Vu les instructions des évêques de la région de Buenos Aires – approuvées par écrit par le pape François -, celles des évêques de Malte, celles d’autres évêques encore et dernièrement de la conférence épiscopale d’Allemagne, il semble désormais évident que l’argument principal sur lequel les progressistes se basent pour justifier la communion des divorcés-remariés se trouve à l’ombre de ces phrases suggestives d’Amoris laetitia, qui cite à son tour Evangelii gaudium, le document-programme de l’actuel pontificat:
« L’Eucharistie n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles ».
Cette assertion est fréquemment associée – notamment dans la prédication de Jorge Mario Bergoglio – aux repas que Jésus prenait avec les pécheurs.
Mais il s’agit également d’une affirmation qui a été entièrement mise à nu et critiquée par Benoît XVI.
Il suffit de comparer les textes de l’un et l’autre pape pour constater combien ils contrastent l’un avec l’autre:
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Pour le Pape François, l’association entre l’Eucharistie et les repas de Jésus avec les pécheurs est postulée de façon allusive à l’aide de notes de bas de page savamment étudiées:
Dans Amoris laetitia, le passage-clé se trouve au paragraphe 305:
« À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église ».
Ce paragraphe fait référence à la note de base de page 351:
« Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, « aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur » : Exhort. ap. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 44 : AAS 105 (2013), p. 1038. Je souligne également que l’Eucharistie « n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (Ibid., n. 47 : p. 1039). »
Si l’on retourne à Evangelii gaudium, voici ce que l’on lit dans le paragraphe 47:
« Tous peuvent participer de quelque manière à la vie ecclésiale, tous peuvent faire partie de la communauté, et même les portes des sacrements ne devraient pas se fermer pour n’importe quelle raison. […] L’Eucharistie, même si elle constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles. »
Là aussi, il y a un renvoi à une note de bas de page, la numéro 51:
« Cf. saint Ambroise, De sacramentis, IV, 6, 28 : PL 16, 464 ; SC 25, 87 : « Je dois toujours le recevoir pour que toujours il remette mes péchés. Moi qui pèche toujours, je dois avoir toujours un remède » ; IV, 5, 24 : PL 16, 463 ; SC 25, 116 : « Celui qui a mangé la manne est mort ; celui qui aura mangé ce corps obtiendra la rémission de ses péchés ». saint Cyrille d’Alexandrie, In Joh. Evang. IV, 2 : PG 73, 584-585 : « Je me suis examiné et je me suis reconnu indigne. À ceux qui parlent ainsi je dis : et quand serez-vous dignes ? Quand vous présenterez-vous alors devant le Christ ? Et si vos péchés vous empêchent de vous approcher et si vous ne cessez jamais de tomber – qui connaît ses délits ?, dit le psaume – demeurerez-vous sans prendre part à la sanctification qui vivifie pour l’éternité ? ». »
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Chez le théologien et pape Joseph Ratzinger, on trouve en revanche une argumentation serrée visant à démontrer l’insoutenabilité de l’association entre eucharistie et repas du Christ avec les pécheurs, avec toutes les conséquences qui en découlent.
Voici comment il développe cette argumentation dans les pages 422-424 du volume VI de son Opera Omnia « Théologie de la Liturgie » publié en 2008, « Théologie de la Liturgie », publié en 2008 aux soins de l’actuel préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le cardinal Gerhard L. Müller:
« La thèse selon laquelle l’Eucharistie apostolique serait liée à la vie commune quotidienne de Jésus avec ses disciples […] a été radicalisée dans certains milieux […] de telle sorte que l’on a fait plus ou moins dériver l’eucharistie exclusivement des repas que Jésus prenait avec les pécheurs. »
« Ces positions font coïncider l’Eucharistie voulue par Jésus avec une doctrine de la justification strictement luthérienne, comme doctrine de la grâce concédée au pécheur. Si l’on admet que les repas avec les pécheurs sont les seuls éléments certains de la tradition du Jésus historique, on obtient une réduction de toute la christologie et de la théologie sur ce point. »
« Mais on en arrive alors à une idée de l’Eucharistie qui n’a plus rien à voir avec la tradition de l’Eglise primitive. Alors que Paul considérait que s’approcher de l’Eucharistie en état de péché revenait à manger et boire « sa propre condamnation » (1 Cor 11, 29) et qu’il protégeait l’Eucharistie des abus au moyen de l’anathème (1 Cor 16, 22), il semble ici qu’au contraire l’essence de l’eucharistie soit d’être offerte à tous sans aucune distinction ni condition préalable. Elle est interprétée comme signe de la grâce inconditionnelle de Dieu et comme telle est offerte immédiatement même aux pécheurs voire aux non-croyants, une position qui par ailleurs n’a presque plus rien en commun avec la conception que Luther lui-même avait de l’Eucharistie. »
« Le contraste avec la tradition eucharistique néotestamentaire toute entière sur laquelle bute sur cette thèse radicalisée en confond le point de départ: il ne faut pas comprendre l’Eucharistie chrétienne à partir des repas que Jésus a pris avec les pécheurs. […] Un indice qui montre bien que l’origine de l’Eucharistie ne se trouve pas dans les repas que Jésus a pris avec les pécheurs c’est que celle-ci suit le rituel pascal: tout comme le repas pascal était célébré dans la communauté domestique rigoureusement circonscrite, de la même manière, il y existait depuis le début des conditions d’accès bien définies pour l’Eucharistie aussi; elle était célébrée depuis le début, pour ainsi dire, dans la communauté domestique de Jésus Christ et c’est de cette façon qu’il a construit l’Eglise. »
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Il est évident que de cette argumentation de Ratzinger dérive l’interdiction de la communion aux divorcés remariés et non seulement à eux: interdiction qui avait été clairement exprimée dans on magistère en tant que pape tout comme dans le magistère de ses prédécesseurs.
Tout comme il n’est pas surprenant les affirmations allusives du pape François donnent lieu à des interprétations favorables à la communion aux divorcés remariés: des interprétation non seulement autorisées par lui mais qu’il a également explicitement approuvées.
Le contraste est flagrant. Et à en juger par les arguments de Ratzinger, il ne s’agit pas d’une simple question de « pratique » pastorale mais bien des piliers de la foi chrétienne.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.