Au Vatican, c’est à qui sera le plus sinophile. Sant’Egidio est en tête

Sur la photo ci-contre, le cardinal Joseph Zen Zekiun brandit une pancarte pour réclamer la libération de l’évêque de Xuanhua, Augustin Cui Tai, 72 ans, emprisonné à plusieurs reprises en 2007 pour des périodes plus ou moins longues, et de nouveau enfermé dans un endroit inconnu.

Mgr Tai n’est pas le seul évêque de Chine à s’être retrouvé derrière les barreaux ou assigné à résidence. L’évêque de Xinxiang, Joseph Zhang Weizhu, a été emprisonné le 21 mai 2021 et est depuis lors détenu on ne sait où. L’évêque de Wenzhou, Pierre Shao Zumin a été arrêté le 21 avril dernier. Celui de Zhengding, Jules Jia Zhiguo, le 15 août 2020. L’évêque auxiliaire de Xiapu-Mindong, Vincent Guo Xijin a été mis en résidence surveillée et a dû se démettre de toutes ses charges.

Ce qui est encore plus scandaleux, c’est la privation de liberté infligée à l‘évêque de Shanghai, Mgr Thaddée Ma Daqin, destitué par les autorités chinoises le jour même de son ordination épiscopale en 2012 pour s’être dissocié de l’Association patriotique des catholiques chinois, le principal instrument à travers lequel le régime contrôle l’Église, et assigné à résidence sans interruption depuis lors, malgré l’acte public de soumission auquel il a consenti en 2015.

Sans parler du sort réservé au cardinal Zen en personne, évêque de Hong Kong de 2002 à 2009, arrêté le 11 mai de cette année et relâché après le paiement d’une caution dans l’attente d’un procès pour atteinte à la sécurité nationale et collusion avec des pouvoirs étrangers.

Sous le pontificat de François, pas un seul mot n’a été publiquement prononcé par lui ou les autorités vaticanes pour demander que soit levées les restrictions imposées à ces évêques, ainsi qu’à de nombreux prêtres et fidèles qui subissent le même sort en Chine et à Hong Kong.

Et pourtant, un accord « provisoire et secret » sur la nomination des évêques est en vigueur depuis le 22 octobre 2018 entre la Chine et le Saint-Siège, d’une durée de deux ans, renouvelé le 22 octobre 2020 et à présent de nouveau proche de son échéance. Avec un Pape François qui déclare vouloir le prolonger une fois encore en l’état, parce que « face à une situation fermée, il faut chercher la voie du possible, pas la voie idéale ».

Les clauses de l’accord ne sont pas publiques, mais d’après ce que l’on pense, le choix des nouveaux évêques revient aux autorités chinoises à travers des organes semi-ecclésiastiques sous leur contrôle total, avec faculté pour le Pape d’accepter ou de rejeter le candidat.

Au moment de la conclusion de cet accord, en 2018, le Saint-Siège a levé les excommunications frappant les sept évêques unilatéralement institués par le régime, en leur attribuant les diocèses où ils résidaient. L’un d’entre eux, Paul Lei Shiyin, a célébré en grande pompe, le 29 juin dernier, dans la cathédrale de son diocèse de Leshan, l’anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois, en invitant ses fidèles à « écouter la parole du Parti, à ressentir la grâce du Parti et à suivre le Parti ».

Mais en échange, le Saint-Siège n’a rien obtenu en retour de la part des autorités chinoises, pour ces quelques dizaines d’évêques nommés par Rome mais jamais reconnus par Pékin.

Au contraire, les autorités chinoises se sont plutôt acharnées contre ces mêmes évêques « souterrains », même après la ratification de l’accord. À part le cardinal Zen, tous les évêques qui ont été arrêtés appartiennent à cette catégorie de résistants.

Quant à la nomination de nouveaux évêques approuvés par les deux parties, ce que l’accord aurait dû faciliter, le bilan est bien maigre. Après quasiment quatre ans, en Chine, les diocèses privés d’évêque continuent à s’élever à plus d’un tiers des 97 au total, soit 36 pour être exact, cités un par un par « Asia News » le 10 juillet. On ne compte en tout et pour tout que six nominations : en 2019 à Jining et Hanzhong (mais dans ces deux cas les candidats avaient déjà été désignés des années auparavant, respectivement en 2016 et en 2016) ; en 2020 à Quingdao et à Hongdong, en 2021 à Pingliang et à Hankou-Wuhan.

Il n’est pas donc étonnant que le Secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pierre Parolin, ait émis le souhait qu’on réfléchisse, lors des négociations pour renouveler l’accord, à « la nécessité d’apporter des précisions ou de revoir certains points ».

Dans son interview du 2 juillet accordée à Phil Pullella pour « Reuters », le Pape François a chanté les louanges du cardinal Parolin, « un homme d’une grande stature diplomatique ». Mais sur le fond, il a déclaré, au cours de la même interview que pour lui « l’accord est bon », et qu’il espère qu’on « puisse le prolonger en octobre ». Il est vraisemblable que ce soit la consigne qu’il ait donnée à l’archevêque Claudio Maria Celli, le chef de la délégation vaticane chargée de négocier la prolongation de l’accord, reçu en audience deux jours plus tard. Depuis Pékin, le 6 juillet, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Zhao Lijian a assuré que pour la Chine aussi, l’accord s’est révélé être « un succès ».

« On avance lentement, comme je le dis, ‘à la chinoise’ – a commenté le Pape – parce que les Chinois ont cette notion du temps que personne ne les bouscule ».

Entretemps, à Hong Kong

Mais pendant ce temps, à Hong Kong, les mesures de privation de liberté se font de plus sentir, à 25 ans du retour de la cité à la mère patrie.

Le nouveau chef de l’exécutif de cette « Région administrative spéciale », John Lee, élu le 8 mai par 99% des membres du comité électoral contrôlé par Pékin, est catholique et a étudié dans une école catholique, tout comme sa prédécesseur Carrie Lam. Mais il a aussi été le chef du département pour la sécurité qui, en 2019, a durement réprimé les manifestations populaires pour la liberté, même les plus pacifiques, qui comptaient parmi leurs instigateurs des personnalités catholiques de premier plan.

Le 16 avril dernier, cinq de ces éminents catholiques ont été condamnés et jetés en prison. « Ce sont les ‘confesseurs’, les prophètes de notre temps », écrivait à leur sujet le missionnaire italien Gianni Criveller, qui les connaissait personnellement.

Puis, le 11 mai, c’était au tour du cardinal Zen, âgé de 90 ans, un autre irréductible « confesseur » de la foi et de la liberté, ainsi que critique sévère de l’accord entre le Vatican et la Chine.

La nouvelle de son arrestation a été accueillie par le silence total de François, qui s’était déjà montré impitoyable avec le cardinal Zen, en refusant de le recevoir quand le cardinal avait fait le voyage à Rome depuis Hong Kong en septembre 2020, pour frapper en vain pendant quatre jours à la porte du Pape.

Le cardinal Parolin a déclaré qu’il était « très déçu » et avait exprimé sa « proximité » au cardinal qui « a été libéré et bien traité », mais il s’est surtout empressé d’assurer qu’il ne fallait pas considérer son arrestation comme « un désaveu » de l’accord avec la Chine.

Quant au fait que « Hong Kong ne soit plus aujourd’hui la grande tête de pont catholique qu’elle a été » par le passé, grâce à la mission de l’Église en Chine continentale, il s’agit d’un état de fait accepté même par les diplomates du Vatican qui travaillent dans la ville.

C’est ce qu’a expliqué l’un de ces diplomates, le Mexicain Javier Herrera Corona, dans une série de quatre colloques privés entre octobre 2021 et le printemps de cette année avec des missionnaires catholiques de la ville, relatés le 5 juillet dans un article exclusif de « Reuters » sur base de comptes-rendus fournis par certains participants, qui n’ont été démentis ni par le Vatican ni par le diocèse de Hong Kong.

L’archevêque Herrera Corona a été nommé le 5 février de cette année nonce au Congo et au Gabon mais il est surtout depuis 2016 l’un des deux diplomates du Vatican, depuis 2020 avec le rôle de chef de mission, de ce qu’on a appelé la « mission d’étude » à Hong Kong, officiellement dépendante de la nonciature des Philippines mais dans les faits présente de manière stable dans la métropole chinoise.

On n’a pas l’information que Herrera Corona aurait été remplacé. Sur place, il ne reste que le numéro deux de la mission, avec le titre de « secrétaire », Alvaro Ernesto Izurieta y Sea, un Argentin du diocèse de Buenos Aires, qui est Hong Kong depuis 2020.

Herrera Corona a fait entrevoir à ses interlocuteurs un futur pour Hong Kong caractérisé par des limitations toujours plus forte des libertés civiles et religieuses, à l’instar de ce qui se passe déjà en Chine. Une perspective à laquelle plusieurs institutions missionnaires se préparent en transférant à l’étranger les documents confidentiels en leur possession, surtout ceux qui concernent les relations avec les Chinois du continent.

Une étude dirigée par Chen Jingguo de l’Académie des sciences sociales du gouvernement et par Zhang Bin de l’université de Jinan, citée par Herrera Corona pour étayer ses propos alarmistes, identifie justement les catholiques de Hong Kong, et en particulier le cardinal Zen, comme étant les adversaires les plus farouches et influents aux restrictions opérées par le régime, et donc comme étant les premiers à cibler.

L’éminence grise

Et pourtant, malgré tout cela, le Pape François n’est pas le seul à défendre coûte que coûte sa politique d’apaisement avec la Chine.

Si la Secrétairerie d’État laisse timidement transparaître quelques doutes sur l’accord de 2018, parallèlement à la diplomatie Vaticane, et en concurrence avec elle, certains le soutiennent mordicus.

Derrière cette tendance nettement sinophile, on retrouve un lobby et un expert. Le lobby, c’est la Communauté de Sant’Egidio, et l’expert c’est le professeur Agostino Giovagnoli.

Le professeur Giovagnoli est depuis des décennies l’éminence grise de la Communauté, un temps en rivalité avec le tout-puissant fondateur Andrea Riccardi, ils se sont depuis réconciliés. Il habite à Rome, est marié avec la pédagogue Milena Saterini et ils sont ensemble les vice-présidents de l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille. Il enseigne l’histoire contemporaine à l’Université catholique de Milan et il est le principal commentateur des questions entre le Vatican et la Chine – ainsi que plus largement en matière de géopolitique – pour le quotidien de la conférence épiscopale italienne « Avvenire ».

La compétence qu’on lui attribue sur la Chine est également liée au fait que Giovagnoli est membre du comité scientifique de l’Institut Confucius de l’Université catholique de Milan, l’un des nombreux Instituts Confucius ouverts par Pékin dans le monde entier pour la propagation de la langue et de la culture chinoise.

Cet institut est dirigé par la Chinoise Liang Qing et par l’Italienne Elisa Giunipero, professeur d’histoire de la Chine contemporaine à L’Université catholique de Milan et elle aussi proche de la Communauté de Sant’Egidio, elle est l’auteur de nombreux libres dont un ouvrage qu’elle a publié comme coautrice avec Giovagnoli et qui est précisément consacré à « L’accord entre le Saint-Siège et la Chine. Les catholiques chinois entre passé et futur ».

Comme on le sait, le cardinal qui est actuellement en tête du peloton des successeurs potentiels du Pape François est l’archevêque de Bologne, Matteo Zuppi, lui aussi membre historique de la Communauté de Sant’Egidio.

Parmi les cardinaux, certaines connaissent tellement bien la Communauté de Sant’Egidio qu’ils préviennent déjà que si Zuppi est élu, c’est Riccardi qui sera le véritable pape.

Et pourquoi pas ? Avec Giovagnoli à la Secrétairerie d’État.

Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 14/07/2022