Un guide pour ne pas se perdre dans Amoris Laetitia

Enfin un vade­me­cum com­me on l’at­ten­dait pour évi­ter de se per­dre dans les méan­dres de la tour de Babel des inter­pré­ta­tions con­tra­dic­toi­res d’Amoris Laetitia et sur­tout cel­les du con­tro­ver­sé cha­pi­tre huit qui trai­te de la com­mu­nion des divorcés-remariés.

Clair et argu­men­té, cet ouvra­ge de réfé­ren­ce a été éla­bo­ré au sein de cet insti­tut pon­ti­fi­cal que Jean-Paul II avait créé pour sou­te­nir la pasto­ra­le de la famil­le et dont le siè­ge cen­tral se trou­ve à Rome à l’Université Pontificale du Latran. Cet insti­tut dispo­se d’an­ten­nes dans le mon­de entier et son pre­mier pré­si­dent et pro­mo­teur fut Carlo Caffarra, arche­vê­que émé­ri­te de Bologne et car­di­nal.

Les trois auteurs de cet ouvra­ge sont pro­fes­seurs dans cet insti­tut: les espa­gnols José Granados et Juan-José Pérez-Soba, tous deux théo­lo­giens ain­si que l’al­le­mand Stephan Kampowski, phi­lo­so­phe.

La ver­sion ita­lien­ne du livre vient de para­î­tre aux édi­tions Cantagalli ain­si que la ver­sion espa­gno­le. La ver­sion alle­man­de, édi­tée par Christiana-Verlag, sor­ti­ra en librai­rie en février et une ver­sion anglai­se sera bien­tôt dispo­ni­ble.

Voici com­ment Livio Melina, qui pré­si­dait jusqu’à il y a peu l’Institut Jean-Paul II pour les Etudes sur le Mariage et la Famille, a pré­sen­té le con­te­nu de ce vade­me­cum à la revue ita­lien­ne “Tempi”.

Nous repro­dui­sons ci-dessous la par­tie cen­tra­le de sa pré­sen­ta­tion, cel­le qui tou­che au cœur de la con­tro­ver­se. En inter­pré­tant et en appli­quant Amoris Laetitia com­me indi­qué ci-dessous, les “dubia” pré­sen­tés aux pape François par qua­tre car­di­naux, tou­jours sans répon­se à l’heu­re actuel­le, n’ont plus de rai­son d’ê­tre.

Une rai­son de plus pour réflé­chir avec sérieux sur les argu­men­ts avan­cés dans ce vade­me­cum. Si les nom­breux évê­ques restés silen­cieux jusqu’à main­te­nant fai­sa­ient de même et l’of­fra­ient en tant que ligne direc­tri­ce à leurs pro­pres prê­tres et fidè­les, la con­tro­ver­se qui déchi­re actuel­le­ment l’Eglise con­naî­trait une inver­sion salu­tai­re.

Saint Ignace lui-même n’admettait aucune exception en la matière

par Livio Melina

Livio Melina, pro­fes­seur de théo­lo­gie mora­le et ancien pré­si­dent de l’Institut

L’intégration à la plei­ne com­mu­nion des per­son­nes qui vivent mar­qués par un amour bles­sé et éga­ré (AL 291) ne peut en aucun cas être con­fon­du avec une sim­ple inclu­sion socia­le. Si l’on con­fond la dyna­mi­que ecclé­sia­le dont par­le Amoris Laetitia, enten­due com­me une par­ti­ci­pa­tion au mystè­re de com­mu­nion, avec une logi­que pure­ment socio­lo­gi­que, on aura alors ten­dan­ce à con­si­dé­rer tout obsta­cle à cet­te inclu­sion com­me une discri­mi­na­tion inju­ste qui vio­le un droit fon­da­men­tal et on cher­cha une solu­tion non pas dans le retour et l’ai­de à la con­ver­sion mais dans la modi­fi­ca­tion des nor­mes inju­stes.

L’intégration devra avoir pour objec­tif la regé­né­ra­tion des per­son­nes afin de pou­voir réta­blir, par exem­ple dans le cas des divor­cés qui ont con­trac­té une nou­vel­le union, une con­dui­te de vie en har­mo­nie avec le lien indis­so­lu­ble du maria­ge vali­de­ment célé­bré. C’est la rai­son pour laquel­le il ne fau­dra jamais par­ler de “situa­tions irré­ver­si­bles”.

A l’op­po­sé d’u­ne con­cep­tion indi­vi­dua­li­ste et spi­ri­tua­li­ste d’u­ne “égli­se invi­si­ble” dans laquel­le tout se résou­drait dans le for inson­da­ble de la con­scien­ce pri­vée, les auteurs rap­pel­lent les cri­tè­res objec­tifs d’ap­par­te­nan­ce au Corps du Christ: la con­fes­sion publi­que de la même foi, la com­mu­nion visi­ble avec l’Eglise et la con­dui­te d’u­ne vie en har­mo­nie avec les sacre­men­ts.

Dans ce sens, chez les divor­cés mariés entrés dans une secon­de union, ce qui s’op­po­se à la plei­ne inté­gra­tion – y com­pris eucha­ri­sti­que – ce n’e­st pas tant “l’é­chec” du maria­ge vali­de­ment célé­bré que la secon­de union con­trac­tée en con­tra­dic­tion avec le lien sacra­men­tel indis­so­lu­ble. […] C’est la rai­son pour laquel­le la fer­me réso­lu­tion de sor­tir d’u­ne situa­tion en con­tra­dic­tion objec­ti­ve avec le lien con­ju­gal vali­de­ment con­trac­té est une con­di­tion néces­sai­re à la vali­di­té de l’ab­so­lu­tion sacra­men­tel­le.

Le for sacra­men­tel ne peut en effet pas se rédui­re à une sim­ple légi­ti­ma­tion de la con­scien­ce indi­vi­duel­le, qui peut être dans l’er­reur, mais devrait plu­tôt con­si­ster en une aide à la con­ver­sion en vue d’u­ne inté­gra­tion authen­ti­que au Corps visi­ble de l’Eglise selon les exi­gen­ces de cohé­ren­ce entre pro­cla­ma­tion de la foi et con­dui­te de vie.

C’est dans ce sens qu’on trou­ve une expli­ca­tion des notes 336 et 351, respec­ti­ve­ment aux numé­ros 300 et 305 d’Amoris Laetitia, ce qui mon­trent bien la con­ti­nui­té avec le magi­stè­re pré­cé­dent de l’Eglise et plus par­ti­cu­liè­re­ment avec Familiaris con­sor­tio n. 84 et Sacramentum Caritatis n. 29. La nou­veau­té que le docu­ment du Pape François appor­te à la pasto­ra­le ecclé­sia­ble c’e­st que la misé­ri­cor­de ne con­si­ste pas en une sim­ple com­pas­sion émo­ti­ve et ne peut pas non plus se con­fon­dre avec une tolé­ran­ce com­pli­ce du mal mais qu’el­le est une invi­ta­tion– tou­jours gra­tui­te­ment et géné­reu­se­ment pro­po­sée à la liber­té — à une pos­si­bi­li­té d’un retour à Dieu qui ait la natu­re d’u­ne iti­né­rai­re sacra­men­tel et ecclé­sial.

En ce qui con­cer­ne le discer­ne­ment, il ne peut avoir com­me objet ni l’é­tat de grâ­ce des per­son­nes, pui­sque l’Eglise esti­me que seul Dieu est à même d’en juger (cfr. Concile de Trente, DH 1534) ni la capa­ci­té à obser­ver les com­man­de­men­ts de Dieu pour laquel­le la grâ­ce néces­sai­re est tou­jours don­née à celui qui la deman­de (Concile de tren­te, DH 1536). Le juge­ment de l’Eglise de ne pas admet­tre à l’eu­cha­ri­stie les divor­cés civi­le­ment rema­riés ou coha­bi­tant ne revient pas à poser sur eux le juge­ment qu’ils vivent en état de péché mor­tel: il s’a­git plu­tôt d’un juge­ment sur leur état de vie qui se trou­ve en con­tra­dic­tion objec­ti­ve avec le mystè­re de l’u­nion fidè­le entre le Christ et son Eglise.

Refusant tout indi­vi­dua­li­sme et spi­ri­tua­li­sme, la tra­di­tion magi­sté­riel­le de l’Eglise a tou­jours affir­mé la réa­li­té publi­que et sacra­men­tel­le du maria­ge et de l’eu­cha­ri­stie: pour y accé­der, ne pas avoir con­scien­ce de se trou­ver en état de péché mor­tel est une con­di­tion sub­jec­ti­ve néces­sai­re mais non pas suf­fi­san­te.

Les auteurs rap­pel­lent oppor­tu­né­ment com­ment Saint Ignace de Loyola, pas­sé maî­tre dans le discer­ne­ment des espri­ts, affir­mait qu’il y avait deux cho­ses sur lesquel­les il était impos­si­ble d’y avoir un discer­ne­ment: sur la pos­si­bi­li­té de poser des actes mau­vais déjà con­dam­nés par les com­man­de­men­ts de Dieu et sur la fidé­li­té à un choix de vie déjà posé scel­lé par un sacre­ment ou par une pro­mes­se publi­que. En outre, le com­man­de­ment “tu ne com­met­tras pas l’a­dul­tè­re” n’a jamais été con­si­dé­ré com­me un sim­ple con­seil par l’Eglise mais bien com­me un pré­cep­te de Dieu qui n’ad­met aucu­ne excep­tion.

En pre­mier lieu, il con­vient de discer­ner le désir de l’in­di­vi­du lui-même par rap­port à l’eu­cha­ri­stie: est-ce que je dési­re véri­ta­ble­ment com­mu­nier avec le Christ, dont on ne peut dis­so­cier l’en­ga­ge­ment à mener une vie con­for­me à son ensei­gne­ment, ou bien est-ce que je dési­re autre cho­se? L’eucharistie n’a jamais été un droit pour per­son­ne et, s’a­gis­sant d’un sacre­ment de l’Eglise, il ne s’a­git en aucun cas d’u­ne sim­ple que­stion pri­vée qui se joue­rait “entre moi et Jésus”.

En second lieu, le lien matri­mo­nial peut fai­re l’o­b­jet du discer­ne­ment. Il doit por­ter sur des démar­ches con­crè­tes vers un che­min de retour à une for­me de vie con­for­me à l’Evangile: la récon­ci­lia­tion est-elle pos­si­ble?

Défendre le lien matri­mo­nial c’e­st non seu­le­ment être fidè­le à la paro­le de Jésus mais c’e­st aus­si défen­dre les plus fai­bles et ceux qui sont sans défen­se. La véri­fi­ca­tion peut éga­le­ment por­ter sur l’o­bli­ga­tion de rom­pre l’u­nion non-conjugale dans laquel­le on s’en­ga­gé et discer­ner s’il sub­si­ste des “rai­sons gra­ves” pour éven­tuel­le­ment la main­te­nir.  Enfin, le discer­ne­ment peut éga­le­ment por­ter sur les façons d’ar­ri­ver à vivre l’ab­sti­nen­ce et de pou­voir se rele­ver en cas d’é­ven­tuel­le rechu­te.

L’objectif du discer­ne­ment n’e­st pas de con­tour­ner les lois par des excep­tions mais de trou­ver un che­min de con­ver­sion réa­li­ste avec l’ai­de et la grâ­ce de Dieu.

D’après un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à l’Espresso, publié sur Settimo Cielo et tra­duit de l’i­ta­lien avec l’au­to­ri­sa­tion de l’au­teur.

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