Mauvaises nouvelles de Londres pour le Pape. Le procès se retourne contre lui

En l’élisant Pape en 2013, les cardinaux ont confié deux tâches pratiques à Jorge Mario Bergoglio : la réforme de la Curie et la remise en ordre des finances vaticanes.

Pour le premier point du programme, on peut se référer à la constitution apostolique « Praedicate Evangelium », publiée le 19 août 2022. Quant au second, on se référera aux bilans 2021 du Vatican, qui ont été publiés début août.

En ce qui concerne la réforme de la Curie, c’est le consistoire convoqué par le Pape François les 29 et 30 août qui donnera son avis. En revanche, concernant la remise en ordre des comptes du Vatican, aucune consultation ne figure à l’agenda. Mais qu’il s’agisse de la réforme de la Curie ou de la remise en ordre des comptes, les critiques sont nombreuses et loin d’être marginales.

Les modalités elles-mêmes avec lesquelles les bilans ont été rendus publics n’ont pas rencontré les attentes. Il n’y a eu aucune conférence de presse de présentation pour faire place aux questions, aux objections et aux éclaircissements. La publication des documents a été seulement accompagnée par deux interviews institutionnelles, sur les médias du Vatican, du Préfet du Secrétariat pour l’Économie, le jésuite Antonio Guerrero, et du président de l’Administration du Patrimoine du Siège Apostolique, l’APSA, l’archevêque Nunzio Galantino.

Ce pas en arrière en matière de communication est important par rapport à ce qui se passait auparavant avec les rapports annuels de l’Autorité d’Information Financière, l’AIF, à l’époque où René Bruelhart était président et Tommaso Di Ruzzo directeur, et qu’ils s’exposaient tous deux en salle de presse aux critiques des journalistes parfois cinglantes.

Aujourd’hui, même l’AIF – qui a entretemps changé son nom en ASIF, Autorité de Supervision et d’Information Financière -, ainsi que l’IOR, l’Institut pour les Œuvres de Religion, la « banque » du Vatican, publient leurs rapports annuels sans se soumettre aux questions des journalistes. Avec une réserve qui tranche nettement avec le style communicatif débordant du Pape François et son flot d’interviews incessantes.

La nouveauté sans doute la plus importante du bilan 2021 du Saint-Siège est l’incorporation de pas moins de 92 entités qui en font à présent partie, contre les 60 de l’an dernier. Cependant, le montant de l’actif et du passif de chacune de ces entités reste inconnu et est noyé dans le bilan global. Il serait pourtant intéressant de connaître, par exemple, les coûts réels de chaque média de communication du Vatican, dont les dépenses sont nettement supérieures aux rentrées, en particulier pour « L’Osservatore Romano ».

Dans certaines entités, on a cherché à maîtriser les coûts, mais dans d’autres, c’est l’inverse qui s’est produit. Le Tribunal de la Rote Romaine, qui par le passé s’autofinançait grâce aux revenus des procès, est à présent déficitaire, depuis que le Pape François a rendu l’accès aux procès gratuit pour tous, pour éviter « que la justice ne soit réservée qu’à ceux qui peuvent se la payer ». Avec comme résultat – a déclaré le P. Guerrero dans l’interview qui a accompagné la publication des bilans – que pour boucler les comptes « le Saint-Siège se défait chaque année en moyenne de 20-25 millions d’euros », sur un patrimoine net qui s’élève aujourd’hui à 1,6 milliards d’euros.

Mais attention, le bilan 2021 du Saint-Siège n’inclut pas l’APSA, dont le bilan a été publié séparément. Or, c’est elle qui détient la majeure partie du patrimoine mobilier et immobilier du Saint-Siège, y compris celui qui était géré jusque l’an dernier par la Secrétairerie d’État et qui constitué de de plus de 4.000 unités d’habitation en Italie et de plus de mille à l’étranger, avec des immeubles de prestige à Londres, Paris, Genève et Lausanne.

En outre, depuis 2015, inexplicablement, on ne publie plus le bilan du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican, qui grâce principalement aux recettes des musées, a toujours contribué de manière notable aux revenus du Saint-Siège.

Et à l’horizon se profile l’effondrement du fonds de pension, à propos duquel – a admis le P. Guerrero – « nous sommes en train de promettre plus que ce que nous pouvons en réalité nous permettre », sans que l’on ait mis en œuvre les mesures correctives nécessaires.

Tout cela pour comprendre qu’il reste encore beaucoup à faire pour remettre de l’ordre, de la transparence et de la pérennité dans les comptes du Vatican, comme le dénoncent les observateurs les plus attentifs.

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Mais ce qui cause aujourd’hui le plus de tort à l’image administrative et financière du Saint-Siège, c’est quelque chose qui échappe aux bilans. Il s’agit de cette affaire de l’immeuble de Londres, au numéro 60 de Sloane Avenue, qui occupe les tribunaux au Vatican et à l’étranger et qui implique de plus en plus dangereusement les plus hautes autorités de l’Église, y compris le Pape.

Settimo Cielo a déjà amplement documenté comment le Pape François a fait office de réalisateur, de metteur en scène et d’acteur dans le procès en cours. C’est lui – et il l’a dit – qui a voulu ce procès et qui l’a lancé. C’est lui qui en a piloté le déroulement selon son bon plaisir, avec quatre « rescrits » consécutifs pour modifier les règles en cours de partie. C’est lui qui a condamné à l’avance et sans preuves le plus célèbre des accusés, le malheureux cardinal Giovanni Angelo Becciu, allant jusqu’à l’exclure d’un futur conclave. C’est qui lui a tiré les ficelles des négociations avec le financier Gianluigi Torzi pour racheter aux prix fort – un prix que la Secrétairerie d’État continue à qualifier d’extorsion – le dernier paquet décisif d’actions de l’immeuble londonien :

> Juge et accusé. Les deux corps du pape, dans le procès du siècle

Mais aujourd’hui, il y a plus. Le procès en cours au Vatican est sur le point d’avoir un homologue à Londres, comme vient de l’annoncer le 26 juillet la décision de la Cour d’appel civile d’Angleterre et de Galles qui a reconnu à l’unanimité – contrairement au jugement de première instance – le plein droit de Raffaelle Mincione, le financier britannique qui a géré la première phase d’acquisition de l’immeuble londonien pour la Secrétairerie d’État, de recourir à un tribunal civil anglais pour faire valoir l’honnêteté et la bonne foi de son travail, contrairement à l’accusation de la Secrétairerie d’État qui prétend avoir été contrainte de payer l’immeuble très au-dessus du prix du marché.

Et ce n’est pas tout. En donnant raison à Mincione, la Cour d’appel anglaise a reconnu que la Secrétairerie d’État était partie à la cause de l’affaire et ne pouvais plus continuer à se prévaloir de sa « neutralité », notamment parce que dans le procès pénal en cours du Vatican, elle s’est constituée partie civile contre les accusés. Et elle l’a obligée à payer elle-même les frais de procédure du recours du financier, avec une avance de 200.000 livres sterlings sur un montant total estimé à environ un demi-million.

Pour exclure la « neutralité » de la Secrétairerie d’État, les juges anglais ont entre autres cité à leur avantage les lamentations du cardinal Pietro Parolin et du Pape François lui-même pour les dommages subis par la présumée malversation.

Et naturellement, elle n’a pas manqué de mettre en évidence le fait qu’Alberto Perlasca, le prélat auquel la Secrétairerie d’État avait confié l’opération, avait signé avec Mincione un contrat qui conférait au tribunal anglais la juridiction exclusive sur le contrat lui-même.

Le lien vers le texte intégral du jugement anglais du 26 juillet se trouve au bas de cet article :

> Sloane Avenue: Mincione adisce la corte inglese che ordina di aprire il procedimento

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Il est donc difficile de prédire comment se terminera cette affaire, imprudemment lancée par le Pape François lui-même, au nom de la remise en ordre et du nettoyage.

Nunzio Galantino a bien tenté de défendre la réputation de l’État de « cette hypocrisie scandaleuse à propos de l’immeuble de Londres » dans l’interview du 7 août accompagnant la publication des bilans de l’APSA.

Mgr Galantino a rappelé que le Saint-Siège avait investi une partie de l’argent reçu en 1929 de l’État italien en guise de compensation pour les biens confisqués à l’Église au dix-neuvième siècle dans des immeubles de prestige en Angleterre, en France et en Suisse, précisément dans l’intention de mettre ces ressources en sécurité et, avec le revenu, de soutenir la mission de l’Église dans le monde et ses œuvres de charité.

Et le bilan de l’APSA de l’an dernier en donnait deux bons exemples :

« C’est notamment grâce aux loyers perçus au prix du marché sur les immeubles de prestige possédés à Paris et à Londres, qu’il a été possible de mettre gracieusement à disposition de l’Aumônerie Apostolique un bâtiment tel que le Palazzo Migliori, à deux pas des colonnades du Bernin, pour accueillir les SDF hébergés par les volontaires de la Communauté Sant’Egidio. En outre, grâce à l’achat d’un immeuble à proximité de l’Arc de Triomphe à Paris, grâce à la médiation de Sopridex, le vendeur a réservé une partie des revenus de cette opération à la construction d’une église en banlieue parisienne. »

« Autre chose – a poursuivi Mgr Galantino dans l’interview, faisant allusion à l’affaire de Londres – est de savoir s’il y a eu des investissements mal avisés, dus à des erreurs ou à des comportements pénalement répréhensibles ».

Le problème pour le Pape François c’est qu’il est mouillé jusqu’au cou dans cette affaire malheureuse, étant donné qu’il était informé et qu’il en avait approuvé chaque étape.

Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 22/08/2022