Chevaliers de Malte. La double vérité sur ces 30 millions

La répon­se d’Eugenio Ajroldi di Robbiate, direc­teur du ser­vi­ce com­mu­ni­ca­tion de l’Ordre de Malte publiée le 23 mars par Settimo Cielo sur “le mystè­re de ces 30 mil­lions de francs suis­ses” n’e­st pas pas­sée ina­pe­rçue auprès d’au­tres che­va­liers de l’Ordre, pro­ches des moti­va­tions de l’ex-Grand Maître Fra’ Matthew Festing, con­traint de remet­tre sa démis­sion le 24 jan­vier der­nier entre les mains du pape François en per­son­ne.

La let­tre qui suit en témoi­gne.  Elle éma­ne d’u­ne per­son­ne bien infor­mée des affai­res de l’Ordre et con­tient de nom­breu­ses infor­ma­tions qui à leur tour démen­tent, cor­ri­gent ou recon­tex­tua­li­sent les affir­ma­tions du porte-parole offi­ciel.

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Cher M. Magister,

Parfois, même les respon­sa­bles de la com­mu­ni­ca­tion exter­ne des gran­des orga­ni­sa­tions publient des infor­ma­tions erronées ou impré­ci­ses.  L’Ordre de Malte ne fait pas excep­tion à la règle, d’au­tant qu’il a récem­ment été à la sour­ce d’u­ne gran­de con­fu­sion, tout par­ti­cu­liè­re­ment en ce qui con­cer­ne le tru­st CPVG néo-zélandais avec fidu­ciai­re suis­se, com­me­nçant par en nier d’a­bord l’e­xi­sten­ce avant d’entre­te­nir une gran­de con­fu­sion sur les liti­ges juri­di­ques qui ont oppo­sé l’Ordre et le tru­st.

Des pré­ci­sions sont néces­sai­res au sujet de la der­niè­re pri­se de posi­tion de l’Ordre, afin d’en cor­ri­ger ou d’en démen­tir le con­te­nu.

Albrecht Freiherr von Boeselager n’a pas été limo­gé en tant que mem­bre élu du Souverain Conseil mais bien par­ce qu’u­ne pro­cé­du­re disci­pli­nai­re avait été ouver­te à son encon­tre.  C’est cela qui avait entraî­né sa suspen­sion en tant que mem­bre de l’Ordre et donc la déchéan­ce auto­ma­ti­que de sa char­ge de Grand Chancelier.  Toute la pro­cé­du­re avait été exa­mi­née par l’Avocat d’Etat de l’Ordre qui en avait con­fir­mé la vali­di­té.  Toutes les détails se trou­va­ient dans un com­mu­ni­qué publié sur le site de l’Ordre, puis sup­pri­mé.  Le Grand Maître en avait joint une copie à une let­tre envoyée aux nom­breu­ses per­son­na­li­tés liées à l’Ordre le 14 jan­vier 2017.  Au cours des 15 der­niè­res années, deux autres mem­bres du Souverain Conseil, tous deux ita­liens, ava­ient démis­sion­né de leurs fonc­tions sur deman­de du Grand Maître.

Le Grand Maître, com­me le con­fir­me le rap­port de la Commission d’éthi­que de l’Ordre insti­tuée par lui en 2015, avait appris la distri­bu­tion des pré­ser­va­tifs et des pilu­les abor­ti­ves (entre 2004 et 2014 puis à nou­veau en 2015) par Malteser International fin 2014 à la sui­te d’u­ne réu­nion des Hospitaliers de l’Ordre qui s’é­tait dérou­lée à Hong Kong.  Après la mise sur pied de la Commission d’éthi­que et la publi­ca­tion du rap­port (début 2016), le Grand Maître avait deman­dé l’a­vis du Cardinal Gerhard Müller, pré­fet de la Congrégation pour la doc­tri­ne de la foi (12 mars 2016) après quoi les pres­sions sur Boeselager ont com­men­cé.  Il n’y a donc eu aucun débat en pré­sen­ce du Grand Maître et du Souverain Conseil con­cer­nant la distri­bu­tion de moyens con­tra­cep­tifs et de pilu­les abor­ti­ves avant fin 2014, com­me l’a d’ail­leurs con­fir­mé le Grand Maître dans une let­tre datée du 8 avril 2016.

Dans la let­tre datée du 14 jan­vier 2017 dont nous avons déjà par­lé, le Grand Maître anno­nçait qu’il avait con­sti­tué une com­mis­sion pro­fes­sion­nel­le inter­ne à l’Ordre pour fai­re la clar­té sur l’af­fai­re du tru­st néo-zélandais.  A par­tir de là, les évé­ne­men­ts qui ont mené à la démis­sion for­cée du Grand Maître lui-même se sont enchaînés très rapi­de­ment.  Il est évi­dent que per­son­ne ne tient à ce que la lumiè­re soit fai­te sur le tru­st, son argent et sa pro­ve­nan­ce. C’est donc une impré­ci­sion de décla­rer que la com­mis­sion inter­ne n’e­xi­stait pas; sa con­sti­tu­tion avait au con­trai­re été annon­cée offi­ciel­le­ment.

Le pro­cès con­tre la fidu­ciai­re du tru­st CPVG avait été ouvert après le dépôt par deux per­son­nes phy­si­ques d’u­ne plain­te au pénal auprès du par­quet le 26 avril 2013.  A la même date, le mini­stè­re public ouvrait une instruc­tion péna­le con­tre X pour “gestion déloya­le qua­li­fiée, abus de con­fian­ce et blan­chi­ment d’ar­gent”.  L’Ordre de Malte et l’Ordre hospi­ta­lier de Saint Jean de Dieu ont à leur tour por­té plain­te au pénal con­tre la même fidu­ciai­re en se joi­gnant à la cau­se le 10 mai 2013.

Le patri­moi­ne du tru­st CPVG fut mis sous séque­stre le 29 avril 2013.  Une requê­te de la fidu­ciai­re du tru­st visant à obte­nir la levée du séque­stre sur les fonds fut reje­tée par la cham­bre péna­le d’ap­pel de la Court de Justice de Genève le 30 avril 2014.  Depuis lors, les fonds se trou­vent tou­jours sous séque­stre.

Concernant le pré­su­mé con­flit d’in­té­rê­ts, rap­pe­lé et moti­vé par le Grand Maître dans sa let­tre du 14 jan­vier 2017, dans le chef de trois mem­bres de la com­mis­sion nom­mée par la Secrétairerie d’Etat le 21 décem­bre 2016, il serait fort sur­pre­nant que cet­te même Secrétairerie d’Etat admet­te un tel con­flit.

L’Ordre a affir­mé que sur les 30 mil­lions de francs suis­ses géné­reu­se­ment don­nés par le tru­st CPVG, 3 mil­lions ont déjà été ver­sés.

Or il se fait qu’en­tre 2012 et 2013, M. Marc Odendall, on ne sait avec quel­le auto­ri­té, avait négo­cié une dona­tion “à l’Ordre de Malte” d’en­vi­ron 2 mil­lions d’eu­ros (et non 3 mil­lions de francs suis­ses) avec la fidu­ciai­re du tru­st CPVG.  Sur ces deux mil­lions, envi­ron 1 mil­lion ont été ver­sés à Malteser International (mais peut-être que Boeselager, com­me pour les pré­ser­va­tifs, ne s’en était pas ape­rçu).

En outre, 100.000 francs suis­ses ava­ient été don­nés à une fon­da­tion appe­lée “Caritatis in Veritate” pré­si­dée par Mgr Silvano Tomasi, en tant que pro­jet sou­te­nu par Odendall en sa qua­li­té de repré­sen­tant de l’Ordre inter­na­tio­nal de Malte (sic).  En 2014, alors que les fonds éta­ient sous séque­stre, Tomasi et Odendall ain­si que Marwan Senhaoui entre­pri­rent de con­vain­cre le Grand Chancelier de l’é­po­que, Jean-Pierre Mazery, de signer une tran­sac­tion avec la fidu­ciai­re du tru­st.  Rejoints par Boeselager, deve­nu Grand Chancelier après Mazery, ils con­ti­nuè­rent à sol­li­ci­ter le Grand Maître au cours des années sui­van­tes.  Le 21 décem­bre 2016, ces trois per­son­nes ont été nom­mée dans la com­mis­sion insti­tuée par la Secrétairerie d’Etat.

La déci­sion de reti­rer la plain­te con­tre le tru­st CPVG de Genève aurait été pri­se par le gou­ver­ne­ment de l’Ordre en 2016.  Mais il fau­drait défi­nit plus pré­ci­sé­ment ce gou­ver­ne­ment de l’Ordre.  En réa­li­té ni le Grand Maître, qui a refu­sé jusqu’au bout d’au­to­ri­ser la signa­tu­re, ni le Souverain Conseil qui, aux dires de cer­tains de ses mem­bres, n’au­rait jamais abor­dé de suje­ts rela­tifs au tru­st n’ont pris déli­bé­ré­ment la déci­sion de reti­rer cet­te plain­te.  Cela signi­fie que ce que l’on entend par “gou­ver­ne­ment de l’Ordre” n’e­st pas clair et ce con­cept ne figu­re d’ail­leurs ni dans la Constitution ni dans le Code de l’Ordre.

On fait éga­le­ment men­tion d’u­ne déci­sion de reti­rer la plain­te pri­se en jan­vier 2017 alors que tous les actes de gou­ver­ne­ment pris au cours de la pério­de com­pri­se entre le 6 décem­bre 2016 et le 28 jan­vier 2017 ont été décla­rés nuls tout d’a­bord par la Secrétairerie d’Etat (le 25 jan­vier 2017) et ensui­te par le Souverain Conseil qui, le 28 jan­vier 2017, en a rati­fié l’e­xé­cu­tion.  On aurait donc dû suspen­dre tou­te action et atten­dre qu’un nou­veau Grand Maître soit entré en fonc­tion avant de signer la tran­sac­tion.

Concernant la desti­na­tion de la dona­tion, nous espé­rons qu’el­le ne ser­ve pas à ache­ter des pré­ser­va­tifs mais qu’el­le soit allouée à des pro­je­ts huma­ni­tai­res sous la plei­ne gou­ver­nan­ce de l’Ordre et non à un grou­pu­scu­le d’al­le­mands via des orga­ni­sa­tions qu’ils con­trô­lent.

Restent les dou­tes légi­ti­mes qui pèsent sur l’o­ri­gi­ne de ces 30 mil­lions de francs suis­ses.  Il sem­ble­ra­ient qu’ils pro­vien­nent en fait d’u­ne fon­da­tion au Liechtenstein appe­lée Malta Stiftung après avoir tran­si­té par un Malta tru­st de droit néo-zélandais avant d’ê­tre tran­sfé­rés au CPVG tru­st, lui aus­si de droit néo-zélandais.  Mais au cours de du pro­cès ayant oppo­sé l’Ordre à la fidu­ciai­re, les noms de deux fon­da­tions éta­blies à Panama et celui d’un autre tru­st néo-zélandais ava­ient éga­le­ment été cités.  Etranges iti­né­rai­res.

Bien à vous,
(let­tre signée)

Un arti­cle de Sandro Magister, vati­ca­ni­ste à L’Espresso.

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Date de publication: 28/03/2017