… Alors que les catholiques, de leur côté, construisaient des églises laides comme des casernes communistes.
Pouvez-vous imaginer le camarade Staline assister à la messe ? Ca m’est pourtant arrivé dans l’un de ces églises à « l’architecture » contemporaine (et j’emploie les guillemets à dessein, le nom de cet art étant abusif dans le cas présent) dans une débauche de béton armé apparent, d’aluminium, de verre, de tubes néon, de mobilier abstrait avec, sur le toit, une cloche juchée sur un pylône industriel en fer. Tout cela au nom d’un paupérisme démagogique, d’une « Eglise des pauvres » fleurant bon les années septante. Vous avez certainement en tête l’un ou l’autre exemple d’une de ces horreurs, ce qui vous permettra de mieux comprendre ce dont je parle.
Pendant la célébration de la messe, une malicieuse distraction m’a fait penser au métro de Moscou. De tous les métros du monde, celui-ci présente une particularité unique : alors que partout ailleurs on ne se préoccupe que de l’aspect fonctionnel des choses avec des stations purement utilitaires, il n’en va pas de même pour la capitale russe. Ici, chaque station – elles sont toutes différentes – est un véritable festival de colonnes, de chapiteaux, de mosaïques, de peintures murales, de stucs, de statues en marbre et en bronze, de lustres gigantesques en métal précieux, de plafonds recouverts de fresques et de vitraux. Ce n’est pas un hasard si ces lieux sont protégés en tant que patrimoine national. Quand on y entre, on n’a pas l’impression d’être dans une station de transport public mais plutôt dans une fastueuse cathédrale souterraine.
Je veux un métro si majestueux qu’il étonne et fascine tous ses usagers
Et c’est exactement le résultat que voulait obtenir Staline quand, à l’aube des années trente, il convoqua les meilleurs architectes du régime pour leur tenir un discours dont la teneur nous est parvenue grâce à des documents de l’époque qui étaient jusqu’il y a peu enfouis dans des archives inaccessibles qui, depuis la chute humiliante de l’empire soviétique, sont consultables par les chercheurs. Le despote déclara donc, en substance, à ses architectes : « toutes les grandes villes du capitalisme ont leur réseau de métro. Il est temps que la capitale des Soviets ait le sien. Cependant, moi j’en veux un très spécial dans lequel chaque station soit, sans qu’on regarde à la dépense, si majestueuse qu’elle étonne et fascine tous les usagers. Je ne veux pas seulement qu’il s’agisse d’un chef d’œuvre d’ingénierie mais bien d’un chef d’œuvre artistique d’un faste tel qu’il laisse les gens pantois ».
Comme on le sait, obéir sans discuter avec un zèle servile était le seul moyen de sauver sa peau quand il s’agissait de lui et de ses féroces forces de police secrètes. Aucun des architectes convoqués n’osa donc piper mot mais le dictateur, dans un élan de condescendance magnanime, accepta toutefois d’apporter une réponse aux questions qu’il lisait sur le visage interloqué de ses auditeurs. Voici ses explications : « Je sais qu’au fond de vous, vous vous demandez pourquoi je vous ordonne de multiplier le coût des travaux, non seulement par les décorations et les œuvres d’art mais également par la taille des gigantesques excavations. En fait, je veux que chaque station soit aussi vaste qu’une cathédrale. Voilà à quoi je pense : aux cathédrales.
Je veux que les ouvriers puissent jouir d’une beauté qui compense celle qu’ils ont perdue
Comme vous le savez, nous avons arraché les peuples de l’Union Soviétique aux superstitions religieuses, nous avons fermé ou détruit toutes les églises, nous avons remisé les icônes dans des dépôts des musées, fondu les cloches, transformé l’or des objets du culte en pièces de monnaie. Mais je sais que les travailleurs sont nostalgiques de l’époque où, au moins une fois par semaine, ils pouvaient quitter la laideur de leurs maisons pour la splendeur des églises, et que, pendant de longues liturgies, ils pouvaient être entourés par la beauté, un peu comme des rois dans leur palais.
Et bien voilà : je veux répondre à cette nostalgie, je veux l’affronter en permettant aux ouvrier de jouir, deux fois par jour, d’une beauté qui compense celle qu’ils ont perdue. Aller et revenir du travail leur semblera pareil à la fréquentation des plus belles cathédrales que nous avons fait fermer ou abattre. Même le nouvel homme nouveau communiste a besoin de beauté et nous la lui offrirons non pas dans ces églises anachroniques mais dans les sous-sols de Moscou, dans les stations de métro de la capitale du communisme mondial ».
Staline, comme on le sait, a longtemps été séminariste de l’Eglise orthodoxe de Géorgie, il connaissait donc son affaire et il savait bien – à la différence de ces catholiques « socialement engagés » d’il y a quelques décennies qui l’avaient oublié – que les pauvres ne se sont jamais scandalisés, à aucune époque et en aucun lieu, de la richesse, voire du faste des églises mais qu’ils l’ont toujours considéré comme un de leurs droits. Le droit de profiter eux aussi d’une beauté qui ne soit pas réservée aux privilégiés de ce monde mais qui soit ouverte à tous ; le droit, au moins une fois par semaine, de se sentir entouré d’œuvres d’art et d’objets précieux.
Aujourd’hui l’Etat ne détruit plus les belles églises mais on en construit des horribles
Aujourd’hui, en revanche, voici la situation dans laquelle nous nous trouvons : l’Etat ne démolit plus les églises mais, dans les banlieues, les évêques, les prêtres et les religieux en construisent parfois de nouvelles. Enfantant, dans la majorité des cas, l’une de ces horreurs repoussantes que nous connaissons bien, où la beauté est absente non seulement à cause de l’incompétence des architectes et du manque de vrais artistes (il y a aussi un peu de cela) mais aussi, trop souvent, par choix délibéré, par obéissance à une certaine idéologie cléricale.
Sous Staline, les russes avaient au moins la consolation des stations-cathédrales alors qu’aujourd’hui il ne nous reste, en guise de temples, que des « lieux de dialogue, de débat, de socialisation ». Des fonctions pour lesquelles on peut se contenter d’un hangar, d’un cabanon ou d’une pièce nue.
D’après un article de Vittorio Messori publié en italien sur Vivaio en décembre 2014.