« Fiducia supplicans ». Le cardinal Sarah : « On s’oppose à une hérésie qui mine gravement l’Église »

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(s.m.) Le car­di­nal Robert Sarah a con­fié à Settimo Cielo la réfle­xion qui va sui­vre sur l’état actuel de con­fu­sion dans l’Église, avec un « scan­da­le des peti­ts » enco­re aggra­vé par la récen­te décla­ra­tion du Dicastère pour la doc­tri­ne de la foi « Fiducia sup­pli­cans », un scan­da­le dont, com­me l’a dit Jésus, seu­le « la véri­té nous ren­dra libres » (Jn 8, 32).

Âgé de 78 ans, le car­di­nal Robert Sarah est né et a gran­di en Guinée, il a fait ses étu­des de théo­lo­gie à Rome et ses étu­des bibli­ques à Jérusalem, il a été curé dans un vil­la­ge de la sava­ne puis évê­que de Conakry, la capi­ta­le, où il a été un défen­seur infa­ti­ga­ble de la liber­té reli­gieu­se et civi­le sous une dic­ta­tu­re impla­ca­ble, allant jusqu’à risquer sa pro­pre vie.

Appelé à Rome en 2001 par Jean-Paul II com­me secré­tai­re de la Congrégation pour l’évangélisation des peu­ples, il a été créé car­di­nal en 2010 par Benoît XVI, qui l’a nom­mé pré­si­dent du con­seil pon­ti­fi­cal « Cor Unum », pour sou­te­nir les popu­la­tions en détres­se. Le 23 novem­bre 2014, le Pape François l’a nom­mé pré­fet de la Congrégation pour le cul­te divin et la disci­pli­ne des sacre­men­ts, une char­ge dont il a été con­gé­dié le 20 février 2021.

Robert Sarah est l’un des cinq car­di­naux qui ont signé les « dubia » pré­sen­tés au Pape l’été der­nier, rece­vant des répon­ses qu’ils furent les pre­miers à trou­ver élu­si­ves.

Il est l’auteur de nom­breux ouvra­ges parus en plu­sieurs lan­gues, à l’impact spi­ri­tuel majeur, et c’est l’une des per­son­na­li­tés les plus impor­tan­tes de l’Église afri­cai­ne, à laquel­le il don­ne voix dans ce tex­te.

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MESSAGE DE NOËL

par Robert Sarah

Rome, le 6 jan­vier 2024, en la fête de l’Epiphanie du Seigneur

A Noël, le Prince de la Paix s’est fait hom­me pour nous. A tout hom­me de bon­ne volon­té, il appor­te la paix qui vient du Ciel. « Je vous lais­se la paix, je vous don­ne ma paix, mais ce n’est pas à la maniè­re du mon­de que je vous la don­ne » (Jean 14, 27). La paix que Jésus nous appor­te n’est pas un nua­ge creux, elle n’est pas la paix mon­dai­ne qui n’est sou­vent qu’un com­pro­mis ambi­gu, négo­cié entre les inté­rê­ts et les men­son­ges des uns et des autres. La paix de Dieu est véri­té. « La véri­té est la for­ce de la paix par­ce qu’el­le révè­le et opè­re l’u­ni­té de l’hom­me avec Dieu, avec lui-même, avec les autres. La véri­té affer­mit la paix et con­struit la paix », ensei­gnait saint Jean-Paul II [1]. La Vérité fai­te chair est venue habi­ter au milieu des hom­mes. Sa lumiè­re ne trou­ble pas. Sa paro­le ne sème pas la con­fu­sion et le désor­dre, mais elle révè­le la réa­li­té de tou­te cho­se. Il EST la véri­té et par con­sé­quent il est « signe de con­tra­dic­tion » et « dévoi­le les pen­sées d’un grand nom­bre de cœurs » (Luc 2, 34).

La véri­té est la pre­miè­re des misé­ri­cor­des que Jésus offre au pécheur. Saurons-nous à notre tour fai­re œuvre de misé­ri­cor­de dans la véri­té ? Le risque est grand pour nous de cher­cher la paix du mon­de, la popu­la­ri­té mon­dai­ne qui s’achète au prix du men­son­ge, de l’ambiguïté et du silen­ce com­pli­ce.

Cette paix du mon­de est faus­se et super­fi­ciel­le. Car le men­son­ge, la com­pro­mis­sion et la con­fu­sion engen­drent la divi­sion, le sou­pçon et la guer­re entre frè­res. Le Pape François le rap­pe­lait il y a peu : « Diable signi­fie “divi­seur”. Le dia­ble veut tou­jours créer la divi­sion. » [2] Le dia­ble divi­se par­ce que « il n’y a pas de véri­té en lui : quand il pro­fè­re le men­son­ge, il par­le de son pro­pre fonds, par­ce qu’il est men­teur et père du men­son­ge » (Jean 8, 44).

Précisément, la con­fu­sion, le man­que de clar­té et de véri­té et la divi­sion ont trou­blé et assom­bri la fête de Noël cet­te année. Certains médias pré­ten­dent que l’Eglise catho­li­que encou­ra­ge­rait la béné­dic­tion des unions de per­son­nes du même sexe. Ils men­tent. Ils font l’œuvre du divi­seur. Certains évê­ques vont dans le même sens, ils sèment le dou­te et le scan­da­le dans les âmes de foi en pré­ten­dant bénir les unions homo­se­xuel­les com­me si elles éta­ient légi­ti­mes, con­for­mes à la natu­re créée par Dieu, com­me si elles pou­va­ient con­dui­re à la sain­te­té et au bon­heur humain. Ils ne font qu’engendrer erreur, scan­da­le, dou­tes et décep­tions. Ces Evêques igno­rent ou oublient l’avertissement sévè­re de Jésus con­tre ceux qui scan­da­li­sent les peti­ts : « Si quelqu’un scan­da­li­se un de ces peti­ts qui cro­ient en moi, il vau­drait mieux qu’on lui suspen­de au cou une meu­le de mou­lin et qu’on le jet­te au fond de la mer » (Mt 18, 6). Une récen­te décla­ra­tion du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, publiée avec l’approbation du Pape François, n’a pas su cor­ri­ger ces erreurs et fai­re œuvre de véri­té. Bien plus, par son man­que de clar­té, elle n’a fait qu’amplifier le trou­ble qui règne dans les cœurs et cer­tains s’en sont même empa­ré pour appuyer leur ten­ta­ti­ve de mani­pu­la­tion.

Que fai­re face à la con­fu­sion qu’a semée le divi­seur jusqu’au sein de l’Eglise ? : « On ne discu­te pas avec le dia­ble ! ‑disait le Pape François. On ne négo­cie pas, on ne dia­lo­gue pas ; on ne le vainc pas en négo­ciant avec lui. Nous vain­quons le dia­ble en lui oppo­sant avec foi la Parole divi­ne. Ainsi, Jésus nous apprend à défen­dre l’unité avec Dieu et entre nous con­tre les atta­ques du divi­seur. La Parole divi­ne est la répon­se de Jésus à la ten­ta­tion du dia­ble. » [3] Dans la logi­que de cet ensei­gne­ment du Pape François, nous aus­si, ne discu­tons pas avec le divi­seur. N’entrons pas en discus­sion avec la Déclaration “Fiducia sup­pli­cans”, ni avec les diver­ses récu­pé­ra­tions que l’on a vu se mul­ti­plier. Répondons sim­ple­ment par la Parole de Dieu et par le Magistère et l’enseignement tra­di­tion­nel de l’Eglise.

Pour gar­der la paix et l’unité dans la véri­té, osons refu­ser de discu­ter avec le divi­seur, osons répon­dre à la con­fu­sion par la paro­le de Dieu. Car « vivan­te, en effet, est la paro­le de Dieu, effi­ca­ce et plus inci­si­ve qu’aucun glai­ve à deux tran­chan­ts, elle pénè­tre jusqu’au point de divi­sion de l’âme et de l’esprit, des arti­cu­la­tions et des moel­les, elle peut juger les sen­ti­men­ts et les pen­sées du cœur » (He 4,12).

Comme Jésus face à la sama­ri­tai­ne osons dire la véri­té. « Tu as rai­son de dire : je n’ai point de mari car tu as eu cinq maris et celui que tu as main­te­nant n’est pas ton mari. En cela tu dis vrai. » (Jean 4, 18) Que dire à des per­son­nes enga­gées dans des unions homo­se­xuel­les ? Comme Jésus, osons la pre­miè­re des misé­ri­cor­des : la véri­té objec­ti­ve des actes.

Avec le Catéchisme de l’Eglise catho­li­que (2357), nous pou­vons donc affir­mer : « L’homosexualité dési­gne les rela­tions entre des hom­mes ou des fem­mes qui éprou­vent une atti­ran­ce sexuel­le, exclu­si­ve ou pré­do­mi­nan­te, envers des per­son­nes du même sexe. Elle revêt des for­mes très varia­bles à tra­vers les siè­cles et les cul­tu­res. Sa genè­se psy­chi­que reste lar­ge­ment inex­pli­quée. S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les pré­sen­te com­me des dépra­va­tions gra­ves (cf. Gn 19, 1–29 ; Rm 1, 24–27 ; 1 Co 6, 10 ; 1 Tm 1, 10), la Tradition a tou­jours décla­ré que “les actes d’homosexualité sont intrin­sè­que­ment désor­don­nés” (CDF, décl. “Persona huma­na” 8). Ils sont con­trai­res à la loi natu­rel­le. Ils fer­ment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne pro­cè­dent pas d’une com­plé­men­ta­ri­té affec­ti­ve et sexuel­le véri­ta­ble. Ils ne sau­ra­ient rece­voir d’approbation en aucun cas. »

Toute appro­che pasto­ra­le qui ne rap­pel­le­rait pas cet­te véri­té objec­ti­ve man­que­rait à la pre­miè­re œuvre de misé­ri­cor­de qui est le don de la véri­té. Cette objec­ti­vi­té de la véri­té n’est pas con­trai­re avec l’attention por­tée à l’intention sub­jec­ti­ve des per­son­nes. Mais l’enseignement magi­stral et défi­ni­tif de saint Jean-Paul II doit être ici rap­pe­lé :

« Il con­vient de con­si­dé­rer avec atten­tion le rap­port exact qui exi­ste entre la liber­té et la natu­re humai­ne et, en par­ti­cu­lier, la pla­ce du corps humain du point de vue de la loi natu­rel­le. (…)

« La per­son­ne, com­pre­nant son corps, est entiè­re­ment con­fiée à elle-même, et c’e­st dans l’u­ni­té de l’â­me et du corps qu’el­le est le sujet de ses actes moraux. Grâce à la lumiè­re de la rai­son et au sou­tien de la ver­tu, la per­son­ne décou­vre en son corps les signes annon­cia­teurs, l’ex­pres­sion et la pro­mes­se du don de soi, en con­for­mi­té avec le sage des­sein du Créateur. (…)

« Une doc­tri­ne qui dis­so­cie l’ac­te moral des dimen­sions cor­po­rel­les de son exer­ci­ce est con­trai­re aux ensei­gne­men­ts de la Sainte Ecriture et de la Tradition : une tel­le doc­tri­ne fait revi­vre, sous des for­mes nou­vel­les, cer­tai­nes erreurs ancien­nes que l’Eglise a tou­jours com­bat­tues, car elles rédui­sent la per­son­ne humai­ne à une liber­té ‘spi­ri­tuel­le’ pure­ment for­mel­le. Cette réduc­tion mécon­naît la signi­fi­ca­tion mora­le du corps et des com­por­te­men­ts qui s’y rat­ta­chent (cf. 1 Co 6, 19). L’Apôtre Paul décla­re que n’hé­ri­te­ront du Royaume de Dieu ‘ni impu­di­ques, ni ido­lâ­tres, ni adul­tè­res, ni dépra­vés, ni gens de mœurs infâ­mes, ni voleurs, ni cupi­des, pas plus qu’i­vro­gnes, insul­teurs ou rapa­ces’ (1 Co 6, 9–10). Cette con­dam­na­tion, for­mel­le­ment expri­mée par le Concile de Trente met au nom­bre des ‘péchés mor­tels’, ou des ‘pra­ti­ques infâ­mes’, cer­tains com­por­te­men­ts spé­ci­fi­ques dont l’ac­cep­ta­tion volon­tai­re empê­che les croyan­ts d’a­voir part à l’hé­ri­ta­ge pro­mis. En effet, le corps et l’â­me sont indis­so­cia­bles : dans la per­son­ne, dans l’a­gent volon­tai­re et dans l’ac­te déli­bé­ré, ils demeu­rent ou se per­dent ensem­ble. » (“Veritatis splen­dor” 48–49)

Mais un disci­ple de Jésus ne sau­rait s’en tenir là. Face à la fem­me adul­tè­re, Jésus fait œuvre de par­don dans la véri­té : « Moi non plus je ne te con­dam­ne pas, va et désor­mais ne pêche plus. » (Jean 8, 11) Il offre un che­min de con­ver­sion, de vie dans la véri­té.

La Déclaration “Fiducia sup­pli­cans” écrit que la béné­dic­tion est au con­trai­re desti­née aux per­son­nes qui « deman­dent que tout ce qui est vrai, bon et humai­ne­ment vala­ble dans leur vie et dans leurs rela­tions soit inve­sti, gué­ri et éle­vé par la pré­sen­ce de l’Esprit Saint » (n. 31). Mais qu’y a‑t-il de bon, de vrai et d’humainement vala­ble dans une rela­tion homo­se­xuel­le, défi­nie par les Saintes Ecritures et la Tradition com­me une dépra­va­tion gra­ve et « intrin­sè­que­ment désor­don­née » ? Comment un tel écrit peut-il cor­re­spon­dre au Livre de la Sagesse qui affir­me : « Les pen­sées tor­tueu­ses éloi­gnent de Dieu, et, mise à l’épreuve, la Puissance con­fond les insen­sés. Non, la Sagesse n’entre pas dans une âme mal­fai­san­te, elle n’habite pas dans un corps tri­bu­tai­re du péché. Car l’Esprit Saint, l’éducateur, fuit la four­be­rie » (Sg 1,3–5). L’unique cho­se à deman­der aux per­son­nes qui vivent une rela­tion con­tre natu­re, c’est de se con­ver­tir et de se con­for­mer à la Parole de Dieu.

Avec le Catéchisme de l’Eglise catho­li­que (2358–2359), nous pou­vons pré­ci­ser davan­ta­ge en disant : « Un nom­bre non négli­gea­ble d’hommes et de fem­mes pré­sen­te des ten­dan­ces homo­se­xuel­les fon­ciè­res. Cette pro­pen­sion, objec­ti­ve­ment désor­don­née, con­sti­tue pour la plu­part d’entre eux une épreu­ve. Ils doi­vent être accueil­lis avec respect, com­pas­sion et déli­ca­tes­se. On évi­te­ra à leur égard tou­te mar­que de discri­mi­na­tion inju­ste. Ces per­son­nes sont appe­lées à réa­li­ser la volon­té de Dieu dans leur vie, et si elles sont chré­tien­nes, à unir au sacri­fi­ce de la croix du Seigneur les dif­fi­cul­tés qu’elles peu­vent ren­con­trer du fait de leur con­di­tion. Les per­son­nes homo­se­xuel­les sont appe­lées à la cha­ste­té. Par les ver­tus de maî­tri­se, édu­ca­tri­ces de la liber­té inté­rieu­re, quel­que­fois par le sou­tien d’une ami­tié désin­té­res­sée, par la priè­re et la grâ­ce sacra­men­tel­le, elles peu­vent et doi­vent se rap­pro­cher, gra­duel­le­ment et réso­lu­ment, de la per­fec­tion chré­tien­ne. »

Comme le rap­pe­lait Benoît XVI, « en tant qu’ê­tres humains, les per­son­nes homo­se­xuel­les méri­tent le respect (…) ; elles ne doi­vent pas être reje­tés à cau­se de cela. Le respect de l’ê­tre humain est tout à fait fon­da­men­tal et déci­sif. Mais cela ne signi­fie pas que l’ho­mo­se­xua­li­té soit juste pour autant. Elle reste quel­que cho­se qui s’op­po­se radi­ca­le­ment à l’es­sen­ce même de ce que Dieu a vou­lu à l’o­ri­gi­ne. »

La Parole de Dieu tran­smi­se par la Sainte Ecriture et la Tradition est donc le seul fon­de­ment soli­de, le seul fon­de­ment de véri­té sur lequel cha­que Conférence épi­sco­pa­le doit pou­voir bâtir une pasto­ra­le de misé­ri­cor­de et de véri­té envers les per­son­nes homo­se­xuel­les. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique nous en offre une puis­san­te syn­thè­se, il répond au désir du Concile Vatican II « d’amener tous les hom­mes, par le resplen­dis­se­ment de la véri­té de l’Evangile, à recher­cher et à rece­voir l’amour du Christ qui est au-dessus de tout. » [4]

Il me faut remer­cier les Conférences épi­sco­pa­les qui ont déjà fait ce tra­vail de véri­té en par­ti­cu­lier cel­les du Cameroun, du Tchad, du Nigéria, etc., dont je par­ta­ge et fais mien­nes les déci­sions et l’opposition fer­me à la Déclaration “Fiducia sup­pli­cans”. Il faut encou­ra­ger les autres Conférences Episcopales natio­na­les ou régio­na­les et cha­que évê­que à fai­re de même. Faisant ain­si, on ne s’oppose pas au Pape François, mais on s’oppose fer­me­ment et radi­ca­le­ment à une héré­sie qui mine gra­ve­ment l’Eglise, Corps du Christ, par­ce que con­trai­re à la foi catho­li­que et à la Tradition.

Benoit XVI sou­li­gnait que « la notion de “maria­ge homo­se­xuel” est en con­tra­dic­tion avec tou­tes les cul­tu­res de l’humanité qui se sont suc­cé­dé jusqu’à ce jour et signi­fie donc une révo­lu­tion cul­tu­rel­le qui s’oppose à tou­te la tra­di­tion de l’humanité jusqu’à ce jour ». Je crois que l’Eglise d’Afrique en a une très vive con­scien­ce. Elle n’oublie pas la mis­sion essen­tiel­le que les der­niers Papes lui ont con­fiée. Le Pape Paul VI, s’adressant aux Evêques afri­cains réu­nis à Kampala, en 1969, a décla­ré : « Nova Patria Christi Africa : La Nouvelle Patrie du Christ, c’est l’Afrique ». Le Pape Benoît XVI a, à deux repri­ses, con­fié à l’Afrique une mis­sion énor­me : cel­le d’être le pou­mon spi­ri­tuel de l’humanité à cau­se des riches­ses humai­nes et spi­ri­tuel­les inouïes de ses enfan­ts, de ses cul­tu­res. Il disait dans son homé­lie du 4 octo­bre 2009 : « L’Afrique repré­sen­te un immen­se “pou­mon” spi­ri­tuel, pour une huma­ni­té qui sem­ble en cri­se de foi et d’e­spé­ran­ce. Mais ce “pou­mon” peut aus­si tom­ber mala­de. Et, à l’heu­re actuel­le, au moins deux patho­lo­gies dan­ge­reu­ses sont en train de l’at­ta­quer : avant tout, une mala­die déjà dif­fu­sée dans le mon­de occi­den­tal, à savoir le maté­ria­li­sme pra­ti­que, asso­cié à la pen­sée rela­ti­vi­ste et nihi­li­ste […] Le soi-disant “pre­mier” mon­de a par­fois expor­té et con­ti­nue d’ex­por­ter des déche­ts spi­ri­tuels toxi­ques qui con­ta­mi­nent les popu­la­tions des autres con­ti­nen­ts, par­mi lesquels juste­ment les popu­la­tions afri­cai­nes » [5].

Jean-Paul II a rap­pe­lé aux Africains qu’ils doi­vent par­ti­ci­per à la souf­fran­ce et à la Passion du Christ pour le salut de l’humanité, « car le nom de cha­que afri­cain est inscrit sur les Paumes cru­ci­fiées du Christ » [6].

Sa mis­sion pro­vi­den­tiel­le aujourd’hui est peut-être de rap­pe­ler à l’Occident que l’homme n’est rien sans la fem­me, la fem­me n’est rien sans l’homme et les deux ne sont rien sans ce troi­siè­me élé­ment qu’est l’enfant. Saint Paul VI avait sou­li­gné « l’apport irrem­plaça­ble des valeurs tra­di­tion­nel­les de ce con­ti­nent : la vision spi­ri­tuel­le de la vie, le respect pour la digni­té humai­ne, le sens de la famil­le et de la com­mu­nau­té » (“Africae ter­ra­rum” 8–12). L’Eglise en Afrique vit de cet héri­ta­ge. A cau­se du Christ et par la fidé­li­té à son ensei­gne­ment et à sa leçon de vie, il lui est impos­si­ble d’accepter des idéo­lo­gies inhu­mai­nes pro­mues par un Occident déchri­stia­ni­sé et déca­dent.

L’Afrique a une con­scien­ce vive du néces­sai­re respect de la natu­re créée par Dieu. Il ne s’agit pas d’ouverture d’esprit et de pro­grès socié­tal com­me le pré­ten­dent les médias occi­den­taux. Il s’agit de savoir si nos corps sexués sont le don de la sages­se du Créateur ou bien une réa­li­té sans signi­fi­ca­tion, voi­re arti­fi­ciel­le. Mais ici enco­re Benoît XVI nous aver­tit : « Lorsque l’on renon­ce à l’idée de la créa­tion, on renon­ce à la gran­deur de l’homme. » L’Eglise d’Afrique a por­té avec for­ce la défen­se de la digni­té de l’homme et de la fem­me créés par Dieu au der­nier syno­de. Sa voix est sou­vent igno­rée, mépri­sée ou con­si­dé­rée com­me exces­si­ve par ceux qui n’ont pour uni­que obses­sion que de com­plai­re aux lob­bys occi­den­taux.

L’Eglise d’Afrique est la voix des pau­vres, des sim­ples et des peti­ts. Elle est char­gée de cla­mer la Parole de Dieu face à des chré­tiens d’Occident qui, par­ce qu’ils sont riches, dotés de com­pé­ten­ces mul­ti­ples en phi­lo­so­phie, en scien­ces théo­lo­gi­ques, bibli­ques, cano­ni­ques, se cro­ient évo­lués, moder­nes et sages de la sages­se du mon­de. Mais « la folie de Dieu est plus sage que les hom­mes » (1Cor 1, 25). Il n’est donc pas sur­pre­nant que les évê­ques d’Afrique, dans leur pau­vre­té, soient aujourd’hui les héraul­ts de cet­te véri­té divi­ne face à la puis­san­ce et à la riches­se de cer­tains épi­sco­pa­ts d’Occident. Car « ce qu’il y a de fou dans le mon­de, voi­là ce que Dieu a choi­si pour con­fon­dre les sages ; ce qu’il y a de fai­ble dans le mon­de, voi­là que Dieu a choi­si pour con­fon­dre ce qui est fort. Ce qui dans le mon­de est sans nais­san­ce et ce que l’on mépri­se, voi­là ce que Dieu a choi­si ; ce qui n’est pas, voi­là ce que Dieu a choi­si pour rédui­re à rien ce qui est, afin qu’aucune chair n’aille se glo­ri­fier devant Dieu » (1Cor 1, 27–28). Mais osera-t-on les écou­ter lors de la pro­chai­ne ses­sion du Synode sur la syno­da­li­té ? Ou doit-on croi­re que, mal­gré les pro­mes­ses d’écoute et de respect, il ne sera tenu aucun comp­te de leurs aver­tis­se­men­ts com­me on le voit aujourd’hui ? « Méfiez-vous des hom­mes » (Mt 10, 22), dit le Seigneur Jésus, car tou­te cet­te con­fu­sion, susci­tée par la Déclaration “Fiducia sup­pli­cans”, pour­rait réap­pa­raî­tre sous d’autres for­mu­la­tions plus sub­ti­les et plus cachées à la secon­de Session du Synode sur la syno­da­li­té, en 2024, ou dans le tex­te de ceux qui aident le Saint-Père à rédi­ger l’Exhortation Apostolique Post-synodale. Satan n’a‑t-il pas ten­té le Seigneur Jésus par trois fois ? Il nous fau­dra être vigi­lan­ts avec les mani­pu­la­tions et les pro­je­ts que cer­tains pré­pa­rent déjà pour cet­te pro­chai­ne ses­sion du Synode.

Chaque suc­ces­seur des apô­tres doit oser pren­dre au sérieux les paro­les de Jésus : « Que votre paro­le soit oui si c’est oui, non si c’est non. Tout ce qu’on ajou­te vient du Mauvais » (Mt 5, 35). Le Catéchisme de l’Eglise catho­li­que nous don­ne l’exemple d’une tel­le paro­le clai­re, tran­chan­te et cou­ra­geu­se. Toute autre voie serait imman­qua­ble­ment tron­quée, ambi­guë et trom­peu­se. Nous enten­dons en ce moment tant de discours si sub­tils et con­tour­nés qu’ils finis­sent par tom­ber sous cet­te malé­dic­tion pro­non­cée par Jésus : « Tout le reste vient du Mauvais ». On inven­te de nou­veaux sens aux mots, on con­tre­dit, on fal­si­fie l’Ecriture en affir­mant y être fidè­le. On finit par ne plus ser­vir la véri­té.

Aussi, permettez-moi de ne pas tom­ber dans de vai­nes argu­ties à pro­pos du sens du mot béné­dic­tion. Il est évi­dent que l’on peut prier pour le pécheur, il est évi­dent que l’on peut deman­der à Dieu sa con­ver­sion. Il est évi­dent que l’on peut bénir l’homme qui, peu à peu, se tour­ne vers Dieu pour deman­der hum­ble­ment une grâ­ce de chan­ge­ment vrai et radi­cal de sa vie. La priè­re de l’Eglise n’est refu­sée à per­son­ne. Mais elle ne peut jamais être détour­née pour deve­nir une légi­ti­ma­tion du péché, de la struc­tu­re de péché ou même de l’occasion pro­chai­ne du péché. Le cœur con­trit et péni­tent, même s’il est enco­re loin de la sain­te­té, doit être béni. Mais souvenons-nous que, devant le refus de con­ver­sion et l’endurcissement, nul­le paro­le de béné­dic­tion ne sort de la bou­che de saint Paul mais plu­tôt cet aver­tis­se­ment : « Avec ton cœur endur­ci, qui ne veut pas se con­ver­tir, tu accu­mu­les la colè­re con­tre toi pour ce jour de colè­re, où sera révé­lé le juste juge­ment de Dieu, lui qui ren­dra à cha­cun selon ses œuvres » (Rm 2, 5–6).

Il nous appar­tient d’être fidè­les à celui qui nous a dit : « Je suis venu dans le mon­de pour ceci : ren­dre témoi­gna­ge à la véri­té. Quiconque appar­tient à la véri­té écou­te ma voix » (Jean 18, 37). Il nous appar­tient com­me évê­ques, com­me prê­tres, com­me bap­ti­sés de ren­dre témoi­gna­ge à notre tour à la véri­té. Si nous n’osons pas être fidè­les à la paro­le de Dieu, non seu­le­ment nous le tra­his­sons, mais nous tra­his­sons aus­si ceux aux­quel­les nous nous adres­sons. La liber­té que nous avons à appor­ter aux per­son­nes vivant au sein d’unions homo­se­xuel­les rési­de dans la véri­té de la paro­le de Dieu. Comment oserions-nous leur fai­re croi­re qu’il serait bon et vou­lu par Dieu qu’elles demeu­rent dans la pri­son de leur péché ? « Si vous demeu­rez fidè­les à ma paro­le, vous êtes vrai­ment mes disci­ples, alors vous con­nai­trez la véri­té et la véri­té vous ren­dra libres » (Jean 8, 31–32).

N’ayons donc pas peur si nous ne som­mes pas com­pris et approu­vés par le mon­de. Jésus nous l’a dit : « le mon­de me hait par­ce que je rends témoi­gna­ge que ses œuvres sont mau­vai­ses » (Jean 7, 7). Seuls ceux qui appar­tien­nent à la véri­té peu­vent enten­dre sa voix. Il ne nous appar­tient pas d’être approu­vés et de fai­re l’unanimité.
Souvenons-nous du gra­ve aver­tis­se­ment du Pape François au seuil de son pon­ti­fi­cat : « Nous pou­vons mar­cher com­me nous vou­lons, nous pou­vons édi­fier de nom­breu­ses cho­ses, mais si nous ne con­fes­sons pas Jésus Christ, cela ne va pas. Nous devien­drons une ONG huma­ni­tai­re, mais non pas l’Église, Épouse du Seigneur… Quand on n’édifie pas sur les pier­res qu’est ce qui arri­ve ? Il arri­ve ce qui arri­ve aux enfan­ts sur la pla­ge quand ils font des châ­teaux de sable, tout s’écroule, c’est sans con­si­stan­ce. Quand on ne con­fes­se pas Jésus Christ, me vient la phra­se de Léon Bloy : « Celui qui ne prie pas le Seigneur, prie le dia­ble ». Quand on ne con­fes­se pas Jésus Christ, on con­fes­se la mon­da­ni­té du dia­ble, la mon­da­ni­té du démon » (14 mars 2013).

Un mot du Christ nous juge­ra : « Celui qui est de Dieu écou­te les paro­les de Dieu. Et vous, si vous n’écoutez pas, c’est que vous n’êtes pas de Dieu » (Jean 8, 47).

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[1] Jean-Paul II, Message pour la jour­née inter­na­tio­na­le de la paix, 1 jan­vier 1980.

[2] Pape François, Angelus du 26 février 2023.

[3] Angelus du 26 février 2023

[4] Jean-Paul II, Constitution apo­sto­li­que “Fidei depo­si­tum”.

[5] Benoît XVI, Homélie pro­non­cée à l’ouverture de la IIème Assemblée spé­cia­le pour l’Afrique du Synode des Evêques, le 4 octo­bre 2009. Il repren­dra la même expres­sion « l’Afrique, pou­mon spi­ri­tuel de l’humanité » dans “Africae munus”, n. 13.

[6] Jean-Paul II, “Ecclesia in Africa”, n. 143.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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