Guerres d’argent au Vatican. Avec le Pape parmi les belligérants

Pendant que le pape François est en train de prê­cher la paix en Thaïlande et au Japon, une guer­re tota­le fait rage au Vatican sur des que­stions d’argent.

Le Pape avait annon­cé deux nomi­na­tions impor­tan­tes avant son départ.  Mais l’une com­me l’autre sont loin de fai­re l’unanimité.

Le successeur du cardinal Pell

La pre­miè­re nomi­na­tion, qui a été ren­due publi­que le 14 novem­bre, est cel­le du nou­veau pré­fet de la secré­tai­re­rie pour l’économie, en la per­son­ne du jésui­te espa­gnol Juan Antonio Guerrero Alves, qui a un histo­ri­que d’économe dans la Compagnie de Jésus.

En réa­li­té, le poste de pré­fet était vacant depuis son titu­lai­re pré­cé­dent, le car­di­nal George Pell, avait quit­té Rome pour l’Australie, empor­té par des affai­res d’abus sexuels pour lesquel­les il est actuel­le­ment incar­cé­ré mais que la Cour suprê­me a récem­ment déci­dé de rée­xa­mi­ner, vu leur fia­bi­li­té dou­teu­se.

Il faut tou­te­fois noter que les pou­voirs de la secré­tai­re­rie pour l’économie, autre­fois très éten­dus à l’époque de sa fon­da­tion en 2014, ava­ient déjà été for­te­ment rédui­ts par le pape François bien avant le départ du car­di­nal Pell de Rome, à la gran­de sati­sfac­tion prin­ci­pa­le­ment de la secré­tai­re­rie d’État et de l’APSA, l’Administration du Patrimoine du Saint-Siège, l’un et l’autre refu­sant tou­te super­vi­sion et tout con­trô­le sur leurs opé­ra­tions finan­ciè­res respec­ti­ves.

On ne sait donc pas de quels pou­voirs effec­tifs le nou­veau pré­fet joui­ra réel­le­ment.  Le scep­ti­ci­sme règne jusque dans les rangs des plus fer­ven­ts par­ti­sans du pape Jorge Mario Bergoglio.  L’un d’entre eux, le jésui­te Thomas Reese, a écrit que « pour réus­sir, Guerrero devrait avoir une auto­ri­té que le pape ne lui don­ne­ra pro­ba­ble­ment pas ».

La démission de Brüelhart

La secon­de nomi­na­tion impor­tan­te, qui a elle été annon­cée le 18 novem­bre, c’est cel­le du nou­veau pré­si­dent de l’AIF, l’Autorité d’Information Financière, l’institut qui veil­le à la con­for­mi­té des opé­ra­tions finan­ciè­res du Vatican, dans le respect des nor­mes inter­na­tio­na­les, en lien avec les ser­vi­ces de ren­sei­gne­men­ts de nom­breux autres États.

En publiant cet­te annon­ce, la sal­le de pres­se vati­ca­ne a pré­ci­sé que le nou­veau pré­si­dent avait été dési­gné mais que son nom ne serait ren­du public qu’après le retour du Pape du Japon.

Mais qu’adviendra-t-il du pré­si­dent sor­tant, le Suisse René Brüelhart, qui est en poste depuis cinq ans ?  Le com­mu­ni­qué du 18 novem­bre pré­tend qu’il était arri­vé « en fin de man­dat ».  Mais M. Brüelhart a décla­ré le même jour à l’agence Reuters que son man­dat n’avait pas été limi­té dans le temps et que c’est lui qui avait démis­sion­né.

Et ce n’est pas tout.  L’un des qua­tre mem­bres du con­seil de direc­tion a éga­le­ment démis­sion­né avec lui, le Suisse Marc Odendall, qui a décla­ré à Associated Press que depuis, le 1er octo­bre, l’AIF se rédui­sait désor­mais à « une coquil­le vide ».

Le 1er octo­bre était le jour où, sur man­dat du tri­bu­nal du Saint-Siège, la gen­dar­me­rie vati­ca­ne sous les ordres du com­man­dant Domenico Giani avait per­qui­si­tion­né à l’improviste les locaux de l’AIF et de la secré­tai­re­rie d’État pour sai­sir des docu­men­ts, des ordi­na­teurs et des télé­pho­nes.  Et le jour sui­vant, cinq fonc­tion­nai­res du Vatican ava­ient été suspen­dus de leurs fonc­tions, dont Tommaso Di Ruzza, le direc­teur de l’AIF.

Avec pour con­sé­quen­ce que le Groupe Edmont – le réseau de ren­sei­gne­men­ts finan­ciers de 164 États dont le Saint-Siège qui échan­gent entre eux des infor­ma­tions dans le but de lut­ter con­tre le blan­chi­ment d’argent et d’autres déli­ts finan­ciers – a exclu l’AIF du cir­cuit, ne tolé­rant pas que les infor­ma­tions con­fi­den­tiel­les en sa pos­ses­sion en pro­ve­nan­ce d’autres États ne puis­sent tom­ber entre les mains de la gen­dar­me­rie du Vatican ou d’autres per­son­nes, com­me cela s’est pro­duit lors de la per­qui­si­tion.

Les jours sui­van­ts, l’AIF a publié un com­mu­ni­qué pour cla­mer l’intégrité de ses opé­ra­tions et sur­tout de son direc­teur, M. Di Ruzza.  Mais entre­temps, l’enquête judi­ciai­re ouver­te par la magi­stra­tu­re vati­ca­ne suit son cours.

Cette enquê­te – com­me nous l’avons appris d’un com­mu­ni­qué du Vatican du 1er octo­bre – est par­tie de « plain­tes dépo­sées début de l’été der­nier par l’Institut des œuvres de Religion et par le Bureau du Réviseur Général con­cer­nant une série d’opérations finan­ciè­res sur­ve­nues dans le pas­sé ».

La pre­miè­re vic­ti­me de ces plain­tes, c’est pré­ci­sé­ment l’AIF qui a été rédui­te à « une coquil­le vide » et ampu­tée de ses hommes-clés.

Mais c’est sur­tout la secré­tai­re­rie d’État qui se trou­ve dans la ligne de mire et qui fait l’objet de la plain­te de l’IOR.

La banque du Pape

Au sein de l’IOR, le pape François dispo­se de deux hom­mes tota­le­ment sous son con­trô­le, occu­pant deux fonc­tions clés, et qu’il a per­son­nel­le­ment nom­més tous les deux: le direc­teur géné­ral Gian Franco Mammì, qui était l’ancien respon­sa­ble des clien­ts de la « ban­que » du Vatican en Amérique lati­ne et qui est depuis lors pro­che du pape Bergoglio, ain­si que le « pré­lat » Battista Ricca, un ex-diplomate de car­riè­re rap­pe­lé à Rome à la sui­te de ses débor­de­men­ts homo­se­xuels, que le pape François a publi­que­ment absous au début de son pon­ti­fi­cat avec la célè­bre peti­te phra­se : « Qui suis-je pour juger ? ».

Il est donc impen­sa­ble que les plain­tes de l’IOR aient été dépo­sées l’été der­nier sans l’aval du Pape.

Mais quel­les sont donc ces « opé­ra­tions finan­ciè­res » qui font l’objet des inve­sti­ga­tions et qui ne sont pas détail­lées dans le com­mu­ni­qué du Vatican du 1er octo­bre ?

Il est désor­mais de noto­rié­té publi­que que l’opération prin­ci­pa­le con­cer­ne l’achat, par la secré­tai­re­rie d’État, d’un vaste immeu­ble situé dans un quar­tier hup­pé de Londres, situé 60 Sloane Avenue.  Une acqui­si­tion par­ti­cu­liè­re­ment dispen­dieu­se qui s’est dérou­lée via des moyens détour­nés d’une fia­bi­li­té dou­teu­se sous l’égide de la pre­miè­re sec­tion de la secré­tai­re­rie, cel­le qui était jusqu’à l’an der­nier diri­gée par le « sub­sti­tut » Giovanni Angelo Becciu, aujourd’hui car­di­nal, et qui se trou­ve aujourd’hui sous la direc­tion du véné­zué­lien Edgar Peña Parra.  En novem­bre 2015, le car­di­nal Pell, qui était enco­re à Rome à l’époque, avait fait part à Becciu de sa tota­le oppo­si­tion à cet­te opé­ra­tion mais son avis n’avait même pas été pris en con­si­dé­ra­tion.

Pour cou­ron­ner le tout, au début de l’année 2019, le suc­ces­seur de Becciu en char­ge de la pre­miè­re sec­tion de la secré­tai­re­rie d’État avait deman­dé à l’IOR une autre som­me impor­tan­te.  Et c’est à ce moment qu’a écla­té le con­flit qui allait mener au bli­tz de la gen­dar­me­rie du 1er octo­bre.  Non seu­le­ment l’IOR a refu­sé de four­nir cet­te som­me mais elle a éga­le­ment esti­mé que tou­te l’opération était irré­gu­liè­re, avant de dépo­ser plain­te au tri­bu­nal du Vatican, et de dénon­cer dans la fou­lée l’AIF pour man­que de vigi­lan­ce.

Conflit au sommet à la secrétairerie d’État

Mais plus enco­re que Peña Parra, c’est Becciu qui se trou­ve à pré­sent sur la sel­let­te, étant don­né que la plus gran­de par­tie de l’opération lon­do­nien­ne s’est dérou­lée à son ini­tia­ti­ve et sous sa direc­tion.  Ce n’est pas un hasard si par­mi les cinq fonc­tion­nai­res suspen­dus de leurs fonc­tions le 2 octo­bre, on retrou­ve notam­ment Mauro Carlino, le respon­sa­ble du bureau d’informations de la secré­tai­re­rie d’État qui n’est autre que l’ancien secré­tai­re de Becciu lui-même.

Becciu a immé­dia­te­ment cla­mé avec for­ce la léga­li­té de son opé­ra­tion dans plu­sieurs décla­ra­tions publi­ques.  Mais le 30 octo­bre, le car­di­nal secré­tai­re d’État Pietro Parolin, qui était jusque-là resté à l’écart de la mêlée, s’est publi­que­ment expri­mé con­tre lui en qua­li­fiant de « plu­tôt opa­que » l’opération d’acquisition de cet immeu­ble, tout s’en remet­tant aux magi­stra­ts du Vatican pour fai­re la clar­té sur cet­te affai­re.

La réac­tion cour­rou­cée de Becciu ne s’est pas fai­te atten­dre.  « Il n’y a rien eu d’opaque », a‑t-il dit, et ces accu­sa­tions ne sont qu’une « ten­ta­ti­ve de me salir ».  Mais en atten­dant, une autre opé­ra­tion dou­teu­se du Vatican s’est retrou­vée sous les feux des médias, elle aus­si essen­tiel­le­ment de son fait : l’acquisition par la secré­tai­re­rie d’État d’une part impor­tan­te d’un hôpi­tal spé­cia­li­sé de Rome, l’Instituto Dermopatico dell’Immacolata, ou IDI, appar­te­nant à un ordre reli­gieux et tom­bé en fail­li­te.

Pour finan­cer cet­te acqui­si­tion, Becciu avait en 2015 sol­li­ci­té un prêt impor­tant à l’IOR qui avait refu­sé en esti­mant que ce prêt ne serait jamais rem­bour­sé.  Et même le car­di­nal Pell s’était pro­non­cé con­tre.

Pour obte­nir l’argent, Becciu s’était alors tour­né vers l’APSA, à l’époque pré­si­dée par un car­di­nal entré dans les grâ­ces du pape François, Domenico Calcagno.  Et cet­te fois, l’argent était arri­vé.  Mais avec une garan­tie sup­plé­men­tai­re.  Pour se pro­té­ger con­tre le défaut de rem­bour­se­ment pro­ba­ble du prêt, l’APSA avait deman­dé une dona­tion de 25 mil­lions de dol­lars à la « Papal Fondation », une fon­da­tion amé­ri­cai­ne.  Et pour vain­cre la réti­cen­ce de cet­te fon­da­tion à débour­ser une tel­le som­me, les car­di­naux Donald Wuerl et Theodore McCarrick était mon­tés au cré­neau, ce der­nier étant enco­re en fonc­tion à cet­te épo­que.  En 2017, la fon­da­tion a ver­sé 13 mil­lions de dol­lars et en 2019, elle a obte­nu que cet­te dona­tion soit con­ver­tie en prêt rem­bour­sa­ble.

Au moment où ces fai­ts se sont pro­dui­ts, tout le mon­de au Vatican savait que Becciu avait joué un rôle de pre­mier plan dans cet­te affai­re, au moins pen­dant tou­te la pério­de où il avait occu­pé le poste de « sub­sti­tut » à la secré­tai­re­rie d’État, soit jusqu’au 29 juin 2018.

Mais à pré­sent, Becciu dément tou­te respon­sa­bi­li­té dans l’achat de l’IDI.  Et il y a quel­ques jours, à l’improviste, le car­di­nal Parolin lui-même a volé à son secours.

Interpellé le 20 novem­bre par la Catholic News Agency, une agen­ce amé­ri­cai­ne, le car­di­nal secré­tai­re d’État a reven­di­qué avoir mené lui-même l’opération d’achat de l’IDI avec l’implication de l’APSA et de la Papal Foundation.

Parolin a nié l’existence d’un « com­plot de Curie » visant à acca­bler Becciu et à ter­nir sa répu­ta­tion.  Et en tout cas, il s’en est déso­li­da­ri­sé : « Je suis com­plè­te­ment étran­ger à tou­te manœu­vre de ce gen­re : et pour autant qu’il y en ait eu une, je la con­dam­ne dans les ter­mes les plus forts ».

Il a sur­tout tenu à sou­li­gner que l’achat de l’IDI avait été « réa­li­sé avec des inten­tions lim­pi­des et à tra­vers des pro­cé­du­res hon­nê­tes ».

Mais les obser­va­teurs exter­nes ont du mal à démê­ler le vrai du faux dans ce jeu de dupes entre le car­di­nal secré­tai­re d’État en fonc­tion et celui qui a été son « sub­sti­tut » entre 2013 Et 2018.

Il n’en demeu­re pas moins que l’acquisition d’une par­tie impor­tan­te de d’IDI par la secré­tai­re­rie d’État à tra­vers l’APSA sem­ble vio­ler les règles ban­cai­res euro­péen­nes de 2012 que Moneyval est char­gé de fai­re respec­ter.  Celles-ci inter­di­sent à l’APSA, en tant que ban­que cen­tra­le du Vatican, de fai­re des prê­ts à des par­ti­cu­liers et de pren­dre part à des tran­sac­tions com­mer­cia­les.

Mandat d’arrêt pour l’Assesseur de l’APSA

Mais ce n’est pas tout.  Parce qu’à son retour de Rome, François devra fai­re face à une que­stion enco­re plus brû­lan­te pour lui, une que­stion qui con­cer­ne elle aus­si l’APSA et plus par­ti­cu­liè­re­ment l’homme que le Pape y a nom­mé avec la fonc­tion iné­di­te d’« asses­seur », l’évêque argen­tin Gustavo Óscar Zanchetta.

Zanchetta est l’ami et le fils spi­ri­tuel du pape Bergoglio depuis l’époque où ce der­nier était arche­vê­que de Buenos Aires et qu’il était lui-même sous-secrétaire de la Conférence épi­sco­pa­le d’Argentine.  Une fois deve­nu Pape, Bergoglio l’a immé­dia­te­ment nom­mé évê­que d’Orán, un poste dont Zanchetta a pour­tant fini par démis­sion­ner en 2017, pré­tex­tant de vagues « rai­sons de san­té ».  Et en décem­bre de cet­te même année, le Pape l’avait rap­pe­lé au Vatican pour le nom­mer « asses­seur » à l’APSA mal­gré qu’il n’ait aucu­ne com­pé­ten­ce en matiè­re admi­ni­stra­ti­ve.  La rai­son de cet­te nomi­na­tion était en fait très dif­fé­ren­te.  Il s’agissait de met­tre à l’abri son ami con­tre les con­sé­quen­ces des accu­sa­tions cir­con­stan­ciées de ses méfai­ts sexuels à l’encontre de ses sémi­na­ri­stes qui ava­ient été dénon­cées à Rome depuis 2015 par des prê­tres du dio­cè­se d’Orán.

S’en est sui­vi l’ouverture d’un pro­cès cano­ni­que et civil à son encon­tre.  On n’a aucu­ne infor­ma­tion con­cer­nant le pre­mier mais le second suit son cours en Argentine et, le 21 novem­bre der­nier, une deman­de de man­dat d’arrêt inter­na­tio­nal à été dépo­sée l’encontre de Zanchetta, qui est tou­jours domi­ci­lié dans la Cité du Vatican, à la rési­den­ce Sainte-Marthe.

La deman­de de man­dat d’arrêt a été dépo­sée au tri­bu­nal d’Orán char­gé de l’affaire par le mini­stè­re public, Maria Soledad Filtrin Cuezzo, qui est pro­cu­reur pénal du bureau pour les vio­len­ces liées au gen­re et les cri­mes con­tre l’intégrité sexuel­le.

Mais il n’y aura nul besoin que cet­te deman­de soit ren­due exé­cu­toi­re pui­sque same­di 23 novem­bre au soir, le défen­seur cano­ni­que de Zanchetta, Javier Belda Iniesta, a com­mu­ni­qué que l’ac­cu­sé — qui con­ti­nue à cla­mer son inno­cen­ce — “pren­dra l’a­vion lun­di 25 novem­bre après-midi pour atter­rir à l’aé­ro­port de Salta le 26 novem­bre au matin”.

DROIT DE RÉPONSE:
> L’IDI con­fir­me avoir reçu 13 mil­lions de dol­lars de la secré­tai­re­rie d’État. A rem­bour­ser

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 25/11/2019