Le même jour, mercredi 18 mars, le Pape François et le cardinal Camillo Ruini ont accordé des interviews sur l’urgence du coronavirus.
Le Pape, à Paolo Rodari pour « La Repubblica », le quotidien fondé par Eugenio Scalfari.
Le cardinal Ruini, à « TG2 Post », l’émission d’approfondissement animée par Manuela Morena, qui est diffusée à 21h00 après la journal télévisé du soir de RAI 2.
Nous proposons ci-dessous les deux interviews, l’une après l’autre, en laissant aux lecteurs le soin de faire la comparaison.
*
Pape François: « Ne gâchez pas ces jours difficiles »
VATICAN – « En ces jours difficiles, nous pouvons retrouver de petits gestes concrets de proximité et de bienveillance envers ceux qui nous sont les plus chers, un câlin à nos grands-parents, un bisou à nos enfants ou aux personnes que nous aimons. Ce sont des gestes importants, décisifs. Si nous abordons ces jours de cette manière, ce ne sera pas du temps de perdu ».
Le pape François passe ses journées au Vatican en suivant de très près la crise sanitaire liée au coronavirus. Il y a deux jours, il s’est rendu en la basilique Sainte-Marie-Majeure et en l’église San Marcello al Corso pour prier. Il a raconté à Repubblica les enseignements qu’il tire de ces événements.
Q. – Saint-Père, qu’avez-vous demandé lorsque vous êtes allé prier dans les deux églises romaines ?
R. – J’ai demandé au Seigneur d’arrêter l’épidémie : Seigneur, arrête-la de ta main. J’ai prié pour cela.
Q. – Comment peut-on vivre cette période pour éviter d’avoir l’impression de perdre notre temps ?
R. – Nous devons redécouvrir l’importance des petits gestes, des petites attentions à avoir envers nos proches, notre famille, nos amis. Comprendre que la vraie richesse se trouve dans les petites choses. Certains gestes simples se perdent parfois dans l’anonymat du quotidien, des gestes de tendresse, d’affection, de compassion, qui sont néanmoins décisifs et importants. Par exemple, un plat chaud, un câlin, une embrassade, un coup de téléphone… Ce sont des gestes familiers et quotidiens qui permettent de donner du sens à la vie et d’établir une communion et une communication entre nous.
Q. – Ne vivons-nous pas comme cela, d’habitude ?
R. – Parfois, la communication que nous vivons n’est que virtuelle. Nous devrions en revanche rechercher une nouvelle façon de se rapprocher les uns les autres. Une relation concrète faite d’attention et de patience. Très souvent, les familles dînent ensemble, chez elles, dans un profond silence, mais celui-ci n’est pas le fruit d’une écoute mutuelle, il règne parce que les parents regardent la télévision en mangeant tandis que leurs enfants sont penchés sur leur téléphone portable. Ils ressemblent à des moines isolés les uns des autres. Là, il n’y a aucune communication, alors qu’il est primordial de s’écouter afin de pouvoir comprendre les besoins de l’autre, ses nécessités, ses difficultés, ses envies. Il y a un langage fait de gestes concrets qui doit être sauvegardé. Selon moi, la douleur vécue ces jours-ci doit aboutir à cela.
Q. – De nombreuses personnes ont perdu des proches, beaucoup d’autres se battent en première ligne pour sauver des vies. Que souhaitez-vous leur dire ?
R. – Je remercie ceux qui se dévouent si généreusement pour les autres. Ils sont un exemple probant de ces gestes concrets. Et je demande à chacun d’être proche de tous ceux qui ont perdu des êtres chers, en essayant de les réconforter de toutes les manières possibles. Le soutien doit dorénavant être un engagement de tous. J’ai à cet égard été très impressionné par l’article paru dans Repubblica et écrit par Fabio Fazio sur les enseignements qu’il tire de ces événements.
Q. – Quoi, en particulier ?
R. – De nombreux passages, mais plus généralement le fait que nos comportements ont toujours un impact sur la vie des autres. Il a par exemple raison quand il dit : « Aujourd’hui, ceux qui ne paient pas leurs impôts ne commettent pas seulement un délit mais un crime : s’il manque des lits et des appareils d’assistance respiratoire, c’est aussi de leur faute ». Cela m’a beaucoup touché.
Q. – Comment peuvent faire les athées pour garder espoir en ces temps difficiles ?
R. – Nous sommes tous des enfants de Dieu et Il nous regarde tous. Même ceux qui n’ont pas encore rencontré Dieu, ceux qui n’ont pas le don de la foi, peuvent y trouver leur chemin, dans les bonnes choses auxquelles ils croient : ils peuvent trouver la force dans l’amour pour leurs enfants, leur famille ou leurs frères et sœurs. Certains diront : « Je ne peux pas prier parce que je ne crois pas ». Mais en même temps, ils peuvent croire en l’amour des gens qui les entourent et y trouver de l’espoir.
(Traduction de Jimmy Bertini)
Cardinal Ruini : « Le Christ ressuscité est notre grande espérance »
Q. – Éminence, pendant cette situation d’urgence, peut-être l’Italie a‑t-elle aussi redécouvert de petits trésors cachés dans nos maisons. Vous êtes d’accord ?
R. – Oui, je crois que cette période véritablement tragique nous invite à redécouvrir l’importance du rapport avec Dieu et donc de la prière. En ce qui me concerne, c’est comme cela que je le vis : un moment durant lequel je me confie à Dieu et à sa miséricorde de tout mon cœur.
Q. – Mais comment pouvons-nous faire pour que ce moment dramatique se transforme en une ressource, en une redécouverte notamment de notre propre humanité, de nos sentiments, de l’entraide mutuelle ?
R. – Je crois que ce moment nous incite à la solidarité. Nous comprenons tous que nous sommes dans le même bateau, que nous devons essayer de nous aider les uns les autres, parce qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort. Et, encore une fois, la foi peut nous être d’une grande aide, parce ce que c’est justement ce que nous dit la foi, que nous sommes tous frères, fils d’un même Père, qui veille sur nous. Et nous devons croire cela, croire que nous ne sommes pas seuls, non seulement parce qu’il y a d’autres personnes avec nous, mais également parce que devant la mort, le chrétien sait que la mort n’a pas le dernier mot. Il faut aussi dire cela, parce que quand on parle de centaines de morts, et bien sûr de tant de personnes qui perdent leurs proches, ces questions se posent inévitablement : est-ce que la mort est la fin de tout ? Ou bien la mort est-elle un passage, qui est douloureux, dramatique, mais qui débouche sur la vie ? C’est pour cela que le Christ ressuscité est notre grande espérance, qu’il est le point de référence. Attachons-nous à lui ! Croyons en lui !
Q. – De nombreux fidèles sont un peu désorientés pour le moment, parce que dans le but d’éviter la contagion, ils ne peuvent même plus rencontrer Dieu à l’église. Quel réconfort pouvons-nous donner à ceux qui ne parviennent pas à vivre leur religiosité, leur foi à l’église ?
R. – Je crois que nous pouvons trouver Dieu dans notre conscience. Jésus a dit : « Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre et prie. » Les circonstances externes sont importantes, certes, c’est important d’aller à l’Église mais ce qui est surtout important c’est notre rapport intérieur à Dieu.
Je voudrais souligner l’importance de la confiance. Nous ne devons pas perdre confiance. Il est vrai que ce coronavirus a en quelque sorte gagné une bataille, pour le moment. Mais il est également vrai que l’homme vaincra. Il vaincra à travers la solidarité réciproque, certainement, mais également par son ingéniosité, l’ingéniosité de l’homme qui vient de Dieu et qui nous permettra de trouver un remède, même au coronavirus. Qu’il s’agisse d’un traitement, d’un vaccin ou quoi que ce soit d’autre, je ne sais pas quand cela arrivera mais je suis persuadé que nous vaincrons même le coronavirus, et pour cela nous devons avoir confiance et demander au Seigneur qu’il nous aide à tirer le meilleur des capacités qu’il nous a données.
Q. – On a vu dimanche dernier les images du Pape François dans les rues désertes de Rome, on l’a vu prier devant le Crucifix de Saint-Marcel, à Sainte-Marie-Majeure. Et aujourd’hui il a donné une interview à « La Repubblica » dans laquelle il a parlé du caractère concret des petites choses, de transformer cet isolement pour découvrir un trésor. L’exhortation était intitulée : « Ne gâchez pas ces jours difficiles ». Comme faire, éminence ?
R. – Ces jours nous offrent de nouveaux espaces. Pendant que nous sommes enfermés à la maison, pendant que nous devons renoncer à nos activités habituelles, nous avons plus de temps à consacrer à d’autres choses. Et l’une d’entre elles, c’est certainement de redécouvrir nos rapports réciproques, redécouvrir ceux que l’on aime, nos amitiés, les valeurs qui nous tiennent unis. Et comme je le disais avant, de la même manière, nous devons redécouvrir notre rapport avec le Seigneur. Donc, de cette manière nous pouvons certainement mettre en valeur, mettre au positif, y compris ces choses que nous devons subir pour respecter les règles et pour combattre le coronavirus. Je voudrais également dire à quel point il est important, comme l’a dit le Pape, que chacun de nous essaye de faire ce qui est déjà possible, que chacun de nous sache qu’il en va également de sa responsabilité. Chaque homme est libre, chaque homme est responsable. Nous devons tous être conscients de cela et ne jamais baisser les bras. Il y a malheureusement trop d’exemple très négatifs – il faut le dire en cette circonstance – de personnes qui profitent de la catastrophe pour chercher à en tirer quelque dérisoire avantage personnel, économique. Mais en face de cela, il y a tant de témoignages positifs, pensons aux médecins, aux infirmières, mais pas seulement à eux. Eh bien, cela interpelle également notre liberté. Nous sommes des personnes libres, nous pouvons décider en tout conscience de bien utiliser toutes les ressources dont nous disposons, même dans le sens de la solidarité et l’aide à ceux qui ont le plus besoin de nous.
Q. – Éminence, de nombreuses personnes nous quittent à cause de ce maudit virus et la chose la plus triste c’est qu’ils s’en vont dans la solitude. Souvent, il n’est même pas possible d’avoir des funérailles.
R. – C’est vraiment très triste : ne pas pouvoir être proches des personnes chères qui nous quittent. Espérons que les personnes qui se trouvent là, les médecins, les infirmières, leur disent une bonne parole, qu’à travers eux ils ne se sentent pas abandonnés. Et surtout je voudrais prier le Seigneur pour qu’il leur fasse sentir qu’il est proche d’eux et qu’il les attend, comme le Père de la parabole attendait le fils prodigue, comme Abraham attendait le pauvre Lazare qui mourait.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.