Est-on homosexuel de naissance?

Par Roberto Marchesini, Psychologue et spé­cia­li­ste des que­stions du gen­re

Le Cardinal Walter Kasper lors du Synode sur la famille de 2014

Le Cardinal Walter Kasper lors du Synode sur la famil­le de 2014

On me deman­de mon avis sur l’étrange inter­view du car­di­nal Kasper (voir ici), dans laquel­le le car­di­nal accu­se cer­tains pères syno­daux de fon­da­men­ta­li­sme.

C’est cepen­dant une autre peti­te phra­se de cet­te inter­view qui a par­ti­cu­liè­re­ment frap­pé mon atten­tion : « Pour moi, cet­te ten­dan­ce est un point d’interrogation : il ne cor­re­spond pas au des­sein ori­gi­nal de Dieu et il est pour­tant une réa­li­té par­ce que l’on naît gay. »  C’est vrai­ment ce que j’ai lu: « on naît gay ».

L’Ecriture sacrée nous ensei­gne com­ment aller au ciel et non pas com­ment il tour­ne

Et en effet, dans l’édition ad expe­ri­men­tum (1992) du caté­chi­sme de l’Eglise catho­li­que, nous pou­vons lire : « Un nom­bre non négli­gea­ble d’hommes et de fem­mes pré­sen­te des ten­dan­ces homo­se­xuel­les fon­ciè­res. »  (§ 2358).  Toutefois, cet­te affir­ma­tion a été rem­pla­cée dans l’aedi­tio typi­ca (1997) par la sui­van­te : « Un nom­bre non négli­gea­ble d’hommes et de fem­mes pré­sen­te des ten­dan­ces homo­se­xuel­les pro­fon­dé­ment enra­ci­nées. »  Cette cor­rec­tion est oppor­tu­ne par­ce que l’Eglise a le droit et le devoir de s’exprimer au niveau moral et doc­tri­nal mais les que­stions scien­ti­fi­ques (dans ce cas quel­les sont les cau­ses des ten­dan­ces homo­se­xuel­les) ne relè­vent pas de sa com­pé­ten­ce.  On ne peut pas lier les fidè­les à une théo­rie scien­ti­fi­que suscep­ti­ble, par sa natu­re même, d’être dépas­sée ou con­tre­di­te.  Galilée lui-même aurait vou­lu que l’on modi­fie les Ecritures Saintes (Josué 10, 12) par­ce que ce qui y était écrit con­tre­di­sait ses théo­ries ; la répon­se que le Cardinal Bellarmino don­na alors au scien­ti­fi­que est désor­mais célè­bre : « l’Ecriture sacrée nous ensei­gne com­ment aller au ciel et non pas com­ment il tour­ne ».

Même si l’hypothèse de la cau­se bio­lo­gi­que de l’homosexualité est enco­re répan­due dans le grand public, au niveau scien­ti­fi­que elle sem­ble défi­ni­ti­ve­ment dépas­sée.

Mais c’est juste­ment sur le plan scien­ti­fi­que que l’affirmation du car­di­nal Kasper me rend per­ple­xe.  Depuis la fin des années 1950 du siè­cle der­nier, des mon­ta­gnes de temps et d’argent ont été inve­stis pour cher­cher une cau­se bio­lo­gi­que à l’homosexualité, quel­que cho­se sur la base de quoi on aurait pu affir­mer que l’on serait « homo­se­xuel de nais­san­ce ».  Au fur et à mesu­re que la tech­no­lo­gie pro­gres­sait, on a explo­ré des pos­si­bi­li­tés hor­mo­na­les, chro­mo­so­mi­ques, céré­bra­les, géné­ti­ques, épi­gé­né­ti­ques.  Le résul­tat est tou­te­fois tou­jours le même : on ne trou­ve rien.  Même si l’hypothèse de la cau­se bio­lo­gi­que de l’homosexualité est enco­re répan­due dans le grand public, au niveau scien­ti­fi­que elle sem­ble défi­ni­ti­ve­ment dépas­sée.

L’American Psychological Association, par exem­ple, a publié sur son site un docu­ment inti­tu­lé Answers to your Questions About Sexual Orientation and Homosexuality ; ce docu­ment exi­stait en deux ver­sions dont l’une n’est plus dispo­ni­ble.  La pre­miè­re ver­sion affir­mait : « La plus gran­de par­tie des scien­ti­fi­ques con­cor­de aujourd’hui pour affir­mer que l’orientation sexuel­le est plus pro­ba­ble­ment le résul­tat d’une com­ple­xe inte­rac­tion de fac­teur envi­ron­ne­men­taux, cogni­tifs et bio­lo­gi­ques. »  Actuellement l’American Psychological Association a réduit son empha­se con­cer­nant les cau­ses bio­lo­gi­ques de l’homosexualité : « Il n’y a pas de con­sen­sus par­mi les scien­ti­fi­ques con­cer­nant les rai­sons exac­tes pour lesquel­les un indi­vi­du déve­lop­pe une orien­ta­tion hété­ro­se­xuel­le, bise­xuel­le, gay ou lesbien­ne.   Malgré que de nom­breu­ses recher­ches aient exa­mi­né les pos­si­bles influen­ces géné­ti­ques, hor­mo­na­les, édu­ca­ti­ves, socia­les et cul­tu­rel­les sur l’orientation sexuel­le, il n’en est res­sor­ti aucun élé­ment pro­bant per­met­tant aux scien­ti­fi­ques de con­clu­re que l’orientation sexuel­le serait déter­mi­née par un ou plu­sieurs fac­teurs par­ti­cu­liers »  (cli­quer ici)

Ceci ne signi­fie pas qu’on ne trou­ve­ra pas un jour cet­te hypo­thé­ti­que cau­se bio­lo­gi­que mais au sta­de actuel des con­nais­san­ces scien­ti­fi­ques elle n’existe pas.  Il n’est donc pas pos­si­ble, d’un point de vue scien­ti­fi­que, d’affirmer que l’on « naît gay ».

À moins que le car­di­nal Kasper ne soit en pos­ses­sion de con­nais­san­ces exclu­si­ves qui pour­ra­ient tran­cher la que­stion de façon défi­ni­ti­ve, nous devons tri­ste­ment con­sta­ter qu’il a lan­cé une affir­ma­tion sans aucun fon­de­ment.

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