“Tous frères”, même les “familles” du même sexe.  Le pontificat de François sous la lorgnette de l’analyste

Ce sont la paro­les du pape François bénis­sant les “famil­les” homo­se­xuel­les, dans le récent film qui lui est con­sa­cré, et son ency­cli­que “Fratelli tut­ti” sur la fra­ter­ni­té uni­ver­sel­le, avec seu­le­ment 4 para­gra­phes timi­des con­sa­crés à “l’identité chré­tien­ne” sur 287, qui ont inci­té le pro­fes­seur Pietro De Marco à rédi­ger une éva­lua­tion cri­ti­que glo­ba­le du pon­ti­fi­cat actuel.

Settimo Cielo a pro­po­sé cet­te recon­struc­tion de la genè­se et des effe­ts de ces paro­les papa­les dans le film.

> Famiglie omo­sex. Ciò che il papa ha det­to e ciò che gli han­no fat­to dire

Tandis que pour une lec­tu­re à pro­pre­ment par­ler théo­lo­gi­que de “Fratelli tut­ti”, cet­te ana­ly­se du P. Thomas Weinandy, mem­bre de la Commission théo­lo­gi­que inter­na­tio­na­le, est instruc­ti­ve:

> “Fratelli Tutti” and the Preaching of the Good News

Mais voi­ci ce qu’écrit le pro­fes­seur De Marco – phi­lo­so­phe et histo­rien de for­ma­tion, ancien pro­fes­seur de socio­lo­gie de la reli­gion à l’Université de Florence et à la Faculté d’Italie cen­tra­le – sur ce qu’il appel­le à la fois “le désor­dre” de ce pon­ti­fi­cat et “le con­sen­sus dif­for­me, contre-nature” qui l’entoure, sont l’un et l’autre tels qu’ils sont suscep­ti­bles de  “crier devant la face de Dieu”.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

Tendresse pour les “derniers hommes”

de Pietro De Marco

Les ten­dres­ses d’une Eglise qui obscur­cit la divi­ne révé­la­tion sont-elles réel­le­ment pro­fi­ta­bles à l’homme qui les reçoit ?

Après que le pape Jorge Mario Bergoglio a récla­mé la “cou­ver­tu­re léga­le” des cou­ples de même sexe, l’un de mes amis m’a mis sous les yeux un tex­te qui allait être beau­coup cité par la sui­te : “À ceux qui […] veu­lent pro­cé­der à la légi­ti­ma­tion de droi­ts spé­ci­fi­ques pour les per­son­nes homo­se­xuel­les qui coha­bi­tent, il faut rap­pe­ler que la tolé­ran­ce du mal est bien autre cho­se que son appro­ba­tion ou sa léga­li­sa­tion.  Lorsqu’on est con­fron­té à la recon­nais­san­ce juri­di­que des unions homo­se­xuel­les, ou au fait d’as­si­mi­ler juri­di­que­ment les unions homo­se­xuel­les au maria­ge, leur don­nant accès aux droi­ts qui sont pro­pres à ce der­nier, on doit s’y oppo­ser de maniè­re clai­re et inci­si­ve”.

Il s’agit d’un pas­sa­ge des “Considérations à pro­pos des pro­je­ts de recon­nais­san­ce juri­di­que des unions entre per­son­nes homo­se­xuel­les” publié par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le 3 juin 2003, jour de la mémoi­re des sain­ts Ougandais Charles Lwanga et ses com­pa­gnons, mar­tyrs – m’a appris mon doc­te ami – par­ce qu’ils ava­ient rési­sté aux avan­ces sodo­mi­tes de leur roi.  Mais aujourd’hui, à qui et à quoi devrions nous nous oppo­ser si – com­me l’écrit un théo­lo­gien avec lequel je suis tou­jours ami­ca­le­ment en désac­cord – “avec le Pape, il n’y a plus de divi­sion en deux par­ties oppo­sées, véri­té et liber­té, devoir et droit”.  L’intelligentsia catho­li­que, à l’inverse saint Augustin et à saint Paul, croit-elle réel­le­ment, que l’homme soit en train de flot­ter dans des eaux cura­ti­ves tiè­des où il n’y a plus ni dra­me ni risque pour la con­scien­ce et pour la déci­sion ?

Vérité et liber­té, devoir et droit sera­ient seu­le­ment paci­fiés dans un hom­me alié­né de lui-même, dans une ver­tueu­se four­mi­liè­re, sans rap­port avec ce que le Dieu créa­teur a vou­lu que l’humanité soit.  Ce rêve-là n’a plus rien à voir avec le chri­stia­ni­sme, pas plus celui de l’Église catho­li­que que celui des égli­ses ortho­do­xes.  Liberté et véri­té seront tou­jours en con­flit dans notre fini­tu­de et, devant cet état de fait, la ten­ta­ti­ve de détrui­re la méta­phy­si­que est inu­ti­le.  Au con­trai­re, seu­le une Église “katé­chon” pour­ra empê­cher cet­te chu­te de l’humain dans l’a‑pathie.

Ce “katé­chon”, n’en déplai­se au P. Antonio Spadaro (dans “La Civiltà Cattolica” du 4 jan­vier 2020), ne pour­rait être con­sti­tuée par une Église con­for­me à la vision du pape François si – com­me décla­rait le Jésuite – cet­te vision fait coïn­ci­der la “con­ver­sion” spi­ri­tuel­le et pasto­ra­le avec la con­ver­sion “struc­tu­rel­le”.  La lut­te con­tre la “fin de l’histoire” est moins une affai­re de struc­tu­res éco­no­mi­ques et socia­les que de mon­des idéo­lo­gi­ques et moraux qui pénè­trent et aliè­nent les exi­sten­ces.

Dans cet­te per­spec­ti­ve, appa­raît d’autant plus erro­né, après des décen­nies, le tra­vail théo­lo­gi­que visant à démon­trer que la foi et l’Église doi­vent, pour se “réno­ver” (une thè­se qui s’autodétruit puisqu’il ne peut il y avoir de nou­veau­té au sens pro­pre dans la tem­po­ra­li­té d’une Tradition), accueil­lir elles ce non-sens de la fai­bles­se du “par-delà la foi”, com­me l’écrit un cer­tain auteur.  Une ligne qui accé­lè­re la fin sans qu’il y ait de régé­né­ra­tions.

En discu­tant à bâtons rom­pus avec une amie post-moderne qui n’a à la bou­che que les mots “fémi­ni­sme”, “liber­té et droi­ts indi­vi­duels”, “ici et main­te­nant”, “fin de vie et eutha­na­sie pour tous”, je l’ai subi­te­ment enten­due fai­re l’éloge du Pape Bergoglio, “ce Pape que je trou­ve abso­lu­ment aima­ble”.  Nous savons que l’i­ma­ge publi­que et ce besoin inces­sant de discou­rir qu’a le Pape – dont la der­niè­re sor­tie décon­nec­tée sur les homo­se­xuels et les unions civi­les est un par­fait exem­ple – ont pour effet d’a­ne­sthé­sier le nihi­li­sme ambiant con­tem­po­rain, de lui don­ner com­me une sor­te de justi­fi­ca­tion ; une pre­u­ve que la faus­se con­scien­ce de s’être éman­ci­pé de la véri­té ne suf­fit pas au “vivre pour la mort” de l’homme post­chré­tien.  Je rap­pel­le sou­vent, face aux opi­nions sub­jec­ti­ves pétries de cer­ti­tu­des et per­dues dans l’autosuffisance post­mo­der­ne cet­te pré­vi­sion du “der­nier hom­me” refor­mu­lée dans l’après-guerre par Alexandre Kojève : nous som­mes en train de deve­nir –disait en sub­stan­ce le phi­lo­so­phe – des hom­mes pro­té­gés et en bon­ne san­té qui se lais­sent vivre ain­si, pure ani­ma­li­té heu­reu­se sans histoi­re et sans âme.  Certes, il sera alors dif­fi­ci­le de pro­té­ger notre vie si nous com­me­nçons à deve­nir un poids pour notre cer­cle social, mais à ce sta­de, nous disent-ils, nous aurons suf­fi­sam­ment vécu ; les chiens et les cha­ts, si “humains”, vivront plus que nous.  Le Pape Bergoglio sem­ble se ren­dre comp­te de cet­te déri­ve du mon­de occi­den­tal que Fukuyama avait à nou­veau dia­gno­sti­quée il y a plus de tren­te ans, mais il la résout par la cri­ti­que manié­rée de l’individualisme libé­ral qu’il attri­bue ensui­te à l’égoïsme des inté­rê­ts éco­no­mi­ques.  La réa­li­té est tout autre et cet­te erreur de dia­gno­stic anth­ro­po­lo­gi­que por­te un coup fatal à la stra­té­gie pasto­ra­le et poli­ti­que du Pape.

Les défen­seurs et apo­lo­gè­tes de François, même les plus luci­des, ne par­vien­nent pas à recou­rir à un autre argu­ment que la “métho­de de la dou­ceur” et l’“éloge de la fra­ter­ni­té” com­me for­me nou­vel­le de la véri­té catho­li­que et de la fonc­tion pétri­nien­ne.  “Le pape ramè­ne l’amour à la dimen­sion évan­gé­li­que”, lis-je à pro­pos de sa sor­tie sur le dra­me homo­se­xuel.  Celui qui croit cela n’a jamais lu les Évangiles : la “dimen­sion évan­gé­li­que” de l’amour — et lequel : éros, phi­lia, aga­pé ? — implique-t-il que j’approuve tan­tôt les noces entre divor­cés, tan­tôt les cou­ples homo­se­xuels et ain­si de sui­te ?  Et demain, quoi enco­re ?  L’inceste, le sexe entre enfan­ts ?  Et si les lois qui dépé­na­li­sent, et qui donc inci­tent à tel­le ou tel­le con­dui­te, por­tent le sceau et l’effigie de César, ne faut-il pas aus­si pro­cla­mer la res­sem­blan­ce de cha­que hom­me avec Dieu ? L’homme créa­tu­re, l’homme essen­tiel que l’Église affir­me et pro­tè­ge, est à Sa res­sem­blan­ce.  Le “grand mystè­re” du cou­ple homme-femme est dans cet ordre pre­mier et der­nier, qui est en fait l’ordre tri­ni­tai­re (Hans Urs von Balthasar).

Certains agi­tent enco­re un dia­gno­stic, déjà très répan­du après le Concile, selon lequel “le nom­bre de ceux qui, pour don­ner for­me à leur pro­pre foi, doi­vent se met­tre sinon hors de l’Église, au moins en mar­ge de celle-ci” aug­men­te­rait ; autre­ment dit que l’Église n’est « pas enco­re »un endroit pour les vrais croyan­ts mais tout au plus pour ceux qui sont “atta­chés aux pra­ti­ques reli­gieu­ses”.  Mais la réa­li­té est bien dif­fé­ren­te : ceux qui sont “atta­chés à la pra­ti­que” ne sont plus qu’une mino­ri­té mal­trai­tée par le curé moyen, l’idéologie pasto­ra­le et les pra­ti­ques parois­sia­les sont depuis des années aux mains de ceux qui vou­dra­ient prê­ter à l’incroyant une for­me de « foi per­son­na­li­sée ».  C’est pour­quoi le Pape s’occuperait à juste titre, selon Giuliano Zanchi, théo­lo­gien et essay­i­ste de renom, du “croi­re de tous” par­ce que, indé­pen­dam­ment de la for­me que la foi assu­me en cha­cun, “tous, nous pou­vions croi­re”.

Cette con­si­dé­ra­tion est sub­ti­le et peut-être le Pape la partage-t-elle, mais elle a été démen­tie par une lon­gue série de réduc­tions “uni­ver­sa­li­stes” de la foi, et même des “ croyan­ces”, à un plus petit com­mun déno­mi­na­teur desti­né à être la foi de tous : les uto­pi­smes sociaux chré­tiens, les expé­rien­ces de reli­gio­si­té « libé­ra­le » à la maniè­re d’un Lamennais, les con­grès mon­diaux des reli­gions en sai­son pré-moderniste, le Modernisme catho­li­que à pro­pre­ment par­ler, c’est-à-dire cet­te “reli­gion” des pro­lé­tai­res révo­lu­tion­nai­res et, après une pau­se, le retour des visions œcu­mé­ni­ques des reli­gions ou de ces “éthi­ques” à la Hans Küng, tout cela a pré­cé­dé ce des­sein – ou cet­te pra­xis instinc­ti­ve ? — du Pape François.  Mais après plus de deux siè­cles de scé­na­rios illu­soi­res, aucu­ne “reli­gion en laquel­le nous pour­rions tous croi­re” n’a pris corps, pas même dans le pôle des mysti­ques ni dans celui, oppo­sé, des éthi­ques civi­les.  En réa­li­té, une “véri­ta­ble reli­gion” est exi­gean­te, elle for­ti­fie et enga­ge, elle exi­ge amour à Dieu, for­ma­tion et don de soi, elle enga­ge tou­te la vie ; rien à voir donc avec l’émotion susci­tée par un slo­gan que l’on par­ta­ge et que l’on affi­che au bal­con.

Le con­cert actuel sur les nou­veau­tés du Pape Bergoglio, qui nous res­sort pour la éniè­me fois ce refrain sur l’inadéquation de l’Église – qui serait enco­re une “Église des non” mal­gré la pro­duc­tion de “oui” du pon­ti­fi­cat – feint d’ignorer com­bien la tra­di­tion chré­tien­ne a assi­mi­lé les Saintes Écritures pour trou­ver des répon­ses à l’obscurité con­ti­nue de l’histoire humai­ne, qui est une histoi­re rache­tée dans le Christ, ou elle serait dépour­vue de répon­ses, com­me en atte­ste la tra­gé­die anti­que.

Le soin des âmes a tou­jours rap­por­té l’amour à l’Évangile, tout en se démar­quant de l’enchantement de l’“amour pas­sion” ou de l’“amor con­cu­pi­scen­tiae” dont cha­que être humain fait l’expérience mais qui ne peut pas être assi­mi­lé à l’amour de Dieu et du pro­chain que les Évangiles voient incar­nés dans le Christ.  Il y a par ail­leurs quel­que cho­se de para­do­xal à pré­ten­dre légi­ti­mer chré­tien­ne­ment l’“amour pas­sion”, les “fai­ts d’amour” roman­ti­que­ment con­si­dé­rés,  com­me s’ils éta­ient abso­lus et habi­tés par Dieu.  Peut-on en défen­dre la liber­té face à la loi, en éten­dant la caté­go­rie de “fra­ter­ni­té” de la der­niè­re ency­cli­que à la rela­tion sexuel­le, com­me le vou­drait le théo­lo­gien Andrea Grillo ?  Amour phi­la­del­phe donc ou, plus pro­ba­ble­ment, sim­ple méta­pho­re ora­toi­re sans cor­re­spon­dan­ce dans les fai­ts ?

Revenons au Pape.  Tout qui a un mini­mum de con­nais­san­ces, qu’il soit de cul­tu­re catho­li­que ou non, com­prend qu’anesthésier le der­nier hom­me, celui de la ver­beu­se exhi­bi­tion de sa pro­pre (in)suffisance – une cho­se iné­di­te dans les cul­tu­res humai­nes tou­tes ouver­tes à l’au-delà-de, au sacré – est à l’opposé du mes­sa­ge chré­tien et du devoir de véri­té.  Face à la quasi-culture de la fini­tu­de sans trans­cen­dan­ce, à la pré­di­ca­tion de l’insouciante immo­ra­li­té de soi, d’un rien aus­si ridi­cu­le qu’hypersensible, l’invitation à la fra­ter­ni­té et au social est inca­pa­ble à elle seu­le de con­dui­re les âmes à un regain de sens et de pro­fon­deur.  Il s’agit d’exhortations qui n’entament pas l’arrogance tri­ste du der­nier hom­me au-delà d’une émo­tion.  Les grands idéaux des pau­vres, de la fra­ter­ni­té mon­dia­le, du Dieu amour pren­dront, pour le « je » con­tem­po­rain assoif­fé de gra­ti­fi­ca­tions à sa pro­pre et mode­ste mesu­re, la pla­ce et le temps que l’on réser­ve aux mots; une brè­ve distrac­tion.

Valoriser en même temps la “foi de tous” pour obte­nir à par­tir de la con­fu­sion un élan uni­ver­sel vers la fra­ter­ni­té revien­dra donc, une fois pas­sée l’émotion, à déva­luer la foi de cha­que croyant fer­vent.  Une foi reli­gieu­se, ce n’est pas cela.  La pen­ser en ter­mes de plus petit déno­mi­na­teur com­mun anth­ro­po­cen­tri­que – de fait huma­ni­ste – n’a jamais pro­duit et ne pro­dui­re jamais aucu­ne nou­vel­le plau­si­bi­li­té du croi­re chez ceux qui ne cro­ient pas.  L’Occident chré­tien a été plon­gé pen­dant des siè­cles (même à l’époque moder­ne) dans le par­cours du Christ res­su­sci­té et glo­rieux, dans l’histoire uni­ver­sel­le, dans le sens plein et sur­na­tu­rel de l’existence.  Jamais dans un Dieu “inti­me” et à la fois absent, sauf auprès de mino­ri­tés.  C’est pour­tant ce der­nier qui sem­ble être le Dieu que le Pape recom­man­de dans “Fratelli tut­ti” (n°277–280) : une croyan­ce humai­ne ‑uti­le à la « paix » — en un iner­te légi­sla­teur du tout, com­me dans la cul­tu­re déi­ste.  À quoi bon ?

C’est vrai : nous ne pou­vons cer­tes con­sen­tir à l”’être pour la mort” d’hommes polé­mo­gè­nes, mépri­sant l’homme ordi­nai­re ou “bour­geois”, ou d’une autre race, prê­ts à éli­mi­ner les rebu­ts de l’humanité ou à en fai­re – avec les mêmes con­sé­quen­ces – un autre être ou un peu­ple nou­veau.  Mais nous ne pou­vons pas davan­ta­ge auto­ri­ser, au nom de la misé­ri­cor­de, l’”être pour la mort” d’hommes qui, à côté de nous, cul­ti­vent le non-sens pour se pré­pa­rer la bon­ne mort chi­mi­que.  Je crois que la pré­di­ca­tion du Pape François fini­ra par ren­for­cer les milieux post­chré­tiens dans le non-sens dans lequel ils se con­dam­nent eux-mêmes.

Et ane­sthé­sier le non-sens, ce n’est pas non plus pré­pa­rer cet “hôpi­tal de cam­pa­gne” tant van­té, c’est con­sen­tir à l’idéologie de la fui­te mas­si­ve face à la vie dotée d’un sens, de la véri­té et de la pei­ne de la lut­te qui occu­pe le quo­ti­dien de cha­cun.

Ce n’est abso­lu­ment pas un hasard, et c’est même struc­tu­rel, si dans les milieux post­chré­tiens, la “fra­ter­ni­té” — que l’on appré­cie com­me mot – s’ar­rê­te face à la mater­ni­té non dési­rée, au mala­de en pha­se ter­mi­na­le, au vieil­lard qui a per­du la tête et demain à l’adolescent en situa­tion de han­di­cap gra­ve.  Une mon­strueu­se cou­tu­me qui asso­cie, sans con­tra­dic­tion, la fra­ter­ni­té des sen­ti­men­ts à l’action (com­plé­men­tai­re) homi­ci­de des com­por­te­men­ts et des lois aux­quel­les ces mêmes per­son­nes “fra­ter­nel­les” con­tri­buent en tant qu’électeurs.

À pré­sent, cet­te huma­ni­té qui sur­fe sur la vague de la “bon­ne vie” com­me mesu­re de la digni­té, ou plu­tôt de la légi­ti­mi­té à vivre, n’e­st vrai­ment aidée dans le “com­me si le Christ n’existait pas” de “Fratelli tut­ti”.  Il n’y a pas de salut dans le “sama­ri­ta­nus bonus” du Pape mais seu­le­ment des pal­lia­tifs exi­sten­tiels, per­son­nels et poli­ti­ques incom­pa­ti­bles avec à l’Église : la “spon­sa Christi” ne doit pas accom­pa­gner les âmes vers leur mort mais elle doit affir­mer la véri­té du Christ pour qu’el­les vivent.  Une évi­den­ce qui mon­tre com­bien la “laï­ci­té” bien com­mo­de de la sépa­ra­tion entre véri­té “reli­gieu­se” et per­spec­ti­ve juri­di­que et poli­ti­que, embras­sée depuis des décen­nies par le catho­li­ci­sme démo­cra­ti­que et « libé­ral», est erro­né.  L’Église a depuis tou­jours la respon­sa­bi­li­té et la com­pé­ten­ce sur les don­nées anth­ro­po­lo­gi­ques ulti­mes – nais­san­ce, mascu­lin et fémi­nin, maria­ge, mort – par­ce qu’elle a de ces der­niers la vision inté­gra­le qu’est l’anthropologie bibli­que.  Il n’y a rien de l’homme – la réa­li­té con­crè­te par excel­len­ce – qui, avec l’oubli de ces fon­da­men­taux de la con­cep­tion chré­tien­ne, ne ten­de à se per­ver­tir.

Gardons bien cela en tête : quand les catho­li­ques, et des pans du mon­de réfor­mé, com­bat­tent con­tre les inno­va­tions nor­ma­ti­ves pro­dui­tes par la vic­toi­re du « je dési­rant » sur les fina­li­tés d’ordre et d’élévation pro­pres au Nomos, qui s’imposent,  alors ils com­bat­tent pour l’homme et pas “pour la reli­gion”.  En Italie, on s’est bat­tu en son temps éga­le­ment con­tre la créa­tion d’un droit aux “unions de fait”, par­ce qu’il en allait de notre devoir, si l’on s’en tient à ce que pré­tend Rome.  La posi­tion de Jorge Mario Bergoglio n’a pas plus de valeur qu’une opi­nion.  Quoi qu’il en soit, le fait que l’Église huma­ni­se erro­né­ment la véri­té du Christ ne ser­vi­ra pas l’homme.

Plutôt que de s’occuper des “unions civi­les,” qui plus est en répan­dant des opi­nions inco­hé­ren­tes, le Pape François devrait plu­tôt s’occuper de haus­ser le ton, de maniè­re for­mel­le et argu­men­tée, con­tre l’abandon actuel de tout frein éthi­que et légi­sla­tif à la liqui­da­tion eutha­na­si­que d’êtres humains.  Cette immon­de déri­ve con­cer­ne le futur de l’homme à la raci­ne, et il n’y a pas de peur qui tien­ne de con­tra­rier les auto­ri­tés civi­les, hol­lan­dai­ses ou pas.  “Hic Rhodus!”, c’est là que se trou­ve le point déci­sif, et pas dans une mythi­que batail­le du “peu­ple” con­tre la moder­ni­té éco­no­mi­que et les déli­ca­ts équi­li­bres inter­na­tio­naux.  Le chri­stia­ni­sme a tou­jours accom­pa­gné les âmes dans l’histoire à la lumiè­re des ver­tus théo­lo­ga­les, plu­tôt que de les ber­cer d’il­lu­sions sur un “autre mon­de pos­si­ble”.  Cet autre mon­de est dans la vision de Dieu, ici il est dans la vie sur­na­tu­rel­le.  Une “ten­dres­se” qui s’affirmerait sans hori­zon, sans but et sans le Dieu de la révé­la­tion dans le Christ ne fera pas de l’homme con­tem­po­rain un géné­ra­teur d’humanité fra­ter­nel­le mais plu­tôt un pathé­ti­que déser­teur de l’histoire dans laquel­le le Dieu créa­teur l’a pla­cé.  Vers la “fin de l’histoire”.

Ceux qui se plai­gnent des nom­breu­ses réser­ves et cri­ti­ques envers le Pape doi­vent se ren­dre con­tre que Sa Sainteté est actuel­le­ment à décou­vert, d’une façon iné­di­te et à tous poin­ts contre-productive pour Rome et pour l’Église, à cau­se d’une som­me de respon­sa­bi­li­tés et de fai­bles­ses : la con­fu­sion per­ma­nen­te du pri­vé et du public, la for­me impro­vi­sée et con­fu­se des énon­cés dans ses décla­ra­tions au quo­ti­dien tout com­me dans cel­les de son magi­stè­re, l’i­gno­ran­ce (« igno­ra­tio ») fla­gran­te de l’enseignement catho­li­que dont il devrait être le gar­dien.  Et tout cela, beau­coup le cro­ient, pour fai­re pren­dre corps à ses pro­je­ts et à une vision de l’office pétri­nien qui para­ît instru­men­ta­le à ces der­niers.  Il faut éga­le­ment le dire, par­ce que l’échelle à la fois indi­vi­duel­le et mon­dia­le sur laquel­le le Pape Bergoglio entend expé­ri­men­ter un « nou­veau visa­ge de l’Église » — en tant que lieu uni­ver­sel pour de “nou­veaux croyan­ts”, osent dire cer­tains – se fait déjà au risque de l’altération incon­si­dé­rée de la véri­té de l’Église et de la foi.

Certes, le pape ne voit pas que l’in­tel­li­gen­tsia qui le loue uti­li­se l’”historicité” de l’Église et des Évangiles com­me un argu­ment pour liqui­der tous les para­dig­mes catho­li­ques – jusqu’à ce mémo pru­dent du car­di­nal Gerhard L. Müller du 23 octo­bre qu’Andrea Grillo con­si­dè­re com­me “fon­da­men­ta­li­ste” — et pour adop­ter face à la divi­ne révé­la­tion ces liber­tés qui dans l’histoire chré­tien­ne ont tou­jours con­duit à l’erreur.

Je sais que je n’observe en rien cet­te « con­de­scen­dan­ce » envers mes supé­rieurs que le misé­ri­cor­dieux saint François de Sales – qui fût aus­si un grand instru­ment de Dieu dans la con­ver­sion des hugue­no­ts – recom­man­dait dans ses “Entretiens”.  Mais le désor­dre de ce pon­ti­fi­cat, le con­sen­sus dif­for­me, on dirait contre-nature, qui se lève autour du Pape sont tels qu’ils sont suscep­ti­bles de crier devant la face de Dieu.

 

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Date de publication: 29/10/2020