Prêtres africains : quand l’Église belge prend aux pauvres pour donner aux riches

Je reçois et je publie. L’auteur est un jeu­ne prê­tre du dio­cè­se de Namur, dans le Sud de la Belgique, une région frap­pée depuis des années par la sécu­la­ri­sa­tion et le taris­se­ment des voca­tions reli­gieu­ses. Chaque année, on y déplo­re en moyen­ne le décès d’u­ne dou­zai­ne de prê­tres âgés pour une ou deux ordi­na­tions.

Pour com­pren­dre le con­tex­te de cet­te let­tre, il faut savoir que l’Église bel­ge man­que de voca­tions mais  que, grâ­ce au con­cor­dat, elle n’a aucun pro­blè­me pour payer ses prê­tres, au con­trai­re de beau­coup de dio­cè­ses d’Afrique dont les sémi­nai­res débor­dent mais qui man­quent de moyens et ne dispo­sent pas tou­jours des struc­tu­res de for­ma­tion uni­ver­si­tai­re adé­qua­tes. Sur base de ce con­stat,  au début des années 1990, cer­tains évê­ques bel­ges ont con­clu des accords avec leurs homo­lo­gues afri­cains pour fai­re venir des prê­tres étu­dian­ts étran­gers qui vien­dra­ient dépan­ner en parois­se pen­dant la durée de leurs étu­des. On pen­sait sans dou­te que cet­te solu­tion, pour­tant cri­ti­quée à l’é­po­que par Rome, ne serait que tem­po­rai­re, en atten­dant que les voca­tions loca­les repren­nent.

Contrairement aux autres étu­dian­ts uni­ver­si­tai­res, ces prê­tres étran­gers béné­fi­cient dès leur arri­vée en Belgique d’un salai­re de curé payé par l’État et d’un loge­ment de fonc­tion gra­tuit en parois­se, sou­vent d’u­ne bour­se d’é­tu­des. Ils con­sti­tuent aus­si une man­ne qui per­met d’ail­leurs à cer­tai­nes uni­ver­si­tés bel­ges de main­te­nir des facul­tés de théo­lo­gie par­fois en man­que d’é­tu­dian­ts. La plu­part de ces prê­tres rever­sent une par­tie de leur salai­re dans leur pays d’o­ri­gi­ne, notam­ment à leurs famil­les.

Aujourd’hui, ces prê­tres “venus d’ail­leurs” sont lar­ge­ment majo­ri­tai­res dans le dio­cè­se de Namur et repré­sen­tent pra­ti­que­ment 2/3 du cler­gé en parois­se. Certains doyen­nés n’ont plus que des prê­tres afri­cains. Beaucoup s’in­stal­lent plus ou moins défi­ni­ti­ve­ment en Belgique après leurs étu­des ou pour­sui­vent d’au­tres for­ma­tions afin de pou­voir rester, sans que leur sta­tut ne soit tou­jours très clair.  Vu l’am­pleur de la pénu­rie de voca­tions et le sou­ci de con­ser­ver le plus d’é­gli­ses et de pre­sby­tè­res pos­si­bles, beau­coup de ces prê­tres étu­dian­ts, au départ auxi­liai­res, ont été nom­més vicai­res, curés et même doyens et n’en­vi­sa­gent plus de retour­ner dans leur dio­cè­se d’o­ri­gi­ne, par­fois au grand dam de leurs évê­ques qui les récla­ment.

Cette pré­sen­ce a bien sûr des aspec­ts posi­tifs : les parois­ses sont tenues, on évi­te les regrou­pe­men­ts et les tour­nan­tes de mes­se, le cler­gé est rajeu­ni et de niveau uni­ver­si­tai­re, on mon­tre l’u­ni­ver­sa­li­té et la diver­si­té de l’Église. Mais l’am­pleur mas­si­ve du recours aux prê­tres afri­cains a éga­le­ment créé un désé­qui­li­bre et com­por­te de nom­breux aspec­ts plus néga­tifs au niveau pasto­ral et éthi­que. Le bilan est éga­le­ment miti­gé : ce systè­me n’a pas per­mis, en tren­te ans, de relan­cer ni l’é­van­gé­li­sa­tion ni les voca­tions loca­les.

En outre, ces prê­tres venus d’ail­leurs se plai­gnent de ne pas avoir été pré­pa­rés à leur mini­stè­re en Belgique et déplo­rent que leur accueil et leur accom­pa­gne­ment ne soit pas tou­jours adé­quat, une situa­tion ana­ly­sée avec clair­voyan­ce par le Révérend Père Bernard Lorent, abbé de Maredsous, sur la chaî­ne de télé­vi­sion catho­li­que KTO l’an der­nier.

Parfois, à la sui­te d’a­bus ou de pro­blè­mes, mais le plus sou­vent à la fin de leurs étu­des ou de leur mis­sion, ces prê­tres ren­trent chez eux. Ce qui susci­te par­fois la réac­tion de cer­tains parois­siens, inquie­ts à l’i­dée de per­dre “leur” mes­se. Voici la répon­se d’un con­frè­re à l’u­ne de ces let­tres.

Réponse à une jeune maman sur la question des prêtres “venus d’ailleurs”

Chère B.,

Pour répon­dre à ta pre­miè­re objec­tion. Il n’y a pas vrai­ment de regrou­pe­ment chez nous car nous avons enco­re la pos­si­bi­li­té de célé­brer la mes­se domi­ni­ca­le dans cha­que lieu de cul­te. Ce que je con­sta­te, c’e­st que la plu­part des fidè­les ne vien­nent plus à la mes­se pour “leur égli­se”, mais pour l’ho­rai­re de la mes­se et l’at­mo­sphè­re de priè­re qui s’y vit.

En ce qui con­cer­ne mes parois­ses, les assem­blées domi­ni­ca­les comp­tent une majo­ri­té de fidè­les étran­gè­re au vil­la­ge. Lorsque je vois les for­ces vives disper­sées dans cha­que parois­se (je pen­se à une super caté­chi­ste qui est délais­sée com­plè­te­ment dans une parois­se voi­si­ne, mais aus­si des cho­ra­les, des per­son­nes “pra­ti­ques”, des famil­les…) cela fait assez mal.

Ensemble, il y aurait un feu incroya­ble à cha­que célé­bra­tion et nos parois­ses sera­ient beau­coup plus vivan­tes au point de pou­voir pro­po­ser aux “peti­ts vieux” qui ne veu­lent pas quit­ter “leur” égli­se (alors que les mêmes sont prê­ts à se ren­dre à n’im­por­te quel maga­sin à 20km à la ron­de) un co-voiturage régu­lier. C’est ce que nous pou­vons voir dans cer­tai­nes parois­ses Françaises.

En main­te­nant “arti­fi­ciel­le­ment” des com­mu­nau­tés à coups de “prê­tres venus d’ail­leurs” qui n’ont abso­lu­ment pas été for­més et accom­pa­gnés pour la réa­li­té bel­ge et qui, dès lors, sont para­ly­sés dans leur apo­sto­lat, nous ne per­met­tons pas à ces com­mu­nau­tés qui se sera­ient ras­sem­blées natu­rel­le­ment de se for­mer et donc d’ê­tre mis­sion­nai­res.

Ce n’e­st donc pas éton­nant que beau­coup de jeu­nes famil­les chré­tien­nes cher­chent ail­leurs, dans des com­mu­nau­tés de tou­tes sor­tes où il y a un réel sou­tien ecclé­sial, ce qu’ils ne trou­vent plus en parois­se. C’est votre cas, com­me celui de cel­les qui fré­quen­tent l’Emmanuel, Tibériade, etc…

Comment com­pren­dre que ces prê­tres, qui, au pays, célè­brent devant des cen­tai­nes, voi­re des mil­liers de per­son­nes, vien­nent chez nous pour des mes­ses de 10, 15, 30 per­son­nes ? Comment accep­ter, même une secon­de, d’aban­don­ner ces “mil­liers de fidè­les” pour quel­ques pri­vi­lé­giés qui ont des voi­tu­res, des pro­ches, une riches­se ini­ma­gi­na­ble pour la plu­part des fidè­les d’Afrique… C’est tout sim­ple­ment scan­da­leux… Et nous payons cher ce scan­da­le, car nous volons aux plus peti­ts.

La pré­sen­ce des prê­tres “d’ail­leurs” est atte­stée depuis 40 ans. Et il n’y a pas eu d’a­mé­lio­ra­tion en ter­mes de vita­li­té de nos parois­ses depuis. Au con­trai­re, le déclin a sim­ple­ment con­ti­nué. A un moment don­né, il faut tirer des con­clu­sions… En tout cas le résul­tat est qu’il sem­ble que même là-bas les voca­tions com­men­cent à dimi­nuer.

Dans un doyen­né pro­che, il y a 4 prê­tres pour 5 clo­chers. L’ensemble des mes­ses domi­ni­ca­les dans ces 5 clo­chers ne ras­sem­ble pas plus de 100 per­son­nes : 4 prê­tres pour moins de 100 per­son­nes… Un jour, un Papa se plai­gnait que ses enfan­ts n’ai­ment pas la mes­se domi­ni­ca­le de sa parois­se. A moins de 5 km de là, il y avait une mes­se de l’Emmanuel nour­ris­san­te. Il est resté “chez lui” et à dégoû­té ses enfan­ts “pour ne pas vider sa parois­se”. Cela n’a abso­lu­ment aucun sens.

Un dic­ton dit : “Un chré­tien seul est un chré­tien mort”. J’ai le sen­ti­ment que, pour con­ser­ver nos bâti­men­ts et quel­ques per­son­nes seu­les, nous pri­vi­lé­gions la mort sur la vie. Je n’en veux pas aux prê­tres étran­gers d’ê­tre pré­sen­ts. Je suis tri­ste pour ceux qui ont pris la déci­sion de les accueil­lir, sans aucu­ne for­me d’ac­com­pa­gne­ment et avec un discer­ne­ment que je ne com­prends pas.

Je crois aus­si pro­fon­dé­ment que l’Église est en train de se renou­ve­ler. L’Esprit Saint est à l’œu­vre. C’est assez dou­lou­reux, mais je suis rem­pli d’Espérance.

Un immen­se bon­jour à F.
Que le Seigneur vous bénis­se
+ (let­tre signée par un jeu­ne curé namu­rois)

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Lire aus­si sur le sujet dans “La Croix” :

> Prêtres afri­cains en Occident : « Zèle ou busi­ness mis­sion­nai­re ? » (17/10/2023)

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