En relayant l’information selon laquelle c’était le cardinal George Pell qui était le véritable auteur du mémorandum signé « Demos » qui a circulé parmi les cardinaux au printemps dernier et qui a été publié par Settimo Cielo, quelques grands noms de la presse écrite m’ont attribué à moi, Sandro Magister, « un long historique de documents secrets reçus par le Vatican » que j’aurais rendus publics.
En effet, les documents importants sur lesquels j’ai brisé le secret sont au nombre de sept, en l’espace de ces vingt dernières années. Mais seuls deux d’entre eux ont été « reçus du Vatican ». Et dans tous les cas, sans que cela n’ait rien à voir avec la fuite de documents d’un tout autre genre qui donna matière aux procès des « Vatileaks ».
Je crois donc que mes lecteurs pourraient être curieux de savoir quels ont été ces sept documents et surtout par quels moyens ils sont parvenus à Settimo Cielo et auparavant sur le blog intitulé www.chiesa.
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LE PREMIER des sept a été la note que le cardinal Joseph Ratzinger, Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, a envoyée en 2004 aux évêques des États-Unis sur la question de la communion eucharistique aux politiciens catholiques « pro choice ».
La direction de la Conférence épiscopale américaine, où le cardinal Theodor McCarrick pesait lourdement, n’avait pas vraiment apprécié cette note et l’avait gardée sous clé mais l’un des rares évêques à l’avoir eue en main me l’a envoyée. Et je l’ai publiée, apprenant par la suite que Ratzinger en a été bien content.
LE SECOND a été un document élaboré en Crète en 2008 par une commission conjointe catholico-orthodoxe, qui faisait le point sur les possibles convergences entre l’Église de Rome et les Église d’Orient concernant la primauté du Pape.
Le document était secret, mais m’a été envoyé en janvier 2018 par le patriarcat de Constantinople, et je l’ai publié le 25 du même mois, le dernier jour de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Le cardinal Walter Kasper, à l’époque président du Conseil pontifical pour l’œcuménisme, avait a suspecté que je l’avais reçue illégalement en le subtilisant dans un bureau du Vatican. Mais ce n’était pas le cas.
Le dialogue entre les deux parties finit par capoter, principalement à cause des réticences du patriarcat de Moscou qui supportait déjà mal l’existence d’un autre primat historique en plus de celui de Rome, celui de Constantinople pour les Églises orthodoxes. Mais ce document reste important parce qu’il constitue le point d’entente le plus avancé jamais atteint à l’heure actuelle entre le catholicisme et l’orthodoxie, sur la question très clivante du primat du pape.
LE TROISIÈME document est l’encyclique du Pape François « Laudato Si’ ». Son inauguration en grande pompe figurait au calendrier du Vatican pour le jeudi 18 juin 2015. Mais trois jours auparavant, aux environs de midi le lundi 15, les deux cents pages de l’encycliques firent leur apparition sur le site en ligne de « L’Espresso », l’hebdomadaire dans lequel je publiais.
C’est la pure vérité. Il est apparu à l’écran sous mes yeux, « sorti d’on ne sait où », ais-je écrit sur Settimo Cielo. La personne qui avait reçu le texte de l’encyclique, d’une source qui m’est encore inconnue à ce jour, était le directeur de l’époque de « L’Espresso », Luigi Vicinanza. Naturellement, il a décidé de la publier et m’a demandé d’écrire quelques lignes de présentation. Ce qui me valut la réprobation de celui qui était à l’époque directeur de la salle de presse du Vatican, le P. Federico Lombardi, et quelques heures plus tard d’être chassé de cette même salle de presse.
LE QUATRIÈME document, je l’ai rendu public en octobre de cette même année 2015, quand j’étais encore en exil (je n’ai réintégré la salle de presse du Vatican qu’en décembre). Et elle passa à la postérité comme « la lettre des 13 cardinaux ».
Le précédent de cette publication fut un article publié dans le quotidien « La Stampa » signé par Andrea Tornielli, le futur rédacteur en chef de tous les médias du Vatican, sous le titre « Synode manipulé, l’accusation des 13 prélats. Le Pape réplique : les logiques corporatistes, ça suffit ».
Nous étions le 8 octobre, la seconde session du synode sur la famille venait à peine de s’ouvrir et Tornielli venait de révéler que 13 pères synodaux s’étaient plaints au Pape François le 5 octobre et que figurait parmi eux le cardinal George Pell, défini comme étant « le plus dur ».
François répliqua aux « conspirateurs » la matinée suivante en séance, sans dire précisément à qui il faisait allusion. Ensuite silence radio. Mais deux jours plus tard, le collaborateur de confiance d’un cardinal anglophone qui était au nombre de 13 me remit le texte de leur lettre au Pape ainsi que la liste des signataires.
J’ai publié la lettre et les noms le 12 octobre. Mais bien vite, on découvrit, sur base des réactions suscitées, que le texte que j’avais reproduit n’était la version finale, mais l’avant-dernière version, celle qui avait circulé entre les cardinaux pendant la phase de récolte des signatures, avec quelques lignes supplémentaires par rapport à la lettre qui fut finalement remise au Pape. Et dans la liste qui m’avait été donnée figuraient quelques noms de plus et quelques autres de moins, par rapport à ceux qui avaient effectivement signé la lettre finale.
C’est le vaticaniste Gerard O’Connell qui a contribué à rétablir la liste des signataires, grâce à ses sources, dans la revue des jésuites de New York « America », ce qui lui valut à son tour quelques démentis. Il n’en demeure pas moins que finalement, on finit par obtenir avec certitude et par publier correctement les noms de 11 des 13 signataires. Quant au texte de la lettre, on peut se référer aux déclarations de l’un d’entre eux, le vénézuélien Jorge L. Urosa Savino : « Le texte publié par Magister est correct, mis à part un point de détail, où l’on établit une comparaison avec les Églises protestantes ». Pour être précis, le point supprimé du texte définitif était celui où la lettre mettait en garde le Pape contre le risque de réplique dans le camp catholique également « l’effondrement des Églises protestantes libérales de l’époque moderne, accéléré par leur abandon d’éléments clés de la foi et de la pratique chrétienne au nom de l’adaptation pastorale ».
Pour la petite histoire, les 11 signataires dont nous sommes certains sont les suivants, dans l’ordre alphabétique : Carlo Caffarra, Thomas C. Collins, Daniel N. Di Nardo, Timothy M. Dolan, Willem J. Eijk, Gerhard L. Müller, Wilfrid Fox Napier, John Njue, George Pell, Robert Sarah, Jorge L. Urosa Savino.
LE CINQUIÈME document de la série et celui des fameux « dubia » soumis en Pape François en 2016 par quatre cardinaux, concernant la communion aux divorcés remariés. Après plus de deux mois d’absence de réponse de la part du Pape, les quatre cardinaux me confièrent le soin de publier le document lui-même en plusieurs langues, ce qui fut réalisé le 14 novembre.
Ces quatre cardinaux étaient : Walter Brandmüller, Raymond L. Burke, Carlo Caffarra, Joachim Meisner.
LE SIXIÈME document est la lettre que le Pape émérite Benoît a écrite le 7 février 2018 à Dario Viganò, qui était à l’époque à la tête des médias du Vatican, dans laquelle il déclinait la demande de rédiger une page introductive d’éloge à une série de onze fascicules sur la pensée théologique et philosophique du Pape François, rédigée par plusieurs auteurs parmi lesquels l’Allemand Peter Hünermann, adversaire irréductible de langue date du Ratzinger théologien, et l’artiste jésuite Marko Ivan Rupnik, dont on allait seulement découvrir quelques années plus tard les comportements déplorables, mais qui était à l’époque au sommet de sa gloire et qui était également le directeur spirituel de ce même Viganò.
Dans sa présentation à la presse de ces fascicules, le 12 mars, Viganò a lu à voix haute trois paragraphes ainsi que les salutations de la lettre du Pape émérite, donnant ainsi l’impression de l’avoir lue en entier.
Le communiqué suivant de la salle de presse ne reproduisait cependant que les deux premiers paragraphes de courtoisie de la lettre. Et même les journalistes et les télévisions se sont basés sur cela pour répandre la nouvelle, en insistant bien sur « la profonde formation philosophique et théologique » de François et « la continuité intérieure entre les deux pontificats ».
Je pris alors soin de récupérer l’enregistrement audio des déclarations de Viganò, qui transcrivait à vive voix le troisième paragraphe de la lettre, le paragraphe du « non » sec de Benoît et de son avis négatif sur les fascicules, et je l’ai publié sur Settimo Cielo.
Mais l’on comprit bien vite, sur base des photos truquées par le Vatican (voir ci-dessus) et des investigations minutieuses de Nicole Winfield d’Associated Press, qu’il devait il y avoir encore quelque chose d’écrit dans la lettre du Pape Benoît. Je parvins à en retrouver le contenu grâce à une source qui avait eu lecture de la lettre intégrale et j’en rendis compte en termes sommaires, y compris la référence polémique de Ratzinger sur Hünermann. Après quoi les services des médias du Vatican finirent par s’avouer vaincu et par publier le texte intégral de la lettre de Benoît.
ET LE SEPTIÈME document de la série, dont j’ai tenu le nom du véritable auteur secret tant qu’il était encore en vie, c’est donc bien le mémorandum de George Pell qui a tant fait parler de lui ces derniers jours, pour ses critiques sévères contre le pontificat de François. Je l’ai reçu le 5 mars 2022 directement des mains du cardinal, afin qu’il soit publié sous la signature de « Demos ». Ce qui fut fait sur Settimo Cielo le 12 mars.
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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire L’Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur ce site en langue française.
Ainsi que l’index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.