Lundi 28 août, la salle de presse du Vatican a officiellement annoncé le voyage que le Pape François effectuera en Birmanie et au Bangladesh du 30 novembre au 2 décembre.
Curieusement, pourtant, la veille, à la fin de l’Angélus dominical, François s’est emmêlé les pinceaux avec le premier de ces deux pays. Il a prononcé, moitié lisant et moitié improvisant, la déclaration suivante qui ne figurait pas dans le texte fourni à l’avance aux journalistes :
« Nous venons de recevoir de tristes nouvelles de la persécution d’une minorité religieuse, nos frères Rohingya. Je voudrais leur exprimer toute ma solidarité. Et tous, nous demandons au Seigneur de nous sauver et de susciter des hommes et des femmes de bonne volonté de les aider et de leur donner tous leurs droits. Prions pour nos frères Rohingya ».
Au cours des heures qui suivirent, les réactions négatives ont fusé depuis la Birmanie. Non seulement de la part des médias alignés avec le gouvernement qui ne tolère même pas que les musulmans qui habitent la région de Rakhine à la frontière du Bangladesh et victimes d’une persécution féroce se qualifient de « Rohingya » mais également de la part de la minuscule Eglise catholique locale.
Raymond Sumlut Gam, évêque de Bhamo et ex-directeur de Caritas Birmanie a déclaré à Asia News :
« Nous craignons que le pape ne dispose pas d’informations suffisamment précises et qu’il fasse des déclarations qui ne reflètent pas la réalité. Affirmer que les Rohingya sont ‘persécutés’ pourrait créer de graves tensions en Birmanie ».
Et le P. Mariano Soe Naing, le porte-parole de la conférence épiscopale de ce pays a déclaré quant à lui :
« Si nous devions emmener le Saint-Père auprès des personnes qui souffrent le plus chez nous, nous l’emmènerions visiter les camps de réfugiés du Kachin [ethnie principalement catholique – ndr] où de nombreuses victimes de la guerre civile ont été chassées de leurs maisons. En ce qui concerne l’emploi du terme ‘Rohingya’, je suis d’avis qu’afin de faire preuve de respect envers le peuple et le gouvernement de Birmanie, l’usage de l’expression acceptée par les institutions [‘musulmans de Rakhin’ – ndr] est plus indiqué. Si le pape utilisait ce terme au cours de sa visite, nous craindrions pour sa sécurité ».
En Birmanie, les catholiques représentent un peu plus d’un pour cent de la population, soit 600.000 personnes sur 50.000.000 et sont considérés par beaucoup comme un corps étranger, à l’instar des autres minorités persécutées. On peut donc comprendre qu’ils soient sur la défensive.
Il est en revanche surprenant que la Secrétairerie d’Etat du Vatican n’ait pas fourni au pape François, un texte moins improvisé, s’il souhaitait vraiment intervenir en public sur la persécution des Rohingya, surtout à la veille de se rendre dans ce pays.
Le Saint-Siège a noué des relations diplomatiques avec la Birmanie cette année. En mai, la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi s’était rendue au Vatican pour rencontrer le Pape. Elle avait été maintenue en détention à domicile pendant 15 ans par le régime militaire avant d’être démocratiquement élue ministre des affaires étrangères dans un gouvernement qui est cependant toujours sous le contrôle de l’armée qui continue à détenir les véritables leviers du pouvoir.
Un dossier parfaitement à jour devrait donc être à disposition du Pape François en perspective de son voyage.
Mais justement, les mots qu’il a prononcées au cours de l’Angélus du dimanche 28 août n’ont pas semblé être les mieux calibrés.
Qu’un pape s’érige en défenseur de musulmans qui se trouvent cette fois du non pas du côté des persécuteurs mais des persécutés c’est naturellement un devoir mais également la certitude de faire effet sur la scène internationale.
Mais en Birmanie, parmi les persécutés se trouvent également les chrétiens des ethnies Kachin et Chin, au Nord du pays et Karen et Karenni à l’Est. On ne compte plus ces dernières années les églises détruites, les villages mis à feu et à sang et les dizaines de milliers de personnes contraintes à l’exil.
Et surtout : qui les persécute et pourquoi ?
On rapporte des récits de conversions forcées au bouddhisme, même depuis le plus jeune âge, dans des écoles destinées à transformer les élèves d’autres confessions en petits moines à la tête rasée et à la tunique orange. L’importation de Bibles et de livres religieux est illégale et toute carrière dans l’administration est interdite aux non-bouddhistes.
La très grande majorité de la population birmane est de fait bouddhiste. Et les organisations les plus intolérantes contre les minorités des autres confessions sont chapeautées par des moines bouddhistes avec le total soutien de l’armée.
Soit tout le contraire de la légende qui accompagne universellement le bouddhisme, presque toujours décrit comme n’étant que paix, compassion, sagesse et fraternité.
La réalité est bien différente. La liberté de religion est sévèrement réprimée non seulement en Birmanie mais également, dans une moindre mesure, dans d’autres pays à majorité bouddhiste comme le Sri Lanka que le Pape François a déjà visité en 2015, le Laos, le Cambodge, le Bhoutan et la Mongolie.
Ces dernières semaines, la persécution des Rohingya de la part du régime bouddhiste de Birmanie a atteint son apogée, contraignant nombre d’entre eux à fuir vers le Bangladesh qui les bloque cependant à la frontière. Et tout cela justement au moment où le Pape François s’apprête à visiter ces deux pays.
Aung San Suu Kyi, grande défenderesse des droits de l’homme, laisse faire et se tait, sous la pression de l’armée et des bouddhistes les plus intolérants.
Le Pape François n’a pas cette contrainte. Et non seulement les Rohingya mais également toutes les minorités persécutées par la Birmanie attendent de lui qu’il parle et qu’il agisse en homme libre, qu’il prenne leur défense, bien entendu, mais également qu’il dénonce ouvertement ceux qui les oppriment et pourquoi.
Un article de Sandro Magister, vaticaniste à L’Espresso.