Le Seigneur est né, entre le boeuf et les âneries

A cha­que pério­de de Noêl, com­me un écho qui remon­te des tré­fonds de mon enfan­ce là-bas dans le Sud de l’Italie, une mélo­die me revient en mémoi­re.  Une chan­son­net­te que la maî­tres­se d’é­co­le nous avais appri­se en troi­siè­me pri­mai­re.  Je me sou­viens enco­re du ryth­me et des paro­les:

nat2“Ralentis, va plus dou­ce­ment
La Vierge Marie se sent mal
Elle est las­se et la rou­te est lon­gue
La nuit est som­bre mais l’é­toi­le
Guide leur pas sur le che­min
Un chant vibre dans les airs
Il vient des cieux jusqu’à nos cœurs!
C’est Noêl le plus beau des jours
Qui voit naî­tre l’en­fant Jésus
Il n’a ni toit ni vête­men­ts
Ses peti­ts pieds, ses mains sont nus
C’est le plus pau­vre des nouveaux-nés
Mais le plus doux, le plus gen­til
La pau­vre­té fait sa gran­deur
Et son amour fait sa riches­se”

Je ne l’ai jamais oubliée: pour moi, Noël a tou­jours eu pour visa­ge les ima­ges que cet­te chan­son­net­te me mit en tête il y a si long­temps.  L’histoire anti­que qu’el­le racon­tait con­sti­tua long­temps pour moi l’u­ni­que histoi­re pos­si­ble du Salut, et for­mait tout mon petit mon­de catho­li­que.

nat3Je fus très con­tra­rié lor­sque j’ap­pris que la réa­li­té ne cor­re­spon­dait pas tout à fait à ce que racon­tait la chan­son et que j’a­vais été trom­pé, moi et des géné­ra­tions entiè­res de catho­li­ques, par ce fatras visqueux et gluant d’i­ma­ges fran­ci­scai­nes véri­ta­bles et ima­gi­nai­res appli­quées depuis des siè­cles à l’hi­stoi­re sain­te avec ces crè­ches vivan­tes de Greccio, tel­le­ment poé­ti­ques et buco­li­ques mais com­plè­te­ment faus­ses du point de vue histo­ri­que.

Voilà pour­quoi, cha­que fois que je repen­se à Noël, cet­te chan­son­net­te me revient en mémoi­re et l’u­ni­que émoi qu’el­le m’é­vo­que est due à mes coups de tête au mur, sans par­ler de la mou­tar­de qui me mon­te au nez.  Pourquoi, me demanderez-vous?

Tout sim­ple­ment par­ce que Jésus était tout sauf un pau­vre, un misé­reux, un sans-abri, un va-nu-pieds ou un défa­vo­ri­sé com­me a vou­lu nous le fai­re croi­re l’Eglise sou­te­nue par les gran­des légen­des urbai­nes mal­gré qu’el­le ait tou­jours su que tout cela était aus­si faux que les che­veux sur la tête de Berlusconi.

Le bœuf et les âneries

Alors, réca­pi­tu­lons et jouons un peu au trouble-fête, un art dans lequel je suis pas­sé maî­tre.

nat4Ok, j’a­voue que la nais­san­ce de Jésus fut un peu impro­vi­sée et fort peu solen­nel­le.  Mais non pas par­ce qu’il était issu d’u­ne famil­le de pay­sans ou de sans-abris.  Il se fait que, tout sim­ple­ment, Marie fut sur­pri­se par le tra­vail à l’im­pro­vi­ste, pen­dant qu’el­le voya­geait assi­se sur un âne, ce qui était à l’é­po­que un moyen de loco­mo­tion tout à fait respec­ta­ble, com­pa­ra­ble à notre Smart d’au­jour­d’­hui.  Elle était en rou­te non pas pour aller men­dier quel­que part mais par­ce qu’à l’é­po­que était orga­ni­sé ce grand recen­se­ment auquel les romains tena­ient beau­coup et que la famil­le de Joseph devait aller se fai­re recen­ser dans un lieu préé­ta­bli par l’au­to­ri­té impé­ria­le.

nat5Vous me répon­drez: soit, mais alors pour­quoi a‑t-elle accou­ché dans une éta­ble et dépo­sé l’en­fant dans une man­geoi­re pen­dant que l’â­ne et le bœuf fai­sa­ient offi­ce de radia­teur?  Balivernes à nou­veau, issues de l’i­ma­gi­na­tion des crè­ches de Greccio.  Il n’y eut jamais d’ ”éta­ble” et enco­re moins de “man­geoi­re”, tout au plus y avait-il l’â­ne qui appar­te­nait au cou­ple.

Je m’ex­pli­que.  Passons pour l’â­ne mais le bœuf est une pure inven­tion: il ne s’a­git que de la trans­po­si­tion tar­di­ve de cer­tains détails issus des pro­phé­ties vété­ro­te­sta­men­tai­res qui, pour une rai­son ou une autre, men­tion­na­ient éga­le­ment cet ani­mal.  Par la sui­te, afin de don­ner plus de “cré­di­bi­li­té” au carac­tè­re mes­sia­ni­que de cet­te nais­san­ce, quel­qu’un eut l’i­dée de “rec­ti­fier” les cho­ses en ajou­tant des “détails” insi­gni­fian­ts qui cadra­ient avec les ancien­nes pro­phé­ties afin de pou­voir cor­re­spon­dre “à la let­tre” à ce qui était écrit.  Et nous voi­là avec un bœuf sur les bras…

De l’étoile à l’étable

nat7Vous me direz peut-être qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que s’il y avait une éta­ble, il est tout à fait pos­si­ble qu’il y ait eu un bœuf, des pou­les ou même une chè­vre?  Hé bien non par­ce qu’il n’y a jamais eu d’é­ta­ble au sens où nous l’i­ma­gi­nons.  Par “éta­ble” il faut com­pren­dre tout à fait autre cho­se, com­me nous allons le voir.

Bien sûr, la Vierge a été pra­ti­que­ment obli­gée d’ac­cou­cher sur la rue, dans le pre­mier endroit qui s’e­st pré­sen­té.  Oui, mais il s’e­st agit d’un inci­dent sans rap­port avec leur con­di­tion socia­le.  Par ail­leurs, il ne s’a­gis­sait pas à pro­pre­ment par­ler d’u­ne “éta­ble” mais d’un local atte­nant à l’au­ber­ge affec­té au “par­king” des moyens de loco­mo­tion des hôtes de l’au­ber­ge.

Vous pen­se­rez alors qu’il deva­ient for­cé­ment être pau­vres s’ils n’a­va­ient même pas les moyens de s’of­frir une cham­bre d’au­ber­ge.  Encore une bêti­se: cela aus­si fut un pur inci­dent.  Bien sûr que Joseph vou­lait emme­ner son épou­se à l’au­ber­ge pour accou­cher et, de fait, il frap­pa à la por­te de plu­sieurs d’en­tre elles mais sans suc­cès.  Non pas par­ce qu’il n’a­vait pas d’ar­gent mais par­ce que ces jours-là, il n’y avait plus de pla­ce nul­le part non seu­le­ment à cau­se du flux voya­geurs pro­vo­qué par le recen­se­ment mais aus­si par­ce qu’il s’a­gis­sait des jours pré­cé­dant la pério­de de la Pâque jui­ve, une pério­de festi­ve — on dirait aujour­d’­hui tou­ri­sti­que.  Qu’est-ce que Marie pou­vait fai­re?  “Va pour l’é­ta­ble”…

Il con­vient sans dou­te d’ap­por­ter ici quel­ques pré­ci­sions. Jésus n’e­st pas né dans une “auber­ge” ni dans une “éta­ble” ni dans une “grot­te” ni dans une “caba­ne”.  Dans les crè­ches on voit sou­vent un peu de tout.  Ce que l’on appe­lait “grot­te” à l’é­po­que dési­gnait l’é­ta­ble d’u­ne mai­son qui à son tour n’é­tait pas une “éta­ble” com­me nous nous l’i­ma­gi­nons mais la piè­ce la plus chau­de, silen­cieu­se et iso­lée pour accou­cher.

On pour­rait se deman­der pour­quoi ils n’ont trou­vé de pla­ce nul­le part si Joseph avait de la famil­le à Bethléem.  Il sem­ble en fait que ce ne soient pas des “hôte­liers” mais bien des paren­ts de Joseph qui accueil­li­rent la Sainte Famille dans l’ ”éta­ble” de leur mai­son.  Qui aida Marie à accou­cher?  Il est impos­si­ble que ce furent des hom­mes, dans le mon­de juif de l’é­po­que.  Plus que pro­ba­ble­ment il s’a­gis­sait des fem­mes (paren­tes ou con­nais­san­ces).

nat8L’enfant Jésus est-il resté “nu” ou enve­lop­pé de “hail­lons”?  En voi­là une que­stion stu­pi­de.  Aucun nouveau-né ne sur­vi­vrait nu.  Et pour­quoi donc serait-il resté nu avec autant d’a­dul­tes à pro­xi­mi­té, Joseph et Marie com­pris?  Il fut en réa­li­té enve­lop­pé de lin­ges com­me on le fai­sait pour tous les nouveau-nés.  Des lin­ges, des ban­de­let­tes mais cer­tai­ne­ment pas des “hail­lons”.  De plus, com­ment pourrait-on sérieu­se­ment ima­gi­ner que Marie, con­scien­te de son état, n’ait pas empor­té avec elle dans son “trous­seau” le néces­sai­re pour un accou­che­ment au cas où elle aurait per­du les eaux pen­dant le voya­ge?

Au fait, et le nei­ge?  Y avait-il de la nei­ge com­me sur nos crè­ches?  Ce n’e­st pas impos­si­ble étant don­né que Bethléem se trou­ve à une hau­teur de 775 mètres au-dessus du niveau de la mer.  Et les ber­gers?  Il faut savoir que la plus gran­de par­tie de la popu­la­tion vivait de l’é­le­va­ge et que les ber­gers éta­ient nom­breux autour de la vil­le qui vit naî­tre le Messie mais ils éta­ient per­chés sur les col­li­nes avec leurs trou­peaux.  Ceux qui éta­ient plus éloi­gnées ape­rçu­rent la comè­te qui sem­blait se poser sur la vil­le où la nais­san­ce venait d’a­voir lieu.  Certains disent qu’ils furent “aver­tis par un ange” mais ce n’e­st pas abso­lu­ment cer­tain.

Pauvre?  Jésus était riche et il avait des amis riches!

nat9La pau­vre­té de Jésus, né avec “ses peti­ts pieds et ses peti­tes mains nus”, à moi­tié mort de faim, der­nier des der­niers est d’u­ne super­sti­tion d’u­ne stu­pi­di­té sans nom.

Par ail­leurs je n’ai jamais com­pris ce besoin de mépri­ser de la sor­te Joseph, le père puta­tif.  Il était issu d’u­ne lignée qui se vou­lait “roya­le” mais il était éga­le­ment un hon­nê­te tra­vail­leur, pas un menui­sier com­me cer­tains le cro­ient mais un char­pen­tier, métier bien plus pre­sti­gieux qui fai­sait par­tie de l’a­ri­sto­cra­tie des pro­fes­sions.  On pour­rait même affir­mer — pour que l’on se com­pren­ne bien — qu’il appar­te­nait à la moyenne/haute bour­geoi­sie jui­ve.  Ce qui signi­fiait qu’ils éta­ient aisés.  Et même la famil­le de Marie était d’u­ne hau­te lignée.

Papier mâché de Lecce, XIXè siècle, par Manzo, ayant appartenu à l'auteur

Papier mâché de Lecce, XIXè siè­cle, par Manzo, ayant appar­te­nu à l’au­teur

Comme le disait le Cardinal Biffi, “Quand je dis que la famil­le de Jésus était riche, on pous­se des hau­ts cris mais qu’est-ce que j’y peux?  C’est la réa­li­té!”  Je n’ar­ri­ve pas à com­pren­dre pour­quoi une tel­le famil­le, un Saint Joseph qui était d’u­ne famil­le noble, aisée, qui a fait en sor­te que sa famil­le ne man­que jamais de rien, qui était un hon­nê­te tra­vail­leur, qui a bâti sa for­tu­ne en tri­mant tou­te sa vie devrait être discré­di­té de la sor­te et pré­sen­té non seu­le­ment com­me un vaga­bond mort de faim mais aus­si com­me quel­qu’un qui était inca­pa­ble de s’oc­cu­per de sa fem­me au point de la fai­re accou­cher dans une man­geoi­re et qui trai­tait son pro­pre fils enco­re plus mal en le lais­sant nu dans le froid sous un âne et un bœuf.  Il ne man­que­rait plus que quel­qu’un dise qu’il bat­tait sa fem­me et son fils tant qu’on y est.  La pau­vre­té n’e­st pas une ver­tu en soi: c’e­st une malheur (si elle n’e­st pas choi­sie) dans lequel, si on ne peut pas s’en sor­tir, on ten­te de sur­vi­vre en con­ser­vant le plus de digni­té pos­si­ble sans en fai­re néces­sai­re­ment une ver­tu.

Ensuite, à bien y pen­ser, qui éta­ient, dans les Evangiles, les grands amis de Jésus?  Les famil­les dont il fré­quen­tait le plus sou­vent les mai­sons et les ban­que­ts au point que cer­tains aient vou­lu le qua­li­fier de bon man­geur et un bon vivant?  Qui étaient-ils?  La famil­le de Lazare, les paren­ts de Marie, la famil­le de Joseph d’Arimatie…  Et quel est le déno­mi­na­teur com­mun de tous ces gens?  Qu’ils éta­ient tous très riches.  Du reste, si Jésus n’a­vait pas été un de leurs paren­ts, croyez-vous vrai­ment qu’ils l’au­ra­ient invi­té à leurs tables en lui ren­dant tous les hon­neurs les plus raf­fi­nés de l’ho­spi­ta­li­té?

Jésus n’é­tait pas pau­vre: il est sim­ple­ment né dans un lieu hum­ble.

Joseph, ce vieux beau décrépit

Sculpture en papier mâché de Lecce, par Manzo, vers 1900

Sculpture en papier mâché de Lecce, par Manzo, vers 1900

Dernière ceri­se sur le gâteau au som­met de cet­te sal­mi­gon­dis popu­li­ste: la pudi­bon­de­rie et la sexo­pho­bie du Concile de Trente.  Après avoir réduit Joseph à un pay­san, il fut éga­le­ment tran­sfor­mé par l’i­co­no­gra­phie tri­den­ti­ne tra­di­tion­nel­le en un vieux décré­pit…  qui avait engros­sé une jeu­ne fil­le.  Tout cela sim­ple­ment pour sou­li­gner que Marie était et resta vier­ge: le fait qu’ar­bi­trai­re­ment, on l’ait marié à un vieil­lard au mini­mum pro­sta­ti­que (et donc, sexuel­le­ment impuis­sant: tel était le vrai mes­sa­ge en fili­gra­ne) ne pou­vait que le con­fir­mer.

A mon sens, il s’a­git d’u­ne idée pure­ment et sim­ple­ment sacri­lè­ge.  Cela vou­drait dire que si Marie est restée vier­ge, ce ne fut pas par fidé­li­té à sa mis­sion divi­ne mais uni­que­ment par­ce que son mari était inca­pa­ble de con­vo­ler et que, d’au­tre part, Joseph ne “respec­ta” pas sa fem­me par amour de Dieu mais qu’il fut vic­ti­me du “j’vou­drais bien mais j’peux point”.

Joseph, en réa­li­té, était non seu­le­ment riche mais il était aus­si cer­tai­ne­ment beau, tout à fait capa­ble sur le plan sexuel et cer­tai­ne­ment un jeu­ne hom­me très jeu­ne et pas un vieil­lard.  Certes, il dési­rait Marie et Marie le dési­rait pro­ba­ble­ment aus­si: ils ne for­ma­ient pas un cou­ple d’a­se­xués mais bien un cou­ple d’a­mou­reux.  Et pour­tant, ils ont choi­si de sacri­fier leur pas­sion humai­ne à quel­que cho­se d’in­fi­ni­ment plus grand.

Par Antonio Margheriti, d’a­près un arti­cle ori­gi­nal en ita­lien tra­duit et publié avec l’au­to­ri­sa­tion de l’au­teur.

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