Un licenciement, une démolition: voici la nouvelle curie

La réfor­me de la curie mise en œuvre par le Pape François se dérou­le en par­tie au grand jour et en par­tie dans l’ombre.

Parmi les mesu­res récem­ment pri­ses dans l’ombre, en voi­ci deux qui sont emblé­ma­ti­ques :

C’est le vati­ca­ni­ste Marco Tosatti qui a levé le voi­le sur la pre­miè­re de ces deux mesu­res en révé­lant que le Pape, le 26 décem­bre der­nier, don­né  l’ordre au chef d’un dica­stè­re de licen­cier séan­ce tenan­te trois de ses col­la­bo­ra­teurs sans rai­son et sans discus­sion.

Nous savons aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas d’un dica­stè­re quel­con­que mais bien de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et que les trois per­son­nes licen­ciées éta­ient très appré­ciées par leur pré­fet, le car­di­nal Gerhard L. Müller, qui a éga­le­ment été vic­ti­me d’humiliations publi­ques répé­tées de la part du pape.

Mais qui est donc, dans ces trois per­son­nes licen­ciées, est cel­le que François – com­me le rap­por­te Tosatti — a per­son­nel­le­ment appe­lée au télé­pho­ne pour la répri­man­der ver­te­ment après avoir été infor­mé par un déla­teur qu’il aurait émis des cri­ti­ques à son égard ?

Il s’agit de Christophe J. Kruijen, 46, hol­lan­dais, un prê­tre hol­lan­dais qui est au ser­vi­ce de la Congrégation pour la doc­tri­ne de la Foi depuis 2009.  C’est un théo­lo­gien répu­té, récem­ment récom­pen­sé par l’Ambassade de France auprès du Saint-Siège qui lui a remis le pre­sti­gieux Prix Henri de Lubac, décer­né par un jury de haut niveau com­po­sé des car­di­naux Georges Cottier, Albert Vanhoye et Paul Poupard pour sa thè­se en théo­lo­gi­que inti­tu­lée : « Le Salut uni­ver­sel ou dou­ble issue du juge­ment : espé­rer pour tous ?  Contribution à l’étude cri­ti­que d’une opi­nion théo­lo­gi­que con­tem­po­rai­ne con­cer­nant la réa­li­sa­tion de la dam­na­tion », sou­te­nue auprès de l’Université pon­ti­fi­ca­le Saint-Thomas D’Aquin sous la direc­tion du théo­lo­gien domi­ni­cain Charles Morerod, ancien rec­teur de l’université et aujourd’hui évê­que de Lausanne, Genève et Fribourg.

Les « novis­si­mis », c’est-à-dire la mort, le juge­ment, l’enfer et le para­dis sont les suje­ts de pré­di­lec­tion des tra­vaux de Kruijen mais on lui doit éga­le­ment un excel­lent essai sur la phi­lo­so­phe jui­ve puis monia­le car­mé­li­te Edith Stein, tuée à Auschwitz en 1942 et cano­ni­sée en 1998 : « Bénie par la Croix.  L’expiation dans l’œuvre et la vie d’Edith Stein ».

On ne trou­ve nul­le cri­ti­que du Pape François ni dans ses écri­ts ni dans ses discours publics mais il aura suf­fi d’une déla­tion extrai­te d’une de ses con­ver­sa­tions pri­vées pour le fai­re tom­ber en disgrâ­ce auprès du pape qui a fait tom­ber le cou­pe­ret.

Voilà un autre aspect de la réfor­me de la curie en cours sous les ordres et avec le sty­le de Jorge Mario Bergoglio.

La secon­de mesu­re pri­se dans l’ombre con­cer­ne la con­gré­ga­tion pour la cul­te divin diri­gée par le car­di­nal Robert Sarah qui a, lui aus­si, été humi­lié publi­que­ment par le pape et qui est désor­mais con­dam­né à pré­si­der un ser­vi­ce entiè­re­ment com­po­sé de col­la­bo­ra­teurs qui lui sont hosti­le [après que le Pape ait rem­pla­cé la quasi-totalité de ses mem­bres].

Le Pape François a ordon­né la créa­tion d’une com­mis­sion sous l’autorité du secré­tai­re de la con­gré­ga­tion, l’archevêque Arthur Roche, dont l’objectif sera non pas de cor­ri­ger les abus de la réfor­me litur­gi­que post­con­ci­liai­re – la réfor­me de la réfor­me rêvée par le car­di­nal Sarah – mais bien son exact con­trai­re : la démo­li­tion de l’un des garde-fous con­tre les excès des litur­gies post­con­ci­liai­res, l’instruction « Liturgiam authen­ti­cam » publiée en 2001 qui fixait les cri­tè­res pour tra­dui­re les tex­tes litur­gi­ques du latin en lan­gues moder­nes.

Benoît XVI avait enco­re ren­for­cé ces cri­tè­res, notam­ment par sa volon­té de con­ser­ver le « pro mul­tis » de l’Evangile et du mis­sel latin dans les paro­les de la con­sé­cra­tion du sang du Christ plu­tôt que le « pour tous » de nom­breu­ses tra­duc­tions cou­ran­tes.

Mais François a tout de sui­te fait com­pren­dre que la cho­se le lais­sait indif­fé­rent.  Aujourd’hui, avec l’institution de cet­te com­mis­sion, il embras­se les idées de moder­ni­sa­tion du lan­ga­ge litur­gi­que pro­mues, notam­ment, par le litur­gi­ste Andrea Grillo, pro­fes­seur à l’Athénée Pontifical Saint-Anselme qui est très appré­cié à la Maison Sainte-Marthe [il mili­te pour que les tra­duc­tions s’affranchissent davan­ta­ge du tex­te latin].

Certains pen­sent qu’après la démo­li­tion de « Liturgiam authen­ti­ca », la pro­chai­ne cible de cet­te com­mis­sion ou d’une autre sera la cor­rec­tion de « Summorum pon­ti­fi­cum », le docu­ment par lequel Benioît XVI avait libé­ra­li­sé la célé­bra­tion de la mes­se dans l’ancien rite.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso

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Date de publication: 14/03/2017