Extrémistes hindous, mais pas seulement. En Inde, c’est l’État qui persécute les chrétiens

Le jour de Pâques, le pre­mier mini­stre indien Narendra Modi a posé un geste inat­ten­du. Il a visi­té la cathé­dra­le catho­li­que de New Delhi. Accueilli par l’archevêque, il a allu­mé un cier­ge devant la sta­tue du Christ res­su­sci­té, s’est entre­te­nu avec les fidè­les, a plan­té un arbre dans le jar­din et a appe­lé à « l’harmonie dans notre socié­té ».

Quelques jours plus tôt, Modi avait éga­le­ment ren­con­tré le chef de l’Église ortho­do­xe syro-malankare. Et à Pâques d’autres lea­ders du Bharatiya Janata Party, le BJP, le par­ti hin­doui­ste au pou­voir, ont visi­té des égli­ses du Kerala, l’État indien dans lequel les catho­li­ques sont les plus repré­sen­tés.

Le car­di­nal George Alencherry, arche­vê­que majeur des catho­li­ques de rite syro-malabar, a com­men­té avec enthou­sia­sme le geste de Modi. Un « bon lea­der », a‑t-il décla­ré, « très ouvert et accueil­lant ». Avec lui et son par­ti, les chré­tiens « n’ont aucu­ne rai­son de se sen­tir en insé­cu­ri­té ».

Mais en est-il bien ain­si ? On ne dirait pas, bien au con­trai­re. Au cours de cet­te même semai­ne sain­te et le jour de Pâques, le dio­cè­se de Jhabua, dans le Madhya Pradesh, a deman­dé une pro­tec­tion poli­ciè­re con­tre des atta­ques per­pé­trées par les extré­mi­stes hin­dous, qui ne tolè­rent pas les éco­les catho­li­ques ouver­tes par le dio­cè­se pour les enfan­ts hors-caste et tri­baux, qui sera­ient, selon eux, des lieux de con­ver­sion for­cée.

Dans un autre dio­cè­se du Madhya Pradesh, celui de Jabalpur, l’évêque Gerald Almeida a été mena­cé d’arrestation pour une rai­son ana­lo­gue. Et ce ne sont là que les der­niers épi­so­des d’une hosti­li­té endé­mi­que con­tre les mino­ri­tés reli­gieu­ses menée par les fran­ges les plus fana­ti­ques de l’hindouisme et du sou­tien qui leur est appor­té par les insti­tu­tions. La pré­si­dent de la Commission pour les droi­ts de l’enfant, Priyank Kanoongo, qui s’acharne sans relâ­che con­tre les éco­les catho­li­ques, a gran­di dans le Rashtriya Swayamsevak Sangh, le RSS, le creu­set histo­ri­que de l’idéologie du natio­na­li­sme hin­dou.

La « fau­te » des catho­li­ques en Inde, pays dans lequel les discri­mi­na­tions de caste, bien qu’elles soient abo­lies par la loi, ont enco­re un poids impor­tant, est avant tout d’appartenir en gran­de par­tie aux castes infé­rieu­res, aux hors-caste, aux grou­pes tri­baux, et d’œuvrer sur­tout pour le bien des milieux plus hum­bles de la popu­la­tion. Même les évê­ques, de plus en plus sou­vent, sont issus de ces milieux.

Mais ce qui a sur­tout déchaî­né l’intolérance, ce sont les con­ver­sions, bien qu’elles soient numé­ri­que­ment très limi­tées. Les inté­gri­stes hin­dous les con­si­dè­rent com­me la peste et ils peu­vent comp­ter depuis plu­sieurs années sur les lois « anti-conversions », déjà approu­vées par une dou­zai­ne d’États. Ce qui est punis­sa­ble, ce sont les con­ver­sions réa­li­sées sous la con­train­te ou la trom­pe­rie, mais en ter­mes si vagues que ces lois per­met­tent des accu­sa­tions et des con­dam­na­tions très lar­ges. Même les Missionnaires de la Charité, les bra­ves sœurs de Sainte Mère Teresa de Calcutta, ont à plu­sieurs repri­se fait les frais de cet­te loi impi­toya­ble. Une loi qui se mon­tre en revan­che très magna­ni­me envers ceux qui font le che­min inver­se et qui se recon­ver­tis­sent, avec même quel­ques avan­ta­ges à la clé.

Les chré­tiens sont 27 mil­lions en Inde, soit 2% de la popu­la­tion tota­le d’1,4 mil­liards d’habitants, et un tiers d’entre eux est catho­li­que. Et mal­gré l’image paci­fi­ste géné­ra­le­ment asso­ciée à la reli­gion hin­doui­ste, sur pla­ce les chré­tiens sont éga­le­ment par­mi les plus per­sé­cu­tés au mon­de. Avec des vio­len­ces en tous gen­res, des éco­les atta­quées, des égli­ses van­da­li­sées, des vil­la­ges incen­diés, que le der­nier rap­port d’Aide à l’Église en détres­se à quan­ti­fié à 279 cas en 2020, à 505 cas en 2021 et à 302 cas pour les sept pre­miers mois de 2022, donc en aug­men­ta­tion con­stan­te.

Mais curieu­se­ment, on en par­le très peu au som­met de l’Église. Le 30 octo­bre 2021, le pre­mier mini­stre Modi a été reçu au Vatican par le Pape François. Cinquante-cinq minu­tes d’entretien, syn­thé­ti­sés dans le com­mu­ni­qué final en ces quel­ques mots laco­ni­ques : « Au cours d’une brè­ve con­ver­sa­tion, on a insi­sté sur les rap­ports cor­diaux entre le Saint-Siège et l’Inde ». Modi a décla­ré avoir invi­té le Pape en Inde. Rien d’autre.

Il est vrai que la hié­rar­chie catho­li­que en Inde con­naît une pério­de dif­fi­ci­le. Le 8 février der­nier, le Pape François a reçu l’ex-évêque de Jalandhar, Franco Mulakkal, acquit­té par le tri­bu­nal de l’accusation d’avoir abu­sé d’une reli­gieu­se. Sans pour autant que le Pape ne le réin­tè­gre dans le dio­cè­se dont il l’avait dépo­sé en 2018, ni dans aucun autre offi­ce d’ailleurs.

Un autre scan­da­le a secoué l’été der­nier le car­di­nal Oswald Gracias, arche­vê­que de Bombay et mem­bre du con­seil des neuf car­di­naux qui assi­ste le Pape dans le gou­ver­ne­ment de l’Église uni­ver­sel­le. Lors d’un appel télé­pho­ni­que qui a fil­tré dans les médias, Gravias ten­tait de con­vain­cre l’évêque de Mysore, Kannikadass William Antony, suspec­té d’avoir eu des enfan­ts de qua­tre maî­tres­ses, de réa­li­ser un test de pater­ni­té dans un hôpi­tal catho­li­que, de maniè­re à « con­trô­ler » les méde­cins et les médias, com­me « indi­qué par Rome ». En réa­li­té, le 7 jan­vier der­nier, l’ordre est arri­vé de Rome pour l’évêque de Mysore de quit­ter son dio­cè­se et de s’abstenir de tout mini­stè­re.

En outre, il règne une for­te agi­ta­tion au sein de l’Église syro-malabare, l’une des plus ancien­nes d’Inde, avec 5 mil­lions de fidè­les. Des pans entiers du cler­gé se sont rebel­lés con­tre le car­di­nal Alencherry, accu­sé de cor­rup­tion dans la ven­te de ter­rains de l’archidiocèse. Il y a eu des cas de sui­ci­des d’une novi­ce et d’un prê­tre. Et sur­tout, le con­flit fron­tal n’a tou­jours pas été réso­lu entre les par­ti­sans d’une réfor­me « lati­ni­san­te » du rituel de la mes­se, approu­vée par Rome, et les défen­seurs de la tra­di­tion anti­que.

Mais mal­gré tous ses défau­ts, l’Église syro-malabare se trou­ve elle aus­si dans la ligne de mire en Inde et souf­fre le même mar­ty­re que tous les catho­li­ques indiens. Et tout cela face au silen­ce de l’Église de Rome.

Un silen­ce qui tom­be éga­le­ment sur d’autres per­sé­cu­tions de catho­li­ques, dans d’autres pays. Comme en Chine. Comme au Nicaragua. Dans ces cas-là, la justi­fi­ca­tion don­née est poli­ti­que : il n’est pas oppor­tun de con­te­ster publi­que­ment le pou­voir en pla­ce, au risque d’empirer les cho­ses.

Mais qu’en est-il en Inde que l’on défi­nit com­me étant « la plus gran­de démo­cra­tie du mon­de » ? Le discours offi­ciel attri­bue les per­sé­cu­tions à des grou­pes de fana­ti­ques. Mais la réa­li­té n’est pas celle-là. C’est éga­le­ment le fait de lois et de juge­men­ts. Il y a en Inde une mul­ti­tu­de de magi­stra­ts, d’administrateurs, de gou­ver­nan­ts, d’avocats et d’associations qui font par­tie inté­gran­te de cet­te oppres­sion des reli­gions « étran­gè­res ». Et cela remon­te jusqu’au par­ti natio­na­li­ste BJP et au pre­mier mini­stre, qui comp­te bien rem­por­ter à nou­veau les élec­tions en 2024. À Pâques, Modi a visi­té une égli­se. Pour muse­ler un peu plus le Pape.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 18/04/2023