Du synode d’Allemagne au monastère de Bose.  Anatomie des révolutions catholiques

Rien ne sem­ble pou­voir ralen­tir la cour­se du « che­min syno­dal » entre­pris par l’Église catho­li­que d’Allemagne.  Ni les cri­ti­ques ni les défec­tions des rares évê­ques dis­si­den­ts, ni les sérieu­ses préoc­cu­pa­tions de Rome :

> François et le schi­sme d’Allemagne. Chronique d’un cau­che­mar

À la tête de la Conférence épi­sco­pa­le, c’est l’évêque du Limbourg, Georg Bätzing (pho­to) qui a suc­cé­dé au car­di­nal Reinhard Marx, mais sans inflé­chir la tra­jec­toi­re.  Non moins loqua­ce que son pré­dé­ces­seur, le nou­veau pré­si­dent a immé­dia­te­ment enchaî­né une série de décla­ra­tions témé­rai­res sur les que­stions les plus brû­lan­tes à l’agenda du syno­de, du sacer­do­ce fémi­nin aux cou­ples de même sexe, avec en plus la pré­ten­tion de dic­ter à l’Église uni­ver­sel­le la ligne à sui­vre :

> Bätzing: “Die Zeit läuft uns weg”

> Bischof Bätzing für Segnung glei­ch­ge­schle­ch­tli­cher Paare

> German bishop calls for Rome synod to discuss German synod

Les objec­tifs de la fac­tion de l’Église alle­man­de qui est à la manoeu­vre sont sous les yeux de tous, dans les tex­tes que le syno­de a pro­duit jusqu’à pré­sent :

> Sexe, fem­mes et pou­voir.  Les trois défis que l’Allemagne lan­ce à l’Église

Mais der­riè­re cet­te entre­pri­se, il y a la volon­té évi­den­te de sub­ver­tir la struc­tu­re ori­gi­nel­le de l’Eglise, non seu­le­ment alle­man­de mais uni­ver­sel­le, au nom d’une démo­cra­ti­sa­tion en ligne avec les temps.

Le pro­fes­seur Pietro de Marco, phi­lo­so­phe et histo­rien de for­ma­tion, ancien pro­fes­seur de socio­lo­gie de la reli­gion à l’Université de Florence et à la Faculté théo­lo­gie d’Italie cen­tra­le s’était déjà expri­mé mi-mai con­tre cet­te déri­ve.

> Le syno­de de l’Église alle­man­de sous la lou­pe de l’analyste. Une révo­lu­tion qui s’auto-détruit

Mais les décla­ra­tions du nou­veau pré­si­dent de la Conférence épi­sco­pa­le d’Allemagne ont pous­sé le pro­fes­seur De Marco a appor­ter de nou­veaux élé­men­ts à sa cri­ti­que du « Synodale Weg », dans lequel sont à l’œuvre les méca­ni­smes révo­lu­tion­nai­res typi­ques d’une cer­tai­ne « intel­li­gen­tsia » catho­li­que qui n’e­st pas seu­le­ment alle­man­de, à l’in­star de la com­mu­nau­té de Bose en Italie et son fon­da­teur Enzo Bianchi, que le Pape François a puni récem­ment en l’exilant de son mona­stè­re.

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Synode allemand.  Sur le nouveau président de la Conférence épiscopale et autres mésaventures

de Pietro De Marco

Dans les aven­tu­res révo­lu­tion­nai­res, les for­mu­la­tions de la cul­tu­re « cri­ti­que » voient alter­ner – en fonc­tion des inter­lo­cu­teurs et des situa­tions – les énon­cés radi­caux avec leurs grands objec­tifs sub­ver­sifs et les énon­cés cir­con­scri­ts, plus ciblés, banaux à pre­mier vue.  Ce dou­ble lan­ga­ge idéo­lo­gi­que appar­tient éga­le­ment à l’opinion publi­que cri­ti­que catho­li­que, en ce qu’elle s’inscrit elle aus­si dans la caté­go­rie des « socié­tés de pen­sée » révo­lu­tion­nai­res ana­ly­sées par Augustin Cochin.

En Italie, les récen­tes mesu­res disci­pli­nai­res qui ont été pri­ses à l’encontre de la com­mu­nau­té de Bose et de la per­son­ne de son fon­da­teur Enzo Bianchi con­cer­nent juste­ment un nœud impor­tant d’un réseau de « socié­tés de pen­sée » catho­li­ques et réfor­mées, où l’oscillation com­mu­ni­ca­ti­ve entre modé­ra­tion et radi­ca­li­sme théo­lo­gie et pra­ti­que cou­ran­te.  Il est dif­fi­ci­le de déter­mi­ner ce qui est sin­cè­re et ce qui est dis­si­mu­lé.  Le Fr Bianchi était sen­si­ble aux cri­ti­ques tou­chant à l’ortho­do­xie ; il y a quel­ques années, il s’était plaint d’une remar­que de Sandro Magister et de ma part.  Mais de nom­breux cri­ti­ques, dont le regret­té Antonio Livi (à qui nous devons un livre magi­stral con­tre l’effondrement néo-moderniste du lan­ga­ge théo­lo­gi­que, « Vraie et faus­se théo­lo­gie », Rome, 2012), ava­ient mis en évi­den­ce les nom­breu­ses lacu­nes des fon­de­men­ts dog­ma­ti­ques du prieu­ré de Bose, des lacu­nes invi­si­bles au plus grand nom­bre et donc suscep­ti­bles d’être assi­mi­lées et repro­dui­tes impru­dem­ment.

On retrou­ve dans de nom­breu­ses sous-cultures catho­li­ques d’un côté le critique-destructeur, en géné­ral un clerc ou un théo­lo­gien, hom­me ou fem­me, de géné­ra­tion récen­te, qui se pré­sen­te sou­vent com­me bibli­ste et sans for­ma­tion dog­ma­ti­que, un idéo­lo­gue en som­me, et de l’autre une majo­ri­té, clerc et laïcs qui emplo­ient des slo­gans radi­caux mais visent à obte­nir des résul­ta­ts plus à por­tée de main.  De nom­breux évê­ques éga­le­ment par­ti­ci­pent de cet­te oscil­la­tion prag­ma­ti­que plu­tôt qu’au radi­ca­li­sme des lea­ders sub­ver­sifs. En Allemagne, il sem­ble­rait qu’il s’agisse de la quasi-totalité.

Comment donc se posi­tion le nou­veau pré­si­dent de la Conférence épi­sco­pa­le alle­man­de, l’évêque du Limbourg Georg Bätzing ?

Entré en fonc­tion tout récem­ment, Mgr Bätzing a immé­dia­te­ment con­fir­mé les pro­je­ts réfor­ma­teurs du « Synodale Weg », le che­min syno­dal en cours en Allemagne.  En répon­se à la que­stion : « Quel est votre vision de l’avenir pro­che de votre Église ? », il a exclu d’être un « hom­me de visions » ; le mes­sa­ge essen­tiel du syno­de aux hom­mes sera que la vie est plus for­te que la mort, tran­sfor­mant par con­sé­quent ce que signi­fie être et se dire catho­li­que, et en ce sens, lui aus­si pour­rait alors accep­ter d’être qua­li­fié de vision­nai­re.  Les mots employés sem­blent pru­den­ts mais la « kon­kre­te Vision » ne l’est pas.

Le « Synodale Weg » — a décla­ré Bäzing – con­ti­nue à exi­ger une « béné­dic­tion » pour les divor­cés rema­riés (un sujet dif­fi­ci­le mais qu’il est peut-être pos­si­ble de trai­ter au cas par cas cano­ni­que­ment, sans vider théo­lo­gi­que­ment le sacre­ment) et l’intercommunion eucha­ri­sti­que entre catho­li­ques et chré­tiens d’une autre con­fes­sion, qui par le pas­sé était excep­tion­nel­le­ment con­cé­dée par Rome en cer­tai­nes occa­sions.  Donc rien de dra­ma­ti­que en soi.  Sauf que, com­me tou­jours dans le « Synodale Weg », ce sont les moti­va­tions erro­nées et pré­ten­tieu­ses qui déran­gent.  « Il y a aujourd’hui un lar­ge accord sur le sens de ce en quoi nous croyons et ce que nous célé­brons », a assu­ré Mgr Bätzing.  Voilà l’oscillation symp­to­ma­ti­que.

En effet, l’idée est répan­due en Allemagne que la con­cep­tion de la Sainte Cène serait désor­mais iden­ti­que entre pro­te­stan­ts et catho­li­ques.  Ce con­sen­sus ne peut s’être déve­lop­pé que grâ­ce à une pro­te­stan­ti­sa­tion pure et sim­ple de la théo­lo­gie catho­li­que des sacre­men­ts.  Alors qu’on n’a jamais enten­du que les pro­te­stan­ts alle­mands aura­ient récu­pé­ré signi­fi­ca­ti­ve­ment la théo­lo­gie eucha­ri­sti­que com­mu­ne de l’Église uni­ver­sel­le, dont ils s’excluent.  Que donc dans ce con­tex­te objec­tif, com­me l’a dit Mgr Bätzing, les chré­tiens puis­sent « déci­der pour de bon­nes rai­sons et selon leur con­scien­ce » de que­stions com­me l’intercommunion, c’e­st là une affir­ma­tion témé­rai­re, d’autant plus con­dam­na­ble de la part d’un évê­que appe­lé à être ensei­gnant et non insti­ga­teur d’opinions faci­les.  Ce qui est en jeu, en réa­li­té, c’est la con­cep­tion même de la pra­ti­que eucha­ri­sti­que, dans le sens clas­si­que du « savoir et pen­ser ce que l’on va rece­voir » ; et il faut jalou­se­ment pro­té­ger le sens catho­li­que du sacre­ment, y com­pris en discer­nant les dif­fé­ren­ces avec les autres con­fes­sions.

Mgr Bätzing sou­tient enco­re que les déci­sions du syno­de trou­ve­ront des per­son­nes, voi­re des « allian­ces » (Koalitionene) capa­bles de les met­tre en œuvre ; une thè­se en soi bana­le mais menaçan­te, par­ce que ce qui n’est pas banal en revan­che, sauf dans la tête de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le alle­man­de, c’est le gen­re de per­son­nes qui se ver­ra­ient con­fier la « réa­li­sa­tion » d’instances qui sont tou­tes théo­lo­gi­que­ment sur le fil du rasoir.  Tout aus­si arro­gan­te, quoi­que sans ave­nir, est l’idée d’exiger du pape un syno­de uni­ver­sel qui se dérou­le­rait à Rome pour un exa­men élar­gi à tou­te l’Église des résul­ta­ts du « Synodale Weg » d’Allemagne.  La Congrégation pour la Doctrine de la foi ne suffit-elle pas ?

Quand Mgr Bätzing défi­nit ensui­te com­me « désor­mais inac­cep­ta­bles » les « argu­men­ts en défa­veur » du sacer­do­ce fémi­nin (alors qu’il s’agit en réa­li­té d’énoncées de por­tée doc­tri­na­le con­trai­gnan­te), il mon­tre que le « magi­stè­re » épi­sco­pal et la cul­tu­re théo­lo­gi­que moyen­ne ont for­mé en Allemagne non pas un peu­ple chré­tien mais une opi­nion publi­que désor­mais per­ver­tie au point de pour­sui­vre un non-sens : celui de refai­re l’Église à la maniè­re de Babel.  On a en fait encou­ra­gé un sécu­la­ri­sme catho­li­que avant de bran­dir cet­te men­ta­li­té récen­te, et déli­bé­rée, com­me argu­ment con­tre la tra­di­tion de la « lex cre­den­di », du canon du croi­re (Glaubenregeln).

Je crois qu’il faut invi­ter tous les catho­li­ques alle­mands qui sont en train de subir l’initiative de leurs évê­ques et de soi-disant repré­sen­tan­ts du laï­cat tels que le « Zentralkomitee der deu­tschen Katholiken », un véri­ta­ble lob­by pré­sent en for­ce aux assi­ses, à s’opposer à la cour­se fol­le du « Synodale Weg ».

Qu’ils réa­gis­sent en tant que cler­gé et en tant que fidè­les là où ils vivent, dans les parois­ses, les ordres reli­gieux, dans la pres­se.  Que les intel­lec­tuels catho­li­ques se relè­vent.  Qu’on agis­se éga­le­ment par la voie cano­ni­que.  La cor­rup­tion de la doc­tri­ne et des vel­léi­tés de « réfor­me » tota­le­ment anor­ma­les sont sous les yeux de tous.  Que la catho­li­ci­té alle­man­de ne se lais­se pas inti­mi­der par une sor­te du respect mal pla­cé et cer­tai­ne­ment indu aujourd’hui envers une hié­rar­chie en voie d’autoliquidation.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 7/06/2020