Exclusif. Le cardinal Sarah demande au pape de révoquer l’interdiction des Messes « individuelles » à Saint-Pierre

(s.m.) Depuis une semai­ne, la basi­li­que de Saint-Pierre est un désert silen­cieux. Elle n’est plus ani­mée, com­me cha­que matin, par les nom­breu­ses Messes célé­brées sur les mul­ti­ples autels. Et tout cela à cau­se d’une ordon­nan­ce émi­se le 12 mars par la pre­miè­re sec­tion de la Secrétairerie d‘État – qui, via son Substitut, est en lien direct avec le Pape – qui a inter­dit tou­tes les Messes « indi­vi­duel­les », n’autorisant que les Messes col­lec­ti­ves, pas plus de qua­tre par jour et à des endroi­ts et des horai­res préé­ta­blis.

L’ordonnance est rédi­gée sur papier à en-tête mais est dépour­vue de tou­te signa­tu­re et de numé­ro de pro­to­co­le. Et elle n’est même pas adres­sée à celui qui devrait être son desti­na­tai­re natu­rel, le car­di­nal archi­prê­tre de la basi­li­que papa­le con­strui­te sur le lieu du mar­ty­re et du tom­beau de l’apôtre Pierre. C’est un gri­bouil­la­ge juri­di­que.

Et pour­tant, elle a fait son effet. Non sans susci­ter des pro­te­sta­tions en haut lieu.

Celle qui suit, con­fiée à Settimo Cielo pour la publi­ca­tion, est cel­le du car­di­nal Robert Sarah, qui était jusqu’au 20 février der­nier Préfet de la Congrégation pour le cul­te divin et la disci­pli­ne des sacre­men­ts, et donc celui qui est le mieux à même de s’exprimer sur le sujet.

Sa pro­te­sta­tion se con­clut par cet appel au Pape François :

« Je sup­plie hum­ble­ment le Saint-Père de déci­der du retrait des récen­tes nor­mes décré­tées par la Secrétairerie d’État, qui man­quent autant de justi­ce que d’amour, qui ne cor­re­spon­dent pas à la véri­té ni au droit, qui ne con­tri­buent pas à la digni­té de la célé­bra­tion, à la par­ti­ci­pa­tion dévo­te à la Messe ni à la liber­té des enfan­ts de Dieu mais les met­tent plu­tôt en péril. »

Reste à voir si le Pape François répon­dra, et si oui, com­ment.

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Observations concernant les nouvelles normes pour les Messes à Saint-Pierre

du car­di­nal Robert Sarah

Je vou­drais spon­ta­né­ment ajou­ter ma voix à cel­le des car­di­naux Raymond L. Burke, Gerhard L. Müller et Walter Brandmüller, qui ont déjà expri­mé leur pro­pre opi­nion con­cer­nant les dispo­si­tions pri­ses le 12 mars der­nier par le Secrétairerie d’État du Vatican, qui inter­dit la célé­bra­tion indi­vi­duel­le de l’Eucharistie sur les autels laté­raux de la basi­li­que Saint-Pierre.

Mes con­frè­res car­di­naux que je viens de citer ont déjà mis en évi­den­ce plu­sieurs pro­blé­ma­ti­ques léga­les con­cer­nant le tex­te de la Secrétairerie d’État.

Le car­di­nal Burke, en excel­lent cano­ni­ste qu’il est, a mis en évi­den­ce les impor­tan­ts pro­blè­mes juri­di­ques, non sans appor­ter d’autres con­si­dé­ra­tions per­ti­nen­tes.

Le car­di­nal Müller a éga­le­ment remar­qué un cer­tain défaut de com­pé­ten­ce, c’est-à-dire d’autorité, de la part de la Secrétairerie d’État con­cer­nant la déci­sion en que­stion. Son Éminence, qui est un théo­lo­gien célè­bre, a éga­le­ment fait quel­ques allu­sions rapi­des mais sub­stan­tiel­les à cer­tai­nes que­stions théo­lo­gi­ques per­ti­nen­tes.

Le car­di­nal Brandmüller s’est con­cen­tré sur la que­stion de la légi­ti­mi­té d’un tel usa­ge de l’autorité et a éga­le­ment émis l’hypothèse – sur base de sa sen­si­bi­li­té de grand histo­rien de l’Église – que la déci­sion con­cer­nant les Messes dans la basi­li­que pour­rait repré­sen­ter un « bal­lon d’essai » en vue de futu­res déci­sions qui pour­ra­ient con­cer­ner l’Église uni­ver­sel­le.

Si cela était avé­ré, il sem­ble d’autant plus néces­sai­re qu’aussi bien nous les évê­ques, les prê­tres et tout le saint peu­ple de Dieu fas­sions enten­dre respec­tueu­se­ment notre voix. Je pro­po­se donc ci-dessous quel­ques brè­ves réfle­xions.

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1. Le Concile Vatican II a clai­re­ment mani­fe­sté la pré­fé­ren­ce de l’Église pour la célé­bra­tion com­mu­nau­tai­re de la litur­gie. La con­sti­tu­tion « Sacrosanctum con­ci­lium » ensei­gne au n°27 : « Chaque fois que les rites, selon la natu­re pro­pre de cha­cun, com­por­tent une célé­bra­tion com­mu­nau­tai­re avec fré­quen­ta­tion et par­ti­ci­pa­tion acti­ve des fidè­les, on sou­li­gne­ra que celle-ci, dans la mesu­re du pos­si­ble, doit l’emporter sur leur célé­bra­tion indi­vi­duel­le et qua­si pri­vée. »

Immédiatement après, dans le même para­gra­phe, les Pères con­ci­liai­res – pré­voyant sans dou­te l’usage qu’on aurait pu fai­re de leurs décla­ra­tions après le Concile – ajou­tent « Ceci vaut sur­tout pour la célé­bra­tion de la Messe (bien que la Messe gar­de tou­jours sa natu­re publi­que et socia­le), et pour l’administration des sacre­men­ts ». Donc la Messe, même si elle n’est célé­brée que par le prê­tre seul, n’est jamais un acte pri­vé et ne con­sti­tue pas pour autant une célé­bra­tion moins digne.

Il faut ajou­ter, entre paren­thè­ses, qu’il exi­ste des con­cé­lé­bra­tions peu dignes avec une par­ti­ci­pa­tion médio­cre et des célé­bra­tions indi­vi­duel­les très bel­les et avec une gran­de par­ti­ci­pa­tion, en fonc­tion aus­si bien de l’apparat exter­ne que de la dévo­tion per­son­nel­le du célé­brant com­me des fidè­les, quand ils sont pré­sen­ts. La beau­té de la célé­bra­tion ne s’obtient donc pas auto­ma­ti­que­ment en inter­di­sant pure­ment et sim­ple­ment la célé­bra­tion indi­vi­duel­le de la Messe ni en impo­sant la con­cé­lé­bra­tion.

En outre, dans le décret « Presbyterum ordi­nis », Vatican II ensei­gne ceci : « Dans le mystè­re du sacri­fi­ce eucha­ri­sti­que, où les prê­tres exer­cent leur fonc­tion prin­ci­pa­le, c’est l’œuvre de notre Rédemption qui s’accomplit sans ces­se. C’est pour­quoi il leur est vive­ment recom­man­dé de célé­brer la Messe tous les jours ; même si les fidè­les ne peu­vent y être pré­sen­ts, c’est un acte du Christ et de l’Église » (n°13).

Ce pas­sa­ge con­fir­me non seu­le­ment que, même quand le prê­tre célè­bre sans le peu­ple, la Messe reste une action du Christ et de l’Église, mais en recom­man­de éga­le­ment la célé­bra­tion quo­ti­dien­ne. San Paul VI, dans l’encyclique « Mysterium fidei », a repris ceux deux aspec­ts et les a con­fir­més en des ter­mes enco­re plus inci­sifs : « S’il est hau­te­ment con­ve­na­ble qu’à la célé­bra­tion de la Messe les fidè­les par­ti­ci­pent acti­ve­ment en grand nom­bre, il n’y a pas à blâ­mer mais au con­trai­re à approu­ver la célé­bra­tion de la Messe en pri­vé, con­for­mé­ment aux pre­scrip­tions et aux tra­di­tions de la Sainte Église, par un prê­tre avec un seul mini­stre pour la ser­vir. C’est que cet­te Messe assu­re une gran­de abon­dan­ce de grâ­ces par­ti­cu­liè­res au béné­fi­ce soit du prê­tre lui-même soit du peu­ple fidè­le et de tou­te l’Église et même du mon­de entier, grâ­ces qui ne pour­ra­ient être obte­nues aus­si lar­ge­ment par la seu­le Communion. » (n°33). Tout cela est recon­fir­mé par le canon 904 du Code de Droit Canonique.

En résu­mé : quand c’est pos­si­ble, on pri­vi­lé­gie la célé­bra­tion com­mu­nau­tai­re, mais la célé­bra­tion indi­vi­duel­le par un prê­tre reste l’œuvre du Christ et de l’Église. Non seu­le­ment le magi­stè­re ne le défend pas, mais il l’approuve, et recom­man­de aux prê­tres de célé­brer la Sainte Messe cha­que jour, par­ce que de cha­que Messe jail­lit une gran­de quan­ti­té de grâ­ces pour le mon­de entier.

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2. Au niveau théo­lo­gi­que, les experts sou­tien­nent au moins deux posi­tions, con­cer­nant la mul­ti­pli­ca­tion des frui­ts de la grâ­ce que l’on doit à la célé­bra­tion de la Messe.

Selon une opi­nion qui s’est déve­lop­pée dans la secon­de moi­tié du XXe siè­cle, que dix prê­tres con­cé­lè­brent la même Messe ou qu’ils célè­brent indi­vi­duel­le­ment dix Messes, cela ne fait aucu­ne dif­fé­ren­ce quant au don de la grâ­ce venant de Dieu, offer­te à l’Église et au mon­de.

L’autre opi­nion, qui se base entre autres sur la théo­lo­gie de saint Thomas d’Aquin et sur le magi­stè­re, par­ti­cu­liè­re­ment celui de Pie XII, sou­tient au con­trai­re qu’en con­cé­lé­brant une seu­le Messe, on réduit le don de la grâ­ce par­ce que « dans plu­sieurs Messes, on mul­ti­plie l’oblation du sacri­fi­ce et donc on mul­ti­plie l’effet du sacri­fi­ce et du sacre­ment » (Summa Theologiae, III, q. 79, a. 7 ad 3 ; cf. q82, a. 2 ; cf. éga­le­ment Pie XII « Mediator Dei », par­tie II ; Allocution du 2/11/1954 ; Allocution du 22/9/1956).

Je n’entends pas ici tran­cher la que­stion de savoir laquel­le de ces deux thè­ses serait la plus cré­di­ble. La secon­de thè­se a quand même plu­sieurs argu­men­ts en sa faveur et ne devrait pas être igno­rée. Il faut gar­der à l’esprit qu’il est sérieu­se­ment pos­si­ble qu’en con­trai­gnant les prê­tres à con­cé­lé­brer et donc en rédui­sant le nom­bre de Messes célé­brées, on obtien­ne une dimi­nu­tion du don de la grâ­ce fait à l’Église et au mon­de.

S’il en était ain­si, le dom­ma­ge spi­ri­tuel serait incal­cu­la­ble.

Et il faut ajou­ter qu’en plus des aspec­ts objec­tifs, du point de vue spi­ri­tuel, le ton péremp­toi­re avec lequel le tex­te de la Secrétairerie d’État décrè­te que « les Messes indi­vi­duel­les soient sup­pri­mées » est bles­sant. Il res­sort d’une tel­le affir­ma­tion, sur­tout dans le choix du ver­be, une for­me de vio­len­ce inha­bi­tuel­le.

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3. À cau­se des dispo­si­tions qui ont été publiées, les prê­tres qui vou­dra­ient célé­brer la Messe selon la for­me ordi­nai­re du rite romain seront désor­mais con­train­ts à con­cé­lé­brer.

Forcer les prê­tres à con­cé­lé­brer est un fait sin­gu­lier. Les prê­tres sont les bien­ve­nus pour con­cé­lé­brer s’ils le sou­hai­tent, mais peut-on leur impo­ser la con­cé­lé­bra­tion ? On dira : s’ils ne veu­lent pas con­cé­lé­brer, qu’ils ail­lent ail­leurs ! Mais est-ce là l’esprit accueil­lant de l’Église que nous vou­drions incar­ner ? Est-ce là le sym­bo­li­sme expri­mé par la colon­na­de du Bernin devant la basi­li­que, qui repré­sen­te idéa­le­ment les bras grands ouverts de la Mère Église qui accueil­le ses enfan­ts ?

Combien de prê­tres vien­nent à Rome en pèle­ri­na­ge ! Et il est bien nor­mal que ces der­niers, mêmes s’ils n’ont pas avec eux un grou­pe de fidè­les, nour­ris­sent le désir de pou­voir célé­brer la Messe à Saint-Pierre, peut-être sur l’autel con­sa­cré dédié à un saint pour lequel ils nour­ris­sent une dévo­tion par­ti­cu­liè­re. Depuis com­bien de siè­cles la basi­li­que accueil­le de tels prê­tres ? Et aujourd’hui, on refu­se­rait de les accueil­lir à moins qu’ils n’acceptent l’imposition de la con­cé­lé­bra­tion ?

D’un autre côté, par sa natu­re, la con­cé­lé­bra­tion – tel­le qu’elle a été pen­sée et approu­vée par la réfor­me litur­gi­que de Paul VI – est plu­tôt une con­cé­lé­bra­tion des prê­tres avec l’évêque et pas (à tout le moins ordi­nai­re­ment, quo­ti­dien­ne­ment) une con­cé­lé­bra­tion de prê­tres seuls. Je ferais éga­le­ment remar­quer en pas­sant qu’une tel­le impo­si­tion sur­vient alors que l’humanité est en train de com­bat­tre le Covid-19 qui rend la con­cé­lé­bra­tion plus risquée.

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4. Que feront ces prê­tres qui vien­nent à Rome et qui ne par­lent pas l’italien ? Comment feront-ils pour con­cé­lé­brer à Saint-Pierre, où les con­cé­lé­bra­tions ne se dérou­lent qu’en lan­gue ita­lien­ne ? D’un autre côté, même si on déci­dait de remé­dier à ce pro­blè­me en admet­tant l’usage de trois ou qua­tre lan­gues, cela ne pour­rait jamais répon­dre au vaste nom­bre de lan­gues dans lesquel­les il reste pos­si­ble de célé­brer la sain­te Messe.

Les trois con­frè­res que j’ai men­tion­nés ci-dessus ont déjà cité le canon 902 du Code de Droit Canonique qui se réfè­re au n°57 de « Sacrosanctum con­ci­lium » qui garan­tit aux prê­tres la pos­si­bi­li­té de célé­brer per­son­nel­le­ment l’Eucharistie. Et sur ce point éga­le­ment, il serait tri­ste de dire : ils veu­lent se pré­va­loir de ce droit ? Qu’ils ail­lent voir ail­leurs !

Je vou­drais enco­re ajou­ter que la réfé­ren­ce au canon 928 : « La célé­bra­tion eucha­ri­sti­que se fera en latin, ou dans une autre lan­gue pour­vu que les tex­tes litur­gi­ques aient été légi­ti­me­ment approu­vés ».

Ce canon pré­voit avant tout que l’on célè­bre la Messe éga­le­ment en latin. Mais cela ne peut se fai­re dans la basi­li­que, si l’on excep­te la célé­bra­tion en for­me extraor­di­nai­re, sur laquel­le je revien­drai plus loin.

En second lieu, le canon pré­voit que l’on puis­se célé­brer dans une autre lan­gue, pour­vu que les livres litur­gi­ques aient été approu­vés. Mais cela non plus ne peut se fai­re à Saint-Pierre, à moins que le célé­brant n’ait un grou­pe de fidè­les avec lui, auquel cas, en ver­tu des nou­vel­les nor­mes, il sera de tou­te façon ren­voyé vers les Grottes vati­ca­nes, en impo­sant donc dans les fai­ts l’italien com­me uni­que lan­gue admi­se dans la basi­li­que.

La basi­li­que de Saint-Pierre devrait pour­tant ser­vir d’exemple pour la litur­gie de tou­te l’Église. Mais avec ces nou­vel­les règles, on impo­se des cri­tè­res qui ne sera­ient tolé­rés nul­le part ail­leurs, tant ils vio­lent le bon sens aus­si bien que les lois de l’Église.

Dans tous les cas, il ne s’agit pas uni­que­ment d’une que­stion de lois, il ne s’agit pas d’un sim­ple for­ma­li­sme. En plus du respect néces­sai­re des canons, ce qui est ici en jeu, c’est le bien de l’Église ain­si que le respect que l’Église a tou­jours eu pour les varié­tés légi­ti­mes. Le choix de la part d’un prê­tre de ne pas con­cé­lé­brer est légi­ti­me et devrait être respec­té. Et la pos­si­bi­li­té de pou­voir célé­brer indi­vi­duel­le­ment la Messe devrait être garan­tie à Saint-Pierre, non seu­le­ment en ver­tu du droit com­mun mais éga­le­ment de la très hau­te valeur sym­bo­li­que de cet­te basi­li­que pour tou­te l’Eglise.

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5. Les déci­sions pri­ses par la Secrétairerie d’État don­nent éga­le­ment lieu à une hété­ro­ge­nè­se des fins. Par exem­ple, il ne sem­ble pas que le tex­te vise à favo­ri­ser l’usage de la for­me extraor­di­nai­re du rite romain, dont la célé­bra­tion est relé­guée, en ver­tu des récen­tes dispo­si­tions, dans les Grottes situées sous la basi­li­que.

Mais sur base des nou­vel­les règles, que devrait fai­re un prê­tre qui vou­drait légi­ti­me­ment con­ti­nuer à célé­brer la Messe indi­vi­duel­le­ment ? Il n’aura pas d’autre choix que de la célé­brer dans la for­me extraor­di­nai­re, étant don­né qu’on lui empê­che de célé­brer indi­vi­duel­le­ment dans la for­me ordi­nai­re.

Pourquoi est-il inter­dit de célé­brer la Messe de Paul VI en for­me indi­vi­duel­le dans la basi­li­que de Saint-Pierre alors que – com­me nous l’avons men­tion­né ci-dessus – le Pape Montini lui-même, dans « Mysterium fidei » a approu­vé cet­te façon de célé­brer ?

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6. L’alternance des prê­tres cha­que matin sur les autels de la basi­li­que pour offrir le saint sacri­fi­ce de la Messe con­sti­tue une cou­tu­me ancien­ne et véné­ra­ble. Était-il vrai­ment néces­sai­re de la rom­pre ? Une tel­le déci­sion produira-t-elle vrai­ment un plus grand bien pour l’Église et une plus gran­de beau­té dans la litur­gie ?

Combien de sain­ts n’ont-ils pas per­pé­tué à tra­vers les siè­cles cet­te bel­le tra­di­tion ! Pensons aux sain­ts qui tra­vail­la­ient à Rome, ou qui vena­ient séjour­ner quel­que temps dans la Ville éter­nel­le. Ils ava­ient l’habitude de se ren­dre à Saint-Pierre pour célé­brer. Pourquoi refu­ser aux saint d’aujourd’hui – qui grâ­ce à Dieu exi­stent, se trou­vent par­mi nous et visi­tent Rome au moins de temps en temps – ain­si qu’à tous les autres prê­tres une tel­le expé­rien­ce, aus­si pro­fon­dé­ment spi­ri­tuel­le ? Sur base de quel cri­tè­re et pour quel hypo­thé­ti­que pro­grès méprise-t-on de la sor­te une tra­di­tion mul­ti­sé­cu­lai­re et refuse-t-on à tant de prê­tres de célé­brer la Messe à Saint-Pierre ?

Si, com­me l’affirme le docu­ment, le but est que les célé­bra­tions soient « ani­mées litur­gi­que­ment, avec le con­cours de lec­teurs et de chan­teurs », un tel résul­tat pour­rait faci­le­ment être obte­nu avec un mini­mum d’organisation, de maniè­re moins dra­ma­ti­que et sur­tout moins inju­ste. Le Saint-Père a tant de fois regret­té l’injustice pré­sen­te dans le mon­de d’aujourd’hui. Pour appuyer cet ensei­gne­ment, Sa Sainteté a même créé un néo­lo­gi­sme, celui d’« iné­qui­té ». La récen­te déci­sion de la Secrétairerie d’État est-elle une expres­sion de l’équité ? Est-elle une expres­sion de magna­ni­mi­té, d’accueil, de sen­si­bi­li­té pasto­ra­le, litur­gi­que et spi­ri­tuel­le ?

Puisque j’ai par­lé des sain­ts qui ont célé­bré à Saint-Pierre, n’oublions pas que la basi­li­que con­tient les reli­ques de nom­bre d’entre eux et que plu­sieurs autels sont dédiés au saint dont ils ren­fer­ment les restes mor­tels. Les nou­vel­les nor­mes dispo­sent qu’on ne pour­ra plus célé­brer sur ces autels. Le maxi­mum qui sera auto­ri­sé sera d’une Messe par an, le jour où l’on célè­bre la mémoi­re litur­gi­que de ce saint. Ainsi, ces autels sont pra­ti­que­ment con­dam­nés à mort.

Le rôle prin­ci­pal – pour ne pas dire le seul — d’un autel, c’est en fait qu’on y offre le sacri­fi­ce eucha­ri­sti­que. La pré­sen­ce des reli­ques des sain­ts sous les autels a une valeur bibli­que, théo­lo­gi­que et spi­ri­tuel­le d’une tel­le por­tée qu’il n’est nul besoin d’y fai­re allu­sion. Avec la nou­vel­le régle­men­ta­tion, les autels de Saint-Pierre sont desti­nés à fai­re seu­le­ment offi­ce, sauf une fois par an, de tom­bes des sain­ts, voi­re de sim­ples œuvres d’art. Ces autels devra­ient en revan­che vivre, et leur vie c’est la célé­bra­tion quo­ti­dien­ne de la sain­te Messe.

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7. La déci­sion con­cer­nant la for­me extraor­di­nai­re du rite romain est éga­le­ment sin­gu­liè­re. A par­tir d’aujourd’hui, elle ne sera plus auto­ri­sée, dans une limi­te maxi­ma­le de qua­tre célé­bra­tions par jour, que dans la Chapelle Clémentine des Grottes vati­ca­nes, et sera tota­le­ment inter­di­te sur tout autre autel de la basi­li­que et des Grottes.

Il est éga­le­ment pré­ci­sé que de tel­les célé­bra­tions ne pour­ront être effec­tuées que par des prê­tres « auto­ri­sés ». Cette indi­ca­tion, outre le fait qu’elle ne respec­te pas les nor­mes con­te­nues dans le Motu Proprio « Summorum Pontifical » de Benoît XVI, est éga­le­ment ambi­güe : qui devrait auto­ri­ser ces prê­tres ? Pour quel­le rai­son ne faudrait-il plus jamais célé­brer la for­me extraor­di­nai­re dans la basi­li­que ? Quel dan­ger représente-t-elle pour la digni­té de la litur­gie ?

Imaginons qu’un jour, un prê­tre catho­li­que d’un autre rite que le rite romain se pré­sen­te à la sacri­stie de Saint-Pierre. On ne pour­rait bien sûr pas lui impo­ser de con­cé­lé­brer dans le rite romain, il fau­drait donc se deman­der : ce prê­tre pourra-t-il célé­brer dans son pro­pre rite ? La basi­li­que Saint-Pierre repré­sen­te le cen­tre de la catho­li­ci­té, il vient donc spon­ta­né­ment à l’esprit qu’une tel­le célé­bra­tion soit per­mi­se. Mais si une célé­bra­tion effec­tuée selon l’un des autres rites catho­li­ques peut avoir lieu, en ver­tu de l’égalité des droi­ts, il fau­drait à plus for­te rai­son recon­naî­tre aux prê­tres de rite romain la liber­té de célé­brer dans la for­me extraor­di­nai­re de ce der­nier.

Pour tou­tes les rai­sons expo­sées ici et pour bien d’autres rai­sons enco­re, avec un nom­bre immen­se de bap­ti­sés (dont beau­coup veu­lent pas ou ne peu­vent pas mani­fe­ster leur pro­pre opi­nion), je sup­plie hum­ble­ment le Saint-Père de déci­der du retrait des récen­tes nor­mes décré­tées par la Secrétairerie d’État, qui man­quent autant de justi­ce que d’amour, qui ne cor­re­spon­dent pas à la véri­té ni au droit, qui ne con­tri­buent pas à la digni­té de la célé­bra­tion, à la par­ti­ci­pa­tion dévo­te à la Messe ni à la liber­té des enfan­ts de Dieu mais les met­tent plu­tôt en péril. »

Rome, le 29 mars 2021

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 29/03/2021