Pas le temps de rencontrer le Pape François. La Chine a déjà son propre pape, Xi

Après l’annulation de la ren­con­tre pré­vue au Kazakhstan avec le patriar­che de Moscou Cyrille, le Pape François n’a pas non plus pu ren­con­trer, à Nour-Sultan, aujourd’hui de nou­veau appe­lée Astana, le pré­si­dent chi­nois Xi Jinping, qui était pour­tant en visi­te d’État dans la capi­ta­le kaza­khe ce mer­cre­di 14 sep­tem­bre, le jour même où le Pape réaf­fir­mait le droit « élé­men­tai­re et ina­lié­na­ble » à la liber­té reli­gieu­se, qui ne doit pas être seu­le­ment inté­rieu­re ou cul­tuel­le mais sur­tout « le droit de cha­que per­son­ne à témoi­gner publi­que­ment de sa pro­pre foi », tout l’opposé de ce qui se pas­se en Chine.

Cette ren­con­tre avec Xi avait été deman­dée plu­sieurs jours à l’avance par le Vatican – com­me l’a révé­lé l’agence Reuters – mais côté chi­nois, on a répon­du qu’on n’avait pas le temps de l’organiser. Et déjà sur le vol aller de Rome vers le Kazakhstan, le Pape François avait décla­ré ne plus avoir aucu­ne nou­vel­le.

Mais ensui­te, lors de la con­fé­ren­ce de pres­se sur le vol de retour à Rome (pho­to), le Pape a repar­lé abon­dam­ment de la Chine, en répon­se à une que­stion d’Elise Anna Allen de « Crux », qui lui rap­pe­lait qu’à Hong Kong, le pro­cès con­tre le car­di­nal Zen Zekiun était sur le point de s’ouvrir et qui lui deman­dait s’il con­si­dé­rait que ce pro­cès con­sti­tuait « une vio­la­tion de la liber­té reli­gieu­se ».

La trans­crip­tion offi­ciel­le de la répon­se du Pape François vaut la pei­ne d’être lue dans son inté­gra­li­té, avec ses bal­bu­tie­men­ts, ses réti­cen­ces et ses bizar­re­ries, par­ce qu’elle con­sti­tue un con­den­sé par­fait de son appro­che sur la Chine :

« Pour com­pren­dre la Chine, il faut un siè­cle, et nous ne vivons pas un siè­cle. La men­ta­li­té chi­noi­se est une men­ta­li­té riche et quand elle tom­be mala­de, elle perd un peu de sa riches­se, elle est capa­ble de com­met­tre des erreurs. Pour bien com­pren­dre, nous avons fait le choix du dia­lo­gue, ouverts au dia­lo­gue. Il y a une com­mis­sion bila­té­ra­le Vatican-Chine qui avan­ce bien, len­te­ment, par­ce que le ryth­me chi­nois est lent, eux ils ont une éter­ni­té pour aller de l’avant : c’est un peu­ple d’une patien­ce infi­nie. Mais des expé­rien­ces que j’ai eues aupa­ra­vant – pen­sons aux mis­sion­nai­res ita­liens qui sont allés là et qui ont été respec­tés com­me scien­ti­fi­ques, pen­sons, aujourd’hui enco­re, à tant de prê­tres et de croyan­ts qui ont été appe­lés par l’université chi­noi­se par­ce que cela met la cul­tu­re en valeur -, ce n’est pas faci­le de com­pren­dre la men­ta­li­té chi­noi­se, il faut la respec­ter, moi je respec­te tou­jours. Et ici, au Vatican, il y a une com­mis­sion de dia­lo­gue qui fonc­tion­ne bien. C’est le car­di­nal Parolin qui la pré­si­de et en ce moment c’est l’homme qui con­naît le mieux la Chine et le dia­lo­gue chi­nois. C’est quel­que cho­se de lent, mais on fait des peti­ts pas en avant. Qualifier la Chine d’antidémocratique, moi je ne le ferais pas, par­ce que c’est un pays si com­ple­xe, avec ses ryth­mes… Oui, c’est vrai qu’il y a des cho­ses qui ne nous sem­blent pas démo­cra­ti­ques, ça c’est vrai. Le car­di­nal Zen, qui est âgé, sera jugé ces pro­chains jours, je crois. Lui, il dit ce qu’il entend, et on voit bien que là, il y a des limi­ta­tions. Plus que de don­ner des qua­li­fi­ca­tifs, par­ce que c’est dif­fi­ci­le, et je ne me sens pas en mesu­re de don­ner des qua­li­fi­ca­tions, ce sont des impres­sions ; plus que de don­ner des qua­li­fi­ca­tions, moi je cher­che la voie du dia­lo­gue. Ensuite, dans le dia­lo­gue, on peut éclair­cir tant de cho­ses et pas seu­le­ment con­cer­nant l’Église, d’autres sec­teurs aus­si. Par exem­ple, l’étendue de la Chine : les gou­ver­neurs de pro­vin­ce sont tous dif­fé­ren­ts, il y a des cul­tu­res dif­fé­ren­tes au sein de la Chine. C’est un géant, com­pren­dre la Chine, c’est quel­que cho­se de géant. Il ne faut pas per­dre patien­ce, il en faut, il en faut beau­coup, mais nous ne devons pas met­tre le dia­lo­gue en péril. Moi j’essaye d’éviter de don­ner des qua­li­fi­ca­tifs par­ce que oui, peut-être, mais allons de l’avant ».

Dans ce « résu­mé » de la pen­sée de François sur la Chine, on ne peut qu’être frap­pé par son atti­tu­de gla­cia­le envers le car­di­nal Zen, qu’il accu­se impli­ci­te­ment d’avoir fait pre­u­ve d’imprudence en pas­sant outre les « limi­ta­tions » qui lui aura­ient con­seil­lé de se tai­re.

On ne peut qu’être frap­pé éga­le­ment par le silen­ce total sur les nom­breux évê­ques en état d’arrestation, sur les per­sé­cu­tions qui frap­pent tant de catho­li­ques et sur le con­trô­le éta­ti­que qui étouf­fe tou­te la vie de l’Église chi­noi­se.

On ne peut qu’être frap­pé par son refus de juger la Chine com­me étant « anti­dé­mo­cra­ti­que », sur­tout quel­ques jours après la publi­ca­tion, le 31 août der­nier, du rap­port du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droi­ts de l’hom­me sur l’oppression systé­ma­ti­que de la popu­lai­res Ouïgoure dans la région du Xinjiang, à la fron­tiè­re avec le Kazakhstan.

Tout cela suf­fit pour met­tre en évi­den­ce la distan­ce abys­sa­le qui sépa­re les beaux discours du Pape en défen­se de la liber­té reli­gieu­se le 14 sep­tem­bre à Nour-Sultan, devant le par­ter­re des « VII Congress of Leaders of World and Traditional Religions », et son abso­lu­tion du régi­me chi­nois, dans lequel tout à plus – a‑t-il décla­ré – « il y a des cho­ses qui ne nous sem­blent pas démo­cra­ti­ques », en tout état de cho­se, pas de quoi l’accuser dans son ensem­ble.

Mais au nom de quoi François se sent-il obli­gé de trai­ter la Chine avec une com­plai­san­ce à ce point déme­su­rée ? Au nom du « dia­lo­gue », dit-il. C’est-à-dire, con­crè­te­ment, de l’enten­te « pro­vi­soi­re et secrè­te » rati­fiée entre le Vatican et Pékin en octo­bre 2018, renou­ve­lée pour deux ans en 2020 et aujourd’hui sur le point d’être renou­ve­lée une secon­de fois.

Cette enten­te qui, de ce qu’on a pu en devi­ner, con­fie aux auto­ri­tés chi­noi­ses le droit de choi­sir tous les nou­veaux évê­ques à tra­vers des orga­nes semi-ecclésiastiques sous leur con­trô­le total, avec facul­té pour le Pape d’accepter ou de reje­ter le can­di­dat dési­gné, n’a jusqu’ici pro­duit que des résul­ta­ts très déce­van­ts.

En qua­tre ans, les nomi­na­tions effec­tuées dans le cadre de cet accord sont au nom­bre de qua­tre à pei­ne, et la der­niè­re – cel­le de François Cui Qingqi à Wuhan – remon­te à déjà un an. Autrement dit, rien par rap­port aux 36 dio­cè­ses qui sont à ce jour dépour­vus d’évêque, sur un total de 98 dio­cè­ses à tra­vers tou­te la Chine, des dio­cè­ses qui ont d’ailleurs été rédui­ts en nom­bre et dont les fron­tiè­res ont été redes­si­nées par le gou­ver­ne­ment de Pékin sans l’accord du Saint-Siège.

La négo­cia­tion pour le renou­vel­le­ment de l’accord s’est dérou­lée de fin août à début sep­tem­bre à Tianjin, et la délé­ga­tion vati­ca­ne était emme­née par l’archevêque Claudio Maria Celli. Pour l’occasion, les auto­ri­tés chi­noi­ses ont bien vou­lu auto­ri­ser les mem­bres de la délé­ga­tion à ren­dre visi­te à l’évêque émé­ri­te du lieu, Melchior Shi Hongzhen, mal­gré que ce der­nier soit « clan­de­stin », c’est-à-dire non recon­nu par le gou­ver­ne­ment du fait de son refus obsti­né d’adhérer à l’Association patrio­ti­que des catho­li­ques chi­nois, qui est le prin­ci­pal instru­ment de con­trô­le du régi­me sur l’Église, et qui a d’ailleurs été arrê­té et assi­gné à rési­den­ce à plu­sieurs repri­ses pour cet­te rai­son.

Mais la ren­con­tre bou­le­ver­san­te avec ce vieil­lard – auquel Mgr Celli a offert une croix pec­to­ra­le au nom du Pape – a aus­si été révé­la­tri­ce de com­bien l’entente sur la nomi­na­tion des évê­ques est très loin de pro­dui­re des résul­ta­ts tan­gi­bles. Mgr Shi Hongzhen a 93 ans et, depuis 2019, date du décès du der­nier titu­lai­re du dio­cè­se, Stéphane Li Side, lui aus­si « clan­de­stin », il est resté le der­nier évê­que en vie à Tianjin. Tout cela par­ce que le bien plus jeu­ne prê­tre Yang Wangwan, que Rome aurait sou­hai­té met­tre à la tête du dio­cè­se déjà avant l’entente de 2018, n’avait pas été accep­té par le régi­me chi­nois. Et il ne l’est tou­jours pas aujourd’hui. La pre­u­ve en est que non seu­le­ment il n’a pas été fait évê­que, mais de plus le dio­cè­se de Tianjin ne l’a même pas inclus dans sa pro­pre délé­ga­tion à l’importante Assemblée natio­na­le des catho­li­ques chi­nois qui s’est tenue en août à Wuhan.

Cette assem­blée, la dixiè­me d’une série inau­gu­rée en 1957 en plei­ne épo­que maoï­ste, est une sor­te de con­grès des orga­ni­smes offi­ciels de l’Église catho­li­que chi­noi­se sous le con­trô­le du par­ti com­mu­ni­ste. Son rôle est de dic­ter la ligne à sui­vre et d’assigner les postes à respon­sa­bi­li­té. 345 délé­gués issus des 28 sub­di­vi­sions admi­ni­stra­ti­ves du pays y ont pris part.

Résultat, les discours offi­ciels aus­si bien que les noms des nou­veaux chefs sont révé­la­teurs de la domi­na­tion abso­lue du régi­me chi­nois dans le gou­ver­ne­ment de l’Église, à tra­vers les hom­mes qui lui sont le plus sou­mis.

À la tête de l’Association patrio­ti­que, on retrou­ve à pré­sent l’archevêque de Pékin, Joseph Li Shan. Le nou­veau pré­si­dent du Conseil des évê­ques chi­nois – la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le fan­to­che jamais recon­nue par Rome par­ce qu’elle n’inclut pas les évê­ques « clan­de­stins » — est Joseph Shen Bin, évê­que de Haimen, 52 ans, auquel on a con­fié le rôle de rap­por­teur prin­ci­pal de ces assi­ses. En outre, un « Comité de super­vi­sion des deux orga­ni­smes suprê­mes » a été créé, avec com­me pré­si­dent Vincent Shan Silu, un des sept évê­ques uni­la­té­ra­le­ment nom­més il y a plu­sieurs années par le régi­me, et par con­sé­quent excom­mu­nié, que le Pape François avait grâ­cié en 2018 au moment de la signa­tu­re de l’accord, par défé­ren­ce envers les dési­dé­ra­tas de Pékin.

À la pré­si­den­ce de la ses­sion inau­gu­ra­le de l’Assemblée, le 18 août der­nier, on trou­ve Joseph Guo Jincai, l’ordinaire de Chengde, un autre des sept évê­ques excom­mu­niés puis grâ­ciés par le Pape. Mais la pré­sen­ce la plus gênan­te, pen­dant les trois jours de ces assi­ses, a été cel­le de Cui Maohu, un fonc­tion­nai­re du par­ti très pro­che de Xi Jinping, et qui est depuis le début de cet­te année le direc­teur du Bureau d’État pour les affai­res reli­gieu­ses.

Le tout en mar­ge du XXe Congrès du par­ti com­mu­ni­ste chi­nois pro­gram­mé le 16 octo­bre, qui est cen­sé ren­for­cer de maniè­re irré­ver­si­ble le pou­voir de Xi, qui n’aura désor­mais pour égal que Mao Tsé-toung et Deng Xiaoping dans l’Olympe de la Chine com­mu­ni­ste.

Dans cet­te pha­se d’absolutisme pous­sé à l’extrême et d’ambitions hégé­mo­ni­ques inter­na­tio­na­les, il n’est donc guè­re sur­pre­nant que les négo­cia­tions avec le Saint-Siège soient quan­ti­té négli­gea­ble pour Pékin. À tel point que pen­dant les trois jours qu’à duré l’Assemblée de Wuhan, ni l’homme de Xi, Cui Maohu, ni le nou­vel astre des évê­ques Shen Bin dans son état des lieux détail­lé sur la vie de l’Église catho­li­que en Chine – publié inté­gra­le­ment sur le site offi­ciel chinacatholic.cn – n’a pro­non­cé un seul mot sur l’entente de 2018 avec le Vatican.

Et il n’a même pas nom­mé une seu­le fois le Pape François, dans des pages et des pages d’exaltation démo­dée à la gloi­re de l’unique véri­ta­ble gui­de maté­riel et spi­ri­tuel de la nation et de l’Église catho­li­que chi­noi­se, Xi.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 21/09/2022