La Chine viole l’accord.  Un évêque se rebelle

Il y a une infor­ma­tion impor­tan­te dans les « Orientations » que le Saint-Siège a don­nées le 28 juin aux évê­ques et aux prê­tres chi­nois con­cer­nant l’obligation qui leur est fai­te de signer un acte d’enregistrement civil, « sous pei­ne d’impossibilité d’agir pasto­ra­le­ment ».

Cette infor­ma­tion lève un coin du voi­le sur l’un des poin­ts clés de l’ « Accord pro­vi­soi­re », tou­jours secret à l’heure actuel­le, sur la nomi­na­tion des évê­ques qui a été signé entre le Saint-Siège et la Chine le 22 sep­tem­bre der­nier.

Grâce à ces « Orientations », nous savons à pré­sent que dans cet accord, la Chine com­mu­ni­ste a pour la pre­miè­re fois « recon­nu le rôle par­ti­cu­lier du suc­ces­seur de Pierre ».  Dont il décou­le que l’ « indé­pen­dan­ce » de l’Église catho­li­que chi­noi­se de tou­te puis­san­ce étran­gè­re, un élé­ment auquel Pékin n’est tou­jours pas prêt à renon­cer, ne doit plus être com­pri­se « au sens abso­lu, c’est-à-dire com­me une sépa­ra­tion d’avec pape et de l’Église uni­ver­sel­le » mais dans un sens « rela­tif à la seu­le sphè­re poli­ti­que ».

Pourtant, ces « Orientations » nous appren­nent éga­le­ment que les fai­ts ne cor­re­spon­dent pas à cet accord par­ce que « pre­sque tou­jours », des prê­tres et des évê­ques con­ti­nuent à être for­cés de signer des docu­men­ts dans lesquels « le prin­ci­pe d’indépendance, d’autonomie et d’auto-administration de l’Église en Chine » est affir­mé en ter­mes abso­lus, « mal­gré l’engagement pris par les auto­ri­tés chi­noi­ses de respec­ter éga­le­ment la doc­tri­ne catho­li­que ».

Voilà la rai­son pour laquel­le, dans la let­tre aux catho­li­ques chi­noi­se de 2007 – qui con­sti­tue tou­jours la « magna car­ta » de l’Église catho­li­que en Chine – Benoît XVI qua­li­fiait d’ « incon­ci­lia­bles avec la doc­tri­ne catho­li­que » les prin­ci­pes de base de l’Association patrio­ti­que des catho­li­ques chi­nois, l’organe de con­trô­le du régi­me, auquel éta­ient obli­gés de s’inscrire tous ceux qui vou­la­ient sor­tir de la clan­de­sti­ni­té.

Aujourd’hui, en revan­che, pour le Saint-Siège, l’inscription à l’Association patrio­ti­que – où à une autre asso­cia­tion équi­va­len­te – ne doit plus être exclue de façon abso­lue, pour autant qu’elle s’accompagne dans le même temps d’une atte­sta­tion d’observance de la doc­tri­ne catho­li­que, fai­te par écrit ou « même sim­ple­ment ora­le­ment, si pos­si­ble en pré­sen­ce d’un témoin » et dans tous les cas en infor­mant son pro­pre évê­que de l’ « inten­tion » avec laquel­le l’acte a été signé.

Mais à en juger par ces mêmes « Orientations », les rela­tions entre le Saint-Siège et la Chine con­ti­nuent d’être très dif­fi­ci­les.  Malgré que Rome fas­se des pieds et des mains pour apla­nir ou con­tour­ner les dif­fé­rends, la réa­li­té des fai­ts con­ti­nue à être « pre­sque tou­jours » au dépens des catho­li­ques chi­nois.  À tel point que des obser­va­teurs dont la com­pé­ten­ce est recon­nue, com­me les pères Sergio Ticozzi et Bernardo Cervellera de l’Institut pon­ti­fi­cal pour les mis­sions étran­gè­res, n’hésitent pas à qua­li­fier d’« un peu théo­ri­que et opti­mi­ste » le pas en avant effec­tué par Rome avec la publi­ca­tion des « Orientations » et à dénon­cer com­me étant tota­le­ment dépla­cés les accla­ma­tions dithy­ram­bi­ques du « Global Times » — l’organe offi­ciel en lan­gue anglai­se du par­ti com­mu­ni­ste – à trois « pre­miè­res fois » du Vatican envers Pékin, com­me s’il s’agissait de la pre­u­ve d’une magni­fi­que enten­te : une expo­si­tion des Musées du Vatican, une con­fé­ren­ce enthou­sia­ste « sur le pape François et sa vision » du jésui­te Bernard Vermander et une autre con­fé­ren­ce hyper-optimiste sur les rela­tions entre la Chine et le Saint-Siège du P. Antonio Spadaro, le direc­teur de « La Civiltà Cattolica », un inti­me du pape François, relayées le 27 juin dans « L’Osservatore Romano ».

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En ce qui con­cer­ne les fai­ts eux-mêmes, nous pro­po­sons d’entrer dans le vif du sujet en évo­quant deux situa­tions emblé­ma­ti­ques.

La pre­miè­re con­si­ste en un docu­ment publié inté­gra­le­ment le 25 juin par « Asia News ».  Il pro­vient du Fujian et s’intitule : « Lettre d’engagement pour les respon­sa­bles des lieux de cul­te et pour les per­son­nes con­sa­crées ».  Sa signa­tu­re est obli­ga­toi­re pour exer­cer le mini­stè­re de curé, sous pei­ne d’être à nou­veau reje­té dans la clan­de­sti­ni­té.  Et il en va de même pour les per­son­nes con­sa­crées, les reli­gieu­ses.

Parmi les obli­ga­tions impo­sées par ce docu­ment, on retrou­ve cel­les d’ « inter­di­re l’entrée des égli­ses aux mineurs d’âge » et de « ne pas orga­ni­ser de cours de for­ma­tion pour les mineurs », donc même pas la caté­chè­se aux enfan­ts dans les sal­les parois­sia­les.

On y trou­ve éga­le­ment l’obligation de cou­per tou­te rela­tion avec les con­frè­res de foi catho­li­que à l’étranger et de refu­ser tou­te invi­ta­tion à des col­lo­ques ou à des inter­views.  Il est même inter­dit d’exposer des ima­ges sacrées dans sa pro­pre mai­son, de chan­ter des hym­nes ou de poster en ligne des com­men­tai­res à carac­tè­re reli­gieux.

Des docu­men­ts ana­lo­gues sont uti­li­sés dans l’Henan, l’Hubei et le Zhejiang.

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Le second cas est celui du dio­cè­se de Mindong, lui aus­si dans le Fujian, et de ses deux évê­ques.

Jusqu’en 2018, le seul évê­que de Mindong recon­nu par Rome – mais pas par Pékin – était Vincent Guo Xijin, qui fai­sait con­ti­nuel­le­ment l’objet de vexa­tions de la part des auto­ri­tés chi­noi­ses qui ava­ient, en l’an 2000, instal­lé dans le même dio­cè­se l’excommunié Vincenzo Zhan Silu, un hom­me du régi­me, vice-président aus­si bien de l’Association patrio­ti­que que de la pseudo-conférence épi­sco­pa­le qui ne ras­sem­ble que les évê­ques nom­més par le gou­ver­ne­ment, en plus d’être mem­bre de la Conférence poli­ti­que con­sul­ta­ti­ve du peu­ple chi­nois.

Mais le 22 sep­tem­bre 2018, quand Rome et Pékin ont signé l’accord en que­stion ci-dessus, le pape François a levé l’excommunication qui frap­pait Zhan, lui a con­fié la direc­tion du dio­cè­se et a rétro­gra­dé Mgr Guo pour en fai­re son auxi­liai­re.

Pourtant, Mgr Guo n’a jamais été recon­nu com­me évê­que par les auto­ri­tés chi­noi­ses jusqu’à ce qu’il n’appose lui-même sa signa­tu­re sur un docu­ment qui exi­ge de sa part non seu­le­ment obéis­san­ce au nou­vel évê­ques titu­lai­re mais sur­tout sou­mis­sion aux lois du pays et adhé­sion aux prin­ci­pes d’ « indé­pen­dan­ce » et à l’Association patrio­ti­que.

Mais Mgr Guo rési­ste.  Il accep­te l’obéissance à l’évêque et la sou­mis­sion aux lois.  Mais il refu­se d’adhérer aux prin­ci­pes d’ « indé­pen­dan­ce » et à l’Association patrio­ti­que.  Les auto­ri­tés chi­noi­ses lui per­met­tent de célé­brer publi­que­ment les rites de la Semaine Sainte, cho­se qui lui était inter­di­te jusqu’à quel­ques jours aupa­ra­vant, mais elles refu­sent que l’on sache ce qu’il a signé et ce qu’il n’a pas signé.  Au con­trai­re, elles font la pro­pa­gan­de de sa pré­ten­due adhé­sion à l’Association patrio­ti­que pour inci­ter les prê­tres de son dio­cè­se à en fai­re autant.

Alors Mgr Guo se rebel­le.  Pour reven­di­quer la liber­té pour lui-même et pour ses prê­tres, il envo­ie une let­tre aux auto­ri­tés dans laquel­le il écrit :

« Le gou­ver­ne­ment a déci­dé de per­sé­cu­ter les prê­tres qui refu­sent de signer l’adhésion à l’Association patrio­ti­que.  Si je ne suis pas en mesu­re de les pro­té­ger, cela ne vaut pas la pei­ne que je sois recon­nu com­me évê­que auxi­liai­re.  Je suis prêt à affron­ter la per­sé­cu­tion tout com­me les autres prê­tres. »

Les repré­sail­les sont immé­dia­tes.  Les auto­ri­tés du gou­ver­ne­ment inter­di­sent à Guo de pré­si­der le 28 juin la célé­bra­tion de la pro­fes­sion reli­gieu­se des reli­gieu­ses du Sacré-Cœur.  Et il réa­git en ne par­ti­ci­pant pas, le jour sui­vant, à la mes­se de dédi­ca­ce de la nou­vel­le cathé­dra­le de Mindong, con­strui­te avec les deniers du gou­ver­ne­ment.

Il expli­que son geste dans une cour­te let­tre adres­sée aux prê­tres de son dio­cè­se, qu’ « Asia News » publie inté­gra­le­ment et dans laquel­le il écrit :

« J’ai déci­dé de ne pas me pré­sen­ter à la céré­mo­nie, même si on était venu me cher­cher en palan­quin.  Je suis un hom­me et pas un sin­ge qui dit oui à tout ce qu’on lui dit de fai­re.  Je ne vou­lais rien dire mais cer­tains frè­res m’ont dit que tous ava­ient le droit de con­naî­tre la véri­té ».

Et dire que le Mindong était le dio­cè­se qui, pour les fans de l’accord entre Rome et Pékin, devait fai­re offi­ce de « pro­jet pilo­te » pour la nou­vel­le Église chi­noi­se…

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 4/07/2019