Le « Grand Timonier » bombarde Hong Kong et l’Église est prise sous le feu

En octo­bre pro­chain, l’accord pro­vi­soi­re et secret entre le Saint-Siège et la Chine sur la nomi­na­tion des évê­ques arri­ve­ra à échéan­ce. Cet accord avait été rati­fié le 22 sep­tem­bre 2018 et pro­lon­gé pour deux années de plus en 2020. Il enco­re trop tôt pour pou­voir dire s’il sera recon­fir­mé sous une for­me plus sta­ble. Ce qui est cer­tain, c’est que ce qui n’est pas pro­vi­soi­re en revan­che, c’est la toute-puissance de Xi Jinping, qui depuis décem­bre a reçu le titre hau­te­ment sym­bo­li­que de « Grand Timonier », com­me seul Mao Tsé-toung l’avait reçu avant lui.

Ceci mon­tre com­bien la ligne poli­ti­que dic­tée par Xi est sans con­ces­sion et mise sur le long ter­me, avec des mar­ges de négo­cia­tions très étroi­tes, voi­re ine­xi­stan­tes, pour une par­tie adver­se déjà fai­ble en soi tel­le que le Vatican. Dans les fai­ts, en ce qui con­cer­ne le choix des nou­veaux évê­ques, la domi­na­tion de la Chine est écra­san­te et l’exception que con­sti­tue le dio­cè­se de Hong Kong, exemp­té de l’accord de 2018, est elle aus­si sérieu­se­ment mena­cée. L’an der­nier, son évê­que actuel a été nom­mé sans que Rome ne doi­ve sou­met­tre son choix aux auto­ri­tés chi­noi­ses. Mais un mois avant que ce nou­vel évê­que ne soit con­sa­cré, Pékin a effec­tué une démar­che pré­sa­ge une pro­chai­ne domi­na­tion tota­le de la Chine non seu­le­ment sur la métro­po­le de Hong Kong, com­me c’est déjà le cas, mais éga­le­ment sur la flo­ris­san­te Église catho­li­que pré­sen­te dans l’ex-colonie bri­tan­ni­que.

Le nou­vel évê­que de Hong Kong, Mgr Stephen Chow Sau-yan, 62 ans, jésui­te, a été con­sa­cré le 4 décem­bre der­nier. Mais le 31 octo­bre, une ren­con­tre sans pré­cé­dent avait eu lieu dans la vil­le. Elle est d’abord restée secrè­te avant d’être ensui­te ren­due publi­que par l’agence Reuters dans une dépê­che du 30 décem­bre.

Cette ren­con­tre avait été orga­ni­sée par le bureau qui repré­sen­te à Hong Kong le gou­ver­ne­ment cen­tral de Pékin, sous la super­vi­sion, depuis le con­ti­nent, de l’Administration d’État des affai­res reli­gieu­ses.

Elle a réu­ni, en ce qui con­cer­ne la Chine, trois évê­ques et quin­ze reli­gieux issus de l’Église offi­ciel­le recon­nue par le gou­ver­ne­ment de Pékin et, pour Hong Kong, deux évê­ques et trei­ze reli­gieux.

La délé­ga­tion de Hong Kong était emme­née par Peter Choy Wai-man, le doci­le pré­lat que les auto­ri­tés chi­noi­ses aura­ient volon­tiers vu à la tête du dio­cè­se. Mgr Chow, le nou­vel évê­que dési­gné, n’a pris que briè­ve­ment part à la ren­con­tre, au début, tan­dis que l’évêque émé­ri­te et admi­ni­stra­teur tem­po­rai­re du dio­cè­se, le car­di­nal John Tong Hon, ouvrait et clô­tu­rait la ren­con­tre. Sans par­ler de l’absence du nona­gé­nai­re car­di­nal Joseph Zen Ze-kiun, figu­re de proue de l’opposition au gou­ver­ne­ment chi­noi­se et cri­ti­que sévè­re de l’accord entre le Vatican et Pékin.

Les délé­gués issus du con­ti­nent ont insi­sté pour que la soi-disant poli­ti­que de « sini­sa­tion » des reli­gions soit plei­ne­ment appli­quée à Hong Kong éga­le­ment, avec une subor­di­na­tion plus mar­quée de l’Église catho­li­que aux carac­té­ri­sti­ques pro­pres à la Chine, tels que dic­tées par le Parti com­mu­ni­ste et par l’État.

La « sini­sa­tion » des reli­gions est l’une des pier­res angu­lai­res de la poli­ti­que de Xi, dont l’agenda de mise en appli­ca­tion était bien con­nu des par­ti­ci­pan­ts à cet­te ren­con­tre. Tout au long de la jour­née, per­son­ne n’a osé pro­non­cer le nom du pré­si­dent chi­nois mais « Xi était l’éléphant dans la piè­ce », a décla­ré à Reuters un mem­bre de la délé­ga­tion de Hong Kong. « Pour cer­tains d’entre nous, la ‘sini­sa­tion’ est syno­ny­me de ‘Xinisation’ ».

La ren­con­tre de Hong Kong n’était en rien une ini­tia­ti­ve iso­lée. Début décem­bre, Xi a pro­non­cé un discours à Pékin dans le cadre d’une « Conférence natio­na­le sur le tra­vail con­cer­nant les affai­res reli­gieu­ses », dans lequel il a réaf­fir­mé que tou­tes les reli­gions en Chine doi­vent se sou­met­tre au Parti com­mu­ni­ste, auquel appar­tient « la direc­tion essen­tiel­le de l’activité reli­gieu­se », dans le but d’une plei­ne « sini­sa­tion ».

Mais par-dessus tout, il faut tenir comp­te du docu­ment fon­da­men­tal, approu­vé le 11 novem­bre par le Comité cen­tral du Parti com­mu­ni­ste chi­nois, qui s’intitule « Résolutions sur de grands accom­plis­se­men­ts et sur l’expérience histo­ri­que du par­ti au cours du siè­cle der­nier ».

Une tel­le réso­lu­tion est la troi­siè­me dans tou­te l’histoire de la Chine com­mu­ni­ste. La pre­miè­re remon­te à Mao Tsé-toung en 1945, la secon­de à Deng Xiaoping en 1981 et cet­te troi­siè­me, que l’on doit à Xi Jinping, se rap­por­te aux trois autres com­me une sor­te de syn­thè­se hégé­lien­ne, avec l’ambition d’incorporer le meil­leur de ce qu’a fait Mao, la thè­se, cor­ri­gée par Deng, l’antithèse.

La cin­quiè­me sec­tion de cet­te réso­lu­tion cri­ti­que le systè­me démo­cra­ti­que occi­den­tal, fait de con­sti­tu­tion­na­li­sme, d’alternance au gou­ver­ne­ment et de sépa­ra­tion des pou­voirs, un systè­me qui, s’il était adop­té, « mène­rait la Chine à la rui­ne ».

Mais en par­ti­cu­lier, elle rejet­te « la liber­té reli­gieu­se sur le modè­le occi­den­tal ». En Chine, les reli­gions « doi­vent être chi­noi­ses dans leur orien­ta­tion » et con­stam­ment sou­mi­ses à « la direc­tion du Parti com­mu­ni­ste afin qu’elles s’adaptent à la socié­té socia­li­ste ».

Au Vatican, on con­naît bien cet­te poli­ti­que et on ten­te de l’apprivoiser en la con­si­dé­rant com­me « com­plé­men­tai­re » à la vision catho­li­que de « l’inculturation ». En mai 2019, dans une inter­view au quo­ti­dien « Global Times », le média anglo­pho­ne du Parti com­mu­ni­ste chi­nois, le car­di­nal secré­tai­re d’État Pietro Parolin a décla­ré qu’ « incul­tu­ra­tion » et « sini­sa­tion » pou­va­ient ensem­ble « ouvrir des che­mins de dia­lo­gue », en tenant comp­te de « la volon­té répé­tée » des auto­ri­tés chi­noi­ses « de ne pas miner la natu­re et la doc­tri­ne pro­pre de cha­que reli­gion ».

Mais, à l’heure actuel­le, on doit l’apologie la plus argu­men­tée de la « sini­sa­tion », de la part du Vatican, à l’article du sino­lo­gue jésui­te Benoît Vermander publié en mars 2020 dans la revue « La Civiltà Cattolica », com­me tou­jours avec l’approbation préa­la­ble de la Secrétairerie d’État et du Pape François.

L’auteur com­pa­re les oppo­san­ts actuels à la sini­sa­tion – et il cite les noms du car­di­nal Zen et du direc­teur d’« Asia News » de l’époque, Bernardo Cervellera – aux héré­ti­ques mon­ta­ni­stes et dona­ti­stes des pre­miers siè­cles, intran­si­geant dans leur con­dam­na­tion des chré­tiens qui s’étaient pliés aux exi­gen­ces de l’empire romain.

Le P. Vermander défend tota­le­ment l’accord entre le Saint-Siège et la Chine de sep­tem­bre 2018 ain­si que le mes­sa­ge con­co­mi­tant du Pape François aux catho­li­ques chi­nois et l’instruction vati­ca­ne qui a sui­vi sur la maniè­re de s’enregistrer dans l’Église offi­ciel­le.

Mais par-dessus tout, elle met en évi­den­ce ce qu’il con­si­dè­re com­me « le bon côté » de la « sini­sa­tion » : le fait que « l’article 36 de la Constitution chi­noi­se con­ti­nue à garan­tir for­mel­le­ment la liber­té reli­gieu­se » ; le trai­te­ment plus bien­veil­lant réser­vé par les auto­ri­tés chi­noi­ses aux catho­li­ques par rap­port aux fidè­les des autres reli­gions, la capa­ci­té d’adaptation des géné­ra­tions plus jeu­nes, la patien­ce dont font pre­u­ve les catho­li­ques chi­nois par amour pour leur pays, « sans cher­cher le mar­ty­re à tout prix ».

En gui­se de démon­stra­tion, le P. Vermander exhi­be la vita­li­té d’une parois­se de Shanghai de sa con­nais­san­ce, dans laquel­le tout sem­ble aller pour le mieux, en dépit du fait que « les prê­tres doi­vent par­ti­ci­per régu­liè­re­ment à des ‘cours de for­ma­tion’ orga­ni­sés par le Bureau des affai­res reli­gieu­ses ».

Mais curieu­se­ment, ce que le jésui­te ne dit pas, c’est que l’évêque de ce même dio­cè­se de Shanghai, Mgr Thaddée Ma Daqin, est assi­gné à rési­den­ce depuis le jour de son ordi­na­tion en 2012, pour le seul cri­me de s’être désaf­fi­lié de l’Association patrio­ti­que des catho­li­ques chi­nois, le prin­ci­pal instru­ment de con­trô­le du régi­me sur l’Église. L’acte de sou­mis­sion public auquel il s’était plié en 2015, accueil­li par les applau­dis­se­men­ts – eux aus­si inu­ti­les – de « La Civiltà Cattolica », ne lui aura pas per­mis d’obtenir la clé­men­ce. À l’époque, le jour­nal jésui­te avait défi­ni son geste com­me un modè­le exem­plai­re de « récon­ci­lia­tion entre l’Église de Chine et le gou­ver­ne­ment chi­nois ».

Sans par­ler non plus du silen­ce com­plet et pro­lon­gé du pape François sur cet­te bles­su­re, et tant d’autres, que le régi­me de Xi a infli­gées aux catho­li­ques de Chine et de Hong Kong, ces der­niers étant déjà lour­de­ment per­sé­cu­tés et désor­mais sur le point de se retrou­ver eux aus­si sous la domi­na­tion tota­le du nou­veau « Grand Timonier ».

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 27/01/2022