Pas un rigoriste mais un Pape de la vraie miséricorde.  Voici comment Ratzinger raconte aujourd’hui Jean-Paul II

À l’occasion du cen­te­nai­re de la nais­san­ce de Jean-Paul II qui tom­be le 18 mai 2020, Joseph Ratzinger / Benoit XVI a remis à l’archidiocèse de Cracovie un por­trait de son cru de ce saint Pape.

En voi­ci la par­tie cen­tra­le.  Le tex­te inté­gral, qui est deux fois plus long, et qui con­tient d’autres élé­men­ts très inté­res­san­ts, peut être con­sul­té sur cet­te autre page d’ACI Stampa.

> “Il 18 mag­gio si cele­bre­rà il cen­te­na­rio…”

[…] Quand, le 16 octo­bre 1978, le car­di­nal Wojtyla a été élu suc­ces­seur de saint Pierre, l’Église se trou­vait dans une situa­tion dra­ma­ti­que.  Les déba­ts du con­ci­le ava­ient été pré­sen­tés au public com­me une con­tro­ver­se por­tant sur la foi elle-même, et celle-ci para­is­sait ain­si pri­vée de son carac­tè­re de cer­ti­tu­de infail­li­ble et invio­la­ble.  Par exem­ple, un curé bava­rois décri­vait la situa­tion avec ces mots : « En fin de comp­te, nous som­mes tom­bés dans une foi faus­se. »

Cette sen­sa­tion que rien n’était plus cer­tain, que tout pou­vait être mis en discus­sion, fut enco­re ali­men­tée par la maniè­re dont la réfor­me litur­gi­que a été menée.  En défi­ni­ti­ve, il sem­blait que même dans la litur­gie, on pou­vait tout créer soi-même.  Paul VI avait con­duit le Concile avec déci­sion et vigueur jusqu’à son ter­me, après quoi il a du affron­ter des pro­blè­mes de plus en plus dif­fi­ci­les, qui à la fin ont mis l’Église elle-même en que­stion.  Les socio­lo­gues de l’époque com­pa­ra­ient la situa­tion de l’Église à cel­le de l’Union Soviétique sous Gorbatchev, où en cher­chant les réfor­mes néces­sai­res, c’est tou­te la puis­san­te ima­ge de l’État sovié­ti­que qui avait fini par s’écrouler.

Ainsi donc, se dres­sait devant le nou­veau Pape une tâche très dif­fi­ci­le à affron­ter avec les seu­les capa­ci­tés humai­nes.  Mais dès le départ, Jean-Paul II a fait pre­u­ve d’une capa­ci­té à susci­ter une admi­ra­tion renou­ve­lée pour Christ et son Église.  Il s’a­gis­sait tout d’abord des mots pro­non­cés au début de son pon­ti­fi­cat, son cri : « N’ayez pas peur !  Ouvrez, ouvrez tou­tes gran­des les por­tes au Christ ».  C‘est qui a don­né le ton de tout son pon­ti­fi­cat, le posant on réno­va­teur et libé­ra­teur de l’Église.  Ceci par­ce que le nou­veau pape était issu d’un pays où le Concile avait été accueil­li de maniè­re très posi­ti­ve.  Le fac­teur déci­sif n’a pas été celui de dou­ter de tout mais de tout renou­ve­ler avec joie.

Au cours de 104 grands voya­ges pasto­raux qu’il a accom­plis dans le mon­de entier au cours de son pon­ti­fi­cat, il a prê­ché l’Évangile com­me une joyeu­se nou­vel­le, mon­trant ain­si notam­ment le devoir de rece­voir le bien et le Christ.

En 14 ency­cli­ques, il a pré­sen­té d’une maniè­re nou­vel­le la foi de l’Église et son ensei­gne­ment humain.  Inévitablement, cela lui a valu l’opposition des Églises occi­den­ta­les, rem­plies de dou­tes.

Il me sem­ble aujourd’hui impor­tant de sou­li­gner l’élément cen­tral à par­tir duquel il faut lire le mes­sa­ge con­te­nu dans tous ces tex­tes, et cet élé­ment s’e­st pré­sen­té à nos yeux à l’heure de sa mort.  Le Pape Jean-Paul II est mort aux pre­miè­res heu­res de la fête de la Divine Miséricorde qu’il avait lui-même insti­tuée.

Je vou­drais ajou­ter ici une peti­te note per­son­nel­le pour mon­trer quel­que cho­se d’important pour bien com­pren­dre l’essence et la con­dui­te de ce pape.  Depuis le départ Jean-Paul II est resté très mar­qué par le mes­sa­ge de la sœur de Cracovie Faustine Kowalska, qui avait pré­sen­té la misé­ri­cor­de de Dieu com­me le cen­tre essen­tiel de tou­te la foi chré­tien­ne et qui avait vou­lu insti­tuer la fête de la Divine Miséricorde.  Après avoir pris con­seil, le Pape avait pré­vu qu’elle ait lieu le diman­che « in albis ».  Toutefois, avant de pren­dre une déci­sion défi­ni­ti­ve, il a deman­dé l’avis de la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi pour déter­mi­ner l’opportunité d’un tel choix.  Nous avons ren­du un avis néga­tif en con­si­dé­rant qu’une date aus­si impor­tan­te, ancien­ne et riche de signi­fi­ca­tion tel­le que diman­che « in albis » ne devait pas être alour­die par des idées nou­vel­les.  Pour le Saint-Père, cela n’a clai­re­ment pas été faci­le d’ac­cep­ter notre « non ».  Mais il l’a fait en tou­te humi­li­té et a accep­té notre second « non ».  Finalement, j’ai for­mu­lé une pro­po­si­tion qui, tout en lais­sant au diman­che « in albis » son sens histo­ri­que, lui per­met­tait d’introduire la misé­ri­cor­de de Dieu dans son accep­tion ori­gi­na­le.  En de nom­breu­ses occa­sions, j’ai été impres­sion­né par l’humilité de ce grand pape, qui reno­nçait aux idées qui lui tena­ient à cœur quand il n’avait pas l’aval des orga­nes offi­ciel, qui – selon l’ordre habi­tuel des cho­ses – devait être sol­li­ci­té.

Quand Jean-Paul II ren­dit son der­nier sou­pir en ce mon­de, nous étions déjà après les pre­miè­res vêpres de la fête de la Divine Miséricorde.  Et cela a illu­mi­né l’heure de sa mort : la lumiè­re de la misé­ri­cor­de de Dieu a bai­gné sa mort com­me un mes­sa­ge de récon­fort.  Dans son der­nier livre, « Mémoire et iden­ti­té », sor­ti pre­sque à la veil­le de sa mort, le Pape a enco­re une fois briè­ve­ment pré­sen­té le mes­sa­ge de la misé­ri­cor­de divi­ne.  Dans celui-ci, il sou­li­gnait que sœur Faustine était mor­te avant les hor­reurs de la secon­de guer­re mon­dia­le mais qu’elle avait déjà four­ni la répon­se du Seigneur à ces hor­reurs : « le mal ne rem­por­te pas la vic­toi­re défi­ni­ti­ve !  Le mystè­re pascal con­fir­me que le bien, en défi­ni­ti­ve, est vic­to­rieux, que la vie l’emporte sur la mort et que l’amour triom­phe de la hai­ne ».

Toute la vie du Pape a été cen­trée sur cet­te pro­po­si­tion d’accepter sub­jec­ti­ve­ment com­me sien le cen­tre objec­tif de la foi chré­tien­ne – l’enseignement du salut – et de per­met­tre aux autres de l’accepter.  Grâce au Christ res­su­sci­té, la misé­ri­cor­de de Dieu est pour tous.  Même si ce cen­tre de l’existence chré­tien­ne ne nous est don­né que par la foi, il a éga­le­ment un sens phi­lo­so­phi­que par­ce que – étant don­né que la misé­ri­cor­de divi­ne n’est pas une don­née de fait – nous devons éga­le­ment nous accom­mo­der d’un mon­de dans lequel le con­tre­poids final entre le bien et le mal n’est pas recon­nais­sa­ble.

Au-delà de ce sens histo­ri­que objec­tif, nous devons tous savoir qu’en défi­ni­ti­ve, la misé­ri­cor­de de Dieu se révé­le­ra plus for­te que notre fai­bles­se.  Nous devons à pré­sent trou­ver l’unité inté­rieu­re du mes­sa­ge de Jean-Paul II et les inten­tions fon­da­men­ta­les du Pape François.  Contrairement à ce que l’on dit par­fois, Jean-Paul II n’est pas un rigo­ri­ste de la mora­le.  En démon­trant l’importance essen­tiel­le de la misé­ri­cor­de divi­ne, il nous don­ne la pos­si­bi­li­té d’accepter les exi­gen­ces mora­les qui se posent à l’homme, bien que nous ne pour­rons jamais les sati­sfai­re plei­ne­ment.  Nos efforts en matiè­re de mora­le sont entre­pris à la lumiè­re de la misé­ri­cor­de de Dieu, qui se révè­le être une for­ce qui gué­rit notre fai­bles­se.  […]

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 16/05/2020