Ce que le pape a vraiment dit aux gays

papa Il vient un moment où il faut accep­ter de regar­der les cho­ses en face, un moment où il devient néces­sai­re de pro­non­cer des paro­les dures et cho­quan­tes par­ce que les fai­ts démen­tent sou­vent d’une façon dure et cho­quan­te tou­tes nos idées pré­co­nçues qui bai­gnent, elles, le plus sou­vent dans une dou­ce idéo­lo­gie sou­vent davan­ta­ge ridi­cu­le que cruel­le.

Laudatores et detractores

Il n’est pas faci­le pour un vati­ca­ni­ste de par­ler du pape François tant il sem­ble ne pas y avoir de juste milieu entre l’adulation et la mise au pilo­ri, c’est la rai­son humai­ne qui veut ça.  Il faut sla­lo­mer entre les sup­por­ters ultras de sacri­stie, par­fois très viru­len­ts, qui aban­don­nent sou­vent tou­te rai­son et par­fois aus­si tou­te décen­ce.  Vous com­pren­drez donc que par­fois il fail­le ten­ter de récu­pé­rer un mini­mum d’objectivité avant de se lan­cer dans cet­te mis­sion impos­si­ble qui con­si­ste à com­pren­dre un jésui­te, qui qu’il soit d’ailleurs.

En réa­li­té, le véri­ta­ble pro­blè­me de ces fan-clubs – qu’il s’agisse des pro­gres­si­stes qui tirent le pape vers eux en l’attrapant par la man­til­le ou des tra­di­tio­na­li­stes qui lui font des crocs-en-jambe – c’est qu’ils n’arrivent pas à réel­le­ment com­pren­dre Bergoglio.  Ils n’arrivent pas à com­pren­dre ce qu’est un jésui­te ni sur­tout l’histoire per­son­nel­le de ce jésuite-là en par­ti­cu­lier.  Avoir le cou­ra­ge de com­pren­dre et d’expliquer objec­ti­ve­ment ce phé­no­mè­ne qu’est Bergoglio, selon la rai­son et en plei­ne liber­té – n’avons-nous d’ailleurs pas oublié que le catho­li­ci­sme est la patrie de la liber­té et de la rai­son ? – sans se per­dre ni dans l’optimisme béat et irra­tion­nel des lau­da­to­res d’un part ni dans le pes­si­mi­sme exa­cer­bé et tout aus­si irra­tion­nel des detrac­to­res d’autre part par­ce que cha­que camp s’épuise à ne pas com­pren­dre l’autre, voi­re à le mépri­ser.  Ils se res­sem­blent pour­tant dans leur amour des extrê­mes : les pro­gres­si­stes espè­rent qu’il détrui­ra l’église pour leur don­ner rai­son ; les tra­di­tion­na­li­stes espè­rent qu’il la détrui­se pour pou­voir dire « on vous l’avait bien dit ! ».  L’objet de leur res­sen­ti­ment c’est juste­ment l’Eglise dans tou­te sa com­ple­xi­té : les tra­di­tion­na­li­stes n’acceptent pas ce qu’elle est et les pro­gres­si­stes n’acceptent pas ce qu’elle n’est pas.  Tout le mon­de veut avoir rai­son mais cha­cun aban­don­ne tout sens de la rai­son et des réa­li­tés.

El Gaucho

La famille Bergoglio

La famil­le Bergoglio

Deux ans à pei­ne sont pas­sés depuis cet­te façon mémo­ra­ble dont Bergoglio s’est pré­sen­té Place Saint-Pierre.  Et depuis ce moment jusqu’à aujourd’hui, l’épisode le plus mar­quant de son pon­ti­fi­cat tient dans cet­te peti­te phra­se aérien­ne qu’il a pro­non­cée sur les gays : « Qui suis-je, moi, pour juger ? ».  Cette phra­se est deve­nue sour­ce de tous les excès et a susci­té bon nom­bre d’équivoques et pas uni­que­ment par­ce que la sui­te « mais je suis un fils de l’Eglise » — c’est-à-dire du caté­chi­sme — n’a inté­res­sé per­son­ne, ni à droi­te ni à gau­che.  Le véri­ta­ble pro­blè­me c’est que per­son­ne n’a vrai­ment com­pris ce que Bergoglio disait à ce moment-là et ce qu’il était réel­le­ment en train de fai­re par­ce que très peu con­nais­sent vrai­ment l’homme der­riè­re le pape et son histoi­re, une histoi­re fon­ciè­re­ment jésui­te.

On ne peut pas com­pren­dre Bergoglio en-dehors du con­tex­te qui l’a vu naî­tre, s’il on ne prend pas en comp­te son tem­pé­ra­ment ou si l’on igno­re les cho­ses qui le déran­gent voi­re lui répu­gnent.  On ne pas le com­pren­dre sans étu­dier le con­tex­te social patriar­cal de l’Argentine pro­lé­ta­rien­ne, fai­te de très sain­tes mères et de véné­ra­bles pères de famil­le sou­vent issus de famil­les d’émigrés ori­gi­nai­res de l’Italie rura­le pau­vre et misé­ra­ble con­fron­tés aux légen­dai­res et virils gau­chos hispa­ni­ques de la pam­pa.  Il s’agissait d’un con­tex­te machi­ste, viril, radi­ca­le­ment hété­ro­se­xuel.  Et c’est là le point essen­tiel : Bergoglio est abso­lu­ment, tota­le­ment et dése­spé­ré­ment hété­ro­se­xuel, avec tou­te la décen­ce qui con­vient à un prê­tre, il s’inscrit dans les mythes, les goû­ts et les aver­sions pro­pres à ce con­tex­te.  Non seu­le­ment Bergoglio aime – cha­ste­ment, cela va sans dire – les fem­mes mais en outre, tout ce qui est effé­mi­né le déran­ge et l’embarrasse.

On se sou­vien­dra de l’anecdote, abon­dam­ment relayée dans la pres­se, du pape François rece­vant des fem­mes évê­ques angli­ca­nes et ne pou­vant s’empêcher de fai­re part à ses col­la­bo­ra­teurs, alors qu’elles s’en alla­ient, de ses com­men­tai­res sur le char­me – ou son absen­ce – de l’une ou l’autre, celle-ci étant « vrai­ment lai­de », celle-là « un beau brin de fil­le » pen­dant que le pho­to­gra­phe offi­ciel du Vatican immor­ta­li­sait ses expres­sions d’appréciation ou de dégoût.  Mentionnons éga­le­ment un autre fait : Bergoglio pro­vient d’un ordre, les Jésuites, qui depuis sa créa­tion jusqu’à aujourd’hui a con­nu tous les pro­blè­mes pos­si­bles, est tom­bé dans tous les tra­vers, a vécu jusqu’à leur com­ble tous les pro­blè­mes que les autres ordres ont ren­con­trés.  Tous, sauf un : l’homosexualité.  Cet ordre mili­ta­ri­ste dans ses sta­tu­ts, ses cou­tu­mes et son carac­tè­re a bien con­nu des pro­blè­mes d’identité sexuel­le mais on ne se sou­vient d’aucun scan­da­le sur fond d’attirance homo­se­xuel­le.  Si l’on n’est pas hété­ro, on ne devient pas jésui­te.

 « Perversion »

Jorge Mario Bergoglio en discussion avec un passager dans le métro de Buenos Aires

Jorge Mario Bergoglio en discus­sion avec un pas­sa­ger dans le métro de Buenos Aires

Le voi­là, Bergoglio, ce pape tel­le­ment humain, cet hom­me de la pam­pa un peu ita­lia­ni­sant qui atti­re tant de sym­pa­thies.  Un autre épi­so­de par­ti­cu­liè­re­ment révé­la­teur a eu lieu lorsqu’il était enco­re car­di­nal et qu’il lui prit de s’opposer publi­que­ment à la pro­po­si­tion du « maria­ge » gay en Argentine.  Ce fut la seu­le et uni­que fois qu’il affron­ta tête bais­sée la pen­sée uni­que domi­nan­te.  Il en fut quit­te pour une cui­san­te volée de bois vert des médias radi­caux locaux qui le lais­sa trau­ma­ti­sé pour long­temps.  Depuis cet évé­ne­ment, il a chan­gé de stra­té­gie et il évi­te depuis lors soi­gneu­se­ment tout affron­te­ment direct sur cer­tains thè­mes, ce qu’il con­ti­nue d’ailleurs à fai­re en tant que pape.

Un autre indi­ce révé­la­teur se trou­ve dans sa bio­gra­phie, publiée lorsqu’il était enco­re car­di­nal sous le titre de « El Jesuita », un titre qui ne doit rien au hasard puisqu’il l’a choi­si lui-même.  A cha­que fois qu’il devait répon­dre à une que­stion con­cer­nant les prê­tres pédo­phi­les et gays, Bergoglio employait tou­jours le mot « per­ver­sion » et finit par dire que si ils sont entrés au sémi­nai­re, ce n’était que pour se don­ner une cou­ver­tu­re par­ce que : « ils por­ta­ient déjà la per­ver­sion en eux bien avant ».

Voilà ce qu’au plus pro­fond de lui le pape François pen­se des homo­se­xuels par son édu­ca­tion : qu’ils sont vic­ti­mes d’une per­ver­sion.  Dans le sens de mala­die, cer­tes, mais d’une mala­die mora­le.  Du déta­che­ment avec lequel il en par­le tout en répon­dant aux que­stions trans­pa­rait une sor­te de répu­gnan­ce incon­scien­te et irré­pres­si­ble pour ce sujet, tel­le­ment éloi­gné de son mon­de entiè­re­ment hété­ro­se­xuel.  Ce qui me don­ne l’occasion d’aborder le thè­me sui­vant.

Répulsion

L'homme de la pampa

L’homme de la pam­pa

Dans quel con­tex­te Bergoglio a‑t-il pro­non­cé cet­te désor­mais célè­bre phra­se « sur les gays » dans son avion papal ?  Il l’a fait lorsqu’on lui posa une que­stion sur le lob­by gay au Vatican en géné­ral et plus par­ti­cu­liè­re­ment sur Mgr Ricca rat­tra­pé par son pas­sé scan­da­leux Amérique Latine alors que le pape venait à pei­ne de le nom­mer pré­lat à la Banque du Vatican.  Les jour­naux ava­ient d’ailleurs abon­dam­ment rela­té ses diver­ses fra­sques homo­se­xuel­les.  Tout cela était appa­rem­ment fon­dé, et le pape en prit acte mais avec un raf­fi­ne­ment très jésui­te que très peu perçu­rent, il éva­cua la que­stion d’un revers de la main en disant un « j’ai son dos­sier et il ne con­tient rien ».  Il ne men­tait pas : le dos­sier qu’on lui avait remis était pro­pre, il avait été soi­gneu­se­ment net­toyé.  Ensuite, le scan­da­le avait refait sur­fa­ce mais il était trop tard.  Cependant, il était hors de que­stion pour lui de rée­xa­mi­ner la que­stion ou d’ouvrir une enquê­te.  Parce qu’il était par­tial ou par­ti­san ?  Parce qu’il ne pou­vait pas admet­tre d’avoir com­mis une bour­de ?  Bien sûr que non !  Parce que cet­te affai­re le dégoû­tait : se plon­ger dans des affai­res sca­breu­ses liées à des que­stions, pour le dire à l’argentine, de mari­co­nes — de pédé­ra­stes – le répu­gne, il s’agit d’une aver­sion pre­sque instinc­ti­ve.  Il se sen­ti­rait impli­qué et écla­bous­sé, c’est impen­sa­ble pour lui.

Ses oreil­les hété­ro­se­xuel­les de vieux gau­cho de la pam­pa ne peu­vent pas souf­frir la caco­pho­nie de l’homosexualité, ou tout au moins de ses pra­ti­ques.  C’est par­ce qu’il est bien con­scient de son aver­sion instinc­ti­ve et si peu poli­ti­que­ment cor­rec­te qu’il s’efforce d’adopter en public l’attitude inver­se mais lor­sque cela arri­ve, son embar­ras est per­cep­ti­ble, on le sent bien lorsqu’il doit répon­dre à des que­stions con­cer­nant les « mari­co­nes », on le res­sent clai­re­ment dans son empres­se­ment à éva­cuer cer­tains suje­ts com­me ce fut sans dou­te le cas avec les mots auda­cieux qu’il uti­li­sa dans ce malheu­reux avion.

Pour lui, il est incon­ce­va­ble que l’on puis­se autant par­ler des gays au sein de l’Eglise et trop en par­ler l’irrite et le déran­ge : le fait sim­ple d’en par­ler cer­tai­ne­ment mais éga­le­ment le sujet en lui-même. Qu’il y a‑t-il d’autre que de la « per­ver­sion » ?  C’est ain­si qu’il pen­se mais aujourd’hui, en tant que pape, il ne peut pas et ne veut pas le dire.  Il est un fait que les mili­tan­ts laï­ques et les pro­gres­si­stes accla­ment « l’ouverture » aux gays alors que les bigo­ts et les tra­di­tion­na­li­stes crient au scan­da­le.  Non seu­le­ment ni les uns ni les autres n’ont com­pris ce que res­sen­tait Bergoglio et ce qu’il avait vou­lu dire mais de plus, ils n’avaient pas non plus com­pris ce qu’il était réel­le­ment en train de fai­re à ce moment-là.  Et c’est là le cen­tre de cet­te réfle­xion.

Pour les lau­da­to­res, le pape « embras­se » la cau­se des gays et les detrac­to­res ne disent pas autre cho­se, avec un sen­ti­ment oppo­sé.  Quel incroya­ble qui­pro­quo!  En réa­li­té, il était en train de les aban­don­ner.  Tout à fait !  Et je vais m’en expli­quer

S’il y a bien quel­que cho­se qui répu­gne à Bergoglio, com­me je le disait, c’est pré­ci­sé­ment l’homosexualité et c’est pré­ci­sé­ment pour­quoi il l’affronte en con­tour­nant le pro­blè­me.  Dans cet avion qui le rame­nait de Rio, il n’a pas pro­non­cé la phra­se que les médias ont rap­por­té mais il a dit : « s’ils cher­chent vrai­ment Jésus… ».  Un impé­ra­tif fon­da­men­tal pour ajou­ter ensui­te « qui suis-je moi, pour juger ? ».  S’ils cher­chent Jésus.  Autrement dit, s’ils l’avaient réel­le­ment trou­vé, ils renon­ce­ra­ient par la for­ce des cho­ses à leur con­dui­te sexuel­le qui appar­tient aux quel­ques rares péchés – il n’y en a que qua­tre ou cinq en tout — qui crient ven­gean­ce au ciel.

Le Pape Bergoglio, tout en réaf­fir­mant qu’il croit en l’enseignement de l’Eglise (c’est ce qu’il a dit) et qu’il con­si­dè­re que les gens con­nais­sent cet ensei­gne­ment, réa­git en fait à ce pro­blè­me exac­te­ment com­me Saint Paul : en ren­voyant les gays à eux-mêmes.  Après leur avoir natu­rel­le­ment rap­pe­lé que l’Eglise reste accueil­lan­te com­me une mère aiman­te mais qu’elle ne peut en aucun cas aller au-delà.  Il les lais­se à leurs illu­sions.  En fait, Saint Paul a con­dam­né une seu­le fois les « sodo­mi­tes et les effé­mi­nés » et n’a plus jamais abor­dé le sujet par la sui­te.  Son geste est émi­nem­ment pau­li­nien.  Et la pre­u­ve c’est qu’il n’en a plus jamais par­lé par la sui­te.

Il est donc amu­sant – voi­re sur­réa­li­ste — dans ce con­tex­te de con­sta­ter que plu­sieurs revues gen­der aient nom­mé le pape « hom­me de l’année » de l’avant-gardisme des droi­ts des gays : si les mots ava­ient enco­re de l’importance en ce mon­de, si la logi­que avait enco­re un rôle à jouer, les homo­se­xuels devra­ient regar­der autour d’eux et fré­mir de con­ster­na­tion devant la soli­tu­de à laquel­le le pape les a lais­sés par ce sub­til geste pau­li­nien qui reste, com­me beau­coup de cho­ses sub­ti­les, incom­pris et mal inter­pré­té.  Preuve s’il en est de notre dépen­dan­ce à la dic­ta­tu­re toute-puissance de la super­fi­cia­li­té média­ti­que.  En-dehors mais éga­le­ment à l’intérieur de l’Eglise.

 Le Jésuite total

El Jesuita

El Jesuita

Il sera dif­fi­ci­le de con­te­ster ces affir­ma­tions au regard de la vie et de la per­son­na­li­té de Bergoglio.  Mais il est un autre point qui, s’il n’est pas moins impor­tant, est tout aus­si cru­cial : nous par­lons d’un jésui­te envers et con­tre tout, d’un jésui­te jusqu’au bout des ongles. Si nous ne par­tions pas de là, il nous serait impos­si­ble de résou­dre cet­te énig­me.

Si nous vou­lons véri­ta­ble­ment com­pren­dre sa façon de pen­ser, nous devons lire le meil­leur livre qui par­le de lui, celui écrit par son ami le Rabbin Skoka.  Dans cet ouvra­ge, Bergoglio, enco­re car­di­nal à l’époque, par­le de lui-même si bien que nous pou­vons faci­le­ment y retrou­ver tous les con­cep­ts qu’il évo­que dans les discours qu’il pro­non­ce aujourd’hui en tant que pape.

A pro­pos de l’homosexualité, il disait : « la reli­gion a le droit d’exprimer sa pro­pre opi­nion par­ce qu’elle est au ser­vi­ce des gens.  Si quelqu’un me deman­de un con­seil, j’ai le droit de lui en don­ner un.  Parfois, le mini­stre du cul­te atti­re l’attention sur cer­tains poin­ts de la vie pri­vée ou publi­que par­ce que c’est son rôle de gui­der les fidè­les.  Il n’a pas le droit de s’immiscer dans la vie pri­vée de qui que ce soit, bien sûr. »  Et déjà à l’époque, nous retrou­vons cet­te phra­se aujourd’hui célè­bre : « Si la créa­tion de Dieu a pris le risque de nous ren­dre libre, qui suis-je, moi, pour m’interposer ?  Nous con­dam­nons l’excès de pres­sion spi­ri­tuel­le lorsqu’un mini­stre du cul­te impo­se des direc­ti­ves et une ligne de con­dui­te d’une façon qui pri­ve l’autre de sa liber­té.  Dieu nous a lais­sés la liber­té de pécher.  Nous pou­vons par­ler en tou­te trans­pa­ren­ce des valeurs, des limi­tes, des com­man­de­ment, cer­tes, mais l’ingérence spi­ri­tuel­le et pasto­ra­le n’est pas per­mi­se… ».  C’est clair

Même s’il y aurait beau­coup à dire sur ce « droit de pécher » qui est dou­teux au point de vue théo­lo­gi­que, il s’agit malheu­reu­se­ment d’une don­née objec­ti­ve pour un jésui­te.  Toujours est-il que nous dispo­sons d’une don­née cer­tai­ne : il con­si­dè­re que l’homosexualité est un « péché » et il sou­li­gne avec rai­son que tou­te ingé­ren­ce spi­ri­tuel­le est pro­scri­te.  Il a rai­son con­cer­nant la con­scien­ce par­ce que cet­te der­niè­re est une ter­re sain­te dans la soli­tu­de de laquel­le notre con­scien­ce indi­vi­duel­le peut ren­con­trer Dieu et recon­naî­tre la véri­té, per­son­ne ne peut la vio­ler ni brû­ler les éta­pes.  C’est le lieu de la liber­té tota­le, inten­se au sens chré­tien du ter­me, où Dieu lais­se sa créa­tu­re libre de le choi­sir ou pas.

François a rai­son, non pas par­ce que c’est exac­te­ment ce qu’enseigne l’Eglise mais par­ce que c’est ain­si que les jésui­tes voient les cho­ses.  Bergoglio est jésui­te avant d’être catho­li­que et son inter­pré­ta­tion de l’Evangile est donc pro­fon­dé­ment jésui­te.

Des hommes plus virils

Il faut enco­re bien lire le Bergoglio jésui­te pour com­pren­dre le Bergoglio pape.  Il disait enco­re dans son dia­lo­gue avec le rab­bin : « l’homosexualité exi­ste depuis tou­jours.  L’île de Lesbos, par exem­ple, était con­nue pour héber­ger des fem­mes homo­se­xuel­les.  Mais jamais dans l’histoire per­son­ne n’avait cher­ché à lui don­ner le même sta­tut qu’au maria­ge.  Elle était tolé­rée ou pas, appré­ciée ou non mais jamais mise sur un pied d’égalité. »

Puis, il lui vint une intui­tion digne d’un grand anth­ro­po­lo­gue devant la déca­den­ce de l’Empire romain : « Nous savons que le phé­no­mè­ne de l’homosexualité a déjà par le pas­sé enre­gi­stré une crois­san­ce lors de cer­tains chan­ge­men­ts d’époque.   Mais aujourd’hui, c’est la pre­miè­re fois que se pose le pro­blè­me juri­di­que de l’assimiler au maria­ge et je con­si­dè­re qu’il s’agit là d’une per­te de valeurs et d’une régres­sion anth­ro­po­lo­gi­que.  J’emploie ces mots par­ce que ce thè­me dépas­se le domai­ne reli­gieux et relè­ve de l’anthropologie.  Dans le cas d’une union pri­vée on ne nuit ni à un tiers ni à la socié­té.   Si en revan­che on la con­si­dè­re com­me un maria­ge et qu’on per­met­te l’accès à l’adoption, cela entraî­ne le risque de nui­re à des enfan­ts.  Chaque indi­vi­du a besoin d’un père mascu­lin et d’une mère fémi­ni­ne qui puis­sent l’aider à con­strui­re sa pro­pre iden­ti­té.  ».  Et il répè­te : « J’insiste, notre opi­nion sur le maria­ge entre per­son­ne de même sexe n’a pas un fon­de­ment reli­gieux mais anth­ro­po­lo­gi­que.  Lorsque Mauricio Macri, le mai­re de Buenos Aires, n’a pas fait appel de la déci­sion pro­non­cée par un juge de pre­miè­re instan­ce qui auto­ri­sait le maria­ge homo­se­xuel, je me suis sen­ti obli­gé de don­ner ma pro­pre opi­nion.  C’était la pre­miè­re fois en dix-huit années d’épiscopal que j’attirai l’attention d’un fonc­tion­nai­re public. »

Le fait que le pape con­si­dè­re les unions gays davan­ta­ge com­me un pro­blè­me anth­ro­po­lo­gi­que que com­me un pro­blè­me reli­gieux n’affaiblit pas sa cri­ti­que mais la rend au con­trai­re enco­re plus radi­ca­le et plus alar­mi­ste.  Ce qu’il dit en fait, c’est qu’il ne s’agit pas d’un pro­blè­me qui ne devrait scan­da­li­ser que les catho­li­ques mais le mon­de entier : l’homme, l’humanité, tou­tes les per­son­nes douées de rai­son.

La chirurgie au secours de la théologie

Voilà com­ment rai­son­ne un jésui­te.  Le jésui­te ne s’intéresse pas aux que­stions reli­gieu­ses ou théo­lo­gi­ques mais aux que­stions humai­nes et anth­ro­po­lo­gi­ques : ce fut d’ailleurs l’une des rai­sons pour laquel­le on récla­ma à plu­sieurs repri­ses la sup­pres­sion de cet ordre con­tro­ver­sé aux papes.  Leurs diver­gen­ces n’étaient pas théo­lo­gi­ques mais anth­ro­po­lo­gi­ques, voi­là pour­quoi ils furent réad­mis dans la com­mu­nion de l’Eglise  une fois pas­sée, avec la Révolution fra­nçai­se, la tem­pê­te poli­ti­que qui les avait balayés et fait som­brer depuis leur reten­tis­san­te sup­pres­sion signée à son corps défen­dant par un pape fran­ci­scain, Clément XIV.  Si leurs désac­cords ava­ient été d’ordre théo­lo­gi­que et qu’ils ava­ient été chas­sés en tant qu’hérétiques, jamais aucun pape ne les aurait réad­mis au sein de l’Eglise.

Bergoglio est un jésui­te jusqu’au plus pro­fond de son âme et il tient en hor­reur les tri­ste­ment célè­bres péchés « con­tre natu­re » et de quel­que autre gen­re que ce soit d’ailleurs, du vol à la cor­rup­tion en pas­sant par la cor­rup­tion de la chair.  Cependant, com­me un chi­rur­gien ne tour­ne pas de l’œil devant la bles­su­re puru­len­te et gan­gre­née d’un patient et cher­che à la soi­gner avec sang-froid et pro­fes­sion­na­li­sme, Bergoglio  agit de façon sem­bla­ble en choi­sis­sant d’affronter le pro­blè­me sur le plan anth­ro­po­lo­gi­que plu­tôt que reli­gieux.  Il faut d’abord sau­ver la chair vivan­te de l’homme avant même de pen­ser à sau­ver son âme : c’est bien la hié­rar­chie des inter­ven­tions qu’il a appri­se chez les jésui­tes.

Dans ce même livre, Bergoglio décla­rait éga­le­ment ceci : « Un prê­tre de mes amis disait que Dieu nous a fait hom­me et fem­me pour que nous aimions et que nous nous aimions.  Souvent, dans les homé­lies que je pro­non­ce à l’occasion d’un maria­ge, je dis à l’époux qu’il doit la ren­dre elle plus fem­me et à son épou­se qu’il doit le ren­dre lui plus hom­me… ».  Il a effec­ti­ve­ment employé plu­sieurs fois cet­te expres­sion dans les homé­lies de maria­ge qu’il a célé­brés en tant que pape.

Au revoir et adieu !

L'équivoque ridicule

L’équivoque ridi­cu­le

Au fond, Bergoglio se moque de la façon dont on se com­por­te dans la vie pri­vée : celui qui ne veut pas écou­ter l’Evangile, il le lais­se à son « libre arbi­tre » et il ne lui cour­ra cer­tai­ne­ment pas après, il l’abandonne et pour lui le débat est clos, il se désin­té­res­se de lui.  À la grâ­ce de Dieu.  Si entre­temps celui qui se serait bri­sé les cor­nes con­tre ses pro­pres illu­sions choi­sis­sait de fai­re  mar­che arriè­re,  Bergoglio ne lui fer­me­rait pas pour autant la por­te au nez : les por­tes de l’Eglise restent tou­jours ouver­tes.  Bergoglio mar­che sa l’Evangile à la main mais sans l’utiliser com­me un bâton.  Telle est la liber­té qu’il offre: on peut soit rester et écou­ter l’Evangile ou être libre de s’en aller ado­rer ses pro­pres ido­les sans être per­sé­cu­té par qui que ce soit.  Au fond – dit-il – ce n’est pas notre pro­blè­me : il s’agit de votre corps et de votre âme.  Parler avec des gens qui, bap­ti­sés ou non, navi­guent et vivent con­tre natu­re ne l’intéresse pas.  Pareil pour celui qui a éri­gé le péché en systè­me de vie en se lais­sant cor­rom­pre : le mot « cor­rup­tion » est d’ailleurs le plus récur­rent dans les discours de Bergoglio et le plus abo­mi­na­ble pour lui : en Italie on pen­se qu’il ne fait réfé­ren­ce qu’aux poli­ti­ciens véreux alors qu’il par­le en fait de tou­te per­son­ne qui pèche et tom­be dans la « cor­rup­tion », c’est-à-dire dans le péché qui devient systé­ma­ti­que au point de finir par sédui­re et fai­re dérail­ler tou­te une vie, et donc une âme.

Dans la Lettre aux Romains (1:24), nous pou­vons lire : « Voilà pour­quoi, à cau­se des con­voi­ti­ses de leurs cœurs, Dieu les a livrés à l’impureté, de sor­te qu’ils désho­no­rent eux-mêmes leur corps.  Ils ont échan­gé la véri­té de Dieu con­tre le men­son­ge ; ils ont véné­ré la créa­tion et lui ont ren­du un cul­te plu­tôt qu’à son Créateur, lui qui est béni éter­nel­le­ment. Amen. ».  Amen signi­fie ain­si soit-il.  « Ainsi soit-il », dit Bergoglio devant les remon­tran­ces de ceux qui se reven­di­quent gays et fiers de l’être.  « Amen ».  Faites com­me bon bous sem­ble, peu m’importe.  « Amen », autre­ment dit, c’est ter­mi­né.

Bergoglio appli­que à la let­tre ce pas­sa­ge, que nous vou­lions le com­pren­dre ou non.

La pape situe la pro­blé­ma­ti­que de l’homosexualité non pas dans un con­tex­te d’affectivité mais dans un con­tex­te de men­son­ge obscur­ci par les « nou­vel­les ido­lâ­tries » de notre temps.  L’hédonisme est l’une de ces nou­vel­les ido­lâ­tries : l’adoration de la créa­tu­re est pour lui une for­me d’idolâtrie et de dégra­da­tion envers Dieu et si en cela il y a de « l’affectivité », elle est, pour Bergoglio, d’un gen­re plus pro­che d’un rap­port mer­ce­nai­re.  Il sait per­ti­nem­ment bien que l’un des fon­de­men­ts de l’homosexualité c’est pré­ci­sé­ment l’adoration de la créa­tu­re.  Il s’agit non pas une ado­ra­tion de l’essence mais bien de la matiè­re et de la for­me qui la com­po­se, il sait aus­si qu’un tel niveau d’amoralité et de maté­ria­li­sme ne pour­rait que beau­coup plus dif­fi­ci­le­ment être atteint dans le cas d’un hom­me et une fem­me unis par les liens du maria­ge.

On naît général et général il naquit

En fin de comp­te, le seul moyen de com­pren­dre le Bergoglio pape c’est de et d’étudier le Bergoglio jésui­te.  Un jésui­te non moder­ni­ste cepen­dant, atten­tion, car il est véri­ta­ble­ment igna­cien mais un niveau au-dessus : si Ignace a été capi­tai­ne avant de deve­nir géné­ral de la Compagnie, lui a tou­jours été géné­ral et non seu­le­ment de la Compagnie mais éga­le­ment de l’Eglise de Buenos Aires, com­me il le rela­te lui-même.  Donc nous n’aurons jamais un Bergoglio pape doc­tri­nal mais un géné­ral de la « Sainte Eglise hié­rar­chi­que » — une autre expres­sion igna­cien­ne qu’il répè­te sou­vent – non pas assis der­riè­re un bureau ou trô­nant dans un palais papal à tra­vail­ler sur des tex­tes mais debout en héros sur le champ de batail­le et il ne choi­sit ni les tran­chées ni la pre­miè­re ligne ni les tireurs d’élite, non : il pré­fè­re rester et agir depuis l’infirmerie du camp pour s’occuper des bles­sés.  Voilà ce qui expli­que sa rési­den­ce à Sainte Marthe, son mode de vie spar­tia­te et ses maniè­res spon­ta­nées et par­fois bru­sques.  Il gou­ver­ne en vrai jésui­te et cer­tai­ne­ment pas en fran­ci­scain et enco­re moins en moder­ni­ste.

Tel est le véri­ta­ble Bergoglio.  C’est un pur jésui­te, à l’énième puis­san­ce, igna­cien à sa maniè­re : Saint Ignace agis­sait sur ses trou­pes au moyen de la doc­tri­ne mais éga­le­ment à tra­vers le con­cept anth­ro­po­lo­gi­que du « Christ Homme » (rappelons-nous la chan­son Seigneur tu es mon capi­tai­ne) qui mène ses trou­pes à l’assaut.  Bergoglio uti­li­se les mêmes métho­des mais de façon plus moder­ne : il ras­sem­ble, con­fond et disper­se et  son arme est non la doc­tri­ne mais l’anthropologie : si Benoît don­nait la prio­ri­té à la rai­son de l’homme, Bergoglio, lui, est atten­tif à la chair vivan­te de l’homme.  Transposé dans le mon­de médi­cal, le pre­mier serait un pro­fes­seur d’anatomie patho­lo­gi­que renom­mé ensei­gnant ce que sont la mala­die et le corps humain et le second serait un sim­ple méde­cin mili­tai­re qui essaye­rait de pro­di­guer les pre­miers soins au corps d’un mala­de.

Est-ce un mora­li­ste ?  Oui et non.  Si nous nous fions au por­tait que font de lui les medias, non. Mais on peut le con­sta­ter à tra­vers son histoi­re jésui­te : en fait, les médias n’ont jamais par­lé du Bergoglio jésui­te.  Pour le reste, il mépri­se pro­fon­dé­ment non pas le pécheur qui tré­bu­che­rait occa­sion­nel­le­ment dans le péché mais la cor­rup­tion dans laquel­le se sont pré­ci­pi­tés les pécheurs d’habitude qui en on fait un mode de vie.  Ce n’est pas du mora­li­sme : c’est sim­ple­ment être catho­li­que.

Et c’est là, au cœur de son histoi­re tota­le­ment jésui­te, que se trou­vent les exer­ci­ces spi­ri­tuels de Saint Ignace, les seu­les vacan­ces que Bergoglio se soit jamais auto­ri­sées.

PS : Un autre détail mais qui a tou­te son impor­tan­ce per­met éga­le­ment de com­pren­dre le dégoût instinc­tif de Bergoglio pour la pro­blé­ma­ti­que de l’homosexualité : une cer­tai­ne sai­ne miso­gy­nie.  Et cela ne peut se com­pren­dre et s’expliquer que dans le con­tex­te jésui­te.  En effet, il s’agit du plus viril mais éga­le­ment du plus miso­gy­ne de tous les ordres reli­gieux à tel point qu’il est resté le seul à ne pas avoir aujourd’hui de bran­che fémi­ni­ne.  Ils sont et se sen­tent pro­fon­dé­ment mili­tai­res et géné­raux.  Des hom­mes.  Mais nous en repar­le­rons peut-être à une autre occa­sion.

Par Antonio Margheriti, d’après un arti­cle ori­gi­nal en ita­lien tra­duit et publié avec l’autorisation de l’auteur.

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