Les chrétiens luttent contre la fin du monde

Voilà ce qu’ils ne com­pren­nent pas de nous autres, les catho­li­ques: nous ne nous lançons par dans des guer­res “inté­gri­stes” con­tre ceci ou cela, non ne lut­tons pas uni­que­ment pour notre sur­vie.  Nous lut­tons con­tre la mort.  Nous lut­tons con­tre la fin du mon­de. 

Une  scis­sion des savoirs?

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Antonio Margheriti

J’ai sou­vent rap­pe­lé que la frac­tu­re, par ail­leurs arti­fi­ciel­le et arti­fi­cieu­se, entre l’è­re des Lumières et l’è­re qui l’a pré­cé­dée — les siè­cles soi-disant obscu­ran­ti­stes selon la légen­de vol­tai­rien­ne — voi­re même entre l’a­vant et l’a­près Galilée était en fait en une “frac­tu­re des savoirs” qui s’af­fran­chis­sa­ient de la théo­lo­gie pour pou­voir vivre en tou­te auto­no­mie.

Je ne revien­drai pas sur ce point par­ce que j’ai réa­li­sé aujour­d’­hui que la théo­lo­gie est le som­met et la som­me de tou­te con­nais­san­ce.

Je ne le répé­te­rai pas par­ce qu’au­jour­d’­hui, je sais que l’Eglise fut un maî­tre non seu­le­ment dans le domai­ne des scien­ces sacrées mais éga­le­ment dans celui des scien­ces pro­fa­nes: tant de gran­des décou­ver­tes scien­ti­fi­ques, les chefs-d’œuvre de la beau­té, les secre­ts de la méca­ni­que et des tech­ni­ques, tout ce qu’il y a à con­naî­tre des cho­ses visi­bles et invi­si­bles et tant d’a­van­cées dans le domai­ne des scien­ces humai­nes eurent pour pro­ta­go­ni­stes des fils con­sa­crés de l’Eglise catho­li­que, des reli­gieux.

Je ne le répé­te­rai pas par­ce que je sais aujour­d’­hui que l’Eglise, avec la théo­lo­gie, n’im­po­se pas de limi­tes aux scien­ces humai­nes mais qu’au con­trai­re, elle leur ouvre tout l’u­ni­vers du pos­si­ble et même de l’im­pos­si­ble.  Si elle impo­se quel­que cho­se, c’e­st sur­tout le prin­ci­pe selon lequel en ce qui con­cer­ne la vie sur cet­te ter­re et au-delà, rien n’e­st absur­de mais tout est mystè­re qui se lais­se bien sou­vent révé­ler.

En réa­li­té, cet­te scien­ce “enfin libé­rée” par les Lumières repous­se l’autre, le mystè­re, elle se refu­se à l’im­pos­si­ble même com­me seu­le pos­si­bi­li­té de recher­che, de spé­cu­la­tion et d’ex­pé­ri­men­ta­tion pour s’en­fer­mer dans la cage du ratio­na­li­sme et du scien­ti­sme en bor­nant soi­gneu­se­ment le champ d’in­ve­sti­ga­tion auto­ri­sé à l’hom­me et en éta­blis­sant que “seul ce qui est visi­ble est réel” et que c’e­st cela “être ration­nel”.  Mais en fait, c’e­st tout sim­ple­ment du maté­ria­li­sme.  Nous savons aujour­d’­hui com­bien ce dog­me laï­ci­ste est fal­la­cieux, d’au­tant que les “ratio­na­li­stes” eux-mêmes n’y ont jamais vrai­ment cru, sinon de mau­vai­se foi.  Et nous savons com­bien l’Eglise fut laï­que dans sa recher­che du savoir et com­bien elle fut aller­gi­que à ce bigo­ti­sme qui devint ensui­te l’é­ten­dard de tous ceux qui firent l’é­lo­ge des “con­quê­tes” de la Révolution fra­nçai­se.

Il n’y a pas une épo­que chré­tien­ne et une épo­que post­chré­tien­ne

Mais c’e­st d’au­tre cho­se dont je vou­lais vous fai­re part.

On con­si­dè­re sou­vent qu’a­vant les Lumières, le mon­de et ses secre­ts, autre­ment dit tou­te l’é­ten­due des cho­ses intel­li­gi­bles et la sages­se sécu­lai­re, éta­ient émi­nem­ment chré­tiens.  Et c’é­tait effec­ti­ve­ment le cas.

Après les Lumières, en revan­che, ces mêmes cho­ses devin­rent immé­dia­te­ment “laï­ques”, c’est-à-dire auto­no­mes, immu­ni­sées et étran­gè­res au chri­stia­ni­sme et le chri­stia­ni­sme lui-même dispa­rut de l’ho­ri­zon des savoirs avant de dispa­raî­tre car­ré­ment de la sur­fa­ce de la ter­re pour se recro­que­vil­ler dans ses cha­pel­les.  La Connaissance se retrou­va donc orphe­li­ne de père et de mère, com­me si elle était issue d’u­ne sor­te de gouf­fre obscur.  La Raison, tel­le une divi­ni­té païen­ne, nais­sait par elle-même, géné­rée par le néant et par le chaos à un moment pré­cis de l’hi­stoi­re, c’est-à-dire au dix-huitième siè­cle.  Tout le reste n’é­tait qu’ob­scu­ri­té et mort, un cau­che­mar, un miroir oni­ri­que opa­le­scent.  La lumiè­re et le soleil bril­la­ient enfin à leur zénith grâ­ce à trois ou qua­tre marion­net­tes enfa­ri­nées et por­tant per­ru­que discou­rant pom­peu­se­ment à Paris de cho­ses plai­san­tes et exo­ti­ques avec une gran­de super­fi­cia­li­té, attei­gnant rare­ment leur but.

Au cours de mes étu­des, j’ai décou­vert une cho­se: il n’y a jamais eu d’è­re chré­tien­ne et d’è­re a‑chrétienne, il n’y a peu eu une épo­que où le chri­stia­ni­sme était tout et une autre où il ne serait plus nul­le part.

Il n’e­xi­ste qu’un seul temps dans lequel l’Eglise n’a jamais ces­sé d’ê­tre la pro­ta­go­ni­ste, soit qu’el­le fut la gran­de “Maîtresse” ou “L’Ennemi” public numé­ro un.

Il y eut bien une épo­que anti-chrétienne mais pas une épo­que a‑chrétienne

Avant les Lumières, il y eut effec­ti­ve­ment une épo­que tota­le­ment chré­tien­ne et, après elles, une épo­que tota­le­ment anti-chrétienne.  Et si la pre­miè­re avait pour mis­sion de for­mu­ler tou­te cho­se en ter­mes chré­tiens en se réfé­rant au Dieu Créateur, la secon­de avait pour ambi­tion de tout refor­mu­ler en ter­mes anti-chrétiens par pure oppo­si­tion avec la vision chré­tien­ne des cho­ses, dans le but de déchri­stia­ni­ser tout ce que le chri­stia­ni­sme avait appor­té aux scien­ces et à la con­nais­san­ce.  Mais le point de départ était bien le chri­stia­ni­sme et ses caté­go­ries et non pas le néant et le chaos: une croix ren­ver­sée a été plan­tée sur le chri­stia­ni­sme.

De fait, on n’a jamais autant par­lé — en bien com­me en mal — du Dieu de Jésus-Christ que depuis cet­te épo­que des Lumières au cours de laquel­le la Raison aurait, dit-on, rem­pla­cé la super­sti­tion.

Nous voyons donc com­ment l’Eglise tient en fait, que ce soit en bien ou en mal, le rôle cen­tral dans l’hi­stoi­re, qu’il s’a­gis­se de l’hi­stoi­re chré­tien­ne ou anti­chré­tien­ne: com­me Seigneur de l’hi­stoi­re ou com­me Fantasme de l’hi­stoi­re, com­me “Magistra” ou com­me “Meretrix”, dans tous les cas com­me sa prin­ci­pa­le pro­ta­go­ni­ste.  L’objectif de tou­te idéo­lo­gie domi­nan­te de l’hi­stoi­re, pas­sée com­me à venir, a tou­jours été et reste­ra tou­jours celui d’a­bat­tre le prin­ci­pal obsta­cle à son pro­pre triom­phe: le chri­stia­ni­sme, celui de Rome et les autres.  Mais c’e­st impos­si­ble.  C’est la rai­son pour laquel­le il n’y a jamais eu que de faux triom­phes et des illu­sions atro­ces, des désirs ren­ver­sés en tota­le con­tra­dic­tion avec les len­de­mains mer­veil­leux ima­gi­nés sans Dieu et con­tre Dieu, com­me si une main invi­si­ble rédui­sait cha­que fois en cen­dres la ten­ta­tion ori­gi­nel­le, cel­le qui fut tou­jours cel­le de Lucifer, cel­le d’ê­tre com­me Dieu, d’ê­tre “meil­leur que Dieu”, de se divi­ni­ser en le détrô­nant.

Christianisme, a‑christianisme, anti-christianisme, post-christianisme.  Et le Christ

Nous pou­vons résu­mer les cho­ses ain­si: il n’y a pas eu d’è­re chré­tien­ne et d’è­re a‑chrétienne, il n’e­xi­ste qu’u­ne histoi­re chré­tien­ne et une histoi­re qui s’e­st révol­tée con­tre le chri­stia­ni­sme mais dont le chri­stia­ni­sme, bien loin de nous lais­ser indif­fé­ren­ts, est tou­jours resté le moteur qui agi­te les espri­ts, que ce soit com­me exem­ple ou com­me cible.  Et com­me il n’a pas été pos­si­ble d’a­néan­tir le chri­stia­ni­sme en fai­sant suc­cé­der à l’épo­que chré­tien­ne une épo­que a‑chrétienne, c’est-à-dire une épo­que d’in­dif­fé­ren­ce et d’ou­bli, on s’e­st replié en vain sur l’épo­que anti-chrétienne, avant d’ob­te­nir enco­re une fois le résul­tat oppo­sé et échouer à nou­veau.  Aujourd’hui, nous assi­stons à un autre expé­dient, impu­ta­ble cet­te fois à la hié­rar­chie ecclé­sia­le elle-même: une épo­que post-chrétienne.  On peut tou­jours chan­ger les noms et les for­mu­les mais le but est tou­jours iden­ti­que: éra­di­quer et anéan­tir jusqu’au sou­ve­nir du chri­stia­ni­sme en Occident.  “En fai­sant tou­te cho­se nou­vel­le”.  Tout cela pue le sou­fre et le déjà-vu, la putré­fac­tion même.

Pour que la fin du monde n’arrive pas

Cette lut­te qui dure depuis 300 ans pour effa­cer le Christ de l’hi­stoi­re se fait plus vive et acti­ve que jamais et atteint aujour­d’­hui son paro­xy­sme.

On peut déchri­stia­ni­ser le mon­de tant qu’on veut mais le Christ, scan­da­le pour les juifs et folie pour les païens, est inef­faça­ble, il demeu­re gra­vé au cœur des préoc­cu­pa­tions quo­ti­dien­nes des pays les plus sécu­la­ri­sés.  Parce que sans le Christ, il n’y a pas de remè­de à l’en­nui, au vieil­lis­se­ment iné­luc­ta­ble, au tumul­te des cœurs, au mal de vivre, et à cet­te ten­ta­tion stri­den­te et per­ma­nen­te du cupio dis­sol­vi:  le désir de mort et d’a­néan­tis­se­ment.  De fait, quand le mystè­re est occul­té par l’ab­sur­de, on perd la volon­té de vivre et l’u­ni­que per­spec­ti­ve ration­nel­le qui reste c’e­st le sui­ci­de.  Ce n’e­st pas un hasard si les pays euro­péens, vieux et fati­gués, par­ti­cu­liè­re­ment ceux d’Europe du Nord, ne par­lent plus que d’u­ne cho­se désor­mais, com­me ulti­me dése­spoir: le droit de pou­voir mou­rir, d’é­tein­dre la vie.

Si vous êtes un tant soit peu atten­tifs, on ne par­le que d’a­vor­te­ment, d’eu­tha­na­sie, de sui­ci­de assi­sté, de con­tra­cep­tion, de refus de la mater­ni­té sauf com­me une expé­rien­ce de labo­ra­toi­re qui n’a plus rien à voir avec la natu­re et l’hu­ma­ni­té.  Jusqu’à l’e­sto­ca­de fina­le: la dan­se maca­bre autour du féti­che des “unions” homo­se­xuel­les, le sym­bo­le de la sté­ri­li­té, évo­ca­tri­ce de la fin de la per­pé­tua­tion de la vie et de l’ex­tinc­tion du mon­de.  Cupio dis­sol­vi: le désir de mort et d’an­nu­la­tion.

Voilà ce qu’ils ne com­pren­nent pas de nous autres, les catho­li­ques: nous ne nous lançons par dans des guer­res “inté­gri­stes” con­tre ceci ou cela, non ne lut­tons pas uni­que­ment pour notre sur­vie.  Nous lut­tons con­tre la mort.  Nous lut­tons con­tre la fin du mon­de.

Par Antonio Margheriti, d’a­près un arti­cle ori­gi­nal en ita­lien tra­duit et publié avec l’au­to­ri­sa­tion de l’au­teur.

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