Fiducia supplicans est-il catholique ?

Contribution exter­ne

Titre ori­gi­nal : FIDUCIA SUPPLICANS. UN TEXTE QUI N’EST CATHOLIQUE NI DANS SA FINALITÉ, NI DANS SON CONTENU, NI DANS SES MODALITÉS ARGUMENTATIVES

© Vatican Media

Une opinion de Patrick de Pontonx, avocat au barreau de Paris.

Patrick de Pontonx est notam­ment respon­sa­ble du site Arinteriana.fr, qui tra­duit et publie des œuvres du P. Juan G. Arintero, O. P. (1860–1928).

La Déclaration Fiducia Supplicans du 18 décem­bre 2023, publiée par le Dicastère pour la doc­tri­ne de la foi, approu­vée et signée par le pape François, a susci­té de nom­breux com­men­tai­res.

Certains, accueil­lan­ts, com­me ceux du lob­by LGBT, bien repré­sen­té au Vatican notam­ment par Mgr James Martin. Ce lob­by y voit une « éta­pe » dans sa stra­té­gie de modi­fi­ca­tion de la mora­le catho­li­que sur l’homosexualité. L’épiscopat alle­mand, favo­ra­ble en son ensem­ble, va jusqu’à fai­re du chan­ta­ge finan­cier auprès des évê­ques du Malawi pour les con­train­dre d’accepter le tex­te con­te­sté. D’autres évê­ques en mini­mi­sent la por­tée, com­me Mgr Joseph Naumann, arche­vê­que de Kansas City, selon lequel la Déclaration ne serait pas « cor­rec­te­ment com­pri­se » à cau­se du lob­by gay, qui l’a atti­rée à soi, alors qu’elle invi­te­rait seu­le­ment à la bien­veil­lan­ce pasto­ra­le pour bénir les per­son­nes con­cer­nées. Des réac­tions néga­ti­ves se sont éle­vées par ail­leurs, direc­tes, com­me cel­les de l’épiscopat afri­cain, ou indi­rec­tes, com­me cel­les de l’épiscopat fra­nçais.

Ce tex­te, en véri­té, justi­fie la béné­dic­tion des cou­ples homo­se­xuels, en tant que tels. Il justi­fie aus­si cel­le des « cou­ples en situa­tion irré­gu­liè­re » (Présentation, § 4), ce qui inclut en par­ti­cu­lier le cas des divor­cés rema­riés. La béné­dic­tion qui con­cer­ne ces der­niers cou­ples n’est pas moins pro­blé­ma­ti­que que cel­le qui con­cer­ne les cou­ples homo­se­xuels ; elle est même, à tout pren­dre, plus pro­blé­ma­ti­que enco­re. Abstraction fai­te de l’incidence de ces béné­dic­tions sur la doc­tri­ne catho­li­que, la béné­dic­tion de cou­ples homo­se­xuels ne con­cer­ne direc­te­ment que deux per­son­nes et leur rap­port à l’Église. En revan­che, la béné­dic­tion des cou­ples de divor­cés rema­riés con­cer­ne néces­sai­re­ment, outre ces cou­ples, les per­son­nes à l’égard desquel­les le ou les divor­ces ont été pro­non­cés. Pour l’époux qui a éven­tuel­le­ment subi con­tre son gré ce divor­ce, la béné­dic­tion du cou­ple refor­mé avec un tiers par le con­joint qui a man­qué à sa pro­mes­se de fidé­li­té con­sti­tue une inju­re gra­ve et la recon­nais­san­ce offi­ciel­le par l’Église d’une situa­tion con­trai­re au droit natu­rel.

Mais intéressons-nous de plus près à cet­te Déclaration, et notam­ment à sa « Présentation » et à son « Introduction ». Rappelons qu’elle a pour titre : « sur la signi­fi­ca­tion pasto­ra­le des béné­dic­tions ». L’évidence ne tar­de cepen­dant pas à s’imposer qu’il s’agit de bien autre cho­se.

Cette décla­ra­tion a un carac­tè­re obli­ga­toi­re

François de Vitoria voyait dans le prin­ci­pe de fina­li­té l’un des plus féconds de la réfle­xion phi­lo­so­phi­que et théo­lo­gi­que pour déter­mi­ner la natu­re des cho­ses. La fin a aus­si le méri­te d’être pre­miè­re dans l’intention dans l’ordre de l’action : elle la déter­mi­ne et l’éclaire.

La « Présentation » et « l’Introduction » nous livrent cel­le de la Déclaration. Il s’agit de « com­pren­dre la pos­si­bi­li­té de bénir les cou­ples en situa­tion irré­gu­liè­re et les cou­ples de même sexe » (Présentation, § 3).

Certains évê­ques ont cru voir dans l’énoncé de cet­te « pos­si­bi­li­té » la facul­té d’échapper à ce tex­te sans pro­non­cer de con­dam­na­tion for­mel­le sur son con­te­nu. Ils l’ont ain­si inter­pré­té com­me une liber­té disci­pli­nai­re de l’appliquer ou de ne pas l’appliquer. Il est vrai que le très con­tro­ver­sé car­di­nal jésui­te Victor Manuel Fernández, auteur de la Déclaration, a indi­qué dans un com­mu­ni­qué du 4 jan­vier 2024, tout en affir­mant sans vacil­ler que les oppo­si­tions à son tex­te por­te­ra­ient « sur­tout sur un aspect pra­ti­que », ce qui est une distor­sion de la réa­li­té, que des con­tex­tes locaux pou­va­ient justi­fier qu’il ne soit pas l’objet d’une « appli­ca­tion immé­dia­te », pour ne « pas inno­ver » tout de sui­te.

Cependant, la « Présentation » de la Déclaration ne per­met pas l’interprétation pure­ment disci­pli­nai­re susvi­sée. Si elle par­le de « com­pren­dre la pos­si­bi­li­té de bénir » les cou­ples susvi­sés, c’est en un sens pro­pre­ment théo­lo­gi­que. Il s’agit de déter­mi­ner la légi­ti­mi­té de cet­te béné­dic­tion au regard des prin­ci­pes catho­li­ques, et non pas la facul­té d’appliquer ou non le tex­te nou­veau.

Dans le même com­mu­ni­qué du 4 jan­vier 2024, le car­di­nal Fernández a d’ailleurs exclu, sur le prin­ci­pe, la « pos­si­bi­li­té » de ne pas accep­ter et appli­quer la Déclaration. Il con­cè­de que son appli­ca­tion peut être dif­fé­rée ; mais il affir­me son carac­tè­re obli­ga­toi­re dans l’Église de sor­te que, selon lui, doit être exclue tou­te « néga­tion tota­le ou défi­ni­ti­ve de ce che­min pro­po­sé aux prê­tres ». On goû­te­ra la déli­ca­tes­se qui con­si­ste à par­ler de « che­min pro­po­sé » pour un tex­te qui impo­se auto­ri­tai­re­ment la recon­nais­san­ce de la catho­li­ci­té des béné­dic­tions en que­stion.

Aucun de nous n’a jamais refu­sé une béné­dic­tion

À ce sta­de, une obser­va­tion essen­tiel­le doit être fai­te. L’Église n’a jamais nié la pos­si­bi­li­té de bénir notam­ment une per­son­ne homo­se­xuel­le. Pour une rai­son très sim­ple : jusqu’à cet­te fune­ste épo­que, l’obsession sexuel­le lui était étran­gè­re. Elle n’avait pas besoin d’indiquer « frè­res et sœurs » dans son Confiteor pour que cha­cun se recon­nût pécheur ; elle n’était pas en sou­ci de se « déma­scu­li­ni­ser », selon les vœux du pape François en son discours du 30 novem­bre 2023 aux mem­bres de la Commission théo­lo­gi­que inter­na­tio­na­le ; elle ne se fai­sait pas une obses­sion de fémi­ni­ser les mini­stè­res ; ce que l’on appel­le aujourd’hui « l’orientation sexuel­le » n’a par ail­leurs jamais été un mar­queur spi­ri­tuel pour elle.

Le 2 jan­vier 2024, dans un Message pasto­ral, les prê­tres de la mode­ste pré­la­tu­re de Moyo-bamba (Pérou), unis à leur évê­que, ont par­fai­te­ment résu­mé cet­te situa­tion en ces ter­mes : « Aucun de nous n’a jamais refu­sé une béné­dic­tion, ni même l’absolution sacra­men­tel­le ou la sain­te com­mu­nion à aucu­ne per­son­ne qui se soit appro­chée en implo­rant les secours de l’Église avec un mini­mum de con­tri­tion et le pro­pos de se cor­ri­ger, en com­mu­nion avec l’enseignement inin­ter­rom­pu de la sain­te Église de Dieu. (…) Nous les avons tou­jours accueil­lies cor­dia­le­ment, en respec­tant leur iti­né­rai­re per­son­nel et en invo­quant sur elles, indi­vi­duel­le­ment, la béné­dic­tion de Dieu qui les aide à sor­tir de l’état dans lequel, avec gran­de dou­leur, ils vivent ».

Des expres­sions qui ne dépa­re­ra­ient pas dans une motion du par­ti com­mu­ni­ste chi­nois

La Déclaration entend mani­fe­ste­ment aller bien plus loin. Contrairement à ce qu’indique son titre, elle n’a nul­le­ment pour objet de pro­po­ser une réfle­xion théo­lo­gi­que « sur la signi­fi­ca­tion pasto­ra­le des béné­dic­tions ». Sa fina­li­té est de justi­fier la béné­dic­tion des cou­ples susvi­sés. Elle instru­men­ta­li­se la réfle­xion sur les béné­dic­tions, au demeu­rant assez pau­vre, pour par­ve­nir à cet­te fin.

Ce n’est d’ailleurs pas sur la doc­tri­ne catho­li­que péren­ne qu’elle se fon­de, selon l’aveu de la « Présentation ». C’est sur « la vision pasto­ra­le du pape François », qui com­man­de ain­si les déve­lop­pe­men­ts de « ce qui a été dit sur les béné­dic­tions dans le Magistère et les tex­tes offi­ciels de l’Eglise » (§ 3). A cet­te vision per­son­nel­le, justi­fiant le pri­mat de la pra­xis sur la doc­tri­ne, est ain­si don­née une auto­ri­té supé­rieu­re inter­di­sant tou­te rési­stan­ce et tou­te oppo­si­tion théo­lo­gi­ques.

L’autoritarisme sub­ver­sif qui sous-tend ce postu­lat est tel que l’historien Paul Airiau, spé­cia­li­ste d’histoire reli­gieu­se con­tem­po­rai­ne, a pu écri­re, dans les colon­nes de La Croix, qu’il s’imposait par «  des expres­sions qui ne dépa­re­ra­ient pas dans une motion du Parti com­mu­ni­ste chi­nois, afin de reven­di­quer l’autorité théo­lo­gi­que ».

Il est dif­fi­ci­le de ne pas fai­re un rap­pro­che­ment avec le modus ope­ran­di des idéo­lo­gues de la socié­té civi­le pour lesquels les règles juri­di­ques ou mora­les sont com­man­dées par l’évolution des mœurs. Dès là que cet­te évo­lu­tion est con­sa­crée par la loi, tou­te rési­stan­ce fon­dée sur la loi natu­rel­le devient illé­ga­le.

Ce carac­tè­re auto­ri­tai­re, sub­ver­sif et mani­pu­la­teur est con­stam­ment pré­sent dans la « Présentation » et « l’Introduction » et donc dans la Déclaration elle-même. Il s’exprime en dif­fé­ren­tes éta­pes.

Première éta­pe : l’anesthésie. La Déclaration ras­su­re en affir­mant, au sujet du maria­ge, que « la doc­tri­ne de l’Église sur ce point reste fer­me » (Intro., n° 4). L’argument est sans ces­se repris depuis lors. Cette affir­mant con­tient néan­moins cet aveu impli­ci­te : un autre « point » de la doc­tri­ne ne reste­ra pas « fer­me », en ver­tu, rappelons-le, de la pasto­ra­le du pape François. Il s’agit ain­si de fai­re pas­ser sous cet­te for­me mineu­re une modi­fi­ca­tion impor­tan­te de la doc­tri­ne catho­li­que qu’un ensei­gne­ment dog­ma­ti­que ne pour­rait en aucun cas auto­ri­ser.

Deuxième éta­pe : le postu­lat idéo­lo­gi­que. Pour justi­fier le glis­se­ment vers le chan­ge­ment ain­si annon­cé, la Déclaration indi­que que les béné­dic­tions sont des sacra­men­taux très répan­dus « et en con­stan­te évo­lu­tion » (Intro., n° 8). Cette pure affir­ma­tion, aus­si impor­tan­te que sur­pre­nan­te, n’est nul­le­ment justi­fiée, notam­ment au regard de la distinc­tion des béné­dic­tions « ascen­dan­tes » et des béné­dic­tions « descen­dan­tes » (nn. 14–19). Elle n’est justi­fiée ni au regard du pas­sé, ni au regard du pré­sent. L’affirmation de cet­te « évo­lu­tion » sert à grais­ser le gond magi­que sur lequel la doc­tri­ne doit tour­ner. Puisque les béné­dic­tions évo­luent con­stam­ment, il n’y a pas de rai­son a prio­ri de refu­ser l’extension des béné­dic­tions per­son­nel­les aux cou­ples susvi­sés.

Troisième éta­pe : la cari­ca­tu­re. Ce pro­cé­dé est fré­quent dans les discours du pape François. Pour impo­ser ce qu’il pen­se, il cari­ca­tu­re dia­lec­ti­que­ment les pen­sées ou les pra­ti­ques con­trai­res afin de les disqua­li­fier et de justi­fier ses pro­pres affir­ma­tions. La Déclaration adop­te ce même mode rhé­to­ri­que. Soit l’on accep­te la béné­dic­tion des cou­ples en que­stion, dont la légi­ti­mi­té est tirée de la pra­ti­que pasto­ra­le du pape, soit l’on fait obsta­cle à l’amour de Dieu (Intro., n° 12), lequel est par hypo­thè­se « inclu­sif » (n° 19). Et com­me per­son­ne ne veut y fai­re obsta­cle, il faut accep­ter cet­te béné­dic­tion. Ceux qui s’y oppo­sent sont sou­pçon­nés de trai­ter les autres com­me des pécheurs, de juger, d’exclure et de se rat­ta­cher à un « éli­ti­sme nar­cis­si­que et auto­ri­tai­re » (Intro., n° 25). On retrou­ve là le discours idéo­lo­gi­que habi­tuel du pro­gres­si­sme depuis soi­xan­te ans pour justi­fier l’émancipation des prin­ci­pes jugés trop con­trai­gnan­ts de la mora­le ou du dog­me.

Cette cari­ca­tu­re s’étend aux béné­dic­tions elles-mêmes. La béné­dic­tion qua­li­fiée de « litur­gi­que », est rela­ti­vi­sée dans la mesu­re où elle exi­ge des con­di­tions mora­les de « per­fec­tion » de ceux qui la reçoi­vent. Elle est ain­si expo­sée au « dan­ger (…) sous pré­tex­te de con­trô­le (…) d’obscurcir la for­ce incon­di­tion­nel­le de l’amour de Dieu » (Intro., n° 12). On n’ose ima­gi­ner ce que la réfle­xion du car­di­nal Fernández pour­rait le con­dui­re à affir­mer au sujet de la récep­tion de la sain­te Eucharistie.

À l’opposé se trou­ve pro­po­sée la « béné­dic­tion spon­ta­née », com­me la liber­té aiman­te à la loi pure­ment for­mel­le. Une « béné­dic­tion spon­ta­née » qui, elle, ne « doit pas être fixée rituel­le­ment par les auto­ri­tés ecclé­sia­les » pour n’être pas discri­mi­na­toi­re entre les par­fai­ts et les autres. Ce type de béné­dic­tion, qui, quant à elle, est par hypo­thè­se exclu­si­ve de tout dan­ger, peut ain­si s’étendre à des situa­tions dont l’Église n’a jamais admis qu’elles puis­sent être bénies.

Quatrième éta­pe : la mani­pu­la­tion. Ces instru­men­ts de lan­ga­ge ne s’expliquent que par la fina­li­té pour­sui­vie : la justi­fi­ca­tion à tout prix de la béné­dic­tion des cou­ples con­cer­nés en tant tels. Peu impor­tent dès lors les obsta­cles ration­nels ou même de sens com­mun qui s’y oppo­sent.

Peu impor­te, en par­ti­cu­lier, cet obsta­cle majeur que la « Présentation » (§ 2) et « l’Introduction » (n° 5) visent pour­tant : le « Responsum (…) à un dubium au sujet de la béné­dic­tion des unions de per­son­nes du même sexe », appor­té le 22 février 2021 par l’ancien-ne Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi, alors pré­si­dée par un autre jésui­te, le car­di­nal Ladaria. Ladite Congrégation s’était vu sou­met­tre une que­stion (ou dubium) « au sujet de la béné­dic­tion des unions de per­son­nes du même sexe ». Sa répon­se avait été clai­re : « l’Église n’a pas le pou­voir de don­ner des béné­dic­tions aux unions entre per­son­nes de même sexe ».

La « Présentation », pour fran­chir cet obsta­cle, affir­me que le « sens » de cet­te répon­se ne visait que le « geste réser­vé au mini­stre ordon­né » pour la béné­dic­tion d’un maria­ge (nn. 5–6).

Cette affir­ma­tion est faus­se.

La Réponse de 2021, en effet, fai­sait expli­ci­te­ment réfé­ren­ce à tou­te béné­dic­tion. Elle rap­pe­lait qu’elles appar­te­na­ient, par leur natu­re, au gen­re des sacra­men­taux, et qu’elles rele­va­ient ain­si des « actions litur­gi­ques de l’Église ». Elle pré­ci­sait :

« pour être cohé­rent avec la natu­re des sacra­men­taux, lorsqu’une béné­dic­tion est invo­quée sur cer­tai­nes rela­tions humai­nes, il est néces­sai­re – outre l’intention droi­te de ceux qui y par­ti­ci­pent – que ce qui est béni soit objec­ti­ve­ment et posi­ti­ve­ment ordon­né à rece­voir et à expri­mer la grâ­ce, en fonc­tion des des­seins de Dieu inscri­ts dans la Création et plei­ne­ment révé­lés par le Christ Seigneur. Seules les réa­li­tés qui sont en elles-mêmes ordon­nées à ser­vir ces plans sont donc com­pa­ti­bles avec l’essence de la béné­dic­tion don­née par l’Église ».

Et pour ne lais­ser pla­ce à aucu­ne ambi­guï­té, la Réponse de 2021 con­cluait ain­si :

« Pour cet­te rai­son, il n’est pas lici­te de don­ner une béné­dic­tion aux rela­tions ou par­te­na­ria­ts, même sta­bles, qui impli­quent une pra­ti­que sexuel­le hors maria­ge (c’est-à-dire hors de l’u­nion indis­so­lu­ble d’un hom­me et d’une fem­me ouver­te en soi à la tran­smis­sion de la vie), com­me c’est le cas des unions entre per­son­nes du même sexe ».

Cette Réponse avait même anti­ci­pé, en les écar­tant, les argu­men­ts rete­nus par la Déclaration de 2023. Elle avait ain­si rete­nu que la cir­con­stan­ce que des élé­men­ts posi­tifs puis­sent se trou­ver dans l’amour réci­pro­que de per­son­nes homo­se­xuel­les ne per­met­tait pas d’exclure le prin­ci­pe ci-dessus énon­cé :

« La pré­sen­ce dans ces rela­tions d’é­lé­men­ts posi­tifs, qui en eux-mêmes doi­vent être appré­ciés et valo­ri­sés, n’e­st cepen­dant pas de natu­re à les justi­fier et à les ren­dre ain­si légi­ti­me­ment suscep­ti­bles d’une béné­dic­tion ecclé­sia­le, pui­sque ces élé­men­ts se trou­vent au ser­vi­ce d’une union non ordon­née au des­sein du Créateur ».

La Réponse de 2021 ne limi­tait donc cer­tai­ne­ment pas son inter­dit aux béné­dic­tions nup­tia­les entre per­son­nes homo­se­xuel­les. Tout au con­trai­re : elle l’étendait à tou­te for­me de cou­ple que ces der­niè­res pour­ra­ient for­mer. Elle indi­quait ain­si :

« La répon­se à la pro­po­si­tion de dubium n’exclut pas l’oc­troi de béné­dic­tions indi­vi­duel­les aux per­son­nes à ten­dan­ce homo­se­xuel­le qui mani­fe­stent le désir de vivre en fidé­li­té aux des­seins révé­lés de Dieu, com­me le pro­po­se l’en­sei­gne­ment de l’Église, mais elle décla­re illi­ci­te TOUTE FORME de béné­dic­tion qui tend à recon­naî­tre leurs unions ».

Il est donc dif­fi­ci­le de se con­vain­cre de la bon­ne foi du sens don­né par la Déclaration à la Réponse de 2021, tant est grand l’écart qui exi­ste entre ce que cet­te Réponse a dit – et que se bor­nent à répé­ter les oppo­san­ts à la Déclaration – et ce que cet­te der­niè­re lui attri­bue aujourd’hui d’avoir dit.

La Déclaration, en con­tra­dic­tion fla­gran­te avec cet­te Réponse de 2021, extrait pro­blé­ma­ti­que­ment les béné­dic­tions des cou­ples homo­se­xuels et des autres cou­ples irré­gu­liers du champ des « actions litur­gi­ques de l’Église », com­me si, au demeu­rant, ces béné­dic­tions ne deva­ient pas, en tou­te hypo­thè­se, être admi­ni­strées par des mini­stres de l’Église. La pro­po­si­tion du car­di­nal Fernández, dans son com­mu­ni­qué du 4 jan­vier 2024, de rédui­re les béné­dic­tions liti­gieu­ses à une durée de « dix ou quin­ze secon­des » pour les ren­dre plus accep­ta­bles, n’est pas de natu­re à répon­dre sérieu­se­ment aux con­te­sta­tions dont elles sont légi­ti­me­ment l’objet.

Cinquième éta­pe : la con­fu­sion woki­ste. M. Thibaud Colin a par­fai­te­ment iden­ti­fié les enjeux de la Déclaration sur ce point dans les colon­nes de Diakonos.be, en sug­gé­rant l’hypothèse d’une logi­que de décon­struc­tion des fon­de­men­ts anth­ro­po­lo­gi­ques de la doc­tri­ne mora­le qui enca­dre les béné­dic­tions, au nom de « l’inclusion » qu’impose l’idéologie rela­ti­vi­ste.

Les efforts de la Déclaration ne ten­dent qu’à justi­fier et à impo­ser auto­ri­tai­re­ment la pos­si­bi­li­té de bénir des cou­ples « en situa­tion irré­gu­liè­re » ou des cou­ples homo­se­xuels (Présentation, § 4) que l’Église inter­dit.

L’exercice de mani­pu­la­tion pré­sen­té com­me une réfle­xion sur les béné­dic­tions ne tend objec­ti­ve­ment qu’à cet­te fin. Au pré­tex­te que des béné­dic­tions de per­son­nes, notam­ment homo­se­xuel­les, sont tou­jours pos­si­bles, la Déclaration étend arbi­trai­re­ment cet­te pos­si­bi­li­té aux cou­ples en que­stion, con­tre la doc­tri­ne expli­ci­te de l’Église, au motif qu’ils sont com­po­sés de per­son­nes.

Concrètement, cet­te Déclaration vient ali­gner l’Église, avec ses pro­pres instru­men­ts, sur le poli­ti­que­ment cor­rect des socié­tés poli­ti­ques, qui impo­se de con­si­dé­rer que tou­tes les for­mes d’union civi­les sont admis­si­bles au nom du respect dû aux per­son­nes et à la liber­té de leurs choix. C’est, dans cet­te mesu­re, un ava­chis­se­ment de plus dans la cri­se de l’Église.

Pour con­clu­re. Il n’est pas exa­gé­ré de pen­ser que cet­te Déclaration n’est catho­li­que ni dans son inten­tion, ni dans son con­te­nu, ni dans ses pro­cé­dés argu­men­ta­tifs.

Il est pro­blé­ma­ti­que que le pape ait signé un tel docu­ment s’in­spi­rant de ses pro­pres con­cep­tions

C’est pour­quoi le car­di­nal Sarah, ordi­nai­re­ment réser­vé et pru­dent, a pu décla­rer avec rai­son, dans son mes­sa­ge du 4 jan­vier 2024, repris par Diakonos.be, que son rejet de ce tex­te résul­tait d’une oppo­si­tion fer­me et radi­ca­le « à une héré­sie qui mine gra­ve­ment l’Église, Corps du Christ, par­ce que con­trai­re à la foi catho­li­que et à la Tradition ».

Il a enten­du ajou­ter que, ce fai­sant, il ne s’opposait pas au pape François. Il est néan­moins pro­blé­ma­ti­que que ce der­nier ait con­fé­ré son auto­ri­té, par sa signa­tu­re, à un tel docu­ment qui, rappelons-le, s’inspire de ses pro­pres con­cep­tions, main­tes fois citées par la Déclaration.

Peut-on vrai­ment par­ler d’hérésie en la matiè­re ? Il est au moins cer­tain que l’on assi­ste là à une ten­ta­ti­ve de désta­bi­li­sa­tion de la mora­le catho­li­que, à laquel­le le car­di­nal Fernández a réso­lu­ment prê­té la main.

Cette ten­ta­ti­ve a été déma­squée. La rési­stan­ce à ce tex­te, notam­ment de pans entiers de l’épiscopat catho­li­que, est légi­ti­me. Les répon­ses qui lui sont oppo­sées élu­dent d’ailleurs systé­ma­ti­que­ment et tou­jours le fond de la que­stion, pour indi­quer que la doc­tri­ne du maria­ge n’est pas attein­te, qu’on ne peut refu­ser de bénir des per­son­nes homo­se­xuel­les, ni exclu­re ces der­niè­res de l’Église. Ces répon­ses glis­sent pro­gres­si­ve­ment vers cet­te accu­sa­tion : les rési­stan­ces à la Déclaration sont homo­pho­bes. Ainsi se trou­ve­rait révé­lée, si besoin était, la véri­ta­ble fina­li­té de ce tex­te.

Le mot de la fin appar­tient à Mgr Jesús Sanz Montes, fran­ci­scain, arche­vê­que d’Oviedo (Espagne). Dans sa let­tre pasto­ra­le du 14 jan­vier 2024, il a dénon­cé ces « docu­men­ts cor­ni­chons et sans inté­rêt, qui ont une inten­tion­na­li­té con­fu­se et com­pli­quée, et qui con­sti­tuent des clins d’œil déma­go­gi­ques défor­mant la véri­té de la gran­de tra­di­tion chré­tien­ne et l’enseignement péren­ne du Magistère de l’Eglise. A quoi sert tout ce bruit pour bénir ce que Dieu ne bénit pas, alors que nous avons tou­jours béni les gens et non leurs déri­ves et leurs rela­tions ? Nous con­ti­nue­rons à bénir ceux qui nous deman­dent ce geste com­me une aide per­son­nel­le pour pla­cer leur vie sous la lumiè­re de Dieu et selon sa grâ­ce ».

Par ces quel­ques lignes, tout est résu­mé. Tout est dit. Tout est cla­ri­fié.

Patrick de Pontonx

 

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