Dans la nomination des nouveaux évêques chinois, Pékin dame le pion à Rome.  Le cas du Fujian

Les « pau­vres ouï­gours » que le Pape François a cité pour la pre­miè­re fois par­mi les per­sé­cu­tés dans un pas­sa­ge de son der­nier livre qui sor­ti­ra en plu­sieurs lan­gues le 1er décem­bre, ont mono­po­li­sé ces der­niers jours l’information con­cer­nant les rap­ports entre le Vatican et la Chine.

En effet, la réac­tion immé­dia­te et polé­mi­que du gou­ver­ne­ment chi­nois – qui a reje­té l’accusation du Pape, la qua­li­fiant de « pri­vée de maté­ria­li­té dans les fai­ts », étant don­né la « plé­ni­tu­de des droi­ts d’existence, de déve­lop­pe­ment et de liber­té de croyan­ce reli­gieu­se dont jouis­sent tous les grou­pes eth­ni­ques » en Chine a mis a nu les rai­sons de la Realpolitik d’un si long silen­ce aus­si bien de François que des plus hau­tes sphè­res de l’Église sur l’une des per­sé­cu­tions reli­gieu­ses à gran­de échel­le la plus systé­ma­ti­que qui est actuel­le­ment à l’œuvre en Chine (sur la pho­to, un camp de « réé­du­ca­tion ») ; un silen­ce qui n’a jusqu’ici été rom­pu que par les dénon­cia­tions iso­lées des car­di­naux Joseph Zen Zekiun, évê­que émé­ri­te de Hong Kong, et de Charles Maung Bo, arche­vê­que de Yangon.

Cependant, le coup de ton­ner­re sur la que­stion des musul­mans ouï­gours a occul­té une autre infor­ma­tion impor­tan­te : la pre­miè­re nomi­na­tion d’un évê­que catho­li­que adve­nue selon les moda­li­tés de l’accord secret rati­fié entre le Saint-Siège et la Chine le 22 sep­tem­bre 2018 et pro­ro­gé le mois der­nier pour deux années sup­plé­men­tai­res.

C’est Thomas Chen Tianhao, 58 ans, qui est l’évêque nou­vel­le­ment nom­mé.  Il a été pla­cé à la tête du dio­cè­se de Qingdao, dans la riche pro­vin­ce côtiè­re du Shandong.

Ce dio­cè­se était vacant depuis juin 2018, après le décès à 94 ans de son pré­dé­ces­seur, Joseph Li Mingshu, un évê­que recon­nu aus­si bien par le Saint-Siège que par les auto­ri­tés de Pékin mais qui était ouver­te­ment sou­mis à ces der­niè­res et en par­ti­cu­lier à l’Association patrio­ti­que des catho­li­ques chi­nois, l’instrument de con­trô­le le plus intru­sif de l’Église catho­li­que en Chine, dont le chef suprê­me a été pen­dant des décen­nies Antoine Liu Bainian, qui était lui aus­si ori­gi­nai­re du Shandong.

La con­sé­cra­tion du nou­vel évê­que s’est dérou­lée le 23 novem­bre en la cathé­dra­le de Qingdao.  Elle a été pré­si­dée par l’évêque de Linyi, Jean Fang Xingyao, qui est éga­le­ment pré­si­dent de l’Association patrio­ti­que et vice-président du Conseil des évê­ques, une con­fé­ren­ce épi­sco­pa­le fan­to­che qui ne réu­nit que les évê­ques recon­nus par le régi­me et à laquel­le revient – en ver­tu des dispo­si­tion des l’accord secret pour autant qu’on puis­se le devi­ner – le choix et la pro­po­si­tion au pape de tout nou­vel évê­que, moyen­nant une « élec­tion » télé­gui­dée de ce der­nier dans son dio­cè­se respec­tif, par des repré­sen­tan­ts du cler­gé, des reli­gieu­ses et des laïcs encar­tés au par­ti uni­que.

C’est l’agence Asia News de l’Institut pon­ti­fi­cal des mis­sions étran­gè­res de Paris qui le con­fir­me, en fai­sant remar­quer que dans la for­mu­le de con­sé­cra­tion du nou­vel évê­que de Qingdao, « on a cité le man­dat du con­seil des évê­ques mais on n’a rien dit du Pape ni du Saint-Siège ».  Son « élec­tion » préa­la­ble se serait dérou­lée le 19 novem­bre 2019.

Tout com­me son pré­dé­ces­seur, sinon enco­re plus, Chen, le nou­vel évê­que, est lui aus­si un hom­me du régi­me, puisqu’il est cadre depuis long­temps, tant au niveau local que natio­nal, de cet­te Association patrio­ti­que dont les hau­ts digni­tai­res éta­ient d’ailleurs pré­sen­ts en nom­bre à l’ordination.

Dans la let­tre de 2007 de Benoît XVI à l’Église de Chine – un docu­ment qui fait tou­jours offi­ce de « magna car­ta » en la matiè­re – il est écrit que « la fina­li­té décla­rée [de l’Association patrio­ti­que] de met­tre en œuvre « les prin­ci­pes d’in­dé­pen­dan­ce et d’au­to­no­mie, d’au­to­ge­stion et d’ad­mi­ni­stra­tion démo­cra­ti­que de l’Église » est incon­ci­lia­ble avec la doc­tri­ne catho­li­que. »

Mais les con­si­gnes pra­ti­ques four­nies par Rome au cler­gé et aux évê­ques chi­nois le 28 juin 2019 ont élar­gi l’espace discré­tion­nai­re des inscrip­tions à l’Association patrio­ti­que, for­te­ment sou­hai­tées par le régi­me.

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Pour reve­nir à l’accord de 2018 sur la nomi­na­tion des évê­ques, il faut recon­naî­tre qu’elle a eu le méri­te de met­tre fin aux nomi­na­tions uni­la­té­ra­les qui était effec­tuées par le gou­ver­ne­ment chi­nois de sa pro­pre ini­tia­ti­ve, sans aucun accord de Rome, avec pour con­sé­quen­ce l’excommunication des évê­ques en que­stion.

Mais le nom­bre de dio­cè­ses vacant est resté très éle­vé.  Le nom­bre de ceux qui ont un évê­que à leur tête ne s’élève qu’à 74, soit bien moins que les 135 dio­cè­ses et pré­fec­tu­res apo­sto­li­ques que comp­te la Chine, sans comp­ter Hong Kong et Macao, et tou­jours moins que les 104 dio­cè­ses uni­la­té­ra­le­ment redes­si­nés et éri­gés par le gou­ver­ne­ment sans l’approbation de Rome.

Le 24 novem­bre, la sal­le de pres­se du Vatican a annon­cé qu’on « pré­voyait d’autres con­sé­cra­tions épi­sco­pa­les par­ce que plu­sieurs pro­ces­sus pour les nou­vel­les nomi­na­tions épi­sco­pa­les sont en cours ».

Mais com­bler les vides ne sera pas une tâche faci­le, par­ce que cha­que dio­cè­se en Chine est un cas par­ti­cu­lier qui exi­ge des solu­tions spé­ci­fi­ques et sou­vent ardues, com­me le mon­tre un inté­res­sant essai publié le 16 novem­bre sur UCA News par l’anthropologue et théo­lo­gien fra­nçais Michel Chambon :

> Does China real­ly need more bishops ?

Le Fujian, cet­te pro­vin­ce côtiè­re située face à l’île de Taïwan, con­sti­tue un cas d’école pour com­pren­dre à quel point les cho­ses sont com­pli­quées.

Selon la car­to­gra­phie vati­ca­ne, le Fujian con­tient qua­tre dio­cè­ses et deux pré­fec­tu­res apo­sto­li­ques ; le long de la côte, à par­tir du nord, le dio­cè­se de Xiapu-Mindong, l’archidiocèse de Fuzhou et le dio­cè­se de Xiamen et, à l’intérieur des ter­res, le dio­cè­se de Changting ain­si que les pré­fec­tu­res de Jian’ou et de Shaowu.

Selon la car­to­gra­phie du gou­ver­ne­ment, en revan­che, le dio­cè­se de Changting est inclus dans celui de Xiamen et les deux pré­fec­tu­res apo­sto­li­ques ont été fusion­nées en un nou­veau dio­cè­se, celui de Minbei.

Donc, si l’on s’en tient à cet­te secon­de car­to­gra­phie, que le Vatican suit aus­si dans la pra­ti­que, voi­ci l’état des lieux.

Dans le dio­cè­se de Xiapu-Mindong, avant l’accord de 2018, la plus gran­de par­tie des fidè­les et du cler­gé était sou­ter­rain, c’est-à-dire pri­vée de la recon­nais­san­ce du gou­ver­ne­ment, et était diri­gée par un évê­que lui aus­si sou­ter­rain, recon­nu uni­que­ment par Rome, Vincent Guo Xijin.  Mais il y avait éga­le­ment une peti­te mino­ri­té de catho­li­ques offi­ciels, diri­gés par un évê­que instal­lé uni­la­té­ra­le­ment par le gou­ver­ne­ment chi­nois et frap­pé d’excommunication, Vincent Zhan Silu.

Avec l’accord, Rome a fait tom­ber l’excommunication, nom­mé Zhan titu­lai­re du dio­cè­se et rétro­gra­de Guo au rang d’auxiliaire.  Mgr Guo accep­te tout en refu­sant d’adhérer, com­me le régi­me l’exige, à cet­te « Église indé­pen­dan­te » qui pour lui et pour ses fidè­les con­ti­nue à être con­si­dé­rée com­me « incon­ci­lia­ble » avec la foi catho­li­que.  Victime de mesu­res de rétor­sions de plus en plus for­tes, qui lui valent d’être chas­sé de sa mai­son et d’être tota­le­ment pri­vé de liber­té, dans un silen­ce assour­dis­sant du Saint-Siège, il finit par démis­sion­ner de tou­tes ses fonc­tions publi­ques la veil­le même du renou­vel­le­ment de l’accord.  Et il est faci­le de com­pren­dre com­bien l’opposition entre offi­ciels et sou­ter­rains reste for­te dans le dio­cè­se de Xiapu-Mindong.

En revan­che, dans l’archidiocèse de Fuzhou, l’un des plus peu­plés de Chine, avec 300.000 fidè­les, 102 prê­tres et 500 reli­gieu­ses, l’opposition se joue au sein de l’Église sou­ter­rai­ne et a une lon­gue histoi­re.  Avant l’accord de 2018, une par­tie du cler­gé et des fidè­les sou­te­nait l’évêque instal­lé par Rome, Pierre Lin Jiashan, tan­dis qu’une autre par­tie bien plus nom­breu­se et com­bat­ti­ve, se méfiait de lui, le con­si­dé­rant com­me étant trop impa­tient de se sou­met­tre au régi­me.  Pour apai­ser les ten­sions, entre 2007 et 2016, Rome avait même suspen­du Lin pour le rem­pla­cer par un admi­ni­stra­teur apo­sto­li­que, mais en vain.

Et en effet, quand le 9 juin 2020 Lin, âgé de 86 ans, obtint fina­le­ment la recon­nais­san­ce gou­ver­ne­men­ta­le et signa l’adhésion à l’« Église indé­pen­dan­te », nom­breux sont ceux qui dans le dio­cè­se se sont sen­tis tra­his aus­si bien par lui que par le Vatican.  Et les ten­sions sont deve­nues plus vives que jamais.

En com­pa­rai­son, le petit dio­cè­se de Xiamen sem­ble être une oasis de tran­quil­li­té, diri­gée com­me il l’est par un évê­que recon­nu depuis long­temps aus­si bien par Rome que par Pékin et paci­fi­que­ment accep­té par les fidè­les, Joseph Cai Bingrui, 54 ans.

Le dio­cè­se de Minbei en revan­che est depuis des décen­nies pri­vé d’évêque et n’est cer­tai­ne­ment pas prêt d’en avoir un.  Il recou­vre un ter­ri­toi­re mon­ta­gneux et rural, grand com­me pre­sque la moi­tié de la pro­vin­ce du Fujian.  Les com­mu­nau­tés catho­li­ques sont peti­tes et disper­sées, pri­vées d’un cler­gé pro­pre et des­ser­vi par des prê­tres venu de l’extérieur.

L’un de ces prê­tres, le plus actif depuis de nom­breu­ses années, pro­vient du dio­cè­se voi­sin de Xiapu-Mindong et, pré­ci­sion uti­le, appar­tient au cer­cle de cet ambi­tieux évê­que ex-excommunié qui le diri­ge aujourd’hui.  De ce fait, ce prê­tre fait déjà fonc­tion d’administrateur du dio­cè­se vacant de Minbei.  Mais si jamais il deve­nait évê­que, on s’attend à ce qu’il ren­con­tre­ra une for­te oppo­si­tion au sein des fidè­les, à cau­se de sa pro­xi­mi­té avec l’évêque ancien­ne­ment excom­mu­nié, déjà très for­te­ment con­tro­ver­sé dans son pro­pre dio­cè­se de Xiapu-Mindong.

En outre, les catho­li­ques de cet­te région sem­blent pré­fé­rer rester sans évê­que – et donc moins insti­tu­tion­na­li­sés – notam­ment pour rester sous le radar des auto­ri­tés chi­noi­ses.  Ils s’appliquent à eux-mêmes le dic­ton qui dit « C’est le pre­mier oiseau qui s’envole qui est abat­tu ».  Mieux vaut fai­re pro­fil bas, sans évê­que, sur­tout s’il appar­tient au régi­me, que de subir une répres­sion enco­re plus for­te que cel­le qui est déjà là.

Pour résu­mer, qua­tre dio­cè­ses avec qua­tre situa­tions très dif­fé­ren­tes entre elles.  Le Fujan illu­stre par­fai­te­ment la com­ple­xi­té de la struc­tu­re de l’Église chi­noi­se.

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 30/11/2020