Cinq grands catholiques emprisonnés à Hong Kong. « Ce sont les confesseurs de notre époque »

(S.M.) Vendredi 16 avril, à Hong Kong, neuf des plus grands défen­seurs de la liber­té ont été con­dam­nés et mis en pri­son. Cinq d’entre eux sont catho­li­ques. Le Père Gianni Criveller de l’Institut pon­ti­fi­cal des mis­sions étran­gè­res, vingt-sept ans pas­sés en Chine et pro­fes­seur de théo­lo­gie, les a con­nus en per­son­ne et le jour même de leur arri­vée en pri­son, il en a dres­sé un vibrant por­trait dans « Mondo e Missione », la revue des MEP et sur « UCA News », l’agence de pres­se catho­li­que spé­cia­li­sée sur l’Asie.

Avec l’accord de l’auteur, nous avons repro­duit ci-dessous son récit dans son inté­gra­li­té. Mais avec une pré­ci­sion impor­tan­te.

Comme on le sait, pour le Saint-Siège, Hong Kong est tabou. Pas une paro­le n’est jamais sor­tie de la bou­che du Pape François ni du som­met de l’Église catho­li­que pour pren­dre la défen­se de ceux qui se bat­tent pour leur liber­té. Tout cela pour évi­ter de con­tra­rier d’une quel­con­que maniè­re le régi­me chi­nois, au point d’aller jusqu’à lais­ser la vil­le sans évê­que, par peur que la nomi­na­tion puis­se avoir le malheur de déplai­re à Pékin.

Le P. Criveller a d’ailleurs publié un com­men­tai­re il y a quel­ques jours dans « Mondo e Missione » sur ce silen­ce.

> Perché il Vaticano tace su Cina e Hong Kong?

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Hong Kong, neuf opposants emprisonnés. Cinq sont catholiques.

de Gianni Criveller

Hong Kong, tel­le que nous l’avons con­nue, n’existe plus et aujourd’hui est l’une des jour­nées les plus tri­stes, depuis que la liber­té est mor­te. Neuf lea­ders de l’opposition démo­cra­ti­que ont été con­dam­nés pour « ras­sem­ble­ment illé­gal ». […]

En ce qui con­cer­ne l’accusation, ces der­niers aura­ient orga­ni­sé, le 31 août 2019, une mar­che d’un mil­lion sept cent mil­le per­son­nes, paci­fi­que mais non auto­ri­sée. À cet­te épo­que, la loi sur la sécu­ri­té natio­na­le n’était pas enco­re en vigueur. Les per­son­nes con­dam­nées ont en réa­li­té joué un rôle de rete­nue et de modé­ra­tion de la gran­de mani­fe­sta­tion spon­ta­née, en fai­sant en sor­te de main­te­nir l’ordre et le cal­me. Ce ne sont donc pas des acti­vi­stes exci­tés mais des per­son­na­li­tés poli­ti­ques qui depuis une décen­nie sont acteurs de la vie publi­que ; des per­son­nes respec­tées par la popu­la­tion : le plus jeu­ne a 64 ans, le plus âgé 82 ans.

J’aimerais sou­li­gner la dimen­sion ecclé­sia­le de la tra­gé­die en cours. Cinq de ceux qui ont aujourd’hui été con­dam­nés à des pei­nes de pri­son sont catho­li­ques.

Martin Lee, le père de la démo­cra­tie de Hong Kong, est un avo­cat et un ex par­le­men­tai­re de 82 ans. Il a été con­dam­né à 12 mois de pri­son, avec sur­sis. Il a fon­dé le Parti démo­cra­ti­que (qui est sou­te­nu par la majo­ri­té de la popu­la­tion) et est l’un des auteurs de la « Basic Law », c’est-à-dire de la char­te con­sti­tu­tion­nel­le de la vil­le. Pour les catho­li­ques, c’est un per­son­na­ge fami­lier. Un croyant qui par­ti­ci­pe à la mes­se tous les matins et qui la sert com­me lec­teur, dans l’église Saint-Joseph, en plein centre-ville. Il a figu­ré pen­dant des décen­nies par­mi les con­seil­lers les plus appré­ciés du dio­cè­se, sou­vent invi­té à s’adresser aux prê­tres, aux dia­cres et aux laïcs sur des thè­mes brû­lan­ts de l’actualité. […]

Ces con­dam­na­tions bles­sent le cœur de l’Église, qui est frap­pée dans ses liens les plus chers. À ceux qui pré­ten­dent que les catho­li­ques de Hong Kong sont divi­sés, je répon­drai qu’ils ne le sont nul­le­ment face à Martin Lee, un frè­re aimé et con­dam­né pour ses idéaux. Pour moi, c’est un hom­me bon, doux, sage, inno­cent et ami­cal. Je suis sou­la­gé que sa pei­ne ait été suspen­due mais non moins indi­gné qu’un hom­me de loi et de foi doux et valeu­reux tel que lui soit trai­té de la sor­te, à l’âge de 82 ans. Quand on pen­se que Carrie Lam, la chef­fe exé­cu­ti­ve avait assu­ré que la loi de sécu­ri­té natio­na­le n’aurait frap­pé que les agi­ta­teurs.

À 64 ans, le par­le­men­tai­re et syn­di­ca­li­ste Lee Cheuk-Yan appar­tient lui aus­si à l’Église catho­li­que : c’est un ami très cher, lié aux mis­sion­nai­res de l’Institut pon­ti­fi­cal des mis­sions étran­gè­res par des liens fami­liaux. Son épou­se Elizabeth Tang a été « adop­tée » quand elle était enco­re une peti­te orphe­li­ne, ain­si que ses deux sœurs, par le Père Adelio Lambertoni, ori­gi­na­le de Velate, en pro­vin­ce de Varese, où les époux Lee se ren­da­ient cha­que année pour prier près de la tom­be du mis­sion­nai­re. Baptisé dans l’Église angli­ca­ne, Cheuk-Yan fré­quen­te avec son épou­se et sa fil­le la parois­se catho­li­que de leur quar­tier et la mai­son des MEP. Elizabeth est une syn­di­ca­li­ste impor­tan­te puisqu’elle est secré­tai­re géné­ra­le de la Fédération inter­na­tio­na­le des tra­vail­leu­ses à dome­sti­ques.

La vie des époux Elizabeth et Lee Cheuk-Yan a été entiè­re­ment con­sa­crée à la justi­ce socia­le, moti­vée par leur foi chré­tien­ne. Lee Cheuk-Yan en per­son­ne l’a répé­té au pro­cès du 8 avril der­nier, qui l’a con­dam­né, en com­pa­rant son arre­sta­tion et sa con­dam­na­tion à cel­le de Jésus lui-même. Un discours d’une gran­de nobles­se, reli­gieux et inspi­ré par un idéal. Au len­de­main du 4 juin 1989, jour du mas­sa­cre de la Place Tian’anmen, tout Hong Kong s’était mobi­li­sé pour que Lee, qui s’était ren­du à Pékin pour offrir la soli­da­ri­té d’un mil­lion de citoyens de Hong Kong, soit libé­ré et qu’on le lais­se ren­trer à Hong Kong. Je ne pen­se pas qu’il ait jamais envi­sa­gé la pos­si­bi­li­té qu’un jour il con­naî­trait les pri­sons de sa pro­pre vil­le. […]

Mon ami Cheuk-Yan, avec lequel j’ai par­ta­gé la scè­ne, entre en pri­son ce soir. Il est con­dam­né à un an, et il est tou­jours en atten­te de l’issue de deux autres pro­cès. Et avec lui, aujourd’hui, des frè­res et des sœurs qui ont pris au sérieux l’annonce de l’Évangile seront eux aus­si jetés en pri­son. Ils cro­ient à la liber­té, dont l’auteur est Jésus lui-même. Ils ont plei­ne­ment con­scien­ce de la digni­té des hom­mes libres, par­ce qu’ils sont Fils de Dieu, créés à son ima­ge, et acteurs pour con­strui­re le bien com­mun de la com­mu­nau­té des hom­mes.

Il y a des années, la par­le­men­tai­re Cyd Ho, âge de 66 ans, incar­cé­rée à par­tir de ce soir pour huit mois, m’avait dit, pen­dant une mani­fe­sta­tion pour le « droit de rési­den­ce » à Charter Garden, que quand elle était enfant, elle avait été bap­ti­sée par un mis­sion­nai­re des MEP.

L’intellectuelle Margareth Ng (pho­to), une dame très dou­ce, est catho­li­que elle aus­si. En cet­te nuit fati­di­que du 1er juil­let 1997, aux côtés de Martin Lee, elle s’était adres­sée au peu­ple de Hong Kong depuis le bal­con du Parlement. Ils ava­ient deman­dé la liber­té et la démo­cra­tie, com­me la con­sti­tu­tion de la vil­le le pro­met­tait. Aujourd’hui, 16 avril 2021, avant la lec­tu­re du juge­ment qui l’a con­dam­née à 12 mois (avec sur­sis), elle a fait une décla­ra­tion qui s’est con­clue par une invo­ca­tion à saint Thomas More : « J’ai vieil­li au ser­vi­ce de l’État de droit. Je sais que saint Thomas More est le saint patron des hom­mes de loi. Il a été jugé pour tra­hi­son par­ce qu’il n’avait pas plié la loi à la volon­té de son roi. Ses der­niè­res paro­les célè­bres sont bien con­nues, je me per­met­trai juste de les adap­ter quel­que peu pour les fai­re mien­nes : ‘Je suis une bon­ne ser­van­te de la loi, mais avant tout du peu­ple. Parce que la loi doit être au ser­vi­ce du peu­ple et non le peu­ple au ser­vi­ce de la loi’ ».

Jimmy Lai, 72 ans, catho­li­que lui aus­si, est en pri­son depuis long­temps. Il est le fon­da­teur d’« Apple Daily », le jour­nal le plus popu­lai­re de Hong Kong. Il s’est con­ver­ti adul­te grâ­ce à l’évêque de Hong Kong de l’époque, ensui­te deve­nu car­di­nal, Joseph Zen Zekiun. Il a reçu aujourd’hui 19 mois de pri­son sup­plé­men­tai­res. […]

Aujourd’hui, des hom­mes et des fem­mes témoins sont en pri­son (ou en sur­sis), punis pour leur enga­ge­ment civi­que et même, pour cer­tain d’entre eux, pour avoir mis leur foi au sein de leur vie pro­fes­sion­nel­le et poli­ti­que. Ce sont les « con­fes­seurs », les témoins et les pro­phè­tes de notre épo­que : ils méri­te­ra­ient davan­ta­ge de recon­nais­san­ce. Mais notre épo­que et ce mon­de n’aiment pas la liber­té, ni ceux qui com­bat­tent pour elle, et qui en payent le prix fort.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 17/04/2021