François le communicateur. Avec sa salle de presse personnelle, à Sainte-Marthe

En partance le 28 avril pour Budapest, le Pape François ne manquera certainement pas les deux grands moments médiatiques de chacun de ses voyages : la conférence de presse dans le vol de retour vers Rome et l’entretien avec les jésuites locaux, tenu à huis clos, mais ensuite transcrit et publié par « La Civiltà Cattolica ».

Dans les deux cas, il parlera comme toujours à bâtons rompus, de ce qu’il voudra sans aucune retenue, pas même par rapport à ce qu’il a dit auparavant, qu’il n’aura d’ailleurs pas peur de changer ou de contredire, si cela lui semble opportun, comme il l’a fait à plusieurs reprises. Il ne restera plus aux services du Vatican qu’à transcrire et à consigner, dans ce gigantesque fouillis désordonné de discours prononcés et écrits qui constitueront pour les futurs historiens le « magistère » du pape Jorge Mario Bergoglio.

Un « magistère » dans lequel on trouve de tout. Et de trop. À tel point que, depuis quelque temps, les secrétaires chargés d’archiver ses discours doivent parfois couper et éliminer l’un ou l’autre excès, locution vulgaire ou grossièreté de corps de garde.

Jusqu’à il y a quelques mois, les archivistes pontificaux avaient l’habitude de publier tout ce que François disait. Quand, en recevant des personnes ou des groupes, il mettait de côté le discours préparé par ses services et se mettait à parler de manière informelle, le tout était ensuite consigné, aussi bien le discours non prononcé que les déclarations qui ont effectivement été faites.

Et cela même quand la publication intégrale était pour le moins malheureuse, par exemple le 24 octobre dernier quand, en recevant des séminaristes et des prêtres qui étudiaient à Rome et en répondant à une question innocente sur le monde digital, le Pape s’était laissé aller à une digression emphatique sur le vice consistant à visionner des images pornographiques, comme s’il s’agissait d’un vice de tous les prêtres présents et absents, et même des religieuses et des personnes consacrées.

Le 10 décembre suivant, pourtant, c’était la goutte qui a fait déborder le vase pour l’un ou l’autre au Vatican, parce que pendant l’audience accordée à des séminaristes et à des éducateurs de Barcelone, là encore mettant de côté le texte écrit sous prétexte qu’il était « ennuyeux », le Pape François a dépassé les bornes de ce qu’on peut publier, en lançant des bordées d’injures contre les carriéristes et les arrivistes.

Et ce n’est pas tout. Toujours en parlant librement, le Pape aurait enjoint, lors de la confession sacramentelle, de toujours tout pardonner « même si nous voyons qu’il n’y a pas d’amorce de repentir ». Auparavant, il avait traité de « déliquant » le confesseur qui ne donnait pas l’absolution.

Le fait est que rien n’a officiellement été publié de ce discours improvisé de François – bien qu’il ait été relayé par de nombreuses personnes présentes. Pareil à d’autres occasions qui ont suivi, la dernière remontant au 17 avril dernier, lors de l’audience accordée par le Pape à la communauté des Béatitudes.

La Secrétairerie d’État elle-même s’était depuis quelque temps senti le devoir de faire barrage aux intempérances verbales de François.

Jusqu’à l’été 2020, la coutume était de distribuer aux journalistes accrédités à la salle de presse du Saint-Siège, quelques heures à l’avance, une copie des discours que le Pape allait prononcer à l’Angélus du dimanche, y compris l’appendice final, se référant souvent à l’actualité et à des questions de politique internationale.

Pourtant, le 5 juillet de cette même année, quelques minutes avant midi, les journalistes ont été avertis que les quinze lignes du texte qui leur avait été distribué ne seraient pas lues par le Pape, ce qui ne fut effectivement pas le cas.

Il s’agissait de phrases calibrées à la virgule près, les premières que François aurait consacrées à la perte de liberté de Hong Kong, sur laquelle il avait toujours gardé le silence. Relayées par la suite par plusieurs organes de presse, elles ont dans les faits rendu encore plus grave le silence du Pape qui a suivi.

D’où la décision, pour éviter d’autres incidents, de ne plus envoyer désormais à la presse la partie finale de l’Angélus, mais uniquement les commentaires de l’Évangile du jour.

En réformant la Curie à sa manière, François a institué un dicastère dont le rôle est censé être celui de s’occuper de la communication, avec à sa tête deux journalistes laïcs, Paolo Ruffini et Andrea Tornielli.

Mais Bergoglio n’a jamais semblé affectionner particulièrement les canaux de communication officiels.

Les quelques rares fois où il a rendu visite au quotidien « L’Osservatore Romano », il en a profité pour humilier ceux qui y écrivaient, du directeur Andrea Monda jusqu’au bas de l’échelle, avec des moqueries impitoyables sur le faible nombre de copies vendues. Et en dix ans, il n’aura octroyé au « journal du Pape » qu’un seule de ses innombrables interviews diverses et variées. Une interview qui plus est convenue, extraite d’une préface qu’il avait rédigées pour un livre sur saint Joseph, qui n’a pas fait ni ne pouvait faire parler d’elle le moins du monde.

La salle de presse du Saint-Siège non plus n’est pas en odeur de sainteté. Le 29 mars dernier, quand le Pape a été embarqué à l’hôpital, un communiqué officiel en style télégraphique s’est borné à déclarer qu’il s’y était rendu « pour certains contrôles programmés à l’avance ».

Une fois le péril passé, c’est pourtant François en personne qui a raconté une histoire très différente. D’abord aux journalistes à la sortie de l’hôpital : « Je suis encore vivant ! ». Mais ensuite avec quelques détails supplémentaires dans une conversation téléphonique – la quatre-vingt-dixième en dix ans – à son vieil ami Michel Ferri, qui a rapporté à un journal ces déclarations textuelles du Pape : « C’était grave. Je suis arrivé inconscient à l’hôpital. Quelques heures de plus et je ne serais plus là pour en parler ».

Il n’est donc guère surprenant qu’au Vatican, on considère qu’il y a non pas une mais bien deux salles de presse en activité : celle du Saint-Siège et une autre à Sainte-Marthe, cette dernière étant personnellement gérée par le Pape.

En effet, la quantité démesurée d’interview que François accorde aux journaux les plus divers et variés ne passe nullement par le filtre du dicastère pour la communication. Ce sont tout au plus ceux qui appartiennent au cercle privé du Pape qui s’en chargent, de Monseigneur Dario Viganò à Don Marco Pozza. Ou c’est tout simplement le Pape qui s’en occupe personnellement.

« L’Osservatore Romano » et les autres canaux officiels tels que Vatican News sont mis devant le fait accompli. Par exemple, avec un compte-rendu des 83 minutes d’entretien de François en compagnie d’une dizaine de jeunes du monde entier mise en ligne le 5 avril dernier sur la plateforme de streaming Disney Plus qui avait été enregistrée plusieurs mois auparavant dans un studio de cinéma de la périphérie domaine de Pietralata. Un entretien surréaliste, ponctué de questions effrontées et souvent hostiles, où une interlocutrice déclare vendre des vidéos pornographiques « pour se mettre davantage en valeur et mieux vivre avec sa fille », et avec le Pape qui joue le jeu et lui conseille de ne pas avoir peur de demander de l’argent au Vatican pour aider quelqu’un : « N’hésite pas à demander, leur dis-je, de toute manière ils volent tout le monde là-dedans ! Donc je sais où on peut voler et je t’envoie les sous ».

Un autre canal de communication, bizarre celui-là, est celui que François a créé avec la Russie, par l’entremise d’un homme de confiance aussi bien du patriarche de Moscou Cyrille que de Vladimir Poutine, un certain Leonid Sevastyanov. C’est lui qui rend publiques les déclarations du Pape recueillies lors de rencontre ou d’échanges épistolaires. Sans jamais susciter le moindre démenti, pas même quand il a révélé que François, au retour de son voyage en Mongolie programmé en septembre, voudrait bien faire étape à l’extrême Est de la Russie, à Vladivostok, afin de visiter le parc national pour la protection des léopards, dont il a déjà baptisé l’un d’entre eux le « gaucho », du nom du personnage du poème argentin éponyme…

François utilise également Twitter, où il a 53 millions de lecteurs. Cependant, depuis quelques jours, son compte a fait les frais d’Elon Musk, le patron du réseau, qui lui a retiré sa certification d’authenticité. À moins qu’il ne paye et se mette en règle. C’est une punition qui a également frappé d’autres personnages célèbres, du patriarche Cyrille à l’ayatollah Khamenei, en passant par Donald Trump.

« En attendant de connaître les nouvelles règles de la plateforme, le Saint-Siège espère qu’elles comprendront la certification de l’authenticité des comptes » : voilà le commentaire du Saint-Siège, sans qu’on sache très bien s’il émane de la salle de presse ou bien de Sainte-Marthe.

Sandro Magister est vaticaniste à L’Espresso.

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Date de publication: 26/04/2023