Moneyval rend son bulletin au Vatican. Pas recalé, mais presque

Le rap­port Moneyval de 2021 sur le Saint-Siège et la Cité du Vatican venait à pei­ne d’être publié qu’immédiatement, les médias pon­ti­fi­caux se sont empres­sés d’en sou­li­gner les aspec­ts posi­tifs, dans un com­mu­ni­qué et dans une inter­view insti­tu­tion­nel­le de Carmelo Barbagallo, ancien respon­sa­ble de la Banca d’Italia et depuis 2019 pré­si­dent de l’ASIF, l’Autorité de super­vi­sion et d’information finan­ciè­re du Vatican.

D’habitude, Moneyval – l’organe du Conseil de l’Europe char­gé de veil­ler sur l’exactitude et l’efficacité des mesu­res de cha­que État con­tre les déli­ts finan­ciers – attri­bue une des men­tions sui­van­tes à cha­cu­ne des matiè­res qu’il exa­mi­ne : « éle­vée », « sub­stan­tiel­le », « modé­rée » et « bas­se ».

Et sur onze éva­lua­tions, le Vatican a reçu cinq « sub­stan­tiel­le » et six « modé­rée ».

Les cota­tions rela­ti­ve­ment meil­leu­res con­cer­nent la con­for­mi­té tech­ni­que des insti­tu­ts du Vatican par rap­port aux stan­dards inter­na­tio­naux. Mais con­cer­nant l’efficacité des mesu­res adop­tées – qui font pour la pre­miè­re fois l’objet de l’inspection de Moneyval – le juge­ment est plus sévè­re.

« Je dirais que ça s’est bien pas­sé, dans aucun cas un avis d’efficacité ‘bas­se’ n’a été ren­du », a com­men­té M. Barbagallo. Comme si on avait évi­té le pire.

Mais si l’on prend la pei­ne de feuil­le­ter les 274 pages four­nies du rap­port – com­me l’a fait en pre­mier l’expert vati­ca­ni­ste Andrea Gagliarducci sur ACI Stampa – on con­sta­te que les roses ont pas mal d’épines. Et qu’elles sont acé­rées.

Et il fal­lait s’y atten­dre, vu la « saga des déboi­res judi­ciai­res » dans laquel­le est empê­trée la magi­stra­tu­re vati­ca­ne ces der­niers temps, com­me le rap­por­te un arti­cle récent de Settimo Cielo.

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Les « imme­dia­te out­co­mes » les plus cri­ti­ques sont le sixiè­me et sep­tiè­me du rap­port, con­cer­nant respec­ti­ve­ment le com­por­te­ment du Vatican dans les opé­ra­tions de ren­sei­gne­ment et dans les enquê­tes judi­ciai­res.

Dans le pre­mier cas, Moneyval con­te­ste éner­gi­que­ment la per­qui­si­tion effec­tuée le 1er octo­bre 2019 par la gen­dar­me­rie du Vatican dans les bureaux de la Secrétairerie d’État et de l’Autorité d’information finan­ciè­res, à la recher­che d’indices sur les mal­ver­sa­tions de l’immeuble lon­do­nien ache­té par cet­te même Secrétairerie d’État.

Au cours de cet­te per­qui­si­tion, on avait entre autres sai­si quin­ze docu­men­ts secre­ts qui – fait remar­quer Moneyval – pro­ve­na­ient des ser­vi­ces de ren­sei­gne­ment de cinq pays euro­péens. Et cet­te vio­la­tion du secret avait con­duit le Groupe Egmont, qui coor­don­ne les uni­tés de ren­sei­gne­ment finan­ciers de 164 pays du mon­de à inter­rom­pre, le 13 novem­bre, tou­te rela­tion avec le Vatican.

Un mois plus tard, cet­te rela­tion avait été réta­blie con­tre la pro­mes­se que de tels inci­den­ts ne se répè­te­ra­ient plus à l’avenir. Mais Moneyval fait remar­quer que « sur base des entre­tiens avec les auto­ri­tés vati­ca­nes, il n’apparaît pas clai­re­ment que les auto­ri­tés judi­ciai­res [du Saint-Siège] aient véri­ta­ble­ment pris la mesu­re du risque de poten­tiel­les con­sé­quen­ces inter­na­tio­na­les que de tel­les per­qui­si­tions aura­ient pu entraî­ner ».

Dans le second cas, con­cer­nant les enquê­tes judi­ciai­res et les pro­cès en matiè­re finan­ciè­res, Moneyval relè­ve qu’en huit ans, le Vatican n’a ren­du que deux juge­men­ts en la matiè­re. Tous deux pour l’unique délit de blan­chi­ment d’argent. Et dans les deux cas, les con­dam­na­tions éta­ient « infé­rieu­res à la pei­ne mini­ma­le pré­vue par la loi ».

Dans l’interview insti­tu­tion­nel­le aux médias du Vatican, voi­ci com­ment M. Barbagallo a répon­du à ces accu­sa­tions :

« Quant à l’impact dis­sua­sif limi­té et à la pro­por­tion­na­li­té des con­dam­na­tions, je pen­se qu’il faut con­si­dé­rer le juge­ment de Moneyval à la lumiè­re d’un juge­ment bien con­nu du tri­bu­nal du Vatican, dont le rap­port n’a pu tenir plei­ne­ment comp­te à cau­se d’une sim­ple que­stion de temps ».

Il fait ici allu­sion à la con­dam­na­tion d’Angelo Caloia, ex-président de l’IOR, l’Institut pour les Œuvres de Religion, qui est effec­ti­ve­ment tom­bée le 21 jan­vier, après la visi­te des inspec­teurs de Moneyval et qui n’a donc pas été pri­se en comp­te. Mais cet­te der­niè­re n’est cepen­dant pas de natu­re à modi­fier les ter­mes du rap­port selon lequel « les résul­ta­ts con­cre­ts obte­nus pen­dant la pério­de exa­mi­née sont mode­stes ».

Parmi les cau­ses d’une tel­le inac­tion, Moneyval poin­te du doigt une « réti­cen­ce » dans les enquê­tes, qui dans trois cas au moins « ont duré qua­tre ans avant d’être por­tées devant les tri­bu­naux ».

« Un élé­ment de vul­né­ra­bi­li­té », peut-on lire dans le rap­port, rési­de dans « le fait que tous les pro­mo­teurs de justi­ce ne tra­vail­lent pas exclu­si­ve­ment pour le Saint-Siège », rai­son pour laquel­le « on ne peut pas exclu­re de poten­tiels con­fli­ts d’intérêts pro­fes­sion­nels et autres incom­pa­ti­bi­li­tés ». Alors qu’il fau­drait plu­tôt « ouvrir un recru­te­ment de pro­mo­teurs de justi­ce à plein temps (en par­ti­cu­lier avec une expé­rien­ce pra­ti­que dans la pour­sui­te de déli­ts finan­ciers) pour assu­rer que tou­tes les affai­res fas­sent l’objet d’une enquê­te appro­fon­die et dans des délais rai­son­na­bles ».

« Pour évi­ter de poten­tiels con­fli­ts d’intérêt – pour­suit le rap­port – tous les pro­mo­teurs de justi­ce nom­més à l’avenir devra­ient tra­vail­ler exclu­si­ve­ment pour le Saint-Siège pen­dant leur con­trat, et ne pas exer­cer simul­ta­né­ment d’activités juri­di­ques dans d’autres juri­dic­tions », com­me c’est le cas en revan­che de pre­sque tous les magi­stra­ts aujourd’hui en fonc­tion au Vatican, qui con­ti­nuent à exer­cer leur tra­vail d’avocats en Italie.

En citant les enquê­tes sur la mal­ver­sa­tion de Londres com­me un exem­ple d’une tel­le inef­fi­ca­ci­té, le rap­port four­nit éga­le­ment une infor­ma­tion, de tou­te évi­den­ce recueil­lie pen­dant les entre­tiens avec les auto­ri­tés vati­ca­nes. Il men­tion­ne que « les per­son­nes suspec­tées devra­ient être jugées avant l’été 2021 ».

De plus, le rap­port Moneyval four­nit éga­le­ment des don­nées sur le bilan finan­cier du Vatican, en par­tie con­nues et en par­tie non.

En 2019, les ren­trées finan­ciè­res pour le seul Saint-Siège se sont éle­vées à 307 mil­lions d’euros, les dépen­ses à 310 mil­lions et la valeur du patri­moi­ne à 1 mil­liard et 402 mil­lions, un mon­tant qui atteint cepen­dant les 4 mil­liards si on addi­tion­ne les biens du Saint-Siège, de l’État de la Cité du Vatican, du Denier de Saint-Pierre, des Œuvres pon­ti­fi­ca­les mis­sion­nai­res, de l’IOR, du fonds de pen­sion et des fon­da­tions.

En par­ti­cu­lier, en 2019, les Œuvres mis­sion­nai­res pon­ti­fi­ca­les ont récol­té 89 mil­lions d’euros, le Denier de Saint-Pierre 53 mil­lions, la Congrégation pour les Églises orien­ta­les 13 mil­lions et l’Aumônerie pon­ti­fi­ca­le 2,4 mil­lions.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 11/06/2021