De Louvain à Rome, l’euthanasie des “principes non négociables”

L’affaire de l’Université Catholique de Louvain qui a suspen­du et fina­le­ment licen­cié Stéphane Mercier, l’un de ses pro­fes­seurs de phi­lo­so­phie pour avoir écrit dans une note distri­buée à ses étu­dian­ts que “l’a­vor­te­ment était le meur­tre d’u­ne per­son­ne inno­cen­te” ne finit pas de fai­re par­ler d’el­le.

La cho­se n’a rien de sur­pre­nant vu les pré­cé­den­ts des uni­ver­si­tés catho­li­que bel­ges qui, tout en por­tant le nom de “catho­li­que”, pra­ti­quent depuis long­temps l’eu­tha­na­sie au grand jour dans leurs hôpi­taux, de 12 à 15 par ans selon le rec­teur de son université-sœur fla­man­de, le pro­fes­seur de droit canon Rik Torfs.

Mais ce qui frap­pe le plus c’est que les évê­ques de Belgique aient en sub­stan­ce approu­vé le ren­voi du pro­fes­seur Mercier.

Tout com­me la réti­cen­ce du jour­nal de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne « Avvenire » qui dans son compte-rendu étri­qué de l’affaire – dont on trou­ve­ra une ver­sion plus com­plè­te en ita­lien sur le site Rossoproprosa – a évi­té de pren­dre posi­tion, se limi­tant à un « Il reste à déter­mi­ner le sens des décla­ra­tions du porte-parole de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le bel­ge ».

Pour ne pas par­ler du silen­ce du pape François qui n’a pour­tant jamais man­qué dans d’autres occa­sions de défi­nir l’avortement com­me un « cri­me hor­ri­ble ».

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Il y a en effet une gran­de dif­fé­ren­ce entre hier et aujourd’hui con­cer­nant la maniè­re dont la papau­té et une gran­de par­tie de la hié­rar­chie catho­li­que inter­vien­nent sur l’avortement et l’euthanasie.

Ce qui con­sti­tuait pour les pon­ti­fi­ca­ts pré­cé­den­ts des « prin­ci­pes non négo­cia­bles » sont aujourd’hui deve­nus des réa­li­tés « à discer­ner » et à « médi­ter » aus­si bien en poli­ti­que que dans la pra­ti­que pasto­ra­le.

La con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne et son jour­nal « Avvenire » con­sti­tuent de par­fai­ts exem­ples de cet­te muta­tion.

En février 2009, alors que l’Italie était secouée par le cas d’Eluana Englaro, cet­te jeu­ne fem­me en état végé­ta­tif dont on ôta la vie en débran­chant son ali­men­ta­tion et son hydra­ta­tion, l’actuel direc­teur d’ « Avvenire » Marco Tarquinio avait rédi­gé un édi­to­rial enflam­mé en qua­li­fiant cet acte de « meur­tre ».

De tel­les paro­les sont aujourd’hui ini­ma­gi­na­bles. Le cli­mat a chan­gé.  Il suf­fit de con­sta­ter le déta­che­ment poli­ti­que­ment cor­rect avec lequel « L’Avvenire » rap­por­te et com­men­te la loi actuel­le­ment en discus­sion en Italie sur la décla­ra­tion anti­ci­pée de volon­té, appe­lée DAT, con­cer­nant la pos­si­bi­li­té d’indiquer aux méde­cins les soins à appor­ter pour être main­te­nu en vie ou pas en cas de per­te de con­scien­ce.

Le Professeur Francesco D’Agostino con­sti­tue un exem­ple fla­grant de ce chan­ge­ment de rou­te. Professeur de phi­lo­so­phie du droit à l’Université de Rome Tor Vergata et à l’Université Pontificale du Latran, pré­si­dent de l’Union des Juristes Catholiques Italiens, pré­si­dent hono­rai­re du comi­té natio­nal ita­lien pour la bio­é­thi­que, mem­bre de l’académie pon­ti­fi­ca­le pour la vie, édi­to­ria­li­ste à « L’Avvenire », il est, pour le dire autre­ment, la réfé­ren­ce histo­ri­que de l’Eglise ita­lien­ne pour ce qui con­cer­ne les que­stions bio­é­thi­ques.

La let­tre que nous repro­dui­sons ci-dessous met juste­ment en exer­gue le con­tra­ste entre ce qu’écrit aujourd’hui le pro­fes­seur D’Agostino sur les décla­ra­tions anti­ci­pées de trai­te­ment et ce qu’il écri­vait sur le même sujet il y a dix ans.

L’auteur de la let­tre est l’avocat Antonio Caragliu, du bar­reau de Trieste, lui aus­si mem­bre de l’Union des Juristes Catholiques Italiens.

Deux remar­ques pour mieux com­pren­dre ce docu­ment :

- Maître Mario Marazziti est dépu­té depuis 2013 et pré­si­dent de la com­mis­sion des affai­res socia­les char­gée de la loi DAT et mem­bre de tout pre­mier plan de la Communauté Sant’Egidio dont il a été le porte-parole pen­dant de nom­breu­ses années ;

- Mgr Nunzio Galantino est le secré­tai­re géné­ral de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne et est direc­te­ment lié au pape François qui l’a per­son­nel­le­ment nom­mé à ce poste en 2013 et l’a recon­fir­mé jusqu’en 2019, il est dans les fai­ts l’éditeur uni­que du jour­nal «L’ Avvenire » sur lequel il gar­de un droit de con­trô­le entier et pres­sant.

Voici donc la let­tre.

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Cher M. Magister,

Je trou­ve inté­res­sant de con­fron­ter l’éditorial du pro­fes­seur Francesco D’Agostino publié sur « L’Avvenire » du 30 mars 2017 inti­tu­lé « Il faut une bon­ne loi sur les décla­ra­tions anti­ci­pées. Cela n’est pas de l’euthanasie.  L’histoire deman­de du cou­ra­ge » avec un autre édi­to­rial qu’il publiait il y a dix ans, tou­jours dans « L’Avvenire », le 6 avril 2007, qui por­tait ce titre évo­ca­teur : « Un glis­se­ment sour­nois vers l’euthanasie ».

En 2007, M. D’Agostino sou­te­nait que les décla­ra­tions anti­ci­pées de volon­té ne pou­va­ient être légi­ti­mes qu’à cer­tai­nes con­di­tions seu­le­ment, par­mi lesquel­les il évo­quait les sui­van­tes :

  1. Que le méde­cin desti­na­tai­re de la décla­ra­tion anti­ci­pée, tout en ayant le devoir de bien les pren­dre en comp­te, ne soit jamais lié par la loi à les obser­ver stric­te­ment (exac­te­ment com­me le méde­cin d’un patient « capa­ble » ne peut jamais se tran­sfor­mer en exé­cu­teur aveu­gle et pas­sif des deman­des de ce der­nier) ;
  2. Que le refus des thé­ra­pies n’inclue pas l’hydratation et l’alimentation arti­fi­ciel­le, ces der­niè­res devant être con­si­dé­rées com­me des « for­mes pré-médicales de besoins vitaux dotées d’une très gran­de valeur sym­bo­li­que et éthi­que dont la suspen­sion revien­drait en pra­ti­que à une for­me, par­ti­cu­liè­re­ment sour­noi­se par­ce qu’indirecte, d’euthanasie ».

Pour étayer cela, D’Agostino citait le docu­men­te du comi­té natio­nal de bio­é­thi­que du 18 décem­bre 2003 sur les « Déclarations anti­ci­pées de volon­té ».

Or, l’article 3 du pro­jet de loi actuel­le­ment exa­mi­né par la com­mis­sion des affai­res socia­les pré­si­dée par Maître Mario Marazziti ne respec­te ni l’une ni l’autre de ces con­di­tions.

Malgré cela, le pro­fes­seur D’Agostino écrit que « le pro­jet de loi n’a en aucun cas pour but d’introduire en Italie une régle­men­ta­tion qui léga­li­se l’euthanasie ». Au con­trai­re, seul « un inter­prè­te de mau­vai­se foi et mal­veil­lant » pour­rait abou­tir à une tel­le con­clu­sion à tra­vers une « inter­pré­ta­tion for­cée ».

Il ne faut pas s’étonner que de nom­breux juri­stes ita­liens aient été sur­pris par le retour­ne­ment de veste du pro­fes­seur D’Agostino qui pré­si­de leur orga­ni­sa­tion.

Un retour­ne­ment qui, à mon avis, trou­ve son ori­gi­ne dans l’approbation en sub­stan­ce du pro­jet de loi aujourd’hui en exa­men qu’a expri­mé par le secré­tai­re géné­ral de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne, Nunzio Galantino, lors de la con­fé­ren­ce de pres­se à l’issue du con­seil per­ma­nent de la con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le ita­lien­ne du 26 jan­vier 2017.

Voici ce que Mgr Galantino a décla­ré :

« La com­mis­sion des affai­res socia­les pré­si­dée par Maître Mario Marazziti est en train de pré­pa­rer un tex­te qu’il faut exa­mi­ner avec inté­rêt. Il est appa­ru clai­re­ment qu’il ne faut pas attri­buer tout le pou­voir à la per­son­ne par­ce que l’autodétermination mena­ce l’alliance entre le patient, le méde­cin et la famil­le et finir par abou­tir au triom­phe de l’individualisme ».

En som­me, pour Mgr Galantino, le tex­te en exa­men con­sti­tue un bon com­pro­mis. Tout cela reste par­fai­te­ment en ligne avec la poli­ti­que désor­mais bien con­nue du secré­tai­re géné­ral de la CEI qui est atten­tif à évi­ter tout affron­te­ment entre les catho­li­ques et le gou­ver­ne­ment de centre-gauche au pou­voir.  Comme si l’action des catho­li­ques en poli­ti­que devait être dic­tée par les orien­ta­tions du pré­lat de ser­vi­ce, lui dans le cas pré­sent, dans une éniè­me for­me de clé­ri­ca­li­sme.

La situa­tion est pour le moins déplai­san­te à de nom­breux poin­ts de vue.

Il serait sou­hai­ta­ble que le pro­fes­seur D’Agostino, celui de 2007, qui est une per­son­ne intel­li­gen­te et com­pé­ten­te, met­te les cho­ses au point avec le pro­fes­seur D’Agostino de 2017. Et qu’il en débat­te avec Mgr Galantino.  Sans tout lui pas­ser.

Salutations distin­guées,
Antonio Caragliu
Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 10/04/2017