Un seul État pour Juifs et Palestiniens. Au Vatican, ce n’est plus un tabou

En novembre dernier, « La Civilità Cattolica » publiait un article-choc intitulé « Ripensare la ripartizione della Palestina ? » dans lequel on lisait qu’en lieu et place de la solution à deux État, l’heure était venue de miser plutôt sur « l’égalité des Israéliens et des Palestiniens quel que soit le cadre politique vers lequel la situation puisse évoluer », y compris dans un seul et même État.

Le fait que l’auteur de l’article soit le célèbre jésuite Juif et Israélien David M. Neuhaus et que « La Civiltà Cattolica », selon ses statuts, ne sort de presse qu’après avoir reçu l’approbation préalable, ligne par ligne, du Pape et de la Secrétairerie d’État, avait incité Settimo Cielo à annoncer l’article sous ce titre : « Une patrie commune pour Juifs et Palestiniens. Le Vatican abandonne la solution à deux États ».

Mais par la suite, les choses ont évolué dans une autre direction. Le 9 janvier suivant, lors du discours de début d’année au corps diplomatique, le Pape François a de nouveau exhorté « l’État d’Israël » et « l’État de Palestine » à « mettre en œuvre la solution à deux États ».

Une volte-face annoncée puis tuée dans l’œuf ? Il n’en est rien. Parce que dans son dernier numéro, dans un article intitulé « Gli ebrei di cultura araba » et toujours sous la plume du P. Neuhaus, « La Civiltà Cattolica » a de nouveau fait miroiter « la perspective d’un futur dans lequel les Juifs pourraient vivre aux côtés des Arabes dans une paix juste et une égalité réconciliée », non pas à deux États mais à un seul.

Les fondements de cet espoir – écrit le P. Neuhaus – sont enracinés dans un passé pas si lointain, quand au moins un million de Juifs « non seulement parlaient arabe mais faisaient également partie intégrante de la culture arabe » en Afrique du Nord, de l’Égypte au Maroc comme en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen, avec d’importantes communautés judéo-arabes à Casablanca, à Tunis, à Tripoli, au Caire, à Alexandrie, à Beyrouth, à Damas, à Sanaa ou à Bagdad.

La fondation de l’État d’Israël s’est heurtée à une opposition frontale avec le monde arabe et donc à l’extinction rapide et quasi-totale, et parfois même violente, des communautés juives qui vivaient dans ces pays. La photo reproduite ci-dessus, publiée dans « La Civiltà Cattolica », montre justement un groupe de Juifs yéménites en vol vers l’État d’Israël qui venait de naître.

Mais il n’est pas dit qu’il faille totalement renoncer – soutient le P. Neuhaus – à cette extraordinaire « symbiose arabo-juive » qui a duré pendant des siècles et qui « a vu naître quelques-uns des plus grands esprits de l’histoire juive », comme le médecin, philosophe et juriste andalous du XIIe siècle Moïse Maïmonide, pour n’en citer qu’un seul.

Pendant des siècles, ces Juifs arabes ont utilisé trois langues : l’hébreu pour la Bible, les rites et les lois, l’arabe pour s’adresser au monde environnant et le judéo-arabe pour la vie ordinaire dans les communautés. Le P. Neuhaus assume à nouveau cette histoire et ses personnages dans des pages fascinantes.

Aujourd’hui, les héritiers de cette histoire qui se sont établis en Israël sont communément appelés « séfarades » mais préfèrent être identifiés en tant que « mizrahim », juifs orientaux. Ils se trouvent en position de minorité face à l’élite culturelle, sociale et économique du Pays, composée principalement de Juifs « ashkénazes » d’origine européenne. Et ces derniers ont été déterminants pour favoriser l’ascension de la droite politique et religieuse en Israël, de Menahem Begin à Benyamin Netanyahu, avec un sentiment anti-arabe diffus allant de pair – remarque le P. Neuhaus – « non sans une certaine ambivalence » avec « une redécouverte progressive d’une fierté pour leur singulier héritage religieux, social, culturel et culinaire judéo-arabe ».

La confirmation de cette ambivalence – écrit le P. Neuhaus – se trouve déjà dans le nom de leur parti appelé Shas, du nom du rabbin orthodoxe Ovadia Yossef, né à Bagdad sous le nom arabe d’Abdallah.

Avec onze de ses membres dans la coalition aujourd’hui au pouvoir en Israël et l’une de ses figures de proue, le rabbin Moshe Arbel, comme ministre de l’Intérieur, le parti Shas a récemment surpris tout le monde en condamnant avec vigueur le terrible ravage par les colons Juifs de la localité palestinienne d’Huwara, près de Naplouse, en représailles pour la mort de deux Juifs.

Auparavant, le parti Shas s’était distingué à plusieurs reprises par son soutien aux initiatives de dialogue avec les Palestiniens, y compris avec accord d’Oslo, selon le principe des « deux États pour les deux peuples ».

Et aujourd’hui que la solution à deux États apparaît toujours plus impraticable, ce sont justement les Juifs issus du monde arable qui sont les plus enclins à faire revivre sous une nouvelle forme leur passé de cohabitation pacifique entre les deux peuples à l’intérieur des mêmes frontières.

C’est en tout cas ce qu’écrit aujourd’hui un Juif et citoyen d’Israël dans « La Civiltà Cattolica ». La diplomatie vaticane l’a lu à l’avance et a donné son aval à la publication. La solution à deux États n’est pas enterrée, mais elle n’est plus la seule sur la table.

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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire L’Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur ce site en langue française.

Ainsi que l’index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.

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Date de publication: 10/05/2023