Musique sacrée: un appel à rendre l’ouïe aux sourds

Ce 5 mars mar­quait le cin­quan­tiè­me anni­ver­sai­re de « Musicam Sacram », le der­nier grand docu­ment sur ce thè­me, publié en 1967 et signé con­join­te­ment par le car­di­nal Giacomo Lercaro, arche­vê­que de Bologne et Président du « Consilium » pour la mise en œuvre de la con­sti­tu­tion con­ci­liai­re sur la litur­gie et par le car­di­nal Arcadio Larraona, Préfet de la Sacrée Congrégation des Rites avec l’approbation de Paul VI.

Cette décla­ra­tion publié aujourd’hui dans le mon­de entier dres­se un bilan sur l’état actuel de la musi­que sacrée dans l’Eglise catho­li­que un demi-siècle après la rédac­tion de ce docu­ment, un bilan natu­rel­le­ment cri­ti­que et ajou­te huit pro­po­si­tions « pour un chan­ge­ment posi­tif ».

Cette décla­ra­tion est sou­te­nue par des musi­ciens et des musi­co­lo­gues renom­més : l’italien Aurelio Porfiri, direc­teur de la revue inter­na­tio­na­le « Altare Dei » qui est édi­tée à Macao et à Hong Kong, il est l’auteur de plu­sieurs libres et d’essais sur la musi­que sacrée et la litur­gie ain­si que l’américain Peter A. Kwasniewski, pro­fes­seur de théo­lo­gie et de phi­lo­so­phie et direc­teur de cho­ra­le au Wyoming Catholic College.

Plus de deux cen­ts ama­teurs de musi­que litur­gi­que se sont join­ts à eux dans le mon­de entier. La liste des signa­tai­res se trou­ve sur le site de la revue diri­gée par M. Profiri ain­si que le tex­te de la décla­ra­tion tra­duit dans sept lan­gues.

> Altare Dei

Bonne lec­tu­re !

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso

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“CANTATE DOMINO CANTICUM NOVUM”

Déclaration sur les con­di­tions actuel­les de la musi­que sacrée

Nous sous­si­gnés, musi­ciens, pasteurs d’âmes, ensei­gnan­ts, cher­cheurs et ama­teurs de musi­que sacrée, nous pré­sen­tons à la com­mu­nau­té catho­li­que du mon­de entier cet­te décla­ra­tion expri­mant notre grand amour du tré­sor de la musi­que sacrée de l’Église et notre pro­fond malai­se devant l’état malheu­reux où elle se trou­ve.

Introduction

Cantate Domino can­ti­cum novum, can­ta­te Domino omnis ter­ra (Psaume 96): ce chant à la gloi­re de Dieu a reten­ti tout au long de l’histoire du chri­stia­ni­sme depuis ses com­men­ce­men­ts jusqu’à nos jours. L’écriture sain­te et la sain­te Tradition témoi­gnent tou­tes deux d’un grand amour de la beau­té et de la puis­san­ce de la musi­que dans le cul­te offert au Dieu tout-puissant. Le tré­sor de la musi­que sacrée a tou­jours été cher aux sain­ts, aux théo­lo­giens, aux papes et aux fidè­les de l’Église

L’on retrou­ve le témoi­gna­ge de cet amour et de cet­te pra­ti­que de la musi­que au tra­vers de la lit­té­ra­tu­re chré­tien­ne et dans main­ts docu­men­ts que les papes ont con­sa­crés à la musi­que sacrée, depuis le Docta Sanctorum Patrum de Jean XXII (1324) et le Annus Qui de Benoît XIV (1749) au motu pro­prio Tra le sol­le­ci­tu­di­ni de s. Pie X (1903), au Musicae Sacrae Disciplina de Pie XII, au chi­ro­gra­phe de s. Jean-Paul II sur la musi­que sacrée, et ain­si de sui­te. Cette vaste docu­men­ta­tion nous amè­ne à con­si­dé­rer avec le plus grand sérieux l’importance et le rôle de la musi­que dans la litur­gie. Cette impor­tan­ce est liée au lien pro­fond qui exi­ste entre la litur­gie et sa musi­que. Ce lien va dans les deux sens: une bon­ne litur­gie est pro­pi­ce à une musi­que magni­fi­que, mais d’autre part un niveau médio­cre de musi­que litur­gi­que a un effet con­si­dé­ra­ble sur la litur­gie. Il ne faut pas non plus oublier l’importance œcu­mé­ni­que que revêt la musi­que : on sait que d’autres tra­di­tions chrétiennes—telles l’anglicane, la luthé­rien­ne et l’orthodoxe — ont l’importance et la digni­té de la musi­que sacrée en très gran­de esti­me, com­me en témoi­gnent leurs pro­pres « tré­sors », si jalou­se­ment pré­ser­vés.

Nous vivons un jalon impor­tant : le cin­quan­tiè­me anni­ver­sai­re de la pro­mul­ga­tion de l’Instruction sur la musi­que dans la litur­gie du 5 mars 1967, Musicam sacram, sous le pon­ti­fi­cat du bie­n­heu­reux Paul VI. À la relec­tu­re de ce docu­ment, on ne peut aujourd’hui que son­ger à la via dolo­ro­sa qu’eut à par­cou­rir la musi­que sacrée pen­dant les décen­nies qui ont sui­vi Sacrosanctum con­ci­lium. Car ce qui se pro­dui­sait dans cer­tains sec­teurs de l’Église à l’époque (1967) n’était pas du tout dans la ligne indi­quée par Sacrosanctum Concilium ou Musicam sacram. Certaines orien­ta­tions qui éta­ient entiè­re­ment absen­tes des docu­men­ts con­ci­liai­res furent impo­sées dans la pra­ti­que, ce avec par­fois un cer­tain man­que de vigi­lan­ce de la part du cler­gé et de la hié­rar­chie ecclé­sia­sti­que. Dans cer­tains pays le tré­sor de la musi­que sacrée dont le Concile avait deman­dé la pré­ser­va­tion fut non seu­le­ment aucu­ne­ment pré­ser­vé, mais bien plu­tôt l’objet d’opposition. Ceci tout à fait à l’encontre du Concile, qui avait clai­re­ment indi­qué que :

La tra­di­tion musi­ca­le de l’Église uni­ver­sel­le con­sti­tue un tré­sor d’une valeur ine­sti­ma­ble qui l’emporte sur les autres arts, du fait sur­tout que, chant sacré lié aux paro­les, il fait par­tie néces­sai­re ou inté­gran­te de la litur­gie solen­nel­le. Certes, le chant sacré a été exal­té tant par la Sainte Écriture que par les Pères et par les Pontifes romains ; ceux-ci, à une épo­que récen­te, à la sui­te de saint Pie X, ont mis en lumiè­re de façon plus pré­ci­se la fonc­tion mini­sté­riel­le de la musi­que sacrée dans le ser­vi­ce divin. C’est pour­quoi la musi­que sacrée sera d’autant plus sain­te qu’elle sera en con­ne­xion plus étroi­te avec l’action litur­gi­que, en don­nant à la priè­re une expres­sion plus agréa­ble, en favo­ri­sant l’unanimité ou en ren­dant les rites sacrés plus solen­nels. Mais l’Église approu­ve tou­tes les for­mes d’art véri­ta­ble, si elles sont dotées des qua­li­tés requi­ses, et elle les admet pour le cul­te divin (SC 112).

La Situation actuel­le

À la lumiè­re de la pen­sée, si sou­vent expri­mée, de l’Église, on ne peut que poser un regard inquiet sur la situa­tion actuel­le, pra­ti­que­ment dése­spé­ran­te, de la musi­que sacrée : les abus sont plu­tôt la nor­me que l’exception en matiè­re de musi­que sacrée. Nous dési­re­rions résu­mer ici quel­ques élé­men­ts qui con­tri­buent à la situa­tion déplo­ra­ble où se trou­vent la musi­que sacrée et la litur­gie.

1. On assi­ste à une per­te de l’intelligence de “la for­me musi­ca­le de la litur­gie,” c’est-à-dire de ce que la musi­que fait par­tie inté­gra­le la litur­gie dans son essen­ce : cul­te de Dieu public, offi­ciel, solen­nel. Il ne nous revient pas de chan­ter à la mes­se, mais bien de chan­ter la mes­se. Ainsi, com­me nous le rap­pel­le Musicam sacram, la part du prê­tre doit être chan­tée selon les tons don­nés dans le mis­sel, les fidè­les fai­sant les répons ; le chant de l’ordinaire de la mes­se en chant gré­go­rien ou en musi­que qui s’en inspi­re est à encou­ra­ger ; et les pro­pres de la mes­se aus­si devra­ient jouir de la pri­mau­té qui con­vient à leur préé­mi­nen­ce histo­ri­que, à leur fonc­tion litur­gi­que et à leur pro­fon­deur théo­lo­gi­que. Il en va de même du chant de l’office divin. La « pares­se litur­gi­que » trou­ve son expres­sion dans le refus de chan­ter la litur­gie, dans l’emploi d’une « musi­que pure­ment fonc­tion­nel­le » plu­tôt que de la musi­que sacrée, dans le refus de s’éduquer soi-même ou d’autres que soi sur la tra­di­tion et les vœux de l’Église, et dans le peu ou l’absence d’effort et de res­sour­ces con­sa­crés à l’établissement d’un pro­gram­me de musi­que sacrée.

2. Cette per­te de l’intelligence litur­gi­que et théo­lo­gi­que va de pair avec l’adhésion au sécu­la­ri­sme. Le sécu­la­ri­sme des sty­les de musi­que popu­lai­res a con­tri­bué à une cer­tai­ne désa­cra­li­sa­tion de la litur­gie, alors même que le sécu­la­ri­sme du com­mer­cia­li­sme moti­vé par le pro­fit a ren­for­cé l’imposition de col­lec­tions de musi­que médio­cres au niveau des parois­ses. Ce qui a encou­ra­gé un cer­tain anth­ro­po­cen­tri­sme dans la litur­gie aux dépens de sa natu­re pro­pre. Dans de vastes sec­teurs de l’Église con­tem­po­rai­ne il y a une rela­tion faus­sée avec la cul­tu­re que l’on peut con­si­dé­rer com­me un « réseau de con­ne­xions ». Dans la situa­tion con­crè­te de notre musi­que litur­gi­que (et de la litur­gie en soi, les deux étant étroi­te­ment liées), on a cas­sé ce réseau de con­ne­xion avec notre pas­sé et on a ten­té de se con­nec­ter à un futur qui, sans son pas­sé, ne peut qu’être dénué de sens. L’Église, aujourd’hui, ne se sert pas des riches­ses de son patri­moi­ne pour évan­gé­li­ser : c’est plu­tôt une cul­tu­re laï­que majo­ri­tai­re née en oppo­si­tion au chri­stia­ni­sme qui se sert d’elle et qui en désta­bi­li­se ce sens de l’adoration qui est au cœur de la foi chré­tien­ne

Dans son homé­lie de la Fête-Dieu le 4 juin 2015 le pape François disait : « L’Eglise n’en finit jamais de s’émerveiller devant cet­te réa­li­té [du Très-Saint Sacrement]. Un émer­veil­le­ment qui nour­rit tou­jours sa con­tem­pla­tion, son ado­ra­tion et sa mémoi­re. » Mais dans bien des égli­ses de par le mon­de, où se retrou­vent ce sens de la con­tem­pla­tion, cet­te ado­ra­tion, cet émer­veil­le­ment pour le mystè­re de l’Eucharistie ? Ils ont été per­dus car nous vivons une espè­ce d’Alzheimer spi­ri­tuel­le, cet­te mala­die qui nous enlè­ve nos mémoi­res spi­ri­tuel­le, théo­lo­gi­que, arti­sti­que, musi­ca­le, cul­tu­rel­le. On a pu dire qu’il nous faut appor­ter la cul­tu­re de cha­que peu­ple à la liturgie—sans dou­te, mais dans la bon­ne opti­que ; non pas en ce sens que la litur­gie (et, par­tant, la musi­que) devien­ne le lieu où l’on doi­ve exal­ter une cul­tu­re sécu­liè­re. C’est plu­tôt le lieu où la cul­tu­re, tou­te cul­tu­re, est rele­vée et puri­fiée.

3. Il y a, au sein de l’Église, des grou­pes qui mili­tent en faveur d’un « renou­veau » qui ne reflè­te pas l’enseignement de l’Église et qui sert plu­tôt leur pro­gram­me, vision du mon­de et inté­rê­ts pro­pres. Il y a par­mi les mem­bres de ces grou­pes des hom­mes qui occu­pent des postes-clé leur per­met­tant de met­tre en œuvre leurs pro­je­ts, leur idée de ce qui con­sti­tue la cul­tu­re et leur appro­che des pro­blé­ma­ti­ques con­tem­po­rai­nes. Il est des pays où de puis­san­ts grou­pes de pres­sion ont con­tri­bué au rem­pla­ce­ment effec­tif des réper­toi­res litur­gi­ques fidè­les aux direc­ti­ves de Vatican II par des réper­toi­res de qua­li­té infé­rieu­re. On en arri­ve ain­si à des réper­toi­res de musi­que litur­gi­que nou­vel­le au niveau très bas tant par leurs tex­tes que par leur musi­que. Cela n’a rien de sur­pre­nant quand on réflé­chit qu’aucune valeur dura­ble ne pro­vient jamais d’un man­que de for­ma­tion et d’expertise, sur­tout si l’on négli­ge les sages pré­cep­tes de la tra­di­tion ecclé­sia­sti­que :

Pour ces motifs, le chant gré­go­rien a tou­jours été con­si­dé­ré com­me le plus par­fait modè­le de la musi­que sacrée et on peut éta­blir à bon droit la règle géné­ra­le sui­van­te : Une com­po­si­tion musi­ca­le ecclé­sia­sti­que est d’autant plus sacrée et litur­gi­que que, par l’allure, par l’inspiration et par le goût, elle se rap­pro­che davan­ta­ge de la mélo­die gré­go­rien­ne, et elle est d’autant moins digne de l’Église qu’elle s’écarte davan­ta­ge de cesu­prê­me modè­le. (S. Pie X, Motu Proprio Tra le Sollecitudini)

Ce « plus par­fait modè­le » est aujourd’hui bien sou­vent écar­té si ce n’est mépri­sé. Tout le Magistère de l’Église a rap­pe­lé l’importance de l’adhésion à ce modè­le, non pas pour limi­ter la créa­ti­vi­té mais pour four­nir une base lui per­met­tant de s’épanouir. Si l’on veut que le mon­de par­te à la recher­che de Jésus, il nous faut met­te la mai­son en état avec ce que l’Église a de meil­leur à offrir. On n’invite pas le mon­de chez soi, l’Église, pour lui pro­po­ser un sous-produit de musi­que et d’art alors qu’il peut tout-à-fait retrou­ver une musi­que pop de meil­leu­re qua­li­té en dehors de l’Église. La litur­gie est un limen, un seuil que l’on fran­chit pour pas­ser de la vie de tous les jours à la litur­gie des anges : Et ídeo cum Angelis et Archángelis, cum Thronis et Dominatiónibus, cum­que omni milí­tia cælé­stis exér­ci­tus, hym­num gló­riæ tuæ cáni­mus, sine fine dicén­tes…

4. Ce mépris du chant gré­go­rien et des réper­toi­res tra­di­tion­nels est un signe par­mi d’autres d’un pro­blè­me d’envergure bien plus gran­de : le mépris de la Tradition. Sacrosanctum Concilium ensei­gne que le patri­moi­ne musi­cal et arti­sti­que de l’Église est à respec­ter et à ché­rir, car il incar­ne des siè­cles de litur­gie et de priè­re et expri­me le point cul­mi­nant de la créa­ti­vi­té et de la spi­ri­tua­li­té humai­nes. Il fut un temps où l’Église ne cou­rait pas après les der­niè­res modes ; c’était plu­tôt elle qui don­nait le ton, qui était la créa­tri­ce et l’arbitre de la cul­tu­re. Ce man­que d’engagement à l’égard de la tra­di­tion a enga­gé l’Église sur une voie incer­tai­ne et sinueu­se. L’essai de sépa­ra­tion entre l’enseignement de Vatican II et celui de l’Église avant le con­ci­le est une impas­se ; le seul moyen d’aller de l’avant, c’est l’herméneutique de la con­ti­nui­té approu­vée par le pape Benoît XVI. Le réta­blis­se­ment de l’unité, de l’intégrité et de l’harmonie de l’enseignement catho­li­que est la con­di­tion de la restau­ra­tion à leur nobles­se ori­gi­nel­le et de la litur­gie et de la musi­que. C’est bien là ce que nous ensei­gnait le pape François dans sa pre­miè­re ency­cli­que : « La con­nais­san­ce de nous-mêmes n’est pos­si­ble que lor­sque nous par­ti­ci­pons à une mémoi­re plus vaste. » (Lumen Fidei 38).

5. Une autre cau­se de la déca­den­ce de la musi­que sacrée, c’est le clé­ri­ca­li­sme, l’abus de l’état ecclé­sia­sti­que et du pre­sti­ge qu’il con­fè­re. Un cler­gé sou­vent mal for­mé dans la gran­de tra­di­tion de la musi­que sacrée con­ti­nue de pren­dre des déci­sions sur l’embauche et les prin­ci­pes d’action con­trai­res à l’esprit authen­ti­que de la litur­gie et au renou­veau, tant récla­mé par l’autorité à notre épo­que, de la musi­que sacrée. Le plus sou­vent il con­tre­vient aux ensei­gne­men­ts du Concile Vatican II au nom d’un pré­su­mé « Esprit du Concile ». De sur­croît, sur­tout dans les pays d’ancienne tra­di­tion chré­tien­ne, le cler­gé a accès à des postes qui restent fer­més aux fidè­les alors qu’il y des musi­ciens laïcs tout-à-fait capa­bles de pro­po­ser à l’Église un ser­vi­ce pro­fes­sion­nel égal ou supé­rieur.

6. L’on ren­con­tre aus­si le pro­blè­me de la rému­né­ra­tion ina­dé­qua­te, voi­re par­fois inju­ste, des musi­ciens laïcs. L’importance de la musi­que sacrée dans la litur­gie catho­li­que requiert un cer­tain niveau de for­ma­tion, d’équipement et d’engagement au ser­vi­ce du Peuple de Dieu dans ce domai­ne, au moins de la part quelques-uns des mem­bres de l’Église. Ne doit-on pas don­ner à Dieu le meil­leur de nous-mêmes ? Nul ne serait sur­pris ou offu­squé de savoir que les méde­cins ont besoin d’un salai­re pour vivre, per­son­ne n’accepterait de se fai­re trai­ter par des volon­tai­res sans for­ma­tion aucu­ne ; les curés ont leurs salai­res puisqu’ils ne peu­vent vivre sans man­ger, et s’ils ne man­gea­ient pas, ils sera­ient inca­pa­bles de sui­vre une for­ma­tion en scien­ces théo­lo­gi­ques ou de dire la mes­se digne­ment. Si l’on rému­nè­re fleu­ri­stes et cui­si­niers qui exer­cent leur métier à la parois­se, pour­quoi paraîtrait-il si étran­ge que ceux qui ani­ment l’activité musi­ca­le de l’Église aient droit à une juste com­pen­sa­tion ?

Propositions con­crè­tes

Ce qui a été dit peut para­î­tre pes­si­mi­ste. Mais nous entre­te­nons l’espoir d’une issue à cet hiver. Les pro­po­si­tions sui­van­tes sont fai­tes in spi­ri­tu humi­li­ta­tis, dans l’intention de restau­rer la digni­té de la litur­gie et de la musi­que dans l’Église.

  1. En tant que musi­ciens, pasteurs, cher­cheurs et Catholiques qui aiment le chant gré­go­rien et la poly­pho­nie sacrée tant de fois l’objet de la louan­ge et de la recom­man­da­tion de l’Église, nous récla­mons une nou­vel­le affir­ma­tion de ce patri­moi­ne aux côtés de com­po­si­tions sacrées moder­nes en latin ou en lan­gue ver­na­cu­lai­re s’inspirant de cet­te gran­de tra­di­tion. Nous récla­mons aus­si des mesu­res con­crè­tes pour sa pro­mo­tion géné­ra­li­sée dans cha­que égli­se du glo­be afin que nous les Catholiques puis­sions chan­ter les louan­ges de Dieu d’une voix, d’un esprit et d’un cœur, ’une cul­tu­re com­mu­ne qui trans­cen­de tou­tes leurs dif­fé­ren­ces. Nous récla­mons enfin que soit réaf­fir­mée l’importance uni­que de l’orgue pour la sain­te litur­gie de par sa capa­ci­té sin­gu­liè­re à éle­ver les cœurs vers le bon Dieu et sa com­plé­men­ta­ri­té par­fai­te avec le chant des chœurs et des con­gré­ga­tions.
  2. Il faut que l’éducation au bon goût en musi­que et en litur­gie com­men­ce dès l’enfance. Trop sou­vent des édu­ca­teurs sans for­ma­tion musi­ca­le pen­sent que les enfan­ts sont inca­pa­bles d’apprécier la beau­té de l’art véri­ta­ble. C’est loin d’être le cas. Par une péda­go­gie d’éveil à la beau­té de la litur­gie les enfan­ts rece­vront une for­ma­tion pro­pre à les ren­dre vigou­reux, car ils auront reçu un pain spi­ri­tuel nour­ris­sant plu­tôt qu’un ali­ment mal­sain d’origine indu­striel­le n’ayant du goût que l’apparence (com­me par exem­ple quand les « mes­ses pour enfan­ts » sont accom­pa­gnées d’une musi­que d’inspiration « pop »). L’expérience mon­tre que les enfan­ts expo­sés à ces réper­toi­res les appré­cient et, par­tant, déve­lop­pent des liens plus pro­fonds avec l’Église.
  3. Si les enfan­ts sont appe­lés à appré­cier la beau­té de la musi­que et de l’art, s’ils sont appe­lés à com­pren­dre l’importance de la litur­gie fons et cul­men de la vie de l’Église, il faut des fidè­les enga­gés qui sui­vent le Magistère. Il faut fai­re pla­ce aux fidè­les bien for­més dans les domai­nes ayant trait à l’art et à la musi­que. La com­pé­ten­ce en musi­que litur­gi­que et en péda­go­gie requiert des années d’études. Ce sta­tut « pro­fes­sion­nel » doit être recon­nu, respec­té, et pro­mu de façon con­crè­te. À cet égard, nous espé­rons sin­cè­re­ment que l’Église con­ti­nue­ra d’œuvrer con­tre le clé­ri­ca­li­sme dans ses for­mes mani­fe­stes com­me dans ses for­mes plus sub­ti­les afin que les fidè­les puis­sent con­tri­buer plei­ne­ment dans les domai­nes ne néces­si­tant pas l’ordination.
  4. Il faut insi­ster sur des nor­mes de haut niveau dans les cathé­dra­les et les basi­li­ques pour le réper­toi­re et l’aptitude musi­ca­le. L’évêque dans cha­que dio­cè­se devrait embau­cher au moins un direc­teur musi­cal pro­fes­sion­nel ou un orga­ni­ste (ou les deux) qui sui­ve une ligne clai­re pour encou­ra­ger l’excellence en musi­que litur­gi­que à la cathé­dra­le ou la basi­li­que et qui fas­se un bel exem­ple de l’alliance d’œuvres de gran­de tra­di­tion et de nou­vel­les com­po­si­tions adé­qua­tes. Un prin­ci­pe soli­de à cet égard se retrou­ve, nous semble-t-il, dans Sacrosanctum Concilium 23 : « Enfin, on ne fera des inno­va­tions que si l’utilité de l’Église les exi­ge vrai­ment et cer­tai­ne­ment, et après s’être bien assu­ré que les for­mes nou­vel­les sor­tent des for­mes déjà exi­stan­tes par un déve­lop­pe­ment en quel­que sor­te orga­ni­que ».
  5. Nous pro­po­sons que dans cha­que basi­li­que et cathé­dra­le soit encou­ra­gée la célé­bra­tion heb­do­ma­dai­re d’une mes­se en Latin (dans l’une ou l’autres des deux for­mes du rit romain) afin de main­te­nir notre con­ne­xion avec notre patri­moi­ne litur­gi­que, cul­tu­rel, arti­sti­que et théo­lo­gi­que. Que tant de jeu­nes aujourd’hui redé­cou­vrent la beau­té du latin dans la litur­gie est sûre­ment un signe des temps qui nous invi­te à enter­rer les com­ba­ts d’antan et à cher­cher une appro­che plus « catho­li­que » qui s’inspire de tous les siè­cles de la litur­gie catho­li­que. Étant don­née la dispo­ni­bi­li­té de livres, de livre­ts et de res­sour­ces inter­net, il n’y aura pas de dif­fi­cul­té à faci­li­ter la par­ti­ci­pa­tion acti­ve de ceux qui sou­hai­tent assi­ster à des litur­gies en latin. Il fau­drait aus­si encou­ra­ger cha­que parois­se à offrir une mes­se entiè­re­ment chan­tée tous les diman­ches.
  6. Il fau­drait que les évê­ques mis­sent en prio­ri­té la for­ma­tion litur­gi­que et musi­ca­le du cler­gé. Il revient à celui-ci d’apprendre et de pra­ti­quer les mélo­dies litur­gi­ques, pui­sque d’après Musicam Sacram entre autres docu­men­ts il doit être en mesu­re de chan­ter les priè­res de la litur­gie sans se bor­ner à en pro­non­cer les paro­les. Les can­di­da­ts au sacer­do­ce au sémi­nai­re et en uni­ver­si­té doi­vent se fami­lia­ri­ser avec la gran­de tra­di­tion de la musi­que sacrée dans l’Église et appren­dre à l’apprécier en har­mo­nie avec le magi­stè­re et selon le soli­de prin­ci­pe arti­cu­lé dans l’évangile selon s. Matthieu, XIII, 52 : « Ainsi donc tout scri­be deve­nu disci­ple du Royaume des Cieux est sem­bla­ble à un pro­prié­tai­re qui tire de son tré­sor du neuf et du vieux. »
  7. Dans le pas­sé, les mai­sons d’édition catho­li­ques joua­ient un rôle impor­tant dans la distri­bu­tion de bons exem­ples de musi­que sacrée tant ancien­ne que nou­vel­le. Aujourd’hui ces mêmes mai­sons, même si elles font par­tie de dio­cè­ses ou d’institutions reli­gieu­ses, dis­sé­mi­nent une musi­que qui ne con­vient pas à la litur­gie et ne pren­nent en comp­te que des con­si­dé­ra­tions d’ordre com­mer­cial. De nom­breux catho­li­ques fidè­les pen­sent que ce que distri­buent les mai­sons d’édition prin­ci­pa­les est dans la ligne de la doc­tri­ne catho­li­que sur la litur­gie et la musi­que alors qu’il en est rare­ment ain­si. Le but prin­ci­pal des édi­teurs catho­li­ques devrait être l’éducation des fidè­les à la sai­ne doc­tri­ne catho­li­que et à de bon­nes pra­ti­ques litur­gi­ques, non celui d’encaisser des recet­tes.
  8. La for­ma­tion des litur­gi­stes est elle aus­si d’importance fon­da­men­ta­le. S’il revient aux musi­ciens de bien com­pren­dre les élé­men­ts de l’histoire de la litur­gie et de la théo­lo­gie, les litur­gi­stes doi­vent rece­voir une bon­ne for­ma­tion en chant gré­go­rien, en poly­pho­nie et en tou­te la tra­di­tion musi­ca­le de l’Église, ceci afin qu’ils sachent distin­guer le bon du mau­vais.

Conclusion

Dans son ency­cli­que Lumen Fidei, le pape François rap­pe­lait le lien que tis­se la foi entre le pas­sé et le futur :

Il est vrai qu’en tant que répon­se à une Parole qui pré­cè­de, la foi d’Abraham sera tou­jours un acte de mémoi­re. Toutefois cet­te mémoi­re ne fixe pas dans le pas­sé mais, étant mémoi­re d’une pro­mes­se, elle devient capa­ble d’ouvrir vers l’avenir, d’éclairer les pas au long de la rou­te. On voit ain­si com­ment la foi, en tant que mémoi­re de l’avenir, memo­ria futu­ri, est étroi­te­ment liée à l’espérance. (LF 9)

Cette mémoi­re, ce tré­sor qu’est notre tra­di­tion catho­li­que n’appartient pas qu’au pas­sé seul. Elle demeu­re une for­ce vita­le aujourd’hui, et sera à tout jamais un don de beau­té aux géné­ra­tions futu­res. « Chantez Yahvé, car il a fait de gran­des cho­ses, qu’on le pro­cla­me sur tou­te la ter­re. Pousse des cris de joie, des cla­meurs, habi­tan­te de Sion, car il est grand, au milieu de toi, le Saint d’Israël. » (Is 12, 5–6)

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Date de publication: 14/03/2017