Le cardinal Müller critique le Synode sur l’Amazonie

Ce tex­te est la tra­duc­tion d’un arti­cle tra­duit de l’al­le­mand par la jour­na­li­ste Jeanne Smits. Elle rap­pel­le que le car­di­nal Müller est un car­di­nal élec­teur, qui en tou­te logi­que – s’il n’a­vait été évin­cé de la Congrégation pour la Doctrine de la foi – devrait enco­re être à la tête de ce qui était autre­fois le Saint-Office, gar­dien du magi­stè­re et du dépôt de la foi. Le car­di­nal a publié ce tex­te dans un jour­nal alle­mand, Die Tagespost, sous for­me de tri­bu­ne. Cette cri­ti­que d’un docu­ment assu­mé par le Vatican et qui doit ser­vir de base aux discus­sions du syno­de en octo­bre s’a­dres­se à tout un cha­cun.

Sur le concept de la Révélation tel qu’on le trouve dans l’“Instrumentum Laboris” pour le Synode sur l’Amazonie

Par le Cardinal Gerhard Müller

1. Sur la méthode de l’“Instrumentum Laboris” (IL)

Personne ne pen­se­rait à remet­tre en que­stion la bon­ne volon­té de ceux qui sont impli­qués dans la pré­pa­ra­tion et la mise en œuvre du syno­de pour l’Eglise en Amazonie, ni leur inten­tion de tout fai­re pour pro­mou­voir la foi catho­li­que par­mi les habi­tan­ts de cet­te gran­de région et ses pay­sa­ges fasci­nan­ts.

La région ama­zo­nien­ne doit ser­vir pour l’Eglise et pour le mon­de « com­me une pars pro toto, com­me un para­dig­me, com­me une espé­ran­ce pour le mon­de entier » (IL 37). Déjà, cet­te défi­ni­tion de la tâche à accom­plir mon­tre l’i­dée d’un déve­lop­pe­ment « inté­gral » de tous les hom­mes dans notre uni­que mai­son de la ter­re, dont l’Eglise se décla­re respon­sa­ble. Cette idée se retrou­ve enco­re et enco­re dans l’Instrumentum Laboris (IL). Le tex­te lui-même est divi­sé en trois par­ties : 1) La voix de l’Amazonie ; 2) L’écologie inté­gra­le : Le cri de la ter­re et des pau­vres ; 3) Une Eglise pro­phé­ti­que en Amazonie : Défis et espoir. Ces trois par­ties sont con­strui­tes selon le sché­ma qu’u­ti­li­se aus­si la Théologie de la Libération : Voir la situa­tion – juger à la lumiè­re des évan­gi­les – agir en vue de l’é­ta­blis­se­ment de meil­leu­res con­di­tions de vie.

2. Ambivalence dans la définition des termes et des objectifs

Comme il arri­ve sou­vent lors de la rédac­tion de tels tex­tes selon la tech­ni­que de l’atelier, il y a tou­jours des équi­pes de per­son­nes ayant un état d’e­sprit simi­lai­re qui tra­vail­lent sur des par­tie distinc­tes, ce qui entraî­ne des redon­dan­ces fasti­dieu­ses. Si l’on enle­vait rigou­reu­se­ment tou­tes les répé­ti­tions, le tex­te pour­rait faci­le­ment être réduit à la moi­tié de sa lon­gueur, voi­re moins.

Mais le prin­ci­pal pro­blè­me n’e­st pas la lon­gueur quan­ti­ta­ti­ve­ment exces­si­ve, mais le fait que les ter­mes clefs ne sont pas cla­ri­fiés et qu’ils sont uti­li­sés à l’excès : qu’est-ce qu’un che­min syno­dal, qu’est-ce que le déve­lop­pe­ment inté­gral, qu’est-ce qu’u­ne Eglise sama­ri­tai­ne, mis­sion­nai­re, syno­da­le et ouver­te, ou une Eglise ten­dant la main, l’Eglise des pau­vres, l’Eglise de l’Amazone, et plus ? Cette Eglise est-elle dif­fé­ren­te du Peuple de Dieu ou doit-elle être com­pri­se sim­ple­ment com­me la hié­rar­chie du Pape et des évê­ques, ou en fait-elle par­tie, ou se trouve-t-elle du côté oppo­sé, celui du peu­ple ? Le Peuple de Dieu est-il un ter­me socio­lo­gi­que ou théo­lo­gi­que ? N’est-ce pas plu­tôt la com­mu­nau­té des fidè­les qui, avec leurs ber­gers, sont en pèle­ri­na­ge vers la vie éter­nel­le ? Est-ce aux évê­ques d’en­ten­dre le cri du peu­ple, ou est-ce Dieu qui, com­me Il l’a fait avec Moïse pen­dant la cap­ti­vi­té d’Israël en Egypte, dit aujourd’hui aux suc­ces­seurs des Apôtres de con­dui­re les fidè­les hors du péché et en dehors de l’im­pié­té du natu­ra­li­sme sécu­la­ri­ste et de l’im­ma­nen­ce à son salut dans la Parole de Dieu et dans les Sacrements de l’Eglise ?

3. L’herméneutique à l’envers

L’Eglise du Christ a‑t-elle été pla­cée par son Fondateur com­me une sor­te de matiè­re pre­miè­re entre les mains des évê­ques et des papes, dont ils peu­vent aujourd’hui – éclai­rés par le Saint Esprit – assu­rer la recon­struc­tion pour en fai­re un instru­ment actua­li­sé, avec des objec­tifs sécu­liers ?
La struc­tu­re du tex­te affi­che un revi­re­ment radi­cal dans l’her­mé­neu­ti­que de la théo­lo­gie catho­li­que. La rela­tion entre l’Ecriture Sainte et la Tradition Apostolique, d’u­ne part, et le Magistère de l’Eglise, d’au­tre part, a été clas­si­que­ment défi­nie pour mon­trer que la Révélation est plei­ne­ment con­te­nue dans l’Ecriture Sainte et la Tradition, tan­dis qu’il appar­tient au Magistère – uni au sens de la foi de l’en­sem­ble du peu­ple de Dieu – de fai­re des inter­pré­ta­tions authen­ti­ques et infail­li­bles. Ainsi, l’Ecriture Sainte et la Tradition sont des prin­ci­pes con­sti­tu­tifs de la con­nais­san­ce pour la Profession de Foi catho­li­que et sa réfle­xion théologico-académique. Le Magistère, en revan­che, ne s’active que de maniè­re inter­pré­ta­ti­ve et régu­la­tri­ce (Dei Verbum 8–10 ; 24).

Dans le cas de l’IL, cepen­dant, c’e­st exac­te­ment le con­trai­re. Toute sa réfle­xion tour­ne de maniè­re cir­cu­lai­re et auto­ré­fé­ren­tiel­le autour des docu­men­ts les plus récen­ts du Magistère du pape François, meu­blés de quel­ques réfé­ren­ces à Jean-Paul II et Benoît XVI. Les Saintes Ecritures sont peu citées, et les Pères de l’Eglise pre­sque pas du tout, et enco­re d’u­ne maniè­re pure­ment illu­stra­ti­ve, et dans le but de sou­te­nir des con­vic­tions qui exi­stent déjà pour d’au­tres rai­sons. Peut-être veut-on ain­si mani­fe­ster une fidé­li­té par­ti­cu­liè­re envers le Pape, ou se croit-on capa­ble d’é­vi­ter les défis du tra­vail théo­lo­gi­que en se réfé­rant con­stam­ment à ses mots-clefs con­nus et sou­vent répé­tés, que les auteurs appel­lent – d’u­ne maniè­re assez brouil­lon­ne – « son man­tra » (IL 25). Cette fla­gor­ne­rir est alors por­tée à son com­ble lor­sque les auteurs ajou­tent – à la sui­te de leur décla­ra­tion selon laquel­le « les suje­ts actifs de l’in­cul­tu­ra­tion sont les peu­ples indi­gè­nes eux-mêmes » (IL 122) – cet­te for­mu­la­tion étran­ge : « Comme l’a affir­mé le Pape François, la grâ­ce sup­po­se la cul­tu­re. » Comme si c’était lui qui avait décou­vert cet axio­me — qui est bien évi­dem­ment un axio­me fon­da­men­tal de l’Eglise catho­li­que elle-même. Dans sa ver­sion ori­gi­na­le, c’e­st la grâ­ce qui pré­sup­po­se la natu­re, tout com­me la foi pré­sup­po­se la rai­son (voir Thomas d’Aquin, S. th. I q.1 a.8).

Outre la con­fu­sion des rôles entre celui Magistère d’un côté et de l’Ecriture Sainte de l’au­tre, l’Instrumentum labo­ris va même jusqu’à affir­mer qu’il exi­ste de nou­vel­les sour­ces de Révélation. L’IL 19 affir­me : « Nous pou­vons dire que l’Amazonie – ou tout autre espa­ce ter­ri­to­rial indi­gè­ne ou com­mu­nau­tai­re – n’e­st pas seu­le­ment un ubi (un espa­ce géo­gra­phi­que), mais que c’e­st aus­si un quid, c’est-à-dire, un lieu de sens pour la foi ou l’ex­pé­rien­ce de Dieu dans l’hi­stoi­re. Le ter­ri­toi­re est un lieu théo­lo­gi­que depuis lequel on vit la foi, c’e­st aus­si une sour­ce sin­gu­liè­re de révé­la­tion de Dieu. Ces espa­ces sont des épi­pha­nies où se mani­fe­ste la réser­ve de vie et de sages­se pour la pla­nè­te, une vie et une sages­se qui par­lent de Dieu. »

Si ici un ter­ri­toi­re déter­mi­né est pré­sen­té com­me « sour­ce par­ti­cu­liè­re de la Révélation de Dieu », alors il faut dire qu’il s’a­git d’un faux ensei­gne­ment, dans la mesu­re où depuis 2000 ans, l’Eglise catho­li­que a ensei­gné infail­li­ble­ment que l’Ecriture Sainte et la Tradition Apostolique sont les seu­les sour­ces de Révélation et que l’hi­stoi­re ne peut plus ajou­ter de Révélation. Comme le dit Dei Verbum, « nous n’at­ten­dons plus de nou­vel­le révé­la­tion publi­que » (4). Les Saintes Ecritures et la Tradition sont les seu­les sour­ces de la Révélation, com­me l’ex­pli­que Dei Verbum (7) : « Cette sain­te Tradition et la Sainte Ecriture de l’un et l’autre Testament sont donc com­me un miroir où l’Eglise en son che­mi­ne­ment ter­re­stre con­tem­ple Dieu, dont elle reçoit tout jusqu’à ce qu’elle soit ame­née à le voir face à face tel qu’il est. » « La sain­te Tradition et la Sainte Ecriture con­sti­tuent un uni­que dépôt sacré de la Parole de Dieu, con­fié à l’Eglise » (Dei Verbum 10).

Outre ces décla­ra­tions et réfé­ren­ces frap­pan­tes, l’or­ga­ni­sa­tion Rete Ecclesiale Panamazzonica (REPAM) – qui a été char­gée de la pré­pa­ra­tion de l’IL et qui a été fon­dée pré­ci­sé­ment à cet­te fin en 2014 – ain­si que leurs auteurs, tenan­ts de ce qu’on appel­le la Theologia india (théo­lo­gie indien­ne), se citent eux-mêmes le plus sou­vent.

Il s’a­git d’u­ne socié­té fer­mée de per­son­nes ayant abso­lu­ment la même vision du mon­de, com­me on peut faci­le­ment le voir sur la liste des noms des per­son­nes ayant par­ti­ci­pé à des réu­nions pré-synodales à Washington et à Rome : elles con­tien­nent un nom­bre dispro­por­tion­né d’Européens de lan­gue alle­man­de.

Elle est à l’a­bri des objec­tions sérieu­ses, par­ce que celles-ci ne peu­vent se fon­der que sur le doc­tri­na­li­sme et le dog­ma­ti­sme mono­li­thi­ques, ou le ritua­li­sme (IL 38 ; 110 ; 138), ain­si que sur le clé­ri­ca­li­sme inca­pa­ble de dia­lo­gue (IL 110), et sur la pen­sée rigi­de des Pharisiens et sur l’orgueil de la rai­son du côté des scri­bes. Ce serait une per­te de temps et un gaspil­la­ge d’ef­forts que de discu­ter avec de tel­les per­son­nes.

Toutes n’ont pas l’ex­pé­rien­ce de l’Amérique du Sud ; elles ne sont pré­sen­tes que par­ce qu’el­les pen­sent être en con­for­mi­té avec la ligne offi­ciel­le, et par­ce qu’el­les con­trô­lent les thè­mes du che­min syno­dal de la Conférence épi­sco­pa­le alle­man­de et du Comité cen­tral des catho­li­ques alle­mands (abo­li­tion du céli­bat, la pré­sen­ce des fem­mes dans le sacer­do­ce et dans les postes clefs du pou­voir con­tre le clé­ri­ca­li­sme et le fon­da­men­ta­li­sme, adap­ta­tion de la mora­le sexuel­les révé­lées à l’idéologie du gen­re et à la valo­ri­sa­tion des pra­ti­ques homo­se­xuel­les) – ce che­min syno­dal qui est mis en œuvre actuel­le­ment.

J’ai moi-même été actif dans le domai­ne pasto­ral et théo­lo­gi­que au Pérou et dans d’au­tres pays pen­dant 15 années con­sé­cu­ti­ves, sur des pério­des de 2 à 3 mois à cha­que fois. C’était prin­ci­pa­le­ment dans des parois­ses et des sémi­nai­res d’Amérique du Sud, par con­sé­quent le juge­ment que je por­te main­te­nant n’émane pas d’une per­spec­ti­ve pure­ment euro­cen­tri­que, com­me cer­tains se plai­ra­ient volon­tiers à me le repro­cher.

Tout catho­li­que sera d’ac­cord avec une inten­tion impor­tan­te de l’IL, à savoir que les peu­ples de l’Amazonie ne doi­vent pas demeu­rer l’o­b­jet du colo­nia­li­sme et du néo­co­lo­nia­li­sme, l’o­b­jet de for­ces qui ne pen­sent qu’au pro­fit et au pou­voir, au prix du bon­heur et de la digni­té d’autrui. Il est clair qu’aussi bien dans l’Eglise, la socié­té et l’Etat où vivent ces per­son­nes – en par­ti­cu­lier nos frè­res et sœurs catho­li­ques – sont des agen­ts égaux et libres dans leur vie et leur tra­vail, leur foi et leur mora­le – dans notre respon­sa­bi­li­té com­mu­ne devant Dieu. Mais com­ment y par­ve­nir ?

4. Le point de départ est la Révélation de Dieu en Jésus-Christ

Sans dou­te, l’an­non­ce de l’Evangile est-elle un dia­lo­gue, qui cor­re­spond à la Parole (Logos) de Dieu qui nous est adres­sée et à notre répon­se dans le don gra­tuit d’o­béis­san­ce à la Foi (Dei Verbum 5). Parce que la mis­sion vient du Christ Dieu-Homme et par­ce qu’Il a tran­smis sa Mission du Père à ses Apôtres, l’alternative d’u­ne appro­che dog­ma­ti­que « d’en haut » oppo­sée à une appro­che péda­go­gi­que et pasto­ra­le « d’en bas » n’a aucun sens, à moins de reje­ter « le prin­ci­pe divino-humain du soin pasto­ral” (Franz Xaver Arnold).

Mais l’hom­me est le desti­na­tai­re du man­dat mis­sion­nai­re uni­ver­sel de Jésus (Matthieu 28:19), « Le média­teur uni­ver­sel et uni­que du salut entre Dieu et l’hu­ma­ni­té tout entiè­re » (Jean 14:6 ; Actes 4:12 ; 1 Tim 2:4 et sui­van­ts). Et l’hom­me peut réflé­chir, avec l’ai­de de sa rai­son, sur le sens de la vie entre la nais­san­ce et la mort, et sa vie est ébran­lée par les cri­ses exi­sten­tiel­les de l’e­xi­sten­ce humai­ne, et il met en vie et en mort son espé­ran­ce en Dieu, l’origine et la fin de tout être.

Une cosmo­vi­sion avec ses mythes et la magie rituel­le de Mère « Nature », ou ses sacri­fi­ces aux « dieux » et aux espri­ts qui nous effra­ient pro­fon­dé­ment ou nous atti­rent par de faus­ses pro­mes­ses, ne peut con­sti­tuer une appro­che adé­qua­te pour la venue du Dieu Trinité dans sa Parole et son Esprit Saint. L’approche peut enco­re moins se résu­mer à une vision du mon­de scientifico-positiviste pro­pre à une bour­geoi­sie libé­ra­le qui n’ac­cep­te du chri­stia­ni­sme que les restes con­for­ta­bles de valeurs mora­les et de rituels civils-religieux.

Sérieusement, la con­nais­san­ce de la phi­lo­so­phie clas­si­que et moder­ne, des Pères de l’Eglise, de la théo­lo­gie moder­ne et des Conciles, sera-t-elle rem­pla­cée dans la for­ma­tion des futurs pasteurs et théo­lo­giens par la cosmo­vi­sion ama­zo­nien­ne et la sages­se des ancê­tres avec leurs mythes et rituels ?
Si l’ex­pres­sion « cosmo­vi­sion » signi­fiait sim­ple­ment que tou­tes les cho­ses créées sont inter­dé­pen­dan­tes, ce ne serait qu’un sim­ple lieu com­mun. En rai­son de l’u­ni­té sub­stan­tiel­le du corps et de l’â­me, l’hom­me se trou­ve à l’in­ter­sec­tion du « tis­su » de l’e­sprit et de la matiè­re. Mais la con­tem­pla­tion du cosmos ne doit pas être autre cho­se que l’oc­ca­sion de glo­ri­fier Dieu et son œuvre mer­veil­leu­se dans la natu­re et l’hi­stoi­re. Le cosmos, cepen­dant, ne doit pas être ado­ré com­me Dieu, mais seu­le­ment le Créateur Lui-même. Nous ne tom­bons pas à genoux devant l’é­nor­me puis­san­ce de la natu­re et devant « tous les royau­mes du mon­de et leur splen­deur » (Matthieu 4:8), mais seu­le­ment devant Dieu, « car il est écrit : tu ado­re­ras le Seigneur, ton Dieu, et tu ne le ser­vi­ras que Lui » (Matthieu 4:10). C’est ain­si que Jésus a reje­té le séduc­teur dia­bo­li­que dans le désert.

5. La différence entre l’Incarnation du Verbe et l’Inculturation elle-même comme chemin d’évangélisation

La « Theologia indi­ge­na et l’éco-théologie » (IL 98) est le fruit d’un roman­ti­sme social. La théo­lo­gie est la com­pré­hen­sion (intel­lec­tus fidei) de la Révélation de Dieu dans sa Parole dans la pro­fes­sion de foi de l’Eglise, et non le mélan­ge sans ces­se renou­ve­lé de sen­ti­men­ts du mon­de et de visions du mon­de ou de con­stel­la­tions reli­gieu­ses et mora­les du sen­ti­ment cosmi­que du tout en un, le mélan­ge de la con­scien­ce de soi et du mon­de (hen kai pan). Notre mon­de natu­rel est la créa­tion d’un Dieu per­son­nel. La foi, selon le sens chré­tien, est donc la recon­nais­san­ce de Dieu dans sa Parole éter­nel­le qui s’e­st fai­te chair ; c’e­st l’il­lu­mi­na­tion dans l’Esprit Saint, afin qu’en le Christ, nous recon­nais­sions Dieu. Avec la Foi, les ver­tus sur­na­tu­rel­les de l’e­spé­ran­ce et de la cha­ri­té nous sont com­mu­ni­quées. C’est ain­si que nous nous com­pre­nons com­me enfan­ts de Dieu qui, par le Christ, dit à Dieu dans l’Esprit Saint : « Abba, Père » (Rm 8, 15). Nous met­tons tou­te notre con­fian­ce en Lui, et Il fait de nous Ses fils, qui sont libé­rés de la peur des for­ces élé­men­ta­les du mon­de et des figu­res démo­nia­ques, dieux et espri­ts, qui nous dres­sent leurs guet-apens insi­dieux dans l’im­pré­vi­si­bi­li­té des for­ces maté­riel­les du mon­de.

L’Incarnation est un évé­ne­ment uni­que dans l’hi­stoi­re que Dieu a libre­ment déci­dé dans Sa volon­té uni­ver­sel­le de salut. Cela n’e­st pas l’inculturation, et l’in­cul­tu­ra­tion de l’Eglise n’e­st pas une incar­na­tion (IL 7;19;29;108). Ce n’e­st pas Irénée de Lyon, dans le 5e livre Adversus hae­re­se­ses (IL 113), mais Grégoire de Nazianze qui for­mu­le le prin­ci­pe : « quod non est assump­tum non est sana­tum » – ce qui n’a pas été assu­mé, n’e­st pas non plus sau­vé. (ép. 101, 32) Il s’a­git ici d’affirmer l’intégréalité de la natu­re humai­ne, con­tre Apollinaire de Laodicée (315–390) qui pen­sait que le Logos dans l’Incarnation ne pre­nait qu’u­ne natu­re, sans l’âme humai­ne. C’est pour­quoi la phra­se sui­van­te est tota­le­ment aber­ran­te : « La diver­si­té cul­tu­rel­le exi­ge une incar­na­tion plus réel­le afin d’embrasser des modes de vie et des cul­tu­res dif­fé­ren­ts. » (IL 113)

L’Incarnation n’e­st pas le prin­ci­pe de l’a­dap­ta­tion cul­tu­rel­le secon­dai­re, mais con­crè­te­ment et avant tout le prin­ci­pe du salut « com­me le sacre­ment uni­ver­sel du salut » dans le Christ (Lumen Gentium 1:48), dans la pro­fes­sion de foi de l’Eglise, dans ses sept sacre­men­ts et dans l’é­pi­sco­pat avec le Pape à sa tête, par la suc­ces­sion apo­sto­li­que.

Les rites secon­dai­res issus des tra­di­tions des peu­ples peu­vent aider à enra­ci­ner dans la cul­tu­re les sacre­men­ts, qui sont les moyens de salut insti­tués par le Christ. Ils de doi­vent cepen­dant pas deve­nir indé­pen­dan­ts, de sor­te que, par exem­ple, les cou­tu­mes du maria­ge devien­nent sou­dai­ne­ment plus impor­tan­tes que le « Oui » qui est con­sti­tu­tif du sacre­ment du maria­ge lui-même. Les signes sacra­men­tels, tels qu’ils ont été insti­tués par le Christ et les Apôtres (paro­le et sym­bo­le maté­riel), ne peu­vent être modi­fiés à aucun prix. Le bap­tê­me ne peut être vala­ble­ment admi­ni­stré autre­ment qu’au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et avec de l’eau natu­rel­le ; et dans l’Eucharistie, on ne peut rem­pla­cer par la nour­ri­tu­re loca­le le pain fait de blé et le vin de la vigne. Ce ne serait pas de l’in­cul­tu­ra­tion, mais une attein­te inad­mis­si­ble à la volon­té fon­da­tri­ce de Jésus ; et ce serait aus­si une destruc­tion de l’u­ni­té de l’Eglise en son cen­tre sacra­men­tel.

Quand l’in­cul­tu­ra­tion se réfè­re à la célé­bra­tion exté­rieu­re secon­dai­re du cul­te divin et non aux sacre­men­ts – qui ex ope­re ope­ra­to, par la Présence vivan­te du Christ, fon­da­teur et véri­ta­ble don­neur de grâ­ce, sont le signe de ces sacra­men­tels – alors la phra­se sui­van­te est scan­da­leu­se, ou du moins irré­flé­chie : « Sans cet­te incul­tu­ra­tion, la litur­gie peut être rédui­te à une “piè­ce de musée” ou à la “pro­prié­té d’u­ne poi­gnée de pri­vi­lé­giés”. » (IL 124)

Dieu n’e­st pas sim­ple­ment par­tout et éga­le­ment pré­sent dans tou­tes les reli­gions, com­me si l’Incarnation n’é­tait qu’un phé­no­mè­ne typi­que­ment médi­ter­ra­néen. En fait, Dieu, en tant que Créateur du mon­de, est pré­sent dans l’en­sem­ble et dans cha­que cœur humain (Actes 17:27sq) – même si les yeux de l’hom­me sont sou­vent aveu­glés par le péché, et ses oreil­les sour­des à l’a­mour de Dieu. Mais Il vient par sa Révélation dans l’hi­stoi­re de son peu­ple élu Israël, et Il vient tout près de nous dans Son Verbe incar­né et dans l’Esprit qui a été ver­sé dans nos cœurs. Cette auto-communication de Dieu en tant que grâ­ce et vie à cha­que hom­me se répand dans le mon­de par l’an­non­ce par l’Eglise de sa vie et de son cul­te, c’est-à-dire par la mis­sion mon­dia­le selon le man­dat uni­ver­sel du Christ.
Mais il tra­vail­le déjà avec sa grâ­ce d’ai­de et de pré­ve­nan­ce dans le cœur de ceux qui ne le con­nais­sent pas enco­re expres­sé­ment et nom­mé­ment, afin que, lor­squ’ils enten­dent par­ler de lui dans l’an­non­ce apo­sto­li­que, ils puis­sent l’i­den­ti­fier com­me le Seigneur Jésus, dans l’Esprit Saint (1 Co 12,3).

6. Le critère du discernement : l’Autocommunication historique de Dieu en Jésus-Christ

Ce qui man­que dans l’IL, c’e­st un témoi­gna­ge clair de l’au­to­com­mu­ni­ca­tion de Dieu dans le Verbe Incarné, de la sacra­men­ta­li­té de l’Eglise, des sacre­men­ts com­me moyens objec­tifs de la grâ­ce plu­tôt que de sim­ples sym­bo­les auto­ré­fé­ren­tiels, du carac­tè­re sur­na­tu­rel de la grâ­ce, afin que l’in­té­gri­té de l’hom­me ne con­si­ste pas seu­le­ment en l’u­ni­té avec la bio-nature, mais dans la filia­tion divi­ne et dans la com­mu­nion plei­ne de grâ­ce avec la Sainte Trinité, afin que la vie éter­nel­le soit la récom­pen­se de la con­ver­sion à Dieu, la récon­ci­lia­tion avec Lui, et pas seu­le­ment avec l’en­vi­ron­ne­ment et notre mon­de com­mun.

On ne peut pas rédui­re le déve­lop­pe­ment inté­gral à la sim­ple mise à dispo­si­tion de res­sour­ces maté­riel­les. Car l’hom­me ne reçoit sa nou­vel­le inté­gri­té que par la per­fec­tion dans la grâ­ce, ici et main­te­nant dans le bap­tê­me, où nous deve­nons une nou­vel­le Création, enfan­ts de Dieu, et puis un jour dans la vision béa­ti­fi­que dans la com­mu­nau­té du Père, du Fils et du Saint Esprit, et en com­mu­nion avec Ses sain­ts. (1 Jean 1:3 ; 3:1 ss).

Au lieu de pré­sen­ter une appro­che ambi­guë avec une reli­gio­si­té vague, dans une ten­ta­ti­ve futi­le de fai­re du chri­stia­ni­sme une scien­ce du salut en sacra­li­sant le cosmos et la natu­re et l’é­co­lo­gie de la bio­di­ver­si­té, il est impor­tant de regar­der le cen­tre et l’o­ri­gi­ne de notre foi : « Il a plu à Dieu dans sa bon­té et sa sages­se de se révé­ler en per­son­ne et de fai­re con­naî­tre le mystè­re de sa volon­té (cf. Ep 1, 9) grâ­ce auquel les hom­mes, par le Christ, le Verbe fait chair, accè­dent dans l’Esprit Saint, auprès du Père et sont ren­dus par­ti­ci­pan­ts de la natu­re divi­ne » (2).

Gerhard car­di­nal Müller
© leblog­de­jean­ne­smi­ts pour la tra­duc­tion.

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