Qui déclenche les guerres. “La Civiltà Cattolica” contredit le pape

Les véri­ta­bles et seuls cou­pa­bles de cet­te “guer­re mon­dia­le par mor­ceaux” dénon­cée sans arrêt le pape François ce sont – d’a­près lui – “ceux qui fabri­quent et tra­fi­quent des armes” et qui “font du pro­fit avec le sang des hom­mes et des fem­mes”.

Il s’a­git d’u­ne expli­ca­tion très maté­ria­li­ste et éco­no­mi­ste aux relen­ts vague­ment mar­xi­stes.  François l’a pour­tant réi­té­rée à de nom­breu­ses repri­ses en l’ap­pli­quant éga­le­ment aux actes ter­ro­ri­stes, enco­re der­niè­re­ment pen­dant la semai­ne sain­te.

Curieusement pour­tant, la revue qui d’ha­bi­tu­de reflè­te le plus sa pen­sée, “La Civiltà Cattolica” diri­gée par le jésui­te Antonio Spadaro qui est éga­le­ment son con­seil­ler et son écri­vain fan­tô­me, a récem­ment publié un arti­cle remar­qua­ble sur les “con­fli­ts armés en Afrique” et sur­tout sur “l’é­chec des métho­des tra­di­tion­nel­les d’a­na­ly­se” qui igno­re com­plè­te­ment la fabri­ca­tion et le tra­fic d’ar­mes dans les cau­ses de ces con­fli­ts et poin­te au con­trai­re des moti­va­tions très dif­fé­ren­tes.

Dans la dizai­ne de pages que comp­te cet arti­cle, le mot “armes” n’ap­pa­raît d’ail­leurs qu’u­ne seu­le fois, de façon mar­gi­na­le et sans lien de cau­se à effet.

L’auteur, Arsène Brice Bado, est un jésui­te de Côte d’Ivoire qui a étu­dié à l’Université de Yale aux Etats-Unis et à l’Université de Laval au Canada et qui a réa­li­sé des recher­ches sur le ter­rain dans plu­sieurs pays afri­cains impli­qués dans des con­fli­ts.

La thè­se de départ de son ana­ly­se c’e­st que “la dif­fi­cul­té de la com­mu­nau­té inter­na­tio­na­le à con­tri­buer à met­tre un ter­me aux con­fli­ts” en cours en Afrique décou­le en réa­li­té de “la mau­vai­se com­pré­hen­sion” de l’un ou l’au­tre con­flit, “de ses cau­ses, de ses acteurs, de son évo­lu­tion et des que­stions qui sont en jeu”.

Et il écrit, au ter­me de son expo­sé:

“Toutes les expli­ca­tions four­nies ont dans le fond une part de véri­té.  Toutefois, aucu­ne d’en­tre elles ne par­vient à ren­dre comp­te inté­gra­le­ment de la com­ple­xi­té des con­fli­ts armés qui écla­tent dans le con­tex­te afri­cain.  D’où la néces­si­té de pri­vi­lé­gier une appro­che holi­sti­que qui soit en mesu­re d’in­té­grer le mieux pos­si­ble les dif­fé­ren­ts aspec­ts des con­fli­ts”.

En outre, pour­suit Brice Bado, un “élé­ment sup­plé­men­tai­re de com­ple­xi­té” rési­de dans le fait que “les cau­ses et les moti­va­tions ini­tia­les subis­sent des chan­ge­men­ts et se tran­sfor­ment au cours du con­flit” com­me cela s’e­st pro­duit, par exem­ple, en République Centrafricaine que le Pape a visi­tée en 2015 et qui est secouée par “un con­flit aux con­no­ta­tions inter­con­fes­sion­nel­les avec l’é­mer­gen­ce de nou­veaux acteurs dont les ‘anti bala­ka” ou ‘mili­ces chré­tien­nes’ ”.

Pour réa­li­ser une ana­ly­se “holi­sti­que et dyna­mi­que” des con­fli­ts – sou­tient l’au­teur – il faut donc com­bi­ner “les cau­ses struc­tu­rel­les, les fac­teurs ampli­fi­ca­teurs et les élé­men­ts déclen­cheurs des con­fli­ts armés”.

Parmi les “cau­ses struc­tu­rel­les” et les élé­men­ts ampli­fi­ca­teurs respec­tifs, Brice Bado poin­te “aus­si bien la posi­tion de l’Afrique dans le systè­me inter­na­tio­nal que la fra­gi­li­té insti­tu­tion­nel­le des Etats afri­cains au niveau poli­ti­que, éco­no­mi­que, socio-démographique et envi­ron­ne­men­tal”.

Mes ces cau­ses ne suf­fi­sent géné­ra­le­ment pas:

“Pour qu’un con­flit finis­se par écla­ter, il faut qu’il y ait des acti­vi­stes capa­bles de met­tre idéo­lo­gi­que­ment en action l’é­tat con­flic­tuel latent à tra­vers des évé­ne­men­ts que nous pour­rions qua­li­fier de ‘cata­ly­seurs’.  Par exem­ple, au Niger un fait de vio­len­ce de la part de l’ar­mée con­tre trois anciens Touaregs a suf­fi a déchaî­ner une guer­re civi­le entre les com­mu­nau­tés Touareg d’u­ne part et l’ar­mée et le reste de la popu­la­tion nigé­rien­ne d’au­tre part, dans un con­flit qui a duré de février 2007 à octo­bre 2009.  La révol­te Touareg, née au Niger, a été à l’o­ri­gi­ne de la guer­re civi­le du Nord du Mali en 2009.  Au Kenya, la guer­re civi­le de 2007 a écla­té sui­te à un con­flit sur le résul­tat des élec­tions.  La même cho­se s’e­st pas­sée en Côte d’Ivoire à l’oc­ca­sion des élec­tions de 2010.  Le cas de Mohamed Bouazizi en Tunisie est un autre exem­ple par­lant: le sui­ci­de de ce ven­deur ambu­lant a déchaî­né une vague de pro­te­sta­tions qui ont à leur tour con­tri­bué à déclen­cher le ‘prin­temps ara­be’ de 2011”.

Pas un mot donc, sur le rôle ces “sei­gneurs des armes” com­me moteurs des guer­res afri­cai­nes.  L’auteur de l’ar­ti­cle reste éga­le­ment très pru­dent quant aux moti­va­tions éco­no­mi­ques.  “La prio­ri­té des que­stions éco­no­mi­ques ne fait actuel­le­ment pas con­sen­sus” chez les ana­ly­stes, écrit-il.  Et de citer l’e­xem­ple du Libéria et de la Sierra Leone où le “com­mer­ce des dia­man­ts a sur­tout ser­vi à finan­cer la guer­re et ne con­sti­tuait en rien la cau­se ini­tia­le” et “ce con­stat vaut éga­le­ment pour la Côte d’Ivoire, la République Centrafricaine, l’Angola, le Mozambique, etc.”.  A la rigueur, pour­suit Brice Bado, elles ont pu jouer un rôle ça et là dans l’é­cla­te­ment de con­fli­ts civils autour du con­trô­le des res­sour­ces com­me la ter­re et l’eau.

Dans son der­nier numé­ro “La Civiltà Cattolica” est reve­nue sur le géno­ci­de Rwandais dans un arti­cle d’un jésui­te ori­gi­nai­re de ce pays d’Afrique, le père Marcel Uniweza.

Là non plus, on ne trou­ve aucu­ne réfé­ren­ce aux “sei­gneurs des armes” com­me cau­se du mas­sa­cre qui en à pei­ne trois mois l’an­née 1994 a cau­sé la mort de pre­sque un mil­lion de tutsis et de hutus modé­rés mas­sa­crés pour des rai­sons de divi­sions eth­ni­ques.

Et dans ce cas éga­le­ment les armes furent inu­ti­les.  Les machet­tes et le feu ont suf­fi.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 21/04/2017