa Parole, contre vents et marées, et même contre la raison elle-même. Et tu le fais avec douceur, avec une voix humble et un peu triste, peut-être en tremblant parfois de frayeur mais au fond, avec sérénité. Tu espères chaque jour un peu plus que l’époux arrive pour sauver son épouse parce que le monde ne peut séparer ce que Dieu a uni.

En fin de compte, Dieu m’a offert cette splendide expérience, à moi qui avait si peur de m’ennuyer à la messe aujourd’hui. Je suis presque tenté de dire qu’il l’a fait « pour moi ». Non seulement je me suis amusé mais j’en suis également sorti édifié et je ne manquerai pas d’y retourner dimanche prochain.

PS: J’ai assisté à un autre miracle aujourd’hui : au moment de la consécration et pour la première fois dans cette paroisse, j’ai vu que la majorité des fidèles s’était agenouillée. Ils ont tous communié, en particulier les quelques jeunes genoux qui ne se sont pas pliés à la consécration, tous sauf moi qui suis en quarantaine pénitentielle et l’un ou l’autre désœuvré. Et je me surprends à rire : c’est le peine bigarré, inconscient et irresponsable de Dieu qui se s’estime avoir bonne conscience. Tant mieux pour eux parce qu’ils ne savent pas ce qu’il font, beaucoup leur sera pardonné. Moi en revanche, je le sais, et je dois faire attention si je ne veux pas manger mon propre jugement.

Par Antonio Margheriti, d’après un article original en italien traduit et publié avec l’autorisation de l’auteur.

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