La multiplication des euros à la messe

Un dialogue lucratif avec le Messie

Antonio Margheriti

Antonio Margheriti

Aujourd’hui je suis allé à la mes­se avec cinq euros en poche.  Le restau­rant japo­nais de la veil­le m’avait rap­pe­lé une tra­di­tion de mon enfan­ce et des années 1980 en Italie lorsqu’il était d’usage de rece­voir ses invi­tés avec une peti­te gout­te, bien avant que les mora­li­stes et autres bien-pensants hygié­ni­stes ne s’en mêlent.  C’était l’âge d’or de la légen­dai­re liqueur Strega et je m’étais mis en tête d’en ache­ter une bou­teil­le au super­mar­ché du coin.  Sauf qu’en décou­vrant qu’elle était affi­chée au prix exor­bi­tant de 11,90 €, je me suis dit que j’allais plu­tôt ache­ter quel­que cho­se pour dîner et j’en ai pro­fi­té pour pren­dre un paquet de dix ciga­ret­tes au pas­sa­ge.  Conclusion, je suis arri­vé à la mes­se avec à peu près 2,70 € en poche.

Quand vint le moment de la col­lec­te, je me sen­tis un peu cou­pa­ble de ne rien met­tre dans le panier des offran­des mais si je met­tais quel­que cho­se, com­ment fai­re pour payer mon dîner ?

Je me suis alors rap­pe­lé la mora­le d’une pré­di­ca­tion sur l’obole de la veu­ve au tem­ple: com­bien il est dif­fi­ci­le de nous sépa­rer de peu que nous avons en poche si ce peu est tout ce que nous avons (soyons hon­nê­tes, j’ai aus­si un comp­te en ban­que mais à la mai­son, c’est tout ce que j’avais) et pour­tant cet­te pau­vre veu­ve a tout don­né au tem­ple sans y pen­ser : cela repré­sen­tait si peu de cho­se, qu’est-ce qu’elle aurait de tou­te façon pu en fai­re ?  Le riche, lui, avait beau­coup d’argent sur lui et même si cela ne repré­sen­tait qu’un mil­liè­me de ce qu’il avait en cais­se, il s’est deman­dé, juste­ment par­ce qu’il avait beau­coup d’argent : « mais est-ce que ça ne fait pas un peu beau­coup ? ».  Plus on a d’argent et plus on s’y atta­che même si en offrir une par­tie ne risque cer­tai­ne­ment pas de vous met­tre sur la pail­le.

« Bon, Jésus, déso­lé hein, mais si je lais­se ces deux euros chez toi, qu’est-ce que je vais man­ger, moi, ce soir ? »

« Et depuis quand te nourris-tu de piè­ces de mon­na­ies ? »

« Oui bon, tu as com­pris ce que je vou­lais dire »

« Homme de peu de foi !  Tu es pire que Pierre : te souviens-tu de ce que je lui ai dit sur la bar­que ?  C’était le cal­me plat et dans ces con­di­tions, on ne pêche aucun pois­son.  Jette les file­ts et tu pren­dras le tri­ple de quand le cou­rant est favo­ra­ble.  Aie con­fian­ce.  Et crois-tu qu’il ait eu con­fian­ce ? »

« Et où veux-tu que j’aille pêcher, moi ?  Dans la cor­beil­le de la col­lec­te ? »

« Pauvre petit hom­me, les cho­ses maté­riel­les te font tel­le­ment peur.  Mais moi j’ai tout pou­voir sur la matiè­re, je l’ai tran­sfor­mée : j’ai chan­gé l’eau en vin et j’ai mul­ti­plié les pains et les pois­sons.  Est-ce que tu te rap­pel­les ce que disait le cher pape Benoît ?  Dieu n’enlève jamais rien, il don­ne tout, n’ayez pas peur ! »

« Ouais, il don­ne même la faim »

« Mais aus­si la satié­té, car l’homme ne se… »

«  … nour­rit pas seu­le­ment de pain, bien sûr, mais sans pain il meurt de faim quand même. »

« Ton scep­ti­ci­sme t’a sau­vé : je te ren­drai cin­quan­te fois plus »

« Nous ver­rons.  Ceci dit, ce n’est pas que je sois radin mais… »

« Tu es scep­ti­que »

« Je ne suis rien d’autre qu’un hom­me de peu de foi ! »

« Plutôt un vaga­bond »

« … et mes poches sont vides »

« … mais il te reste Dieu tout là-haut »

« Seigneur, on se croi­rait au Festival de Sanremo.  On est à la mes­se, tout de même »

Et subi­te­ment, il dispa­rut com­me il était arri­vé.  Ou plu­tôt, il demeu­ra là mais en silen­ce.

Alors que la mes­se tou­chait à sa fin, je sen­tis vibrer mon smart­pho­ne.  J’y ai discrè­te­ment jeté un rapi­de coup d’œil.  C’était une noti­fi­ca­tion d’Ebay.  J’ai véri­fié.  « Félicitations, objet ven­du. »  Pour un total de 100 euros.

C’est alors que j’ai réa­li­sé que ça cor­re­spon­dait pré­ci­sé­ment à cin­quan­te fois les deux euros que j’avais don­né à l’église.

PS :
Il n’en reste pas moins que pour dîner, j’ai déni­ché une boî­te de sau­ce ama­tri­cia­na ouver­te depuis quel­ques jours dans le fond du fri­go.  On peut dire que j’ai vrai­ment de la chan­ce.

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