Gloria a Dio perché sia pace in terra. Un livre inédit du Pape Benoît

Le livre sera en ven­te à par­tir de ce 10 mai mais Settimo Cielo vous pro­po­se d’en décou­vrir les nou­veau­tés les plus atten­dues : un tex­te de Joseph Ratzinger daté du 29 sep­tem­bre 2014 et qui n’a enco­re jamais été publié avant aujourd’hui sur la que­stion du fon­de­ment des droi­ts humains, qui – écrit-il – sont ancrés dans la en un Dieu créa­teur ou ne sont pas.

Il s’agit d’un tex­te d’une lim­pi­di­té cri­stal­li­ne que Ratzinger a rédi­gé dans sa retrai­te vati­ca­ne, un an et demi après sa démis­sion com­me pape, pour com­men­ter un livre – par la sui­te publié en 2015 sous le titre défi­ni­tif « Diritti uma­ni e cri­stia­ne­si­mo. La Chiesa alla pro­va del­le moder­ni­tà » — de son ami Marcello Pera, phi­lo­so­phe de l’école libé­ra­le et ancien pré­si­dent du sénat ita­lien.

Dans son com­men­tai­re, le « pape émé­ri­te » ana­ly­se l’immixtion des droi­ts de l’homme dans la pen­sée laï­que et chré­tien­ne de la deu­xiè­me moi­tié du ving­tiè­me siè­cle en tant qu’alternative aux dic­ta­tu­res tota­li­tai­res en tout gen­re, athées au isla­mi­ques. Et il expli­que pour­quoi « dans ma pré­di­ca­tion et dans mes écri­ts, j’ai tou­jours affir­mé la cen­tra­li­té de la que­stion de Dieu ».

La rai­son est juste­ment d’assurer aux droi­ts de l’homme leur fon­de­ment de véri­té, sans lequel les droi­ts se mul­ti­plient jusqu’à s’autodétruire et l’homme finit par se nier lui-même.

Le volu­me dans lequel va para­î­tre ce tex­te, ain­si que d’autres tex­tes de Ratzinger sur le lien entre foi et poli­ti­que, est édi­té en Italie par Cantagalli :

> Joseph Ratzinger-Benedetto XVI, “Liberare la liber­tà. Fede e poli­ti­ca nel ter­zo mil­len­nio”, Pierluca Azzaro et Carlos Granados dir., pré­fa­ce du Pape François, Cantagalli, Sienne, 2018, pp. 208, 18 EUR.

C’est le second d’une col­lec­tion de sept volu­mes inti­tu­lés “Joseph Ratzinger – Textes choi­sis” sur les thè­mes fon­da­men­taux de la pen­sée de Ratzinger théo­lo­gien évê­que et pape, publiés en même temps en plu­sieurs lan­gues et dans plu­sieurs pays : en Allemagne par Herder, en Espagne par BAC, en France par Parole et Silence, en Pologne par KUL et aux Etats-Unis par Ignatius Press.

Les deux volu­mes parus à ce jour sont pré­fa­cé par le Pape François.

Voici ci-dessous le tex­te iné­dit qui ouvre le second volu­me de la col­lec­tion. Le sous-titre est l’original de Ratzinger en per­son­ne.

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Sans Dieu, les droits de l’homme s’effondrent

Éléments pour une discussion sur le livre de Marcello Pera « La Chiesa, i diritti umani e il distacco da Dio ».

de Joseph Ratzinger

Ce livre repré­sen­te sans aucu­ne dou­te un défi majeur pour la pen­sée con­tem­po­rai­ne et aus­si, par­ti­cu­liè­re­ment, pour l’Eglise et la théo­lo­gie. Le hia­tus entre les affir­ma­tions des papes du XIXè siè­cle et la nou­vel­le vision qui com­men­ce avec « Pacem in ter­ris » est évi­den­te et l’on a beau­coup débat­tu à ce sujet.  Elle se trou­ve aus­si au cœur de l’opposition de Lefèbvre et de ses par­ti­sans con­tre le Concile.  Je ne me sens pas en mesu­re de four­nir une répon­se clai­re à la pro­blé­ma­ti­que sou­le­vée par votre livre ; je me limi­te­rai donc à fai­re quel­ques remar­ques qui, à mon sens, pour­ra­ient être impor­tan­tes pour une discus­sion ulté­rieu­re.

1.  Ce n’est que grâ­ce à votre livre qu’il m’est appa­ru clai­re­ment dans quel­le mesu­re « Pacem in ter­ris » est à l’origine d’une nou­vel­le orien­ta­tion. J’étais con­scient de l’ampleur de l’impact de cet­te ency­cli­que sur la poli­ti­que ita­lien­ne : c’est elle qui a don­né l’impulsion déci­si­ve pour l’ouverture à gau­che de la Démocratie Chrétienne. Je n’étais en revan­che pas con­scient du nou­veau départ qu’elle a con­sti­tué, notam­ment par rap­port aux idéaux fon­da­men­taux de ce par­ti. Et néan­moins, pour autant que je m’en sou­vien­ne, ce n’est qu’avec Jean-Paul II que la que­stion des droi­ts de l’homme a acquis une impor­tan­ce de pre­mier plan dans le Magistère et dans la théo­lo­gie postconciliaire.A par­tir de là, cet­te affir­ma­tion ne con­cer­nait plus seu­le­ment les dic­ta­tu­res athées mais éga­le­ment les États fon­dés sur base d’une justi­fi­ca­tion reli­gieu­se com­me on en trou­ve sur­tout dans le mon­de musul­man. À la fusion du poli­ti­que et du reli­gieux dans l’islam, qui limi­te néces­sai­re­ment la liber­té des autres reli­gions et donc aus­si cel­le des chré­tiens, on oppo­se la liber­té de con­scien­ce qui con­si­dè­re dans une cer­tai­ne mesu­re l’État laï­que lui-même com­me étant la for­me juste de l’État, une for­me qui don­ne de l’espace à cet­te liber­té de con­scien­ce récla­mée par les chré­tiens depuis le début. En cela, Jean-Paul II savait qu’il était en pro­fon­de con­ti­nui­té avec les ori­gi­nes de l’Église. Il se trou­vait devant un État qui con­nais­sait la tolé­ran­ce reli­gieu­se, bien sûr, mais qui iden­ti­fiait auto­ri­té publi­que et auto­ri­té divi­ne, ce que les chré­tiens ne pou­va­ient accep­ter. La foi chré­tien­ne, qui anno­nçait une reli­gion uni­ver­sel­le pour tous les hom­mes, incluait néces­sai­re­ment une limi­ta­tion fon­da­men­ta­le de l’autorité de l’État en rai­son des droi­ts et des devoirs de la con­scien­ce indi­vi­duel­le.

Ce n’est pas en ces ter­mes que l’idée des droi­ts de l’homme était for­mu­lée. Il s’agissait plu­tôt de fixer l’obéissance de l’homme à Dieu com­me limi­te de l’obéissance à l’État. Cependant, il ne me sem­ble pas justi­fié de défi­nir le devoir d’obéissance de l’homme à Dieu com­me un droit par rap­port à l’État. Et à cet égard, il était par­fai­te­ment logi­que que Jean-Paul II, devant la rela­ti­vi­sa­tion chré­tien­ne de l’État en faveur de la liber­té de l’obéissance à Dieu, vit ain­si s’exprimer un droit humain qui pré­cé­dait tou­te auto­ri­té de l’État. Je crois qu’en ce sens le Pape ait pu affir­mer qu’il y avait cer­tai­ne­ment une pro­fon­de con­ti­nui­té entre l’idée de fond des droi­ts de l’homme et la tra­di­tion chré­tien­ne, même si bien sûr les instru­men­ts respec­tifs, les mots et la pen­sée éta­ient très éloi­gnés l’un de l’autre.

J’ai l’impression qu’en ce qui con­cer­ne le Saint Pape, il ne s’agisse pas tant du résul­tat d’une réfle­xion (même si elles sont nom­breu­ses chez lui) que de la con­sé­quen­ce d’une expé­rien­ce pra­ti­que. Contre l’emprise tota­li­tai­re de l’Etat mar­xi­ste et de son idéo­lo­gie sous-jacente, il a vu dans cet­te idée des droi­ts de l’homme l’arme con­crè­te en mesu­re de limi­ter le carac­tè­re tota­li­tai­re de l’État, offrant ain­si l’espace de liber­té néces­sai­re non seu­le­ment pour la pen­sée de l’individu mais aus­si et sur­tout pour la foi des chré­tiens et pour les droi­ts de l’Église. L’image sécu­lai­re des droi­ts de l’homme, selon la for­mu­la­tion qu’on leur a don­née en 1948, lui est appa­rue de tou­te évi­den­ce com­me la for­ce ration­nel­le qui con­tre­ba­la­nçait la pré­ten­tion uni­ver­sel­le, au niveau idéo­lo­gi­que et pra­ti­que, de l’Etat fon­dé sur le mar­xi­sme. C’est ain­si qu’en tant que pape, il a affir­mé que la recon­nais­san­ce des droi­ts de l’homme était une for­ce recon­nue par la rai­son uni­ver­sel­le dans le mon­de entier con­tre les dic­ta­tu­res de tou­te sor­te.

2.  A mon avis, dans la doc­tri­ne de l’homme fait à l’image de Dieu, on retrou­ve fon­da­men­ta­le­ment ce que Kant affir­me quand il défi­nit l’homme com­me une fin et non com­me un moyen. On pour­rait éga­le­ment dire qu’elle con­tient l’idée que l’homme est sujet et non pas seu­le­ment objet de droit. Cet élé­ment con­sti­tu­tif de l’idée des droi­ts de l’homme est à mon sens expri­mée clai­re­ment dans la Genèse : « Quant au sang, votre prin­ci­pe de vie, j’en deman­de­rai comp­te à tout ani­mal et j’en deman­de­rai comp­te à tout hom­me ; à cha­cun, je deman­de­rai comp­te de la vie de l’homme, son frè­re. Si quelqu’un ver­se le sang de l’homme, par l’homme son sang sera ver­sé. Car Dieu a fait l’homme à son ima­ge. » (Gn 9, 5–6). Le fait d’être créé à l’image de Dieu inclut le fait que la vie de l’homme soit pla­cée sous la pro­tec­tion spé­cia­le de Dieu et le fait que l’homme, par rap­port aux lois humains, soit titu­lai­re d’un droit instau­ré par Dieu lui-même.Sauf erreur de ma part, Jean-Paul II con­ce­vait son enga­ge­ment en faveur des droi­ts de l’homme dans une con­ti­nui­té avec l’attitude adop­tée par l’Eglise pri­mi­ti­ve envers l’État romain. De fait, le man­dat du Seigneur de fai­re de tou­te les nations des disci­ples avait créé une situa­tion nou­vel­le dans le rap­port entre la reli­gion et État. Jusqu’à cet­te épo­que, aucu­ne reli­gion ne pré­ten­dait à l’universalité. La reli­gion con­sti­tuait une par­tie essen­tiel­le de l’identité de cha­que socié­té. Le man­dat de Jésus ne signi­fie pas qu’il fail­le exi­ger une tran­sfor­ma­tion de la struc­tu­re des socié­tés indi­vi­duel­les mais il exi­ge tou­te­fois que dans cha­que socié­té, on don­ne la pos­si­bi­li­té d’accueillir son mes­sa­ge et de vivre en con­for­mi­té avec celui-ci.

Il en décou­le sur­tout en pre­mier lieu une nou­vel­le défi­ni­tion de la natu­re même de la reli­gion : celle-ci n’est plus un rite ou une obser­van­ce qui garan­tit en défi­ni­ti­ve l’identité de l’État. Elle est en revan­che recon­nais­san­ce (foi) et pré­ci­sé­ment recon­nais­san­ce de la véri­té. Puisque l’esprit de l’homme a été créé pour la véri­té, il est clair que la véri­té obli­ge mais non pas dans le sens d’une éthi­que du devoir de type posi­ti­vi­ste mais bien à par­tir de la natu­re de la véri­té même qui, pré­ci­sé­ment de cet­te maniè­re, rend l’homme libre. Ce lien entre reli­gion et véri­té com­prend un droit à la liber­té qu’il est légi­ti­me de con­si­dé­rer en pro­fon­de con­ti­nui­té avec le noyau authen­ti­que de la doc­tri­ne des droi­ts de l’homme, com­me l’a évi­dem­ment fait Jean-Paul II.

Une tel­le con­cep­tion a acquis une impor­tan­ce fon­da­men­ta­le au début des temps moder­nes avec la décou­ver­te de l’Amérique. Tous les nou­veaux peu­ples ren­con­trés n’étaient pas bap­ti­sés, c’est ain­si que s’est posée la que­stion de savoir s’ils ava­ient des droi­ts ou pas. Selon l’opinion domi­nan­te, ils ne deve­na­ient des suje­ts de droi­ts à pro­pre­ment par­ler que par le bap­tê­me. La recon­nais­san­ce qu’ils éta­ient à l’image de Dieu en ver­tu de la créa­tion — et qu’ils demeu­ra­ient tels même après le péché ori­gi­nel – signi­fiait qu’ils éta­ient déjà des suje­ts de droit avant le bap­tê­me et que donc ils pou­va­ient pré­ten­dre au respect de leur huma­ni­té. À mon sens, il me sem­ble qu’il s’agissait là d’une recon­nais­san­ce des « droi­ts de l’homme » qui pré­cè­dent l’adhésion à la foi chré­tien­ne et au pou­voir de l’état, quel que soit sa natu­re spé­ci­fi­que.

3.  Vous avez à juste titre con­si­dé­ré com­me fon­da­men­ta­le l’idée augu­sti­nien­ne de l’État et de l’histoire en la plaçant à la base de votre vision de la doc­tri­ne chré­tien­ne et de l’État. Toutefois, le point de vue d’Aristote aurait méri­té une atten­tion plus gran­de enco­re. Pour autant que je puis­se en juger, elle n’a eu que peu d’importance dans la tra­di­tion de l’Église médié­va­le, d’autant plus qu’elle fut adop­tée par Marsile de Padoue pour s’opposer au magi­stè­re de l’Église. Elle a ensui­te été repri­se de plus en plus, à par­tir du XIXe siè­cle quand on a com­men­cé à déve­lop­per la doc­tri­ne socia­le de l’Église. On par­tait alors d’un dou­ble ordre : l’ordo natu­ra­lis et l’ordo super­na­tu­ra­lis ; là où l’on con­si­dé­rait que l’ordo natu­ra­lis se suf­fi­sait à lui-même. On a expres­sé­ment mis en évi­den­ce que l’ordo super­na­tu­ra­lis était un ajout libre de l’ordre de la grâ­ce pure auquel on ne peut pré­ten­dre à par­tir de l’ordo natu­ra­lis.

En con­strui­sant un ordo natu­ra­lis qu’il est pos­si­ble d’appréhender de façon pure­ment ration­nel­le, on ten­tait de bâtir une base argu­men­ta­ti­ve grâ­ce à laquel­le l’Eglise aurait pu fai­re valoir ses posi­tions éthi­ques dans le débat poli­ti­que sur la base de la pure ratio­na­li­té. Et de fait, on retrou­ve dans cet­te vision le fait que même après le péché ori­gi­nel, l’ordre de la créa­tion, bien que bles­sé, n’a pas été com­plè­te­ment détruit. Faire valoir ce qui est authen­ti­que­ment humain là où il n’est pas pos­si­ble de se pré­va­loir de la foi est en soi une posi­tion juste. Elle cor­re­spond à l’autonomie dans le cadre de la créa­tion et à la liber­té essen­tiel­le de la foi. En ce sens, une vision appro­fon­die de l’ordo natu­ra­lis du point de vue de la théo­lo­gie de la créa­tion est justi­fiée, voi­re néces­sai­re, en lien avec la doc­tri­ne ari­sto­té­li­cien­ne de l’État. Mais il y a éga­le­ment des dan­gers :

a) On peut très faci­le­ment oublier la réa­li­té du péché ori­gi­nel et en arri­ver à des for­mes naï­ves d’optimisme qui ne ren­dent pas justi­ce à la réa­li­té.

b) Si l’on con­si­dè­re l’ordo natu­ra­lis com­me une tota­li­té se suf­fi­sant à elle –même et qui n’aurait pas besoin de l’Évangile, on court alors le risque que tout ce qui est spé­ci­fi­que­ment chré­tien ne finis­se par appa­raî­tre com­me une super­struc­tu­re en fin de comp­te super­flue que l’on aurait super­po­sée à l’humain natu­rel. Je me sou­viens en effet qu’on m’a une fois pré­sen­té le brouil­lon d’un docu­ment qui se ter­mi­nait par des for­mu­les très pieu­ses alors que dans tou­te l’argumentation non seu­le­ment Jésus Christ et son évan­gi­le n’apparaissaient nul­le part mais Dieu non plus, ils sem­bla­ient être super­flus. Naturellement, on croyait pou­voir con­strui­re un ordre de la natu­re pure­ment ration­nel, qui n’est pas à pro­pre­ment par­ler véri­ta­ble­ment ration­nel et qui, d’un autre côté, mena­ce de relé­guer tout ce qui est spé­ci­fi­que­ment chré­tien dans le domai­ne du sim­ple sen­ti­ment. C’est là qu’apparaît clai­re­ment la limi­te de la ten­ta­ti­ve de con­ce­voir un ordo natu­ra­lis refer­mé sur lui-même et auto­suf­fi­sant. Le Père de Lubac, dans son « Surnaturel », a cher­ché à démon­trer que Saint Thomas d’Aquin lui-même – dont il se récla­mait pour for­mu­ler cet­te ten­ta­ti­ve – n’avait en réa­li­té pas enten­du cela.

c) L’un des pro­blè­mes fon­da­men­taux d’une tel­le ten­ta­ti­ve con­si­ste dans le fait qu’avec l’oubli de la doc­tri­ne du péché ori­gi­nal naît une con­fian­ce naï­ve en la rai­son qui ne perçoit pas la com­ple­xi­té effec­ti­ve de la con­nais­san­ce ration­nel­le dans le domai­ne éthi­que. Le dra­me de la con­tro­ver­se sur le droit natu­rel mon­tre clai­re­ment que la ratio­na­li­té méta­phy­si­que, qui est pré­sup­po­sée dans ce con­tex­te, n’est pas immé­dia­te­ment évi­den­te. Il me sem­ble que Kelsen avait rai­son quand il disait que déri­ver un devoir de l’être n’est rai­son­na­ble que si Quelqu’un a dépo­sé un devoir dans l’être. Cette thè­se n’était pas digne de discus­sion pour lui. Il me sem­ble donc qu’en défi­ni­ti­ve, tout repo­se sur le con­cept de Dieu. Si Dieu exi­ste, s’il y a un créa­teur, alors même l’être peut par­ler de lui et indi­quer à l’homme un devoir. Dans le cas con­trai­re, l’éthos finit par se rédui­re au prag­ma­ti­sme. C’est pour­quoi dans ma pré­di­ca­tion et dans mes écri­ts, j’ai tou­jours affir­mé la cen­tra­li­té de la que­stion de Dieu. Il me sem­ble que cela soit le point vers lequel con­ver­gent fon­da­men­ta­le­ment la vision de votre livre et ma pen­sée. L’idée des droi­ts de l’homme ne gar­de en der­niè­re ana­ly­se sa soli­di­té que si elle est ancrée dans la foi en Dieu créa­teur. C’est de là qu’elle reçoit à la fois la défi­ni­tion de ses limi­tes et sa justi­fi­ca­tion.

4.  J’ai l’impression que dans votre livre pré­cé­dent, « Perché dob­bia­mo dir­ci cri­stia­ni », vous con­si­dé­riez l’idée de Dieu des grands libé­raux d’une maniè­re dif­fé­ren­te à votre nou­vel ouvra­ge. Dans ce der­nier, elle appa­raît com­me une éta­pe vers la per­te de la foi en Dieu. Au con­trai­re, dans votre pre­mier livre, à mon avis, vous aviez mon­tré de façon con­vain­can­te que, sans l’idée de Dieu, le libé­ra­li­sme euro­péen est incom­pré­hen­si­ble et illo­gi­que. Pour les pères du libé­ra­li­sme, Dieu était enco­re le fon­de­ment de leur vision du mon­de et de l’homme, de sor­te que, dans ce livre, la logi­que du libé­ra­li­sme rend juste­ment néces­sai­re la con­fes­sion du Dieu de la foi chré­tien­ne. Je com­prends que les deux ana­ly­ses soient justi­fiées : d’un côté, dans le libé­ra­li­sme, l’idée de Dieu se déta­che de ses fon­de­men­ts bibli­ques per­dant ain­si len­te­ment sa for­ce con­crè­te ; de l’autre, pour les grands libé­raux, Dieu exi­ste et est incon­tour­na­ble. Il est pos­si­ble d’accentuer l’un ou l’autre aspect du pro­ces­sus. Je crois qu’il est néces­sai­re de les men­tion­ner tous les deux. Mais la vision con­te­nue dans votre pre­mier livre reste pour moi incon­tour­na­ble : c’est-à-dire cel­le selon laquel­le le libé­ra­li­sme, s’il exclut Dieu, perd son fon­de­ment même.

5.  L’idée de Dieu inclut le con­cept fon­da­men­tal de l’homme en tant que sujet de droit, justi­fiant et éta­blis­sant ain­si les limi­tes de la con­cep­tion des droi­ts humains. Dans votre livre, vous avez mon­tré de façon per­sua­si­ve et rigou­reu­se ce qui se pas­se quand on déta­che me con­cept des droi­ts humains de l’idée de Dieu. La mul­ti­pli­ca­tion des droi­ts finit par entraî­ner la destruc­tion de l’idée de droit et abou­tit iné­vi­ta­ble­ment au « droit » nihi­li­ste de l’homme de se nier lui-même : l’avortement, le sui­ci­de, la pro­duc­tion de l’homme com­me un objet devien­nent des droi­ts de l’homme en même temps nient ce der­nier. Ainsi, il res­sort de façon con­vain­can­te de votre livre que l’idée des droi­ts de l’homme sépa­rée de l’idée de Dieu finit par mener non seu­le­ment à la mar­gi­na­li­sa­tion du chri­stia­ni­sme mais en fin de comp­te à sa néga­tion. Ce point, qui me sem­ble être le véri­ta­ble but de votre livre, est très per­ti­nent face à l’actuel évo­lu­tion spi­ri­tuel­le de l’Occident qui nie tou­jours davan­ta­ge ses raci­nes chré­tien­nes et se retour­ne con­tre elles.

 

© Edizioni Cantagalli / Libreria Editrice Vaticana

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
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Date de publication: 8/05/2018