Le procès du siècle implique le Pape. Qui risque également un incident avec la Chine

On peut en effet y lire que « cer­tai­nes infor­ma­tions four­nies par l’archevêque de Vilnius (Lituanie) con­cer­nant le man­que de sécu­ri­té » du systè­me infor­ma­ti­que du Vatican. Et Mgr Peña Parra appor­te cet­te pré­ci­sion : « Un neveu de l’archevêque, expert en la matiè­re, avait décou­vert que la Chine avait péné­tré notre systè­me infor­ma­ti­que et nous en avions eu la pre­u­ve ».

Vulnérabilité infor­ma­ti­que mise à part, le tableau que Mgr Peña Parra dres­se de la Secrétairerie d’État et en par­ti­cu­lier de son ser­vi­ce admi­ni­stra­tif, diri­gé à l’époque par Mgr Alberto Perlasca, est tout à fait inter­pel­lant.

« Le Saint-Père – peut-on y lire – avait lan­cé une révi­sion comp­ta­ble du ser­vi­ce admi­ni­stra­tif et des fonds de la Secrétairerie d’État, et celle-ci aurait dû être ache­vée avant l’arrivée en fonc­tion du nou­veau sub­sti­tut », c’est-à-dire de Mgr Peña Parra à la pla­ce de son pré­dé­ces­seur, Mgr Becciu.

Mais il n’en fut rien. Mgr Perlasca – écrit Mgr Peña Parra – justi­fiait ce man­que­ment en pré­ten­dant que « la Secrétairerie d’État avait vécu ces der­niè­res années une pério­de très dif­fi­ci­le avec Le Secrétariat pour l’Économie, à cau­se des pré­ten­tions du car­di­nal George Pell de pren­dre le con­trô­le de tou­te l’administration du Saint-Siège, ce qui reve­nait à inter­fé­rer avec les com­pé­ten­ces pro­pres de la Secrétairerie d’État en matiè­re admi­ni­stra­ti­ve. Deuxièmement, Mgr Perlasca était d’avis qu’aussi bien le pré­cé­dent révi­seur géné­ral, M. Liberto Milone, que l’actuel révi­seur géné­ral, M. Alessandro Cassinis Righini, n’étaient pas des per­son­nes dignes de con­fian­ce ».

Mgr Peña Parra écrit que le révi­seur et lui-même ava­ient insi­sté à plu­sieurs repri­ses pour que la volon­té du Pape soit respec­tée. Mais en vain. Le ser­vi­ce admi­ni­stra­tif fai­sait « la grè­ve du zèle » sans chan­ger d’une vir­gu­le son « modus ope­ran­di » systé­ma­ti­que, qu’il décrit ain­si :

« Il s’agissait d’un méca­ni­sme dans lequel on met le supé­rieur sous pres­sion, en le pous­sant à agir dans l’urgence en pré­tex­tant des con­sé­quen­ces ‘cata­stro­phi­ques’ du sty­le : ‘Si on ne signe pas tout de sui­te, on risque de per­dre une for­tu­ne’. […] À de nom­breu­ses repri­ses, j’étais inter­rom­pu à l’improviste même quand je rece­vais des ambas­sa­deurs, des évê­ques, etc., pour signer des docu­men­ts urgen­ts qui, selon eux, ne pou­va­ient pas atten­dre la fin des entre­tiens. […] Le leit­mo­tiv per­ma­nent était que je ne con­nais­sais pas la ‘machi­ne’ et que donc les incer­ti­tu­des que j’avançais n’étaient pas moti­vées et ne fai­sa­ient que ralen­tir le tra­vail du ser­vi­ce admi­ni­stra­tif ».

Cette mau­vai­se gestion affec­tait éga­le­ment l’argent en pos­ses­sion de la Secrétairerie d’État qui était dépo­sé dans trois fonds d’investissement et répar­tis dans pas moins de trei­ze ban­ques, avec des con­tra­ts respec­tifs « pre­sque tou­jours rédi­gés en faveur de leur con­tre­par­tie ». Sans par­ler des « gra­ves erreurs » de comp­ta­bi­li­té, qui « gon­fla­ient exa­gé­ré­ment la valeur du patri­moi­ne géré par la Secrétairerie d’État », éva­lué à un cer­tain moment à 603 mil­lions d’euros alors qu’il n’était que de 425 mil­lions.

Bref, « la gestion tout entiè­re était orien­tée spé­cu­la­tion finan­ciè­re et non pas pré­ser­va­tion en bon père de famil­le du patri­moi­ne de la Secrétairerie d’État ».

Et la désa­streu­se affai­re de Londres ? Selon Mgr Peña Para, elle a été ‘le chef d’œuvre du ser­vi­ce admi­ni­stra­tif, dans lequel on retrou­ve tou­tes les cri­ti­ques ci-dessus et bien d’autres que l’imagination humai­ne aurait du mal à con­ce­voir. Par exem­ple quand on est allé cher­cher la lie de la finan­ce inter­na­tio­na­le pour fai­re affai­re avec eux ».

*

La secon­de par­tie de la note de Mgr Peña Parra con­cer­ne juste­ment les déve­lop­pe­men­ts de l’opération de Londres à par­tir de la fin du mois de novem­bre 2018, et dont il s’est lui-même occu­pé en tant que sub­sti­tut, non pas seul, mais en com­pa­gnie du Secrétaire d’État, du car­di­nal Pietro Parolin, et du Pape François en per­son­ne.

Le 22 novem­bre 2018, pres­sé par Mgr Perlasca de don­ner le feu vert à une ini­tia­ti­ve finan­ciè­re défi­nie com­me « urgen­tis­si­me » pour mener à bien l’acquisition de l’immeuble de Londres, Mgr Peña Parra a exi­gé qu’il rédi­ge d’abord un « mémo­ran­dum visant à sou­met­tre cet­te deman­de au car­di­nal Secrétaire d’État et au Saint-Père afin qu’ils ren­dent leur avis sur la que­stion ».

À cet effet, le diman­che 25 novem­bre, le Substitut a deman­dé et obte­nu un « entre­tien urgent avec le Saint-Père », dont la répon­se sera un « oui » avec pré­cau­tion : « Il m’a deman­dé de tenir comp­te de deux cho­ses, qu’il a d’ailleurs répé­tées à plu­sieurs repri­ses : 1) ‘essayons de per­dre le moins pos­si­ble’ et 2) ‘il faut tour­ner la page et recom­men­cer depuis le début’ ».

Le jour sui­vant, lun­di 26 novem­bre, le car­di­nal Parolin don­ne à son tour son appro­ba­tion, en retour­nant à Mgr Peña Parra le mémo­ran­dum avec en bas cet­te anno­ta­tion écri­te à la main dans un ita­lien un peu ban­cal :

« Après avoir lu ce mémo­ran­dum, à la lumiè­re de l’explication four­nie hier soir par Mgr Perlasca et M. Tirabassi, ayant eu des assu­ran­ces sur la soli­di­té de l’opération (qui don­ne­ra des avan­ta­ges au Saint-Siège), sur sa trans­pa­ren­ce et l’absence de risques de répu­ta­tion (aus­si ceux qui sont liés à la gestion du Fonds GOF sera­ient réso­lus) je suis favo­ra­ble à la pas­sa­tion du con­trat ».

Le Fonds GOF (Global Opportunity Fund), auquel le car­di­nal Parolin fait allu­sion, était l’un des trois fonds d’investissement dans lequel la Secrétairerie d’État avait inve­sti de l’argent, pour être exact 200 mil­lions de dol­lars qui ava­ient aupa­ra­vant été dépo­sés dans les ban­ques suis­ses BSI et UBS, dont le car­di­nal pré­fet du Secrétariat pour l’Économie, le car­di­nal George Pell à l’époque, avait ordon­né que l’on clô­tu­re les comp­tes. Le Fonds GOF, uti­li­sé pour inve­stir dans l’affaire de Londres, était géré par le finan­cier Raffaele Mincione.

L’opération a donc été réa­li­sée. « Avec le con­sen­te­ment du Saint-Père et du car­di­nal Secrétaire d’État – écrit Mgr Peña Parra – nous avons pro­cé­dé à affi­ner l’opération de rachat de la socié­té pro­prié­tai­re de l’immeuble, en signant l’accord en date du 27 novem­bre 2018 ».

Mais il fal­lait enco­re récu­pé­rer mil­le actions en pos­ses­sion d’un autre finan­cier, Gianluigi Torzi, qui deman­dait, pour les céder, 10 mil­lions d’euros.

Les hypo­thè­ses ini­tia­le­ment envi­sa­gées par la Secrétairerie d’État éta­ient les sui­van­tes : « 1) ouvrir un con­ten­tieux con­tre M. Torzi ; 2) récu­pé­rer le plein con­trô­le de l’actif (et donc quan­ti­fier la valeur de ces mil­le actions) ».

C’est la secon­de solu­tion qui a été adop­tée, non seu­le­ment par­ce qu’elle était « con­si­dé­rée com­me étant la plus éco­no­mi­que et la moins risquée », mais sur­tout par­ce que « elle était stric­te­ment ali­gnée avec la volon­té Supérieure », c’est-à-dire avec la volon­té du Pape. Ce der­nier avait non seu­le­ment encou­ra­gé la Secrétairerie d’État à pro­cé­der de la sor­te, mais c’est lui-même qui avait lan­cé les négo­cia­tions, com­me Mgr Peña Parra le rela­te dans la note :

« Samedi, le 22 décem­bre 2018, le Saint-Père m’a deman­dé de me ren­dre à Sainte-Marthe où il m’a pré­sen­té M. Giuseppe Milanese, […] que je ren­con­trais pour la pre­miè­re fois, ain­si que M. Manuele Intendente, […] dont j’apprendrai par la sui­te qu’il s’agissait d’un des avo­ca­ts de M. Torzi, tan­dis que M. Milanese était une con­nais­san­ce du Saint-Père. […] Le jour sui­vant, j’ai jugé bon de deman­der des éclair­cis­se­men­ts au ser­vi­ce admi­ni­stra­tif con­cer­nant ce que j’avais appris lors de cet­te ren­con­tre à Sainte-Marthe. […] En l’absence de Mgr Perlasca, qui était déjà par­ti en vacan­ces de Noël, j’ai con­vo­qué M. Tirabassi dans mon bureau ». Fabrizio Tirabassi, lui aus­si au nom­bre des incul­pés dans ce pro­cès, était le numé­ro deux du ser­vi­ce admi­ni­stra­tif de la Secrétairerie d’État. »

Quelques jours plus tard, le 26 décem­bre, jour de la fête de saint Étienne, le Pape François reçoit à nou­veau M. Torzi à Sainte-Marthe, avec sa famil­le, il se fait pho­to­gra­phier avec lui (voir ci-contre), et il en réfè­re à Mgr Peña Parra qui rap­por­te ain­si dans sa note ce que le Pape François lui a con­fié :

« Tous mes efforts […] éta­ient et sont tou­jours moti­vés par le désir de met­tre en pra­ti­que la volon­té Supérieure, mani­fe­stée notam­ment lors de l’entrevue avec M. Torzi du 26 décem­bre 2018, c’est-à-dire de ‘per­dre le moins pos­si­ble et de repren­dre depuis le début’ ».

Une troi­siè­me ren­con­tre entre le Pape et M. Torzi a lieu peu après, et voi­ci ce qu’en dit Mgr Peña Parra :

« Les pre­miers jours du mois de jan­vier 2019, le Saint-Père a reçu en audien­ce M. Torzi en com­pa­gnie de M. Intendente, de M. Renato Giovannini, de M. Milanese et de moi-même. Au cours d’un bref entre­tien, le Pape François a tenu à réaf­fir­mer à M. Torzi qu’il appré­ciait ce tout qu’il avait fait pour la Secrétairerie d’État, qu’il avait char­gé le Substitut de réor­ga­ni­ser lar­ge­ment la gestion patri­mo­nia­le et finan­ciè­re de la Secrétairerie d’État et que Sa volon­té était de ‘tour­ner la page et de recom­men­cer depuis le début’. Cette volon­té Supérieure est deve­nue pour nous le point de for­ce dans notre négo­cia­tion avec M. Torzi, qui n’a jamais pu nier la volon­té expres­se du Saint-Père ».

Les mil­le actions furent effec­ti­ve­ment acqui­ses par la Secrétairerie d’État le 2 mai 2019, au prix de 10 mil­lions d’euros.

Ce qui n’a pas empê­ché Mgr Peña Parra d’écrire dans la note d’être « par­ve­nu à la con­vic­tion que la Secrétairerie d’État avait été vic­ti­me d’une arna­que », à cau­se de la maniè­re dont le chef du ser­vi­ce admi­ni­stra­tif avait œuvré au préa­la­ble, « con­trai­gnant dans les fai­ts la Secrétairerie d’État, lors de la réso­lu­tion du con­trat, à payer M. Torzi » cet­te som­me énor­me :

« Par sa signa­tu­re pré­ma­tu­rée et non auto­ri­sée par ses supé­rieurs, Mgr Perlasca avait cédé à M. Torzi non seu­le­ment les mil­le actions, mais sur­tout le droit exclu­sif de gestion de l’immeuble, […] cau­sant de ce fait un dom­ma­ge patri­mo­nial con­si­dé­ra­ble pour le Saint-Père et tou­te l’Église ».

Il est un fait que la récu­pé­ra­tion de ces mil­le actions a été négo­ciée et con­clue avec le Pape François com­me acteur prin­ci­pal, si l’on s’en tient à ce qui est écrit dans la note infor­ma­ti­que de Mgr Peña Parra, ren­due publi­que par la volon­té du Pape lui-même.

Interrogé lors de l’instruction du pro­cès con­tre Becciu et con­sorts, Mgr Perlasca a con­fir­mé cet­te impli­ca­tion du Pape, tout en étant rapi­de­ment rap­pe­lé à l’ordre par le pro­mo­teur de justi­ce Alessandro Diddi : « Monseigneur, ce que vous dites n’a rien à voir ! Avant de fai­re ce que nous som­mes en train de fai­re, nous som­mes allés voir le Saint-Père et nous lui avons deman­dé ce qui s’était pas­sé, et nous pou­vons dou­ter de tout le mon­de sauf du Saint-Père ».

Rendu public par un avo­cat de la défen­se lors de l’audience du pro­cès de ce 17 novem­bre der­nier, ce pas­sa­ge de l’interrogatoire de Mgr Perlasca a pous­sé le pro­cu­reur Diddi à se rétrac­ter et à nier avoir inter­ro­gé le pape.

Mais il est désor­mais éta­bli que le Pape François figu­re par­mi les pro­ta­go­ni­stes de l’affaire qui est en train d’être jugée au Vatican. Et si les accu­sés l’appelaient à la bar­re ? La gran­de incon­nue sera com­ment dénouer ce sac de nœuds.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 3/01/2022