Je confesse…

L'écrivain Antonio Margheriti

L’écrivain Antonio Margheriti

Alors que j’écoute et que je pen­se à tout cela, je con­tem­ple les voû­tes de cet­te égli­se de quar­tier que je n’ai jamais aimée et que je n’avais jamais con­si­dé­rée com­me ma mai­son. Cette fois, oui, je me sens en famil­le, je fixe ces voû­tes et elles me sem­blent infi­ni­ment chè­res. On dirait la char­pen­te du ven­tre d’un grand bateau per­du en plei­ne tem­pê­te au beau milieu de l’océan.  Et je me sens moi aus­si sur la bar­que de Pierre avec Jésus à bord qui fait sem­blant de dor­mir. Et ma pani­que se cal­me et se tran­sfor­me en rire lor­sque le Messie ouvre un œil, qu’il me fixe et qu’il dit à voix bas­se : « Ne crai­gnez pas : je suis là, ne le voyez-vous pas ? Allons, du cal­me… voyons ce que font les autres, et Pierre. Toi, fais sem­blant de rien. » Malgré cela, je me suis dit que cet­te barque-ci, per­due dans la mer immen­se de la mon­da­ni­té per­due, mena­cée par les flo­ts et par les voies d’eau, tour­men­tée et bat­tue par les tem­pê­tes, frei­née et repous­sée par tous les ven­ts con­trai­res, cet­te bar­que dans laquel­le je me trou­ve à nou­veau ce soir ne cou­le­ra jamais, je le sais.

Pardonnez cet arti­cle impromp­tu, rédi­gé à l’insu même de mes amis qui col­la­bo­rent géné­reu­se­ment à mon blog PapalePapale.com. En ce jour de la Saint François, jour d’ouverture d’un syno­de poten­tiel­le­ment riche de discor­de et peut-être aus­si d’espérance, voi­re même du point de non-retour… avant que tou­te cho­se ne soit renou­ve­lée. Non par les hom­mes, mais par le Ciel.

Dans cet­te ambian­ce de rui­ne immi­nen­te, de rup­tu­re de tou­tes les digues et de déso­la­tion, alors que mon­te la ten­ta­tion de l’autodestruction et de la red­di­tion incon­di­tion­nel­le, s’organise éga­le­ment une rési­stan­ce qui ne se nour­rit pas seu­le­ment d’espérance humai­ne.

Je ne sais pour­quoi, dans ce pay­sa­ge chao­ti­que et plom­bé sur lequel avan­ce la tem­pê­te, l’on a com­me la sen­sa­tion de distin­guer à l’horizon deux figu­res serei­nes, un hom­me et une fem­me. Jésus et Marie. Les mem­bres de l’Eglise. Cette Eglise est là, à l’horizon, por­tée fer­me­ment par les anges à leurs pieds. Les hom­mes ne réus­si­ront jamais qu’à détrui­re qu’un amas de pier­res con­tre lequel ils s’acharnent com­me obsé­dés par l’esprit du mon­de. Parce que la véné­ra­ble Eglise, au moment oppor­tun, sera ren­due, renou­ve­lée et recon­strui­te direc­te­ment par les anges à l’endroit où elle se trou­vait. Comme elle était avant et peut-être même enco­re plus bel­le qu’auparavant.

Nous vivons des momen­ts d’épreuves ter­ri­bles mais éga­le­ment d’attente. Ces der­niers temps, je me suis sou­vent sur­pris à repen­ser à cet­te para­bo­le. La bar­que de Pierre qui ren­drait déjà bre­douil­le est mal­me­née par une tem­pê­te, on craint le pire. Jésus est à bord mais c’est com­me s’il n’y était pas, mal­gré tout ce tumul­te, il dort. En réa­li­té il fait sem­blant. Et c’est alors que tous, pris par la pani­que, l’appellent qu’il ouvre les yeux. Il est cal­me et il dit – j’imagine avec son regard iro­ni­que –: « Hommes de peu de foi ! ». Comment est-ce pos­si­ble ? Vous m’avez à bord et vous avez peur de cou­ler à cau­se d’une sim­ple tor­na­de ? Moi qui ai même mar­ché sur les eaux ! » Et ensui­te ces paro­les éter­nel­les qui font écho à ce frê­le esquif qu’est l’Eglise uni­ver­sel­le: « Sois sans crain­te, petit trou­peau ».

Je suis heu­reux de vous retrou­ver.

J’étais per­du et je me suis retrou­vé : me revoi­ci

Me revoi­ci après cet­te lon­gue pério­de pen­dant laquel­le je n’étais pas en vacan­ces com­me cer­tains le pen­sent mais où j’ai pris le temps de réflé­chir. Et en fait de réfle­xion, j’ai vécu le déclin, l’égarement, la dou­leur, la per­te gra­ve, une véri­ta­ble descen­te aux enfers dans ce qui fut pro­ba­ble­ment l’une des pires pério­des de ma vie au cours de laquel­le j’ai été mal­me­né, trans­per­cé, déchi­ré, bri­sé en mil­le mor­ceaux, anéan­ti. Mais ce fut éga­le­ment un moment de len­te et péni­ble cathar­sis, de régé­né­ra­tion pas à pas dans laquel­le, pré­ci­pi­té que je fus aux der­niers rangs de l’humanité, tel un escla­ve, j’ai tou­ché le fond d’où je n’avais plus qu’à remon­ter, une mar­che après l’autre. Avec une volon­té nou­vel­le d’y par­ve­nir, une véri­ta­ble soif de lumiè­re que je n’avais jamais éprou­vée jusqu’alors, esti­mant que je me trou­vais mieux dans la pénom­bre. Mais lor­sque j’ai vu le noir abso­lu, je n’ai rien dési­ré d’autre que la plei­ne lumiè­re, com­me un besoin irré­pres­si­ble de respi­rer enfin après être resté trop long­temps sous l’eau.

Alors que je suis à pei­ne en train de me remet­tre peu à peu de cet­te chu­te dans le noir, je bénis et j’embrasse cet­te pro­vi­den­tiel­le main invi­si­ble qui bou­scu­le et qui relè­ve, qui pro­vo­que la crain­te et qui con­so­le, qui m’y a jeté pour mieux me sau­ver et qui s’est ensui­te abais­sée pour m’aider à me rele­ver et à remon­ter la pen­te. De mon plein gré.

J’en reviens un peu chan­gé et avec un désir de con­ti­nuer à chan­ger enco­re. J’espère que vous êtes enco­re tous là.

Oh, j’en aurais des cho­ses à vous dire mais com­ment fai­re ? Tout ce que je peux fai­re, c’est pren­dre une piè­ce de cet­te gran­de mosaï­que fai­te de quo­ti­dien et d’éternité et de vous la pré­sen­ter pour vous fai­re com­pren­dre.

Le syno­de, le pape. L’Eglise, les temps, le mon­de, la pro­phé­tie. Tant de cho­ses, par où com­men­cer ?

Une petite histoire

J’ai décou­vert der­niè­re­ment que j’avais long­temps essayé de répri­mer ma vei­ne de nar­ra­teur, au point d’en avoir hon­te. Aujourd’hui, j’ai pre­sque mené à ter­me un pre­mier récit dont je ne tar­de­rai pas à vous par­ler. Entretemps, j’ai enta­mé dif­fé­ren­ts autres pro­je­ts nar­ra­tifs. Dans l’un d’entre eux, il y a un frag­ment qui ne fera sans dou­te jamais par­tie d’aucune histoi­re, en fin de comp­te.

Le voi­ci (vous n’êtes pas obli­gé de le lire : n’hésitez pas à pas­ser au para­gra­phe sui­vant, vous ne per­drez rien).

Un jour, au siè­cle der­nier, alors que les médias n’existaient pas enco­re, un vieux maî­tre d’école pri­mai­re qui n’avais jamais quit­té sa pro­vin­ce, appre­nant que l’un de ses anciens élè­ves, deve­nu sémi­na­ri­ste, était sur le point de par­tir pour Rome, l’appela pour lui fai­re part de ses der­niè­res volon­tés : « Quand tu seras à Rome, va à la Chapelle Sixtine et regar­de bien cha­que détail, ensui­te viens me racon­ter. A ton retour, je veux tout savoir car tou­te ma vie j’ai dési­ré la voir. »

Le sémi­na­ri­ste tint sa pro­mes­se et se rend sur les lieux où il pas­se tou­te une jour­née à obser­ver et réper­to­rier cha­que détail de la Chapelle. A l’heure de la fer­me­tu­re, il n’avait pas enco­re fini de tout con­si­gner par écrit mais il avait déjà rem­pli tout son car­net. Il s’émut alors de son vieux maî­tre et se tour­men­tait : « Comment ferais-je pour tout lui racon­ter ? Pour me sou­ve­nir de cha­que cho­se ? Et sur­tout, com­ment vais-je trou­ver les mots justes pour resti­tuer l’idée de tant de beau­té jusque dans la repré­sen­ta­tion des cho­ses ter­ri­bles ? »

Le jour du retour arri­va. Il frap­pa à la por­te du vieux maî­tre qui lui ouvrit tout de sui­te. Passant outre les poli­tes­ses, il lui deman­da immé­dia­te­ment : « Alors, com­ment c’était la Chapelle de Michel-Ange ? Raconte-moi tout. »

« Maître, c’est tel­le­ment… tel­le­ment…»

« Tellement ? »

« Tellement de tout : tel­le­ment beau, il y a tel­le­ment de cho­ses »

« Oh, je ne suis qu’un vieux fou avec une idée fixe : il me reste peu de temps à vivre mais s’il le faut, je l’emploierai entiè­re­ment pour tout écou­ter, je veux tous les détails »

Le sémi­na­ri­ste était dans l’embarras. « Maître, tou­te ma mémoi­re ne suf­fi­rait pas à con­te­nir la Chapelle Sixtine et tous les mots que je con­nais ne suf­fi­ra­ient pas à la décri­re »

Un voi­le de décep­tion assom­brit alors le visa­ge du vieil­lard. Le sémi­na­ri­ste en conçut beau­coup de tri­stes­se et cher­cha à le con­so­ler : « Alors, j’ai pen­sé à pren­dre note dans ce car­net, même si par man­que de temps et d’espace, tout ne s’y trou­ve pas. » Et il sor­tit le car­net rem­pli de notes : « Vous con­nais­sez mon écri­tu­re et vous n’aurez aucun mal à la lire pui­sque c’est vous qui m’avez appris à écri­re et à rire de mes erreurs ». Il posa le car­net devant lui et s’étonna que le vieux maî­tre n’allonge pas la main pour le pren­dre.

« Je suis trop vieux, je ne lis plus, c’est de toi que je vou­lais savoir ce que tu avais vu… », répondit-il, déçu et sérieux, « serait-ce pos­si­ble que tu aies tout regar­dé sans rien voir ? »

« Hé bien, j’ai vu… je suis resté des heu­res à regar­der et j’ai vu… »

« Alors, raconte-moi, qu’est-ce que tu as vu ? »

Le sémi­na­ri­ste se mit alors à réflé­chir à ce qu’il avait vrai­ment vu par­mi les mil­liers de cho­ses qu’il avait regar­dées. Et seul un détail lui revint en mémoi­re, le seul qu’il n’ait pas seu­le­ment regar­dé mais qu’il ait véri­ta­ble­ment « vu », tout le reste lui sem­bla alors super­flu, tel­le­ment ce détail qu’il avait vu et com­pris résu­mait l’ensemble.

« Maître, au cen­tre de la Chapelle, là où se trou­ve le grand autel, j’ai vu le gigan­te­sque doigt de Dieu tou­cher le doigt de l’homme allon­gé com­me ina­ni­mé sur le sol, pour lui tran­smet­tre la vie et le met­tre en mar­che »

Le Maître demeu­ra les yeux fer­mé, les lèvres entrou­ver­tes, sans rien dire, sans poser la moin­dre que­stion com­me s’il con­tem­plait lui-même, enfin, la Chapelle Sixtine. Cet uni­que détail rap­por­té par un témoin avait suf­fi à tran­smet­tre l’essence de l’œuvre à son ima­gi­na­tion.

Ensuite, enco­re empor­té par l’émerveillement de sa décou­ver­te, le vieux maî­tre par­la, ou plu­tôt bal­bu­tia quel­que cho­se :

« Tant de beau­té… c’est insup­por­ta­ble… ». Et il mou­rut.

Tout cela pour vous dire que… com­ment fait-on pour fai­re le point de la situa­tion en seu­le­ment quel­ques pages ? Comment fai­re pour trou­ver les mots justes lorsqu’ils vous échap­pent ? C’est ain­si que j’ai déci­dé de vous racon­ter un seul détail non pas hors con­tex­te mais fai­sant par­tie du tout.

Laissez-moi donc vous par­ler de ce « doigt de Dieu » qui tou­che celui de l’homme et qu’il m’a sem­blé aper­ce­voir dans une parois­se : selon moi, au fond, il por­te en lui tout le reste sans s’encombrer des détails tri­viaux, pre­sque por­no­gra­phi­ques qui font aujourd’hui les gros titres et malheu­reu­se­ment aus­si le quo­ti­dien de notre Eglise à com­men­cer par son cœur poli­ti­que (car son cœur de chair et d’esprit, c’est le Christ), le Vatican qui d’après les jour­naux serait un sor­di­de lieu de cou­che­ries entre mon­sei­gneurs de bon­ne socié­té.

Dans ce petit détail que je m’apprête à vous racon­ter se trou­ve un témoi­gna­ge per­son­nel dans lequel selon moi tout se retrou­ve. Tout ce qui comp­te, au moins.

Je confesse à vous aussi, mes frères

Je con­fes­se que je n’ai jamais renié mes con­vic­tions jan­sé­ni­stes sur les sacre­men­ts de la con­fes­sion et de la com­mu­nion même si je n’en ai jamais fait éta­la­ge. Mais je les ai, et je le con­fes­se.

Je con­fes­se m’être ces der­niers temps éloi­gné de la grâ­ce de Dieu et de la vie chré­tien­ne. De ne pas être en paix avec Dieu, rai­son pour laquel­le je me suis tenu éloi­gné de la con­fes­sion, de la com­mu­nion et enfin pour laquel­le j’ai fini par délais­ser la mes­se et la priè­re.

Je con­fes­se avoir eu une « nuit obscu­re » qui n’avait rien de mysti­que mais au cours de laquel­le, alour­di par mon pro­pre péché et par un sen­ti­ment de cul­pa­bi­li­té « cal­vi­ni­ste » j’en suis venu à implo­rer le ciel, si quelqu’un s’y trou­vait, de sou­le­ver le rideau pour me mon­trer une fran­ge de son vête­ment par­ce que je m’étais mis à dou­ter com­me Thomas. J’ai fait l’expérience du néant et de l’égarement, je le con­fes­se. A un cer­tain moment, même si je suis capa­ble de men­son­ge et d’hypocrisie jusqu’à un cer­tain point, j’ai même ces­sé d’écrire et de témoi­gner de ce qu’en réa­li­té je ne vivais pas, ou plus, si tant est que je l’aie jamais vrai­ment vécu.

Je con­fes­se éga­le­ment que par­fois, en pen­sant à l’histoire humai­ne de Jésus et nonob­stant tout ce que je viens de dire, il m’est arri­vé de m’émouvoir jusqu’aux lar­mes. « Je serais vrai­ment déçu si quelqu’un com­me toi n’était pas vrai­ment Dieu, s’il tant est qu’il y ait un Dieu et qu’il exi­ste. »

Je con­fes­se, dans le même ordre d’idées, que jusqu’à pré­sent, ma con­ver­sion n’a été qu’une équi­vo­que ou plu­tôt une ébau­che qui a tou­jours risqué de rester en l’état et de ne plus évo­luer. C’est-à-dire une con­ver­sion de tête, cul­tu­rel­le, intel­lec­tuel­le. Mais j’étais bien loin de la con­ver­sion du cœur, cel­le qu’au fond deman­de Jésus. Maintenant je me suis mis en rou­te mais je suis enco­re en che­min et la rou­te est lon­gue et plei­ne de ten­ta­tions.

Je con­fes­se devant vous et devant Dieu n’être en aucu­ne maniè­re un catho­li­que et enco­re moins un chré­tien exem­plai­re et ne jamais l’avoir été. Si j’ai par­fois pu lais­ser enten­dre le con­trai­re, c’est par­ce que je vous men­tais et que je dis­si­mu­lais la véri­té, par cal­cul et vani­té, et éga­le­ment par auto­sug­ge­stion. J’ai péché de façon répé­tée plu­sieurs fois et en de nom­breu­ses cho­ses : j’ai con­nu, alors que je « prê­chais » tou­tes les plus for­mi­da­bles ten­ta­tions de Satan et je ne suis pas enco­re immu­ni­sé con­tre elles. Personne ne l’est : les souil­lu­res de la chair, l’ambition, l’envie, la calom­nie…

Toutefois, je cher­che aujourd’hui de m’en remet­tre dans les mains de Jésus et de m’abriter sous le man­teau de Marie et de me con­fier en eux : j’essaye de rési­ster de mon mieux aux appels sor­di­des. Que Dieu me par­don­ne. Qu’il me par­don­ne du bien que je n’ai pas eu l’occasion de fai­re, du mal que j’ai ren­du pour le mal, d’avoir don­né un ser­pent à celui qui m’offrait une colom­be. Je vous con­fes­se tout au nom de cet­te cathar­sis que je choi­sis de fai­re.

Oui, je le con­fes­se éga­le­ment, même si je sais que cer­tains choix pieux susci­tent la jalou­sie et déchaî­nent les assau­ts témé­rai­res de l’Antique Adversaire. Je con­fes­se que je choi­sis de rechri­stia­ni­ser ma vie peu à peu, un pas après l’autre, afin de pou­voir dire un jour, arri­vé au ter­me du che­min (que j’espère le plus loin­tain pos­si­ble) : « Seigneur, ce n’est plus moi qui vis, c’est toi qui vis en moi : de quoi aurais-je peur ? ».

J’ai com­men­cé len­te­ment ce che­min : j’apprends à prier le rosai­re, par mor­ceaux, mais tous les jours ; j’ai appris à cul­ti­ver un rap­port sur­na­tu­rel avec les sain­ts qui me sont les plus chers ; j’ai par­don­né à ceux qui je haïs­sais pour m’avoir fait du mal et à ceux qui m’ayant fait du mal ou non, j’ai calom­nié par mépris et que j’ai ten­té de détrui­re ; j’essaye de vivre dans la pure­té autant que pos­si­ble, j’ai déci­dé de con­sa­crer quel­ques heu­res cha­que semai­ne à des per­son­nes dans le besoin ; j’essaye de fai­re un tra­vail sur mon cœur et sur ma vie afin de pou­voir un jour m’approcher à nou­veau de la con­fes­sion sacra­men­tel­le de tous mes péchés et de pou­voir me récon­ci­lier avec Dieu dans l’eucharistie, lor­sque je serai cer­tain d’être deve­nu un taber­na­cle puri­fié digne de le rece­voir en moi.

Tout cela deman­de un inve­stis­se­ment très impor­tant mais le sim­ple fait de m’y atte­ler me rend serein : vos priè­re m’aideront sans dou­te et seront les bien­ve­nues, tout par­ti­cu­liè­re­ment cel­les des per­son­nes con­sa­crées. Ou cel­les de ceux qui ont quel­que cho­se à me repro­cher.

Je suis retourné à la messe

A ce pro­pos, je me suis remis à respec­ter le pré­cep­te de la mes­se domi­ni­ca­le et j’assiste, dans un esprit nou­veau, à la divi­ne litur­gie. Je n’allais plus à la mes­se depuis long­temps.

Le voi­là, ce der­nier détail dont je vou­lais vous par­ler : il s’agit de mon « doigt de Dieu » per­son­nel :

L'église Sainte Marie Goretti à Rome

L’église Sainte Marie Goretti à Rome

Hier soir, diman­che donc, j’ai déci­dé d’aller à la mes­se dans la parois­se la plus pro­che, ici à Rome, avec la fer­me inten­tion d’y retour­ner cha­que diman­che sui­vant. A dire vrai,  cet­te per­spec­ti­ve me pesait un peu : la pares­se et l’ennui cher­cha­ient à me décou­ra­ge d’avance de tou­tes les façons pos­si­bles. Laissez-moi mieux m’expliquer : ce n’était pas vrai­ment la mes­se en elle-même qui me déran­geait mais bien ce à quoi elle a été rédui­te. Je savais déjà à quoi m’attendre : une musi­que toni­truan­te à me trouer les tym­pans, des accords de gui­ta­res miè­vres et des chan­son­net­tes faus­ses ; des « priè­res des fidè­les » déli­ran­tes et méga­lo­ma­nia­ques que per­son­ne au para­dis ne pour­rait écou­ter sans bail­ler et enco­re moins approu­ver ; des pré­di­ca­tions logor­rhéi­ques lais­sées en suspens et bien sou­vent décla­mées dans un mau­vais ita­lien par quel­que prê­tre étran­ger de pas­sa­ge pen­dant que les fidè­les chat­tent distrai­te­ment sur leur IPhone ; une mono­to­nie géné­ra­le ; un défi­lé de lec­tu­res ânon­nées par des laïcs sans expres­sion, dic­tion ni dévo­tion un peu com­me ces leçons ennuyeu­ses d’école pri­mai­re qu’on finit par ne plus com­pren­dre à for­ce de les répé­ter ; tous ces gens qui se lèvent instan­ta­né­ment à la con­sé­cra­tion pour se réveil­ler après une demi-heure de ser­mon. En fait, tou­tes ces cho­ses qui vous ennuient vous aus­si.

Je me suis dit : « Seigneur, j’irai à la mes­se mais ne croyez pas que cela me réjouis­se et que j’en res­sor­ti­rai par­ti­cu­liè­re­ment édi­fié, je le fais uni­que­ment par respect pour toi pui­sque je tiens comp­te de ton avis mais pour moi, cela reste un acte péni­ten­tiel. » C’est dans cet état d’esprit que je me suis ren­du à pas len­ts à la parois­se Sainte Marie Goretti, à l’heure pour une fois. Je savais à quoi m’attendre : j’y étais déjà allé deux fois et cha­que fois j’en étais res­sor­ti avec des haut-le-cœur.

A pei­ne entré, j’ai pen­sé : « Tout est resté tel que je l’avais lais­sé il y a des mois : cou­ra­ge !». Puis je me suis dit : « Pour une fois, je ne suis pas à l’église pour m’occuper du con­tex­te et le cri­ti­quer mais pour moi-même et pour Dieu ».

Dieu sem­blait m’avoir écou­té cet­te fois et il m’a sou­hai­té la bien­ve­nue avec cet­te iro­nie à pei­ne voi­lée, raf­fi­née et un peu inci­si­ve que je lui con­nais.

La mes­se com­men­ce. Bon, il y a une gui­ta­re et une voix un peu aigre­let­te et trop hau­te se met à chan­ter. Mais, pour une fois, il y avait éga­le­ment de l’orgue : le résul­tat final n’est pas si mal et un je-ne-sais-quoi de solen­nel se répan­dait pour le pre­miè­re fois dans ce mor­ne tem­ple. Les gens éta­ient dif­fé­ren­ts des autres fois et ils éta­ient moins nom­breux, ce qui avait son impor­tan­ce. En revan­che, beau­coup d’asiatiques et de latino-américains.

Le prê­tre est hispa­ni­que, il cher­che un peu ses mots en ita­lien, il est jeu­ne et bar­bu mais il me don­ne l’impression d’être un bon prê­tre, très doux.

Cela me frap­pe et c’est alors qu’arrive une secon­de sen­sa­tion étran­ge : alors que je réci­te les habi­tuel­les priè­res litur­gi­ques de l’introït que j’avais l’habitude de débi­ter par cœur et sans réflé­chir, je me suis sur­pris à en savou­rer cha­que mot – et je pen­se que je n’étais pas le seul — ils m’apparaissent sou­dain étran­ge­ment beaux et je le fais avec une émo­tion étran­ge, la gor­ge nouée. Tout cela m’émerveille : je le sens, je le vis. Voilà, c’est cela la « par­ti­ci­pa­tion » acti­ve à la litur­gie, me dis-je. Cela ne me fati­gue pas com­me les autres fois : voi­là, me dis-je, peut-être l’ironie de Dieu. Ou peut-être, me dis-je, est-ce la pre­miè­re fois que j’y par­ti­ci­pe avec « un cœur nou­veau ». J’avais à de nom­breu­ses repri­ses ces der­niers temps deman­dé à Dieu de m’arracher mon cœur « de pier­re » pour m’implanter un « cœur nou­veau » ; de chair.

Jusqu’à espé­rer con­tre tou­te espé­ran­ce.

Commencent les lec­tu­res des fidè­les et revoi­ci l’ironie de Dieu.

Première lec­tu­re : une jolie dame fait la lec­tu­re, avec une dic­tion par­fai­te, ciné­ma­to­gra­phi­que et aucu­ne paro­le ne m’échappe, je ne suis pas distrait. Une lec­tu­re bien fai­te : mira­cle ! Mais cela n’en reste pas là : un jeu­ne hom­me min­ce s’approche de l’ambon d’où com­men­cer à s’élever un psau­me subli­me, avec les mots de Dieu. J’en suis tout retour­né et mon atten­tion ne fait qu’augmenter. Dieu m’offre un moment de beau­té après que je me sois lamen­té sur l’absence de beau à son repas : c’est sa façon à lui, dans sa gran­de misé­ri­cor­de, de me remer­cier d’avoir accep­té son invi­ta­tion. Quelle iro­nie.

Pendant ce temps, je pen­sais au Synode, à ce qu’on en dit dans les médias, à tou­te cet­te gri­sail­le au dehors, aux scan­da­les our­dis dans les alcô­ves, à la bar­que de Pierre mal­me­née par les flo­ts, de façon gro­te­sque, sans aucu­ne respect de la part des agen­ces de pres­se, com­me cel­le du Christ dont je devi­ne le visa­ge, der­riè­re celui du prê­tre, cou­vert de ridi­cu­le, de cra­cha­ts et de souf­fle­ts pen­dant que le mon­de le jugeait en l’ayant déjà con­dam­né d’avance, le rédui­sant à une paro­die de roi avec une cou­ron­ne d’épines et un man­teau pour­pre, jeté en pâtu­re aux moque­ries de la fou­le. Alors que « per­son­ne autour de lui ne s’était ren­du comp­te que l’univers lui fai­sait infa­mie, et ce fut une gran­de cou­lée de sueur et d’amour. » com­me dira de lui la poé­tes­se fol­le Alda Merini.

J’écoute avec une vive appré­hen­sion cet­te jolie dame avec la plus bel­le dic­tion qu’il m’ait été don­né d’entendre pour autant que je m’en sou­vien­ne. Et il me sem­ble y voir le sym­bo­le de la clar­té que Dieu veut répan­dre en ce tri­ste jour sur les que­stions de notre temps. Cette clar­té que l’on remet en que­stion pour la pre­miè­re fois dans l’histoire de l’homme, allant même jusqu’à la nier avec ran­cœur et vani­té ; cet­te « paro­le du Seigneur » qui nous par­le enco­re aujourd’hui com­me aux hébreux d’autrefois, par la bou­che des pro­phè­tes et qui nous dit :

Après que Dieu eut créé les ani­maux et lais­sé à l’homme le soin de leur don­ner un nom pour qu’il lui tien­nent com­pa­gnie, vu qu’ils ne lui éta­ient pas d’une gran­de uti­li­té…

Le Seigneur Dieu dit : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui fai­re une aide qui lui cor­re­spon­dra. » Avec de la ter­re, le Seigneur Dieu mode­la tou­tes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les ame­na vers l’homme pour voir quels noms il leur don­ne­rait. C’étaient des êtres vivan­ts, et l’homme don­na un nom à cha­cun. L’homme don­na donc leurs noms à tous les ani­maux, aux oiseaux du ciel et à tou­tes les bêtes des champs. Mais il ne trou­va aucu­ne aide qui lui cor­re­spon­de. Alors le Seigneur Dieu fit tom­ber sur lui un som­meil mysté­rieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il refer­ma la chair à sa pla­ce. Avec la côte qu’il avait pri­se à l’homme, il façon­na une fem­me et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors : « Cette fois-ci, voi­là l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera fem­me – Ishsha –, elle qui fut tirée de l’homme – Ish. » À cau­se de cela, l’homme quit­te­ra son père et sa mère, il s’attachera à sa fem­me, et tous deux ne feront plus qu’un.

Ces paro­les, nous les avons enten­dues depuis notre enfan­ce mais aujourd’hui, dans cet­te égli­se, dans ce silen­ce assour­dis­sant, elles revê­tent une puis­san­ce nou­vel­le, iné­di­te et trou­blan­te, com­me si c’était la pre­miè­re fois qu’on les enten­dant. Parce que Dieu lui-même a abo­li tou­tes les idéo­lo­gies du mon­de en peu de mots et sans équi­vo­que. Ces mêmes idéo­lo­gies qui en ce moment même pren­nent l’Eglise d’assaut et s’y infil­trent avec une obsti­na­tion sour­noi­se et effra­yan­te, l’agressant du dehors et sur­tout du dedans jusqu’à ce qu’elle explo­se ou qu’elle implo­se. Ces paro­les de Dieu lui-même sem­blent pre­sque scan­da­leu­ses aujourd’hui, capa­bles de défier le mon­de et même de le vain­cre con­tre tou­te espé­ran­ce.

« Nous ren­dons grâ­ce à Dieu ». Vraiment ! Cette fois la répon­se rituel­le à la lec­tu­re n’a pas été auto­ma­ti­que mais réflé­chie… « je te remer­cie… mer­ci pour l’avoir dit : nous ne som­mes pas seuls ! ». Espérons con­tre tou­te espé­ran­ce.

Et tu ver­ras les fils de tes fils

Et pen­dant que j’écoute le jeu­ne hom­me min­ce chan­ter la paro­le de Dieu dans le psau­me à l’ambon, mes pen­sées s’envolent et je me mets à son­ger au bon­heur d’être ain­si récom­pen­sé com­me Dieu le pro­met à celui qui est fidè­le à l’ordre des cho­ses éta­blies par sa main :

Heureux qui craint le Seigneur
et mar­che selon ses voies !

Tu te nour­ri­ras du tra­vail de tes mains :
Heureux es-tu ! A toi, le bon­heur !

Ta fem­me sera dans ta mai­son com­me une vigne géné­reu­se,
et tes fils, autour de la table, com­me des plan­ts d’o­li­vier (…)
et tu ver­ras les fils de tes fils.

Mon Dieu, y‑a-t-il une ima­ge plus bel­le et plus dési­ra­ble que celle-là ? Ecoutez plu­tôt : « ton épou­se com­me une vigne géné­reu­se… tes fils com­me des plan­ts d’olivier ».  Et l’on s’imagine ces enfan­ts deve­nus grands, beaux et forts autour de la table du dîner où ta sueur les nour­rit pour qu’ils puis­sent un jour éprou­ver eux aus­si cet­te joie et que tu puis­ses con­tem­pler avec fier­té les enfan­ts de tes enfan­ts. Qu’est-ce que cet­te beau­té bou­le­ver­san­te, viri­le et sen­suel­le a de com­mun avec la lan­gueur dégoû­tan­te et fla­sque que le mon­de nous pro­po­se aujourd’hui et vou­drait impo­ser même à l’épouse du Christ, l’Eglise, atti­fée com­me une vieil­le fem­me publi­que sif­flée sur la pla­ce du vil­la­ge ? Ma vigne, l’épouse et les plan­ts d’olivier, les enfan­ts com­me une béné­dic­tion de Dieu autour de la table de leur père : com­me c’est beau ! Que peut-on sou­hai­ter de plus ?

Cette vision écla­tan­te fait sou­dain vibrer les vitraux de Saine Marie Goretti et j’ai l’impression que les murs eux-mêmes s’ébranlent et il me sem­ble enten­dre le Démon rugir de colè­re au-dehors, ron­gé par la hai­ne et la jalou­sie et vou­loir s’abattre sur le saint édi­fi­ce pour inter­rom­pre et pro­fa­ner ce moment de véri­té subli­me par l’obscénité et la rébel­lion. Mais les vitraux du tem­ple, rem­plis de l’Esprit Saint com­me l’oxygène dans les pou­mons tien­nent bon face à ses assau­ts et il ne peut pas entrer. Il règne au con­trai­re une gran­de paix et mon trou­ble ne fait que gran­dir : je pen­se aux vitraux et aux murail­les du Vatican et je nour­ris la même espé­ran­ce. Ou plu­tôt en ce moment, je crois fer­me­ment que le Temple de Pierre, là où veil­le l’Apôtre endor­mi dans le som­meil ter­re­stre, sera pré­ser­vé des atta­ques de Lucifer et de ses légions ter­re­stres et sur­na­tu­rel­les et de ses prê­tres apo­sta­ts.

Comme si je l’entendais pour la pre­miè­re fois.

Vient ensui­te le moment de l’Evangile. Le prê­tre, avec beau­coup d’humilité et de mode­stie com­men­ce à le lire et on sent bien que lui aus­si entend ce qu’il est en train de lire et mal­gré sa sobrié­té, ces paro­les l’emplissent de fer­veur com­me s’il les lisait et qu’il les pro­no­nçait pour la pre­miè­re fois : c’est le Messie lui-même qui lui indi­que le che­min et qui le fait se sen­tir moins seul lui aus­si dans ce mon­de et dans cet­te égli­se en ce moment. C’est com­me si nous aus­si nous nous ren­dions tous comp­te pour la pre­miè­re fois que cet­te « Parole du Seigneur » est cel­le de Jésus qui avait dit ceci :

Des pha­ri­siens l’abordèrent et, pour le met­tre à l’épreuve, ils lui deman­da­ient : « Est-il per­mis à un mari de ren­voyer sa fem­me ? » (…)

Jésus répli­qua : « (…) au com­men­ce­ment de la créa­tion, Dieu les fit hom­me et fem­me. À cau­se de cela, l’homme quit­te­ra son père et sa mère, il s’attachera à sa fem­me, et tous deux devien­dront une seu­le chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seu­le chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépa­re pas ! »

De retour à la mai­son, les disci­ples l’interrogeaient de nou­veau sur cet­te que­stion. Il leur décla­ra : « Celui qui ren­vo­ie sa fem­me et en épou­se une autre devient adul­tè­re envers elle. Si une fem­me qui a ren­voyé son mari en épou­se un autre, elle devient adul­tè­re. »

Dans l’édifice, le silen­ce est total. Pour la pre­miè­re fois, on n’entend nul éter­nue­ment, nul­le son­ne­rie de por­ta­ble, tout reste immo­bi­le com­me suspen­du : tout le mon­de était vrai­ment en train d’écouter et l’on se dou­te qu’en même temps cha­cun com­pa­re Ses paro­les, si clai­res, avec ce qu’on voit à la télé­vi­sion et ce que disent cer­tains évê­ques sécu­la­ri­sés sur l’homme et la fem­me, sur le maria­ge et le divor­ce. « Alors c’est vrai­ment ce que Jésus a dit ? Mais alors… » pour­quoi ses pro­pres prê­tres disent-ils le con­trai­re, le censurent-ils même et le discréditent-ils avec suf­fi­san­ce ? Quel sens tout cela a‑t-il ? Leurs pen­sées émer­veil­lées se maté­ria­li­sent pre­sque jusqu’à en deve­nir visi­ble en se libé­rant dans l’air.

Les mots pro­non­cés par Lui à tra­vers son ser­vi­teur acquiè­rent de fait une puis­san­ce iné­di­te et réson­nent dans l’air et pour­tant… ils restent obéis­san­ts mais impla­ca­bles, défi­ni­tifs, totaux. C’est vrai­ment la voix du Christ que j’entends, je perçois sa volon­té immua­ble mais dépour­vue d’arrogance. Et j’ai pre­sque envie de pleu­rer. De joie.

Parole du Seigneur, excu­sez du peu…

Le prê­tre s’apprête à com­men­cer son homé­lie : il rap­pel­le à cha­cun qu’aujourd’hui s’ouvre le syno­de sur la famil­le et répè­te les mots forts du Seigneur : « hom­me et fem­me… que per­son­ne ne les sépa­re ». Il le fait avec beau­coup de déli­ca­tes­se, d’humilité, pre­sque com­me s’il s’excusait, com­me si…

… com­me s’il était embar­ras­sé par ce qui est écrit et le fait que ce soit l’exact oppo­sé de la pen­sée du mon­de. Ou mieux : il le fait, pourrait-on dire, avec une cer­tai­ne crain­te… avec une cer­tai­ne peur plus pré­ci­sé­ment, une peur du vacar­me du mon­de, de la mort civi­le de celui qui ne mar­che pas sur la ligne fixée, la peur du « scan­da­le » tel­le­ment ces mots sont actuel­le­ment « sub­ver­sifs » et je peux per­ce­voir le dan­ger com­me lui, le pres­sen­ti­ment que quel­que éner­gu­mè­ne eni­vré par l’esprit de ce mon­de ne se lève au milieu de l’assemblée des fidè­les pour se rebel­ler, pour insul­ter le prê­tre et hur­ler aux « temps nou­veaux » et à « l’église nou­vel­le », pour refu­ser avec fureur les paro­les du Christ lui-même (auquel il com­mu­nie­ra dans quel­ques instan­ts en cro­quant bruyam­ment l’hostie à plei­nes den­ts, englou­tis­sant sa pro­pre con­dam­na­tion). Ces paro­les, que valent-elles enco­re face à tous ces théo­lo­giens et ces fai­seurs d’opinion à la mode, laïcs et clé­ri­caux, qui règnent sur les médias, à com­men­cer par les médias catho­li­ques offi­ciels, y com­pris l’Avvenire et l’Osservatore Romano qui ces deniers jours n’ont pas man­qué d’exalter la « mul­ti­tu­de » des gens qui exi­gent de pou­voir répu­dier leur fem­me ou leur mari, com­me s’il s’agissait de l’exode du peu­ple élu… dans un ton­ner­re d’applaudissements : fina­le­ment, diront-ils ivres de mali­ce… nous pou­vons for­ni­quer avec la béné­dic­tion, sinon de Dieu, tout au moins de l’Eglise. Satan s’est dégui­sé en prê­tre, en évê­que et à ses heu­res per­dues en jour­na­li­ste « catho­li­que ».

Une cho­se est sûre : ce diman­che, ils auront tous enten­du avec leurs deux oreil­les, aujourd’hui ils savent sans équi­vo­que quel­le est la volon­té de Jésus. A par­tir de main­te­nant, per­son­ne ne pour­ra se per­dre en con­jec­tu­res car voi­ci venu le moment d’exercer son libre arbi­tre : ou bien on est avec Lui ou bien on est con­tre Lui. Il en va de même pour le syno­de. Bien que de nom­breux évê­ques se con­si­dè­rent au-dessus de la volon­té de Dieu mais pas de cel­le de Scalfari [NdT : l’un des plus anciens et puis­san­ts patrons de pres­se d’Italie].

Jésus à bord fait sem­blant de dor­mir

Intérieur de Sainte Marie Goretti

Intérieur de Sainte Marie Goretti

Alors que j’écoute et que je pen­se à tout cela, je con­tem­ple les voû­tes de cet­te égli­se de quar­tier que je n’ai jamais aimée et que je n’avais jamais con­si­dé­rée com­me ma mai­son. Cette fois, oui, je me sens en famil­le, je fixe ces voû­tes et elles me sem­blent infi­ni­ment chè­res. On dirait la char­pen­te du ven­tre d’un grand bateau per­du en plei­ne tem­pê­te au beau milieu de l’océan.

Et je me sens moi aus­si sur la bar­que de Pierre avec Jésus à bord qui fait sem­blant de dor­mir. Et ma pani­que se cal­me et se tran­sfor­me en rire lor­sque le Messie ouvre un œil, qu’il me fixe et qu’il dit à voix bas­se : « Ne crai­gnez pas : je suis là, ne le voyez-vous pas ? Allons, du cal­me… voyons ce que font les autres, et Pierre. Toi, fais sem­blant de rien. »

Malgré cela, je me suis dit que cet­te barque-ci, per­due dans la mer immen­se de la mon­da­ni­té per­due, mena­cée par les flo­ts et par les voies d’eau, tour­men­tée et bat­tue par les tem­pê­tes, frei­née et repous­sée par tous les ven­ts con­trai­res, cet­te bar­que dans laquel­le je me trou­ve à nou­veau ce soir ne cou­le­ra jamais, je le sais. Au con­trai­re, elle pour­sui­vra sa rou­te et après la pluie vient le beau temps.

Petit trou­peau, peti­te Eglise qui, envers et con­tre tout, mal­gré ce que les gens disent, mal­trai­tée, ridi­cu­li­sée, cou­ver­te d’opprobre et mar­ty­ri­sée cha­que jour un peu plus à cau­se de ce que tu es, tu con­ti­nues à vivre, à bat­tre, à com­bat­tre pour rester fidè­le à toi-même et à ton Seigneur, à sa Parole, con­tre ven­ts et marées, et même con­tre la rai­son elle-même. Et tu le fais avec dou­ceur, avec une voix hum­ble et un peu tri­ste, peut-être en trem­blant par­fois de frayeur mais au fond, avec séré­ni­té. Tu espè­res cha­que jour un peu plus que l’époux arri­ve pour sau­ver son épou­se par­ce que le mon­de ne peut sépa­rer ce que Dieu a uni.

En fin de comp­te, Dieu m’a offert cet­te splen­di­de expé­rien­ce, à moi qui avait si peur de m’ennuyer à la mes­se aujourd’hui. Je suis pre­sque ten­té de dire qu’il l’a fait « pour moi ». Non seu­le­ment je me suis amu­sé mais j’en suis éga­le­ment sor­ti édi­fié et je ne man­que­rai pas d’y retour­ner diman­che pro­chain.

PS: J’ai assi­sté à un autre mira­cle aujourd’hui : au moment de la con­sé­cra­tion et pour la pre­miè­re fois dans cet­te parois­se, j’ai vu que la majo­ri­té des fidè­les s’était age­nouil­lée. Ils ont tous com­mu­nié, en par­ti­cu­lier les quel­ques jeu­nes genoux qui ne se sont pas pliés à la con­sé­cra­tion, tous sauf moi qui suis en qua­ran­tai­ne péni­ten­tiel­le et l’un ou l’autre désœu­vré. Et je me sur­prends à rire : c’est le pei­ne bigar­ré, incon­scient et irre­spon­sa­ble de Dieu qui se s’estime avoir bon­ne con­scien­ce. Tant mieux pour eux par­ce qu’ils ne savent pas ce qu’il font, beau­coup leur sera par­don­né. Moi en revan­che, je le sais, et je dois fai­re atten­tion si je ne veux pas man­ger mon pro­pre juge­ment.

Par Antonio Margheriti, d’après un arti­cle ori­gi­nal en ita­lien tra­duit et publié avec l’autorisation de l’auteur.

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