Sur Hong-Kong, le Pape se tait pour obéir à Pékin

Garder le silen­ce sur tout ce qui est suscep­ti­ble de con­tra­rier les auto­ri­tés de Pékin, voi­là cer­tai­ne­ment l’un des nom­breux prix que le Saint-Siège a accep­té de payer pour pré­ser­ver l’accord fra­gi­le sur la nomi­na­tion des évê­ques qu’il a signé le 22 sep­tem­bre 2018 avec la Chine.

C’est un silen­ce que s’impose en pre­mier lieu le pape François, d’habitude très loqua­ce sur tout et sur tout le mon­de mais qui, quand il s’agit des mani­fe­sta­tions popu­lai­res qui embra­sent Hong-Kong depuis trois mois, n’a enco­re véri­ta­ble­ment rien dit.

Et pour­tant, depuis le début, les pro­te­sta­tions ont vu défi­ler en pre­miè­re ligne les chré­tiens et prin­ci­pa­le­ment les catho­li­ques qui, bien qu’ils ne repré­sen­tent que 8% de la popu­la­tion de la vil­le, sont très actifs et influen­ts, à com­men­cer par leurs plus hau­tes auto­ri­tés :

> Quanta Chiesa c’è nel­la piaz­za di Hong Kong

En juin der­nier, c’é­tait c’était l’évêque auxi­liai­re de Hong-Kong, Joseph Ha Chi-shing, un frè­re fran­ci­scain, qui pré­si­dait les veil­lées de priè­re (voir pho­to) devant le bâti­ment du Conseil légi­sla­tif. Et le pre­mier grand appel au retrait de la loi sur l’extradition en Chine – la mèche qui a mis le feu au pou­dre – por­tait en haut de la liste la signa­tu­re du car­di­nal Jean Tong Hon, l’ancien évê­que de Hong-Kong et actuel admi­ni­stra­teur apo­sto­li­que du dio­cè­se dans l’at­ten­te que Rome nom­me un suc­ces­seur.

Dans le dio­cè­se de Hong-Kong, Rome n’est pas sou­mi­se aux mêmes con­train­tes qu’en Chine con­ti­nen­ta­le où le choix de cha­que nou­vel évê­que revient aux auto­ri­tés de Pékin. Mais le retard pris par cet­te nomi­na­tion est lui aus­si une pre­u­ve de la crain­te du Saint-Siège de con­tra­rier son par­te­nai­re chi­nois.

Avec pour résul­tat que, dans ce sou­lè­ve­ment, les catho­li­ques de Hong-Kong – évê­ques, prê­tres, reli­gieux et fidè­les – se retrou­vent iso­lés et pri­vés de tout sou­tien de la part de Rome.

Et s’ils par­lent, ils ne peu­vent le fai­re qu’à titre per­son­nel, com­me a d’ailleurs dû le pré­ci­ser l’évêque auxi­liai­re, Mgr Ha, au cours d’une inter­view qu’il a accor­dée il y a quel­ques jours à l’agence « Asia News » de l’Institut pon­ti­fi­cal pour les mis­sions étran­gè­res :

> Mons. Ha di Hong Kong: Vicini ai gio­va­ni, lavo­ria­mo per la ricon­ci­lia­zio­ne

Mais le silen­ce sur Hong-Kong n’est pas l’unique élé­ment révé­la­teur des rap­ports dif­fi­ci­les entre l’Église de Rome et la Chine.

Pour se fai­re une idée plus glo­ba­le de la tutel­le écra­san­te exer­cée par les auto­ri­tés chi­noi­ses sur les reli­gions et sur­tout sur l’Église catho­li­que, même après l’accord de l’an der­nier, nous recom­man­dons de lire le tex­te de l’allocution pro­non­cée fin août par le direc­teur de « Asia News », le P. Bernardo Cervellera, au cours d’une con­fé­ren­ce en Allemagne.

Nous repro­dui­sons cet­te allo­ca­tion ci-dessous avec la per­mis­sion de l’auteur. Cependant, l’appareil docu­men­tai­re – les liens et les notes – très uti­les se trou­vent dans le tex­te ori­gi­nal dispo­ni­ble sur « Asia News » en ita­lien, en anglais et en espa­gnol, ain­si qu’en chi­nois :

> La poli­ti­ca reli­gio­sa in Cina pri­ma e dopo l’accordo sino-vaticano

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Aspects de la politique religieuse en Chine

par Bernardo Cervellera

Des égli­ses fer­mées ou détrui­tes, des croix démon­tées des clo­chers ou arra­chées aux murs des égli­ses, des cou­po­les rasées au sol, des sta­tues ancien­nes con­fi­squées, les signes reli­gieux à la mai­son ou à l’extérieur sup­pri­més, des prê­tres chas­sés de leur mini­stè­re, d’autres rame­nés de for­ce dans leur vil­la­ge d’origine, les jeu­nes de moins de 18 ans arrê­tés devant les égli­ses pour qu’ils ne puis­sent pas entrer ni rece­voir d’instruction reli­gieu­se.

Voici quelques-unes des situa­tions qui se pré­sen­tent dans la vie de l’Église catho­li­que en Chine. Plusieurs prê­tres chi­nois esti­ment qu’il s’agit d’une nou­vel­le Révolution cul­tu­rel­le, avec la même rage ico­no­cla­ste et le même chaos. Mais en réa­li­té, ces situa­tions cor­re­spon­dent à un pro­jet très pré­cis qui n’a rien de chao­ti­que, bien au con­trai­re : il est mené avec pré­ci­sion et minu­tie depuis plu­sieurs années.

De nouvelles règles

Toutes ces actions visant à asphy­xier l’Église sont deve­nues mon­na­ie cou­ran­te depuis l’entrée en vigueur de la Nouvelle Réglementation pour les acti­vi­tés reli­gieu­ses. Promulguée le 1 février 2018, cet­te nou­vel­le règle­men­ta­tion se carac­té­ri­se:

  1. par une vision néga­ti­ve des reli­gions, con­si­dé­rées com­me des sour­ces poten­tiel­les de ter­ro­ri­sme, de divi­sion eth­ni­que et natio­na­le, de mena­ces à la sécu­ri­té natio­na­le et au bien-être des citoyens (cf. en par­ti­cu­lier le chap. VIII de la Nouvelle Réglementation) ;
  2. par l’affirmation que seu­le une tutel­le hié­rar­chi­que exer­cé par le bureau des affai­res reli­gieu­ses à tous les niveaux : natio­nal, pro­vin­cial, des com­tés, des vil­les et des vil­la­ges, est suscep­ti­ble de ren­dre une reli­gion viva­ble et accep­ta­ble. Les repré­sen­tan­ts des bureaux pour les affai­res reli­gieu­ses à tous les niveaux sont en per­ma­nen­ce inci­tés à « tra­vail­ler », « orga­ni­ser », « véri­fier », et à « con­trô­ler » l’ac­ti­vi­té des com­mu­nau­tés des fidè­les (cf. art. 6, 26, 27) ;
  3. par de nou­vel­les dispo­si­tions qui enca­drent non seu­le­ment la con­struc­tion des lieux de cul­te – qui exi­gent des auto­ri­sa­tions à plu­sieurs niveaux : local, pro­vin­cial, natio­nal – mais éga­le­ment pour l’installation de croix, de sta­tues et qui en défi­nis­sent les dimen­sions, les cou­leurs et l’emplacement. Pour ces der­niè­res, des auto­ri­sa­tions et des véri­fi­ca­tions par le bureau des affai­res reli­gieu­ses sont requi­ses (art. 29–30). Dans tous les cas, « la con­struc­tion de gran­des sta­tues reli­gieu­ses hors des tem­ples et des égli­ses est inter­di­te ».
  4. par de nou­veaux cadres de con­trô­le sur les arti­cles postés sur inter­net qui doi­vent rece­voir l’autorisation des auto­ri­tés gou­ver­ne­men­ta­le et « ne peu­vent pas con­te­nir de con­te­nus inter­di­ts » (art. 47–48), avec l’interdiction de tran­smet­tre en strea­ming quel­que céré­mo­nie reli­gieu­se que ce soit ;
  5. par la néces­si­té per­pé­tuel­le pour le per­son­nel reli­gieux (prê­tres et évê­ques) de s’enregistrer et de s’engager à sou­te­nir l’indépendance, l’autogouvernement et l’autofinancement ;
  6. par un fait nou­veau : des amen­des très éle­vées (jusqu’à 200.000–300.000 yuans) en cas d’activités reli­gieu­ses dans des lieux non enre­gi­strés ou avec un per­son­nel non enre­gi­stré, pou­vant aller jusqu’à la con­fi­sca­tion des bâti­men­ts dans lesquels se dérou­lent ces ras­sem­ble­men­ts illé­gaux (cf. art. 64).

Ce sont pré­ci­sé­ment ces amen­des et le risque de se fai­re expro­prier des bâti­men­ts où se dérou­lent les ras­sem­ble­men­ts reli­gieux non enre­gi­strés (illé­gaux) qui ont pous­sé pre­sque immé­dia­te­ment de nou­veaux prê­tres non offi­ciels à con­seil­ler à leurs fidè­les de ne plus se ras­sem­bler, face à une gra­ve mena­ce éco­no­mi­que suscep­ti­ble de por­ter un coup fatal à la com­mu­nau­té.

En effet, la Nouvelle Réglementation (NR) sem­ble avoir pour but prin­ci­pal de met­tre fin à l’expérience des com­mu­nau­tés non-officielles. Tout de sui­te après l’entrée en vigueur de la NR, pen­dant plu­sieurs mois, la poli­ce et des repré­sen­tan­ts du Bureau des affai­res reli­gieu­ses ont ren­con­tré de maniè­re indi­vi­duel­le des évê­ques, des prê­tres et des fidè­les laïcs des com­mu­nau­tés sou­ter­rai­nes pour « boi­re une tas­se de thé » et leur « con­seil­ler » de s’enregistrer dans les com­mu­nau­tés offi­ciel­les. C’est ce qui expli­que les « vacan­ces for­cées » impo­sées à l’évêque de Wenzhou, Mgr Pierre Shao Zhumin, tout com­me les leçons d’endoctrinement dans le Hebei, le Henan et la Mongolie inté­rieu­re…

Tolérance zéro pour les communautés souterraines

Il sem­ble il y avoir désor­mais une « tolé­ran­ce zéro » pour les com­mu­nau­tés non-officielles. Parmi les zones les plus tou­chées, on retrou­ve le Hebei, le Henan, le Zhejiang et le Fujiang. Un exem­ple par­mi d’autres, c’est le sort d’une dizai­ne d’églises du dio­cè­se de Qiqihar, tou­tes fer­més, et dont cer­tains prê­tres ont été chas­sés et rapa­triés de for­ce dans leurs vil­la­ges d’origine.

Depuis fin sep­tem­bre 2018, au moins sept égli­ses et leurs com­mu­nau­tés respec­ti­ves ont été sup­pri­mées dans ce dio­cè­se dont l’évêque, Mgr Joseph Wei Jingvi, est recon­nu par le Saint-Siège mais pas par le gou­ver­ne­ment. Des mem­bres du Front uni, de la poli­ce et des repré­sen­tan­ts du Bureau des affai­res reli­gieu­ses ont fait irrup­tion dans les égli­ses en plein milieu de la mes­se, inter­rom­pant la litur­gie, chas­sant et menaçant les fidè­les avant de décré­ter la fer­me­tu­re des com­mu­nau­tés. Les com­mu­nau­tés en que­stion sont cel­les de Shuang Fa, Zhangzhou, Feng Le, Wu Yuan, Wu Da Lian Chi, Tong Bei et de Jia Ge Da Qi.

On a deman­dé à plu­sieurs prê­tres de quit­ter leur ter­ri­toi­re s’ils ne vou­la­ient pas être expul­sés par la for­ce. Les com­mu­nau­tés sup­pri­mées sont tou­tes « sou­ter­rai­nes », c’est-à-dire non-enregistrées. Elles entre­te­na­ient pour­tant de bon­nes rela­tions avec les auto­ri­tés du lieu qui, depuis des années, fer­ma­ient volon­tiers un œil sur leurs ras­sem­ble­men­ts.

Un autre exemple-clé con­cer­ne est ce qui est en train de se pas­ser dans le Henan, où pre­sque tous les dio­cè­ses – à part celui d’Anyang – ne sont pas recon­nus par le gou­ver­ne­ment.  Là-bas, la com­pa­gne pour détrui­re les com­mu­nau­tés sou­ter­rai­nes et fai­re enre­gi­strer les prê­tres est très for­te.

En avril 2018, une égli­se a été détrui­te à Hutuo (Xicun, Gongyi), dans le dio­cè­se de Luoyang. Quelques jours plus tard, dans ce même dio­cè­se, la tom­be et la pier­re tom­ba­le de l’évêque sou­ter­rain Mgr Li Hongye (1920–2011) ont été pro­fa­nées. Les fidè­les pen­sent que cet acte de van­da­li­sme soit dû au fait que figu­ra­ient sur sa pier­re tom­ba­le les insi­gnes de sa char­ge épi­sco­pa­le, une char­ge qui n’était pas recon­nue par le régi­me.

Les 28 avril der­nier, les auto­ri­tés loca­les de Weihui, dans le dio­cè­se d’Anyang, ont arra­ché les gran­des croix en fer au som­met de deux clo­cher. Dans les deux vidéos de cet­te opé­ra­tion qui sont par­ve­nues à « Asia News », on peut obser­ver du per­son­nel tech­ni­que sur de hau­tes grues trans­por­tant une des croix. Sur le par­vis de l’église se trou­vent des dizai­nes de poli­ciers pour empê­cher tou­te éven­tuel­le cri­ti­que ou rési­stan­ce. De nom­breux fidè­les, impuis­san­ts devant cet abus de pou­voir, sont à genoux sur les mar­ches du par­vis en train de prier et de chan­ter. Les fidè­les sont restés en priè­re pen­dant tou­te la jour­née.

Des communautés officielles sous contrôle

L’Église offi­ciel­le est éga­le­ment sou­mi­se à des con­trô­les plus étroi­ts et plus into­lé­ran­ts. Un petit exem­ple : la nuit entre le 6 et le 7 mai 2019, on a com­men­cé à démo­lir l’église catho­li­que du vil­la­ge de Shen Liu dans le dio­cè­se de Handan (Hebei). Cette destruc­tion a com­men­cé par l’enlèvement de la gran­de croix du clo­cher mais on s’apprête à abat­tre les murs. Les auto­ri­tés loca­les ont justi­fié leur déci­sion par le fait que l’église et la croix sont « trop voyan­tes » depuis l’autoroute voi­si­ne et que les autos qui pas­sent peu­vent être distrai­tes par le sym­bo­le chré­tien et par le bâti­ment. Elles disent aus­si que l’église ne dispo­se pas de tous les per­mis de con­strui­re. Les fidè­les affir­ment au con­trai­re que l’église – appar­te­nant à la com­mu­nau­té offi­ciel­le – a été con­strui­te avec la per­mis­sion du Bureau des affai­res reli­gieu­ses. Selon cer­tains prê­tres du dio­cè­se, le gou­ver­ne­ment local a déjà pro­gram­mé la destruc­tion de 23 autres égli­ses, tou­tes appar­te­nant à la com­mu­nau­té offi­ciel­le.

Au mois de juil­let et d’août 2018, deux égli­ses (offi­ciel­les) ont été détrui­tes au nom des règles d’urbanisme à Qinwang et Liangwang (Shandong), leurs ter­rains ont été expro­priés pour des pro­je­ts de déve­lop­pe­ment immo­bi­lier sans aucu­ne for­me d’indemnisation.

En octo­bre 2018, deux sanc­tuai­res con­sa­crés à la Vierge ont été déman­te­lés et pri­vés de leurs sta­tues. Il s’agit du sanc­tuai­re de Notre-Dame des Sept Douleurs de Dongergou (Shanxi) et du sanc­tuai­re de Notre-Dame de la béa­ti­tu­de, éga­le­ment con­nue sous le nom de « Notre-Dame de la Montagne », à Anlong (Guizhou).

Des fidè­les ont décla­ré à « Asia News » que les sta­tues du sanc­tuai­re de Dongergou ont été sai­sies au nom de la « sini­sa­tion » : les auto­ri­tés ont décla­ré qu’il y avait « trop de croix » et « trop de déco­ra­tions au-delà de tou­te limi­te » et que c’est pour cela qu’elles deva­ient être enle­vées et détrui­tes.

Le sanc­tuai­re de Notre-Dame de la Montagne à Anlong a été détruit par­ce que les auto­ri­tés ont décré­té qu’il avait été con­struit sans les per­mis néces­sai­res.

Des prê­tres et des évê­ques sont vic­ti­mes de ce nou­veau tour de vis : le P. Liu Jiangdong, de Zhengzhou (Henan) a été chas­sé de sa parois­se en octo­bre 2018 avec l’interdiction de vivre en tant que prê­tre pour avoir osé orga­ni­ser des ren­con­tres avec des jeu­nes de moins de 18 ans, con­tre­ve­nant ain­si à l’interdiction de don­ner une édu­ca­tion reli­gieu­se aux mineurs.

Et cela vaut éga­le­ment la pei­ne de rap­pe­ler – même si l’affaire date d’avant la NR – le cas de Mgr Thaddée Ma Daqin, l’évêque de Shanghai, assi­gné à domi­ci­le en iso­le­ment depuis 2012 pour avoir osé quit­ter l’association patrio­ti­que. Il s’est ensui­te ravi­sé mais cela n’a ser­vi à rien par­ce que l’AP « n’a plus con­fian­ce en lui ».

Sinisation

Le con­trô­le sur la vie de l’Église s’exerce éga­le­ment à tra­vers la « sini­sa­tion » qui, même si elle met en lumiè­re la néces­si­té d’inculturer la foi, fait l’exaltation d’un patrio­ti­sme natio­na­li­ste irre­spec­tueux de la foi et de ses expres­sions. Au nom de la sini­sa­tion, l’Église doit non seu­le­ment assi­mi­ler la cul­tu­re chi­noi­se et expri­mer son cre­do avec des caté­go­ries chi­noi­ses mais éga­le­ment éla­bo­rer une théo­lo­gie, une histoi­re et des œuvres d’art con­for­mes à la cul­tu­re chi­noi­se. C’est tou­jours l’Association Patriotique qui est char­gée de con­trô­ler ce tra­vail.

Cette inci­ta­tion à l’inculturation s’est muée en ico­no­cla­stie et en destruc­tion d’œuvre d’arts ancien­nes (« trop occi­den­ta­les »), de déco­ra­tions exté­rieu­res et inté­rieu­res des égli­ses, d’élimination des croix des clo­chers, de la destruc­tion de cou­po­les et de faça­des « de sty­le non chi­nois ». Même les ban­niè­res de Nouvel An chi­nois ne peu­vent con­te­nir aucun signe reli­gieux ni aucu­ne phra­se reli­gieu­se mais être en sty­le chi­nois (athée ?) et il est inter­dit aux égli­ses de ven­dre des ban­niè­res con­te­nant des expres­sions reli­gieu­ses et aux fidè­les de les expo­ser devant leurs mai­sons.

Le thè­me de la sini­sa­tion a été lan­cé par Xi Jinping depuis 2015 déjà. Le 20 mai 2015, au cours d’une ren­con­tre avec le Front uni et après une ana­ly­se de la situa­tion dans laquel­le le Parti com­mu­ni­ste chi­nois crai­gnait de finir com­me l’URSS,  Xi a décré­té que les reli­gions doi­vent être « sini­sées » si elles vou­la­ient con­ti­nuer à vivre en Chine. La même cho­se a été répé­tée lors d’une ren­con­tre natio­na­le sur les affai­res reli­gieu­se en avril 2016, pour abou­tir aux notes sur les reli­gions du 19e Congrès du PCC d’octobre 2017.

Pour Xi Jingping, sini­sa­tion signi­fie :

  1. assi­mi­la­tion des reli­gions à la cul­tu­re chi­noi­se « en éli­mi­nant tou­te influen­ce exté­rieu­re » du point de vue cul­tu­rel ;
  2. indé­pen­dan­ce de tou­te influen­ce étran­gè­re ;
  3. sou­mis­sion au par­ti com­mu­ni­ste chi­nois et à ses diri­gean­ts.

De cet­te maniè­re, on com­prend bien pour­quoi – au nom du patrio­ti­sme et du sou­tien au Parti – on obli­ge les com­mu­nau­tés à his­ser le dra­peau chi­nois sur tous les bâti­men­ts reli­gieux, à chan­ter des hym­nes patrio­ti­ques avant les céré­mo­nies et à expo­ser le por­trait de Xi Jingping jusque sur les autels.

On com­prend éga­le­ment un autre élé­ment : les destruc­tions qui se dérou­lent en Chine ne sont pas due au zèle de l’une ou l’autre auto­ri­té loca­le mais elles sont le reflet d’une poli­ti­que sou­te­nue par les dif­fé­ren­ts respon­sa­bles au niveau natio­nal, jusqu’au chef suprê­me, exal­té com­me étant « le cœur du lea­der­ship ».

La sini­sa­tion est une façon de fai­re dispa­raî­tre l’Église de l’espace public. Comme il res­sort du rap­port d’une réu­nion inter­ne à l’AP (qui nous est par­ve­nue ces der­niè­res jours), il fau­dra veil­ler à l’avenir que les égli­ses « ne soient pas monu­men­ta­les », qu’elles ne soient pas visi­bles depuis les car­re­fours ou les gran­des rues, qu’elles « n’aient pas de carac­té­ri­sti­ques occi­den­ta­les (roma­nes, gothi­ques, ara­bes…) », qu’elles n’exercent aucu­ne fonc­tion socia­le (aide aux pen­sion­nés, gar­de­rie d’enfants, etc.) En som­me : tout en con­ser­vant une liber­té de cul­te mini­me, on fait en sor­te que le lieu de cul­te et ses œuvres de cha­ri­té devien­nent de plus en plus invi­si­bles.

L’accord Chine-Vatican

L’accord pro­vi­soi­re entre la Chine et le Saint-Siège signé le 22 sep­tem­bre 2018 n’a rien chan­gé à cet­te situa­tion de con­trô­le et d’a­sphy­xie. Il est vrai que cet accord repré­sen­te d’une cer­tai­ne maniè­re une con­quê­te, étant don­né que pour la pre­miè­re fois dans l’histoire de la Chine moder­ne, le Pape est recon­nu com­me étant le chef de l’Église catho­li­que, même en Chine. Ceci dit, c’est ce que pré­tend le Vatican mais per­son­ne ne sait ce qui figu­re réel­le­ment dans le tex­te de l’accord étant don­né qu’il n’a tou­jours pas été ren­du public.

Quoi qu’il en soit, en décem­bre der­nier, Wang Zuoan, vice-directeur du Front uni et ancien direc­teur de l’Administration d’État pour les affai­res reli­gieu­ses, a de nou­veau sou­li­gné que les prin­ci­pes d’indépendance et d’autogestion ne seront éli­mi­nés « à aucun moment et en aucu­ne cir­con­stan­ce ».

Selon ce que le Pape aurait dit à un évê­que sou­ter­rain (Mgr Guo Xijin), s’il ne signait pas l’accord, la Chine menaçait d’ordonner 45 évê­ques illi­ci­tes et « indé­pen­dan­ts » du Saint-Siège, créant les bases d’un véri­ta­ble schi­sme. Cet accord a donc été le fruit d’un véri­ta­ble chan­ta­ge.

Il faut sou­li­gner que tout de sui­te après la signa­tu­re de l’accord, dans de nom­breu­ses régions de Chine, le Front uni et l’Association patrio­ti­que ont orga­ni­sé des ras­sem­ble­men­ts de prê­tres et d’évêques pour leur expli­quer que « mal­gré l’accord », ils deva­ient tra­vail­ler pour con­strui­re une Église « indé­pen­dan­te ». Les destruc­tions de croix, d’églises, les ses­sions d’endoctrinement et les arre­sta­tions se sont pour­sui­vies com­me avant l’accord.

Après l’accord

Après l’accord, on a con­sta­té un accrois­se­ment de la pres­sion pour l’enregistrement civil du cler­gé, afin tran­sfor­mer les prê­tres et les évê­ques de véri­ta­bles fonc­tion­nai­res et en défen­seurs de la poli­ti­que de l’État. Un exem­ple se trou­ve dans un docu­ment qui nous est par­ve­nu du Fujian et qui s’intitule « Lettre d’engagement pour les respon­sa­bles des lieux de cul­te et pour les per­son­nes con­sa­crées ». S’il signe ce docu­ment, le prê­tre pour­ra être curé et exer­cer son mini­stè­re dans les limi­tes pré­vues, sinon il reste­ra au chô­ma­ge et pour­ra même être ren­voyé chez lui. Il en va de même pour les reli­gieu­ses, les « per­son­nes con­sa­crées » (en Chine le gou­ver­ne­ment ne per­met pas la vie reli­gieu­se mascu­li­ne).

Parmi les cho­ses les plus impres­sion­nan­tes, il y a :

  1. L’adhésion au fat que l’on doit « inter­di­re l’entrée dans l’Église des mineurs » ou « ne pas orga­ni­ser de cours de for­ma­tion pour les mineurs ». On note­ra que cet­te inter­dic­tion, en plus d’être con­trai­re à l’Évangile (cf. Matthieu 19, 14), est éga­le­ment con­trai­re à la con­sti­tu­tion chi­noi­se qui garan­tit la liber­té reli­gieu­se sans impo­ser de limi­te d’âge.
  2. Au nom de l’indépendance, il faut « boy­cot­ter sciem­ment tou­te inter­ven­tion des étran­gers ; ne con­tac­ter aucu­ne puis­san­ce étran­gè­re, ne pas accueil­lir d’étrangers, ne don­ner aucu­ne inter­view, aucu­ne for­ma­tion et n’accepter aucu­ne invi­ta­tion à des con­fé­ren­ces à l’étranger ». Autrement dit, rester iso­lés et ne pas par­ta­ger la foi avec les autres catho­li­ques de par le mon­de. Cela con­tre­vient éga­le­ment aux Conventions de l’ONU en matiè­re de liber­té reli­gieu­se et de droi­ts civi­ques que Pékin a pour­tant signées le 5 octo­bre 1998 mais n’a jamais rati­fiées.
  3. On impo­se une série de limi­tes à l’évangélisation : il est inter­dit de chan­ter de sans auto­ri­sa­tion ; on ne peut pas expo­ser – chez soi ! – de « signes et de sym­bo­les » à « des fins évan­gé­li­ques » ; on ne peut pas poster en ligne de suje­ts reli­gieux ; on ne peut pas par­ler de reli­gion quand on visi­te des mala­des à l’hôpital…

Le pro­blè­me est que par le pas­sé, cet­te poli­ti­que était cel­le du gou­ver­ne­ment envers les reli­gions, à tra­vers laquel­le il cher­chait à étouf­fer un corps trop vivant, qui se sou­met­tait avec dif­fi­cul­té aux règles de l’État. À pré­sent, le gou­ver­ne­ment exi­ge des prê­tres et des évê­ques non seu­le­ment qu’ils obéis­sent mais éga­le­ment qu’ils devien­nent les pro­mo­teurs de la poli­ti­que gou­ver­ne­men­ta­le et qu’ils jouent un rôle actif dans la per­sé­cu­tion et dans l’asphyxie de la vie de l’Église.

Les orientations du Vatican pour l’enregistrement civil du clergé

Tout de sui­te après l’accord, le pape François a envoyé un Message aux fidè­les chi­nois et à l’Église uni­ver­sel­le dans lequel il sou­hai­tait que tous les fidè­les tra­vail­lent à la récon­ci­lia­tion entre eux, dans la com­mu­nion uni­ver­sel­le, avec le gou­ver­ne­ment et la socié­té chi­noi­se.

Un an après la signa­tu­re de l’accord, ils sem­blent que les signes de divi­sion et d’opposition n’aient fait que s’aggraver.

Déjà avant l’accord, les com­mu­nau­tés sou­ter­rai­nes se plai­gna­ient d’être « oubliées » du Saint-Siège par­ce qu’ont ne tenait pas comp­te de leur expé­rien­ce du refus d’adhérer à l’AP et de sou­te­nir l’indépendance de l’Église. Avec les nou­veaux for­mu­lai­res pour l’enregistrement du cler­gé qui exi­gent de sou­scri­re à l’indépendance, elle se trou­vent enco­re plus coin­cées qu’avant.

Leur situa­tion incon­for­ta­ble est prin­ci­pa­le­ment due :

  1. au fait que le gou­ver­ne­ment, fort de la signa­tu­re de l’accord, essaye d’amadouer les mem­bres des Églises sou­ter­rai­nes en pré­ten­dant que « même le Vatican est d’accord avec nous » ;
  2. les mem­bres des Églises sou­ter­rai­nes voient dans les docu­men­ts du Vatican, dans les com­men­tai­res sur l’accord et dans l’accueil incon­di­tion­nel des 7 évê­ques excom­mu­niés un « dépas­se­ment histo­ri­que » de leur posi­tion.

Un sen­ti­ment d’insatisfaction règne auprès de nom­breux prê­tres sur cet accord qui ne don­ne pas davan­ta­ge de liber­té reli­gieu­se mais qui au con­trai­re tran­sfor­me les prê­tres et les évê­ques en « fonc­tion­nai­res de l’État ». De plus, les prê­tres et les évê­ques offi­ciels, au lieu de poser des gestes de récon­ci­lia­tion vers les sou­ter­rains, se ren­fer­ment dans leur rôle de fonc­tion­nai­re et se désin­té­res­sant de leur sort et allant jusqu’à accu­ser les non-officiels de « ne pas sui­vre le Pape ».

Au sein de l’Église uni­ver­sel­le, au nom de l’accord et de la « patien­ce » dont il faut fai­re pre­u­ve envers Pékin, les per­sé­cu­tions sont très sou­vent pas­sées sous silen­ce, on pré­tend que « tout va bien » et on accu­se ceux qui dénon­cent les per­sé­cu­tions d’avoir « un agen­da caché ».

Ces der­niers mois, du côté du Vatican, il sem­ble pour­tant qu’on se pose des que­stions sur l’accord et sur la maniè­re dont il est mis en œuvre.

Dans une inter­view qu’il a accor­dée à Vatican News le 3 février 2019, le car­di­nal Fernando Filoni a admis, pour la pre­miè­re fois dans le mon­de du Vatican, qu’il y avait une cer­tai­ne « per­ple­xi­té » sur l’accord et sur le fait que le gou­ver­ne­ment « obli­ge » d’adhérer à l’AP plu­tôt que de lais­ser une tel­le adhé­sion « facul­ta­ti­ve » com­me cela aurait dû être dans l’accord.

Il cri­ti­que éga­le­ment un « patrio­ti­sme » fait de natio­na­li­sme égoï­ste sous pré­tex­te de véri­ta­ble amour de la patrie et de dévoue­ment envers le pays.

Le 28 juin 2019, le Saint-Siège a publié les « Orientations pasto­ra­les pour l’enregistrement civil du cler­gé en Chine ». Dans ce docu­ment, on admet qu’il y ait des « dif­fi­cul­tés » dans la mise en œuvre de l’accord. De façon un peu indi­rec­te, on fait remar­quer que des vio­len­ces et des con­train­tes con­trai­res à la doc­tri­ne catho­li­que sont exer­cées envers des prê­tres et des évê­ques, « mal­gré l’engagement pris par les auto­ri­tés chi­noi­ses de respec­ter éga­le­ment la doc­tri­ne catho­li­que ».

De plus, ce docu­ment pré­ci­se à quel­le « indé­pen­dan­ce » il faut sou­scri­re (une indé­pen­dan­ce poli­ti­que et non une indé­pen­dan­ce envers le pape) et on don­ne des indi­ca­tions sur la maniè­re de gar­der sa con­scien­ce catho­li­que au moment de signer l’enregistrement.

Le docu­ment exhor­te ensui­te à la patien­ce et à la récon­ci­lia­tion entre les com­mu­nau­tés offi­ciel­les et sou­ter­rai­nes, en respec­tant les choix des uns et des autres, tout en espé­rant qu’à l’avenir les cho­ses puis­sent s’éclaircir avec les auto­ri­tés chi­noi­ses.

Plusieurs prê­tres offi­ciels et sou­ter­rains con­si­dè­rent ce docu­ment com­me étant « ambi­gu » par­ce qu’il lais­se cha­cun déci­der pour son pro­pre comp­te sans indi­quer aucu­ne « regu­la fidei ».

En outre, com­me l’un de mes con­frè­res des MEP le sou­li­gnait, le tex­te des Orientations « ne prend pas en comp­te les don­nées fac­tuel­les sur les restric­tions en vigueur sur les struc­tu­res de l’Église et sur­tout sur la vie des catho­li­ques (en par­ti­cu­lier pour les jeu­nes de moins de 18 ans) ni sur les mesu­res abu­si­ves pri­ses au nom de la ‘sini­sa­tion’. Et sur­tout, elles ne sem­blent pas com­pren­dre l’intention très clai­re des auto­ri­tés chi­noi­ses de rédui­re l’église à une insti­tu­tion gou­ver­ne­men­ta­le et le cler­gé à des fonc­tion­nai­res de l’État ».

Du côté de l’État chi­nois, il est évi­dent que cet accord lui per­met de réa­li­ser ce qui avait déjà été déci­dé en 1982 dans le célè­bre « Document 19 » par lequel le Parti ces­sait de pren­dre des ini­tia­ti­ves pour éli­mi­ner les reli­gions par­ce que tou­te ini­tia­ti­ve du gen­re s’avérait contre-productive. Mais le par­ti s’arrogeait le droit de pren­dre le con­trô­le total des reli­gions.

De ce point de vue, ce qui est en train de se pas­ser avec l’enregistrement du per­son­nel reli­gieux est dans la droi­te ligne avec ce pro­jet et le fait d’avoir recon­nu le Pape com­me « chef de l’église catho­li­que » ou mieux du « Vatican » ne chan­ge rien à leur vision : l’Église chi­noi­se appar­tient à l’État et aucu­ne « puis­san­ce étran­gè­re » n’a rien à dire à cela sous pei­ne de se voir accu­sée d’« ingé­ren­ce dans les affai­res inter­nes de la Chine ».

D’autre part, le silen­ce du Vatican et de l’Église mon­dia­le sur les per­sé­cu­tions, les destruc­tions, les inter­dic­tions, con­for­te Pékin dans sa vision : l’Église chi­noi­se est une Église natio­na­le qui n’appartient qu’à l’Etat.

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Date de publication: 16/09/2019