Discours du Pape François à la délégation du Forum des Associations Familiales

Le Pape François a reçu ce midi en Salle Clémentine une délégation du Forum des Associations Familiales, un organisme né en 1992 avec l’objectif de promouvoir la défense de la famille dans le monde politique en Italie.

Voici la traduction intégrale en français de son discours.

Discours du Pape François à la délégation du Forum des Associations Familiales

Salle Clémentine, Rome, le 16 juin 2018

Bonjour à tous, 

Je pensais que cela aurait été un discours de bienvenue…  Mais en entendant parler Gianluigi j’ai vu qu’il y avait du feu, quelque chose de mystique.  C’est extraordinaire : cela fait longtemps que je n’entendais plus parler de la famille avec autant de passion.  Et il faut du courage pour le faire aujourd’hui !  Il faut du courage.  Et pour cela, merci.  J’avais préparé un discours mais après la chaleur avec laquelle il a parlé, je le trouve un peu froid.  Je vous le remets pour qu’il vous le distribue après et je le publierai ensuite. 

Pendant qu’il parlait, tant de choses me sont venues à l’esprit et au cœur, tant de choses sur la famille, tant de choses qu’on ne dit pas, qu’on ne dit pas normalement ou qui, si on les dit, se disent avec beaucoup de politesse, comme s’il s’agissait d’une école sur la famille…  Il a laissé parler son cœur et c’est ainsi cela que voulez tous parler.  Je reprendrai quelques éléments qu’il a mentionné et moi aussi je voudrais parler avec mon cœur et vous dire spontanément ce qui m’est venu au cœur pendant qu’il parlait. 

Il a employé cette expression : « se regarder dans le blanc des yeux ».  L’homme et la femme, le mari et l’épouse, se regardent dans le blanc des yeux.  Je vais vous raconter une anecdote.  Pendant les audiences, j’aime bien saluer les couples qui fêtent leurs cinquante ans, leurs vingt-cinq ans de mariage… ; même quand ils viennent à la messe à Sainte-Marthe.  Un jour, il y avait un couple qui fêtait ses soixante ans de mariage.  Mais ils étaient jeunes parce qu’ils s’étaient mariés à dix-huit ans, comme autrefois.  À l’époque, on se mariait jeune.  Aujourd’hui, avant qu’un fils ne se marie…, pauvres mamans !  Mais la recette est facile : arrêter de repasser ses chemises, comme ça il se mariera vite, n’est-ce pas ?  Je me trouve donc devant ce couple, et ils me regardent…  J’ai dit : « Soixante ans !  Mais est-ce que vous vous aimez toujours autant ? ».  Et eux, qui me regardaient, ont échangé un regard entre eux et quand ils se sont à nouveau tournés vers moi, j’ai vu qu’ils avaient les yeux remplis de larmes.  Et ils m’ont dit tous les deux : « Nous sommes amoureux ».  Je ne l’oublierai jamais.  « Après soixante ans, nous sommes amoureux ».  La chaleur de la famille qui grandit, cet amour qui n’est pas une amourette de roman.  C’est le véritable amour.  Être amoureux toute la vie, avec tous les problèmes qu’il y a…  Mais être amoureux quand même. 

Après, j’ai demandé autre chose aux époux qui fêtaient leurs cinquante ou leurs soixante ans : « Que de vous deux a eu le plus de patience ? ».  C’est mathématique, la réponse est : « Tous les deux ».  C’est beau !  C’est le signe d’une vie ensemble, d’une vie à deux.  Cette patience de se supporter mutuellement. 

Et puis, aux jeunes mariés qui me disent : « Nous sommes mariés depuis un mois, deux mois… », je leur pose cette question: « Vous êtes-vous disputés? ».  Généralement, ils répondent : « Oui ».  « Alors, ça va, c’est important.  Mais c’est aussi important de ne pas terminer la journée sans faire la paix ».  S’il vous plaît, enseignez cela : il est normal de se disputer, parce que nous sommes des personnes libres et quand il y a un problème, on doit le régler.  Mais il ne faut pas finir la journée sans avoir fait la paix.  Pourquoi ?  Parce que la « guerre froide » du jour suivant est très dangereuse. 

Avec ces trois anecdotes, j’ai voulu introduire ce que je voudrais vous dire. 

La vie de famille, c’est un sacrifice mais un beau sacrifice.  L’amour c’est comme faire les pâtes : c’est tous les jours.  L’amour dans le mariage est un défi, pour l’homme et pour la femme.  Quel est le plus grand défi de l’homme?  Faire en sorte que sa femme soit encore plus femme.  Encore plus femme.  Qu’elle grandisse en tant que femme.  Et quel est le défi de la femme ?  Faire que son mari soit encore plus homme.  Et c’est ainsi qu’ils avancent tous les deux.  Qu’ils avancent. 

Une autre chose qui aide beaucoup dans la vie matrimoniale, c’est la patience : savoir attendre.  Attendre.  Il y a dans la vie des situations de crise – de crises graves et mauvaises – où des moments d’infidélité finissent par arriver.  Quand on ne peut pas résoudre le problème qui se présente, il faut cette patience de l’amour qui attend, qui attend.  Tant de femmes – parce que c’est plus souvent la femme que l’homme, mais parfois l’homme le fait aussi – tant de femmes ont attendu en silence en regardant ailleurs, en attendant que leur mari revienne à la fidélité.  Et cela, c’est de la sainteté.  La sainteté qui pardonne tout, parce qu’elle aime.  Patience.  Beaucoup de patience, l’un et l’autre.  Si l’un est nerveux et crie, ne pas répondre en criant aussi…  Rester calme, laisser passer la tempête et puis, au bon moment, en parler. 

Il y a trois mots qui sont des paroles magiques, des paroles importantes dans le mariage.  Avant tout, « Puis-je ? » : ne pas être envahissant avec l’autre.  « Je peux ? »  Ce respect de l’un pour l’autre.  Le deuxième mot est : « Pardon ».  Demander pardon est quelque chose de très important, c’est tellement important !  Dans la vie, nous faisons tous des erreurs, tous.  « Excuse-moi, j’ai fait cela… », « Excuse-moi, j’ai oublié de… »  Et cela aide à avancer.  Cela aide à faire avancer sa famille, cette capacité de demander pardon.  C’est vrai, s’excuse entraîne toujours un peu de honte, mais c’est une sainte honte !  « Pardon, j’ai oublié… » C’est une chose qui aide beaucoup à avancer.  Et le troisième mot : « Merci ».  Avoir la grandeur de cœur de toujours remercier. 

Et puis tu as parlé d’Amoris laetitia, et tu as dit : « C’est ici qu’Amoris laetitia s’incarne ».  J’ai aimé entendre cela : lisez, lisez le quatrième chapitre.  Le quatrième chapitre, c’est le véritable noyau d’Amoris laetitiaC’est vraiment la spiritualité quotidienne de la famille.  Certains ont réduit Amoris laetitia à une casuistique stérile du genre « on peut, on ne peut pas ».  Ils n’ont rien compris !  D’ailleurs, dans Amoris laetitia, on ne cache pas les problèmes, les problèmes de la préparation au mariage.  Vous qui aidez les fiancés à se préparer : il faut dire les choses clairement, n’est-ce pas ?  Clairement.  Un jour, une dame m’a dit, à Buenos Aires : « Vous les prêtres, vous êtes des petits malins… » – « Pourquoi ? »  – « Pour devenir prêtre, vous faites huit années d’étude, vous vous préparez pendant huit ans.  Et puis, si après quelques années ça ne va pas, vous écrivez une belle lettre à Rome ; et à Rome on vous donne la permission, et vous pouvez vous marier.  Par contre, à nous, vous nous donnez un sacrement pour toute la vie on doit se contenter de trois ou quatre rencontres de préparation.  Ce n’est pas juste ».  Et cette dame avait raison.  La préparation au mariage : bien sûr, il faut des rencontres, il faut expliquer les choses, mais il faut des hommes et des femmes, des amis qui leur parlent et les aident à mûrir, à mûrir leur cheminement.  Et on peut dire qu’aujourd’hui, il faut un catéchuménat pour le mariage, comme il y a un catéchuménat pour le baptême.  Préparer, aider à se préparer au mariage. 

Ensuite, un autre problème abordé par Amoris laetitia concerne l’éducation des enfants.  Ce n’est pas facile d’éduquer les enfants.  Aujourd’hui les enfants sont plus dégourdis que nous !  Dans le monde virtuel, ils en savent plus que nous.  Mais il faut les éduquer à la communauté, les éduquer à la vie de famille.  Les éduquer au sacrifice des uns pour les autres.  Ce n’est pas facile d’éduquer les enfants.  C’est un gros problème.  Et vous, qui aimez la famille, vous pouvez beaucoup aider en cela les autres familles.  La famille est une aventure, une belle aventure !  Et aujourd’hui – je le dis avec douleur – on voit si souvent qu’on commence à fonder une famille et à se marier comme si c’était une loterie : « Allons-y.  Vaille que pourra.  Si ça ne va pas, on annulera tout et on recommencera à nouveau ».  Cette superficialité sur le plus grand don que Dieu ait fait à l’humanité : la famille…  Parce qu’après le récit de la création de l’homme, Dieu montre qu’il a créé l’homme et la femme à son image et à sa ressemblance.  Et Jésus lui-même, quand il parle du mariage, dit : « L’homme quittera son père et sa mère et il deviendra une seule chair avec sa femme ».  Parce qu’ils sont à l’image et à la ressemblance de Dieu.  Vous êtes une icône de Dieu : la famille est une icône de Dieu.  L’homme et la femme : voilà l’image de Dieu.  C’est lui qui l’a dit, ce n’est pas moi qui vous le dit.  Et c’est grand, c’est sacré. 

Alors qu’aujourd’hui – je le dis avec douleur – on parle de familles « diversifiées » : différents types de famille.  Oui, c’est vrai que le mot « famille » est une analogie puisque l’on parle de la « famille » des étoiles, des « familles » des arbres, des « familles » des animaux…  c’est un mot analogique.  Mais la famille humaine comme image de Dieu, homme et femme, est unique.  Il n’y en a qu’une.  Il se peut qu’un homme et une femme ne soient pas croyants : mais si ils s’aiment et qu’ils s’unissent dans le mariage, ils sont des images et des ressemblances de Dieu, même s’ils ne croient pas.  C’est un mystère : Saint Paul le qualifie de « grand mystère », de « grand sacrement » (Cfr. Eph. 5, 32).   Un vrai mystère.  J’ai beaucoup aimé tout ce que tu as dit et la passion avec laquelle tu l’as dit.  Et c’est ainsi que l’on doit parler de la famille, avec passion. 

Une fois, il y a un an je pense, j’ai appelé un membre de ma famille qui se mariait.  Dans la quarantaine.  À la fin, j’ai dit : « Dis-moi un peu : dans quelle église vas-tu te marier » – « Nous ne savons pas encore parce que nous cherchons une église assortie à la robe que portera… – et il a dit le nom de sa fiancée – et puis il y a le problème du restaurant… ».  Vous voyez…  c’était ça l’important.  Quand ce qui est secondaire prend la place de ce qui est important.  L’important c’est de s’aimer, de recevoir le sacrement, d’avancer… ; et ensuite de faire toutes les fêtes qu’on veut, toutes. 

Une fois j’ai rencontré un couple marié depuis dix ans, sans enfant.  C’est très délicat d’en parler parce que souvent on veut des enfants mais ils ne viennent pas, pas vrai ?  Je ne savais pas comment aborder le sujet.  Et puis, j’ai appris qu’ils ne voulaient pas d’enfants.  Mais par contre, ils avaient trois chiens et deux chats à la maison…  C’est bien d’avoir un chien, un chat, c’est bien…  Ou bien quand parfois tu les entends te dire : « Oui, oui, mais pour les enfants pas encore parce qu’on doit acheter une maison à la campagne, et puis voyager… »  Les enfants sont le plus grand cadeau.  Les enfants qu’on accueille comme ils viennent, comme Dieu les envoie, comme Dieu le permet – même si parfois ils sont malades.  J’ai entendu dire que c’était la mode – ou à tout le moins habituel – de faire certains examens dans les premiers mois de grossesse, pour voir si l’enfant a un souci ou s’il va naître avec un problème…  La première chose que l’on propose dans ce cas c’est: « On le fait partir ? ».  L’homicide des enfants.  Et pour avoir une vie tranquille, on élimine un innocent. 

Quand j’étais enfant, la maîtresse nous enseignait l’histoire et nous racontait ce que faisaient les spartiates quand un enfant naissait avec des malformations : ils l’emmenaient sur une montagne et le précipitaient en bas, pour préserver « la pureté de la race ».  Et nous étions scandalisés : « Mais comment, comment est-ce qu’on peut faire ça, pauvres enfants ! ».  C’était une atrocité.  Aujourd’hui on fait pareil.  Vous êtes-vous demandés pourquoi on ne voit plus beaucoup de nains en rue ?  Parce que le protocole de beaucoup de médecins – beaucoup, pas tous – c’est de poser la question : « On le fait partir ? ».  Je le dis avec douleur.  Au siècle dernier, le monde entier se scandalisait devant ce que faisaient les nazis pour préserver la pureté de la race.  Aujourd’hui, on fait pareil, mais en gants blancs. 

La famille, l’amour, la patience, la joie, et passer du temps en famille.  Tu as parlé de quelque chose qui est dommage : qu’il n’y a plus la possibilité de « perdre du temps » parce qu’aujourd’hui, pour réussir, il faut avoir deux emplois, parce que la famille n’est pas prise en compte.  J’ai aussi parlé des jeunes qui ne peuvent pas se marier parce qu’il n’y a pas de travail.  La famille est menacée par le manque de travail. 

Enfin, je voudrais conclure par un conseil qu’un professeur m’a donné un jour – il nous l’a donné à l’école -, c’était un professeur de philosophie, le doyen.  J’étais au séminaire, en cycle de philosophie.  Il y avait au programme le thème de la maturité humaine, on étudie ça en philosophie.  Et il a dit : « Quel  est le critère habituel pour savoir si un homme, si un prêtre est mature ? ».  On a répondu deux ou trois choses…  Et il a dit : « Non, c’est beaucoup plus simple : une personne adulte, un prêtre, est mature s’il est capable de jouer avec les enfants ».  C’est cela le test.  Et je vous le dis : passez du temps avec les enfants, passez du temps avec vos fils et vos filles, jouez avec vos enfants.  Ne leur dites pas : « Ne me dérange pas ! ».  J’ai une fois entendu un jeune père de famille dire : « Père, quand je vais au travail, ils dorment.  Quand je reviens, ils dorment ».  C’est la croix de cet esclavage d’une façon injuste de travailler que la société nous apporte aujourd’hui. 

J’ai dit que c’était la dernière chose.  En fait, c’était l’avant-dernière.  La dernière, je vous la dis maintenant, parce que je ne veux pas l’oublier.  J’ai parlé des enfants comme d’un trésor de promesse.  Mais il y a un autre trésor dans la famille : ce sont les grands-parents.  S’il vous plaît, prenez soin de vos grands-parents !  Faites parler les grands-parents, faites que les enfants parlent avec les grands-parents.  Cajolez vos grands-parents, et qu’ils parlent avec les enfants. 

Merci à tous.  Merci pour la passion, merci pour l’amour que vous avez pour la famille.  Merci pour tout !  Et en avant avec courage !  Merci ! 

Maintenant, avant de vous donner la bénédiction, prions la Sainte Vierge : « Ave Maria… » 

 Source: vatican.va

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