Perquisitions à la secrétairerie d’État.  Le Pape : « C’est moi qui ai signé l’autorisation »

Ce mardi 26 novembre, dans l’avion qui le ramenait de Tokyo à Rome, pendant la traditionnelle conférence de presse au retour de chacun de ses voyages, le pape François a répondu à deux questions concernant les remous financiers du Vatican évoquées par Settimo Cielo dans notre dernier article :

> Guerres d’argent au Vatican. Avec le Pape parmi les belligérants

Ce qui suit est la transcription non officielle des questions-réponses publiée par Vatican News avec l’enregistrement audio intégral de la conférence de presse.

Avec trois précisions préalables pour faciliter la lecture :

  1. Le réviseur aux comptes qui, avec l’accord du Pape, a lancé l’enquête pour corruption est plus exactement un réviseur aux comptes « adjoint », faisant fonction. Il s’appelle Alessandro Cassinis Righini. Le poste officiel est vacant depuis septembre 2019, à l’époque où son premier et dernier titulaire en date, Libero Milone, a été limogé.  Chassé, selon ses propres dires, précisément pour avoir voulu faire la clarté dans les comptes de la Secrétairerie d’État et de l’APSA, l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique.
  2. Si l’on s’en tient à ce que déclare aujourd’hui le Pape François, non seulement les dénonciations et l’ouverture de l’enquête par la justice du Vatican ont été au préalable autorisées par le Pape, mais c’est également le cas pour les perquisitions du 1er octobre dans les bureaux de la Secrétairie d’État et de l’AIF, effectuées par la gendarmerie du Vatican sous les ordres du commandant Domenico Giani, peu après contraint par le Pape lui-même à démissionner.
  3. Malgré le fait qu’il répète sans cesse s’en tenir à la présomption d’innocence par rapport aux fonctionnaires du Vatican suspendus du service et soumis à investigation, le pape François déclare à plusieurs reprises être certain qu’il y a bien eu « corruption ».

POST SCRIPTUM – Le 27 novembre, peu après 13 h, la nomination du nouveau président de l’AIF, l’Autorité d’Information Financière a été rendue publique.  Il s’agit de Carmelo Barbagallo, un ancien haut fonctionnaire de la Banca d’Italia qui sera chargé de la vigilance.  Le communiqué officiel de sa nomination a été suivi par une déclaration du nouvel élu à Vatican News, avec un communiqué de la Banca d’Italia.

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De la conférence de presse du pape François sur le vol Tokyo-Rome

Vatican News, le 26 novembre 2019

CRISTIANA CARICATO, Italie, TV 2000 – Les gens lisent dans les journaux que le Saint-Siège a dépensé des centaines de millions d’euros pour acquérir des immeubles au cœur de Londres et sont quelque peu déconcertés par cet usage qui est fait des finances vaticanes, particulièrement quand le Denier de Saint-Pierre est impliqué.  Étiez-vous au courant de ces opérations financières et surtout, selon vous, l’usage qui a été fait du Denier était-il correct ?  Vous avez souvent répété qu’il ne fallait pas faire de l’argent avec de l’argent, vous avez dénoncé cette utilisation sans scrupules de la finance, et pourtant nous constatons que ces opérations touchent également le Saint-Siège, et ça scandalise.  Comment voyez-vous toute cette affaire ?

PAPE FRANÇOIS – Merci.  Avant tout, la bonne gestion normale : l’argent du Denier de Saint-Pierre arrive, et qu’est-ce que je fais, je la mets dans mon coffre ?  Non, c’est de la mauvaise gestion !  J’essaye de faire un investissement et quand j’ai besoin de donner, quand il y a nécessité, en un an, on prend [l’argent] et ce capital ne perd pas de sa valeur, il se maintient et s’accroit un peu.  C’est de la bonne gestion.  La gestion du ‘coffre’ est mauvaise.  Mais il faut chercher une bonne gestion, un bon investissement : c’est clair, ça ?  Même un investissement, chez nous on dit : ‘de veuves’, comme le font les veuves : deux œufs ici, trois par-là, cinq autres là-bas.  Même s’il y en a un qui tombe, les autres sont en sécurité.  Et on joue toujours la sécurité et sur la morale : si tu investit l’argent du Denier de Saint-Pierre dans une fabrique d’armes, le Denier… ce n’est plus le Denier là.  Si tu fais un investissement et que pendant des années, tu ne touches pas au capital, ça ne va pas.  Il faut dépenser le Denier de Saint-Pierre en un an, un an et demi, jusqu’à ce qu’arrive la collecte suivante, qui est faite au niveau mondial.  Et ça c’est certainement de la bonne gestion.  Et même, oui, on peut acheter une propriété, la louer et puis la vendre, mais toujours en jouant la sécurité, avec toutes les précautions pour le bien des gens du Denier.

Et puis il s’est passé ce qui s’est passé, un scandale : ils ont fait des choses qui ne semblent pas très propres.  Mais la plainte n’est pas venue de l’extérieur.  Cette réforme de la méthodologie économique que Benoît XVI avait déjà entamée s’est poursuivie et c’est le réviseur aux comptes interne qui a dit : là il y a quelque chose de pas bien, là il y a quelque chose qui ne va pas.  Il est venu me voir et je lui ai dit : Vous en êtes certain ?  Oui, m’a-t-il répondu ; il m’a montré et il m’a demandé : Qu’est-ce que je dois faire ?  Et moi : Il y a la justice du Vatican, allez et portez plainte au promoteur de justice.  Et en cela je suis satisfait parce qu’on voit que maintenant, l’administration du Vatican a les moyens d’éclaircir les mauvaises choses qui se passent à l’intérieur, comme dans ce cas, et je ne vous parle pas de l’affaire de l’immeuble de Londres – parce que ça, ce n’est pas encore clair – mais là, il y avait des cas de corruption.

Le promoteur de justice a étudié l’affaire, il a fait des consultations et il a vu qu’il y avait un déséquilibre dans le bilan.  Puis il m’a demandé la permission de faire les perquisitions : il y avait une présomption de corruption et il m’a dit qu’il devait les faire dans tel et tel bureau.  Moi, j’ai signé l’autorisation.

On a perquisitionné cinq bureaux et, au jour d’aujourd’hui – même s’il y a la présomption d’innocence – il y a des capitaux qui ne sont pas bien gérés et même de la corruption.  Je crois que dans moins d’un mois commenceront les interrogatoires des cinq personnes qui ont été suspendues parce qu’il y avait des indices de corruption.  Vous pourriez me dire : est-ce que ces cinq personnes sont corrompues ?  Non, la présomption d’innocence est une garantie, un droit humain.  Mais il y a de la corruption, ça se voit.  Grâce aux perquisitions, on verra s’ils sont coupables ou pas.  C’est une sale histoire, ce n’est pas bien que ce genre de chose arrive au Vatican.  Mais ça a été éclairci grâce aux mécanismes internes qui commencent à fonctionner et que le pape Benoît avait commencé à mettre en place.  Pour cela, je rends grâce à Dieu.  Je ne remercie pas Dieu pour la corruption, mais je le remercie parce que le système de contrôle du Vatican fonctionne bien.

PHILIP PULLELLA, États-Unis, Reuters – Il y a eu des inquiétudes ces dernières semaines sur ce qui est en train de se passer dans les finances du Vatican et, selon certains, il y a une guerre interne sur qui doit contrôler l’argent.  Ma plus grande partie des membres du conseil d’administration de l’AIF a démissionné.  Egmont, qui est le groupe de ces autorités financières, a suspendu le Vatican des communications sécurisées après le raid (les perquisitions, ndlr) du 1er octobre.  Le directeur de l’AIF est encore suspendu, comme vous venez de le dire et il n’y a toujours pas de réviseur général.  Que pouvez-vous faire ou dire pour garantir à la communauté financière internationale et aux fidèles appelés à contribués au Denier, que le Vatican ne sera pas à nouveau considéré comme un ‘paria’ à tenir à l’écart, auquel on ne peut pas faire confiance, que les réformes ne poursuivront et qu’on ne reviendra pas aux habitudes d’avant ?

PAPE FRANÇOIS – Le Vatican a fait des pas en avant dans sa gestion : par exemple l’IOR est aujourd’hui accepté par toutes les banques et peut agir comme les banques italiennes, ce qui n’était pas le cas il y a à peine un an, il y a eu des progrès.  Ensuite, sur le groupe Egmont : c’est une chose non officielle internationale, c’est un groupe auquel appartient l’AIF, et le contrôle international ne dépend pas du groupe Egmont, qui est un groupe privé, même s’il a son importance.  C’est Moneyval qui fera l’inspection prévue pour les premiers mois de l’an prochain, il le fera.

Le directeur de l’AIF est suspendu parce qu’il y avait des soupçons de mauvaise gestion.  Le président de l’AIF a fait front avec le groupe Egmont pour récupérer les documents [séquestrés] et ça, la justice ne peut pas le faire.  Face à cela, j’ai demandé conseil à un magistrat italien de haut niveau : qu’est-ce que je dois faire ?  Devant à une accusation de corruption, la justice est souveraine dans un pays, personne ne peut s’immiscer là-dedans, personne ne peut donner les pièces au groupe Egmont.  Il faut analyser les pièces qui font émerger ce qui semble être une mauvaise gestion, au sens d’un mauvais contrôle : c’est l’AIF qui a omis de contrôler – semble-t-il – les délits des autres.  Son devoir était de contrôler.  J’espère que l’on prouvera que ce n’était pas le cas, encore une fois il y a la présomption d’innocence.  Mais pour le moment, le magistrat est souverain et il doit étudier comment les choses se sont passées parce que dans le cas contraire, ça voudrait dire qu’un pays aurait nu administration supérieure qui porterait atteinte à sa souveraineté.

Le mandat du président de l’AIF venait à échéance le 19 [novembre], je l’ai convoqué quelques jours auparavant et il ne s’en est pas rendu compte, m’a-t-il dit par la suite.  Et j’ai annoncé que le 19 il partirait.  J’ai déjà trouvé son successeur, un magistrat de très haut niveau juridique et économique national et international et à mon retour il assumera la charge de la présidence de l’AIF.  Cela aurait été un non-sens que l’autorité de contrôle soit souveraine au-dessus de l’État.  C’est quelque chose qui n’est pas facile à comprendre.  Ce qui a un peu dérangé, c’est le groupe Egmont, qui est un groupe privé : il aide beaucoup mais il n’est pas l’autorité de contrôle de Moneyval.  Moneyval analysera les chiffres, il étudiera les procédures, il étudiera comment ont agit le promoteur de justice et comment le juge et les juges ont déterminé les choses.

Je sais que dans les prochains jours commenceront les interrogatoires de quelques-uns des cinq qui ont été suspendus.  Ce n’est pas facile, mais nous ne devons pas être naïfs, nous ne devons pas être esclaves.  Quelqu’un m’a dit, mais je ne crois pas, que parce que nous avons touché au groupe Egmont, les gens prendront peur et on fait un peu de terrorisme.  Laissons cela de côté.  Nous, nous allons de l’avant avec la loi, avec Moneyval, avec le nouveau président de l’AIF.  Et le directeur est suspendu : peut-être qu’il est innocent, c’est ce que je voudrais parce que c’est une belle chose que quelqu’un soit innocent et pas coupable, je l’espère.  Mais il y a eu un peu de raffut avec ce groupe qui ne voulait pas que l’on touche aux documents qui appartenaient au groupe.

C’est la première fois au Vatican qu’on soulève le couvercle de l’intérieur, et non de l’extérieur.  Souvent c’était de l’extérieur.  On nous a dit tellement de fois et nous, avec beaucoup de honte…  Mais le pape Benoît a été sage, il a entamé un processus qui a mûri, mûri et maintenant les institutions sont là.  Que le réviseur ait eu le courage de déposer une plainte par écrit contre cinq personnes, ça veut dire que ça fonctionne.  Vraiment, je ne voudrais pas offenser le groupe Egmont parce qu’il fait beaucoup de bien, il aide, mais dans ce cas, la souveraineté de l’État, c’est la justice, qui est plus souveraine que le pouvoir exécutif.  Ce n’est pas facile à comprendre mais je vous demande de le comprendre.

Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 27/11/2019