(s.m.) La photo ci-contre a été prise le 15 juin à Rome dans le jardin de l’ancien couvent de Sant’Egidio, qui est aujourd’hui le siège de la Communauté qui en a pris le nom. Au centre, le métropolite Antonij de Volokolamsk, le numéro deux du patriarcat de Moscou et président du département pour les relations ecclésiastiques extérieures, avec à ses côtés Andrea Riccardi et Adriano Roccucci, respectivement le fondateur et vice-président de la Communauté.
Quelques jours plus tard, Roccucci, qui enseigne l’histoire contemporaine à l’Université de Rome Trois et qui est spécialiste de la Russie, allait accompagner le cardinal Matteo Maria Zuppi, lui aussi membre historique de Sant’Egidio, dans sa mission à Moscou en tant qu’envoyé du pape. Et tous deux, le 29 juin, allaient prendre part à la rencontre avec le patriarche de Moscou, Cyrille, et à ses côtés siégeait le métropolite Antonij.
Il n’est donc guère surprenant que dans le long communiqué publié par le patriarcat de Moscou on retrouve non seulement le nom de tous les participants – jusque-là tenus secrets par les autorités vaticanes – mais également un éloge explicite de Cyrille au « rôle positif de la Communauté de Sant’Egidio », non seulement « dans les circonstances très difficiles liées à la Guerre Froide », pendant laquelle « elle avait maintenu des liens actifs avec l’Église orthodoxe russe », mais également « dans les conditions actuelles », afin que « les Églises puissent, par des efforts conjoints, empêcher le développement négatif des circonstances politiques et servir la cause de la paix et de la justice ».
Dans la bouche d’un personnage tel que Cyrille qui, à plusieurs reprises, a « osé légitimer la guerre brutale et absurde contre l’Ukraine par des motifs pseudo-religieux – ce sont les termes du cardinal Kurt Koch, le président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens – cet appel à la paix a de quoi nous laisser interdits.
Car en effet, quelle paix le patriarche de Moscou a-t-il en tête ? Et quelle est la paix pour laquelle s’active, avec les applaudissements de Moscou, la Communauté de Sant’Egidio ?
De retour en Italie, Zuppi a déclaré que « nous n’avons pas encore un plan susceptible d’apporter une contribution à l’ouverture de négociations ».
Mais en attendant, il est toujours resté vague par rapport au soutien armé apporté par l’Occident à l’Ukraine.
En revanche, certains n’ont pas hésité à montrer dès le début leur opposition à ce soutien armé, comme le quotidien « Avvenire » appartenant à la Conférence épiscopale italienne dont Zuppi est le président, ainsi que tous les membres importants de la Communauté de Sant’Egidio, de son fondateur Andrea Riccardi – qui a été jusqu’à appeler dès les premiers jours de l’agression à un statut de « ville ouverte » pour Kiev, c’est-à-dire l’occupation de la capitale ukrainienne par les russes sans opposer de résistance -, à Agostino Giovagnoli en passant par Mario Giro.
Ce dernier, qui est responsable des relations internationales de la Communauté de Sant’Egidio et sous-secrétaire puis ministre des Affaires étrangères en Italie de 2013 à 2018, a publié le 1er juillet dans le quotidien « Domani » un éditorial qui est la « somme » de la position de Sant’Egidio sur la guerre en Ukraine.
Giro voit dans la mission du cardinal Zuppi à Moscou une méritoire « démarche à contre-courant, c’est-à-dire à l’encontre des habituels discours belliqueux » dont l’Occident et prisonnier, mais que le reste du monde ne supporte désormais plus. Et il entend par là le « Global South », en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Ce Sud du monde dont l’aversion aux États-Unis et à l’Europe est bien présente, notamment dans les racines argentines du pape Jorge Mario Bergoglio, comme l’a mis en lumière Sviatosvlav Chevtchouk, l’archevêque majeur de l’Église grecque catholique ukrainienne, dans une interview mémorable publiée par Settimo Cielo.
C’est à cette vision, qui n’est pas seulement celle de Giro mais également celle de la Communauté de Sant’Egidio, du cardinal Zuppi et en bonne partie également celle de l’Église de Rome, que réplique ici Sergio Belardinelli, qui est professeur de sociologie des processus culturels à l’Université de Beologne et qui a été de 2008 à 2012 le coordinateur scientifique du « Comité pour le Projet Culturel » présidé par le cardinal Camillo Ruini.
Cette note sort en même temps sur Settimo Cielo et dans le quotidien « Il Foglio ».
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Un prétexte pour créer une division entre pacifistes et va-t-en-guerre
de Sergio Belardinelli
Cette guerre est en train de nous épuiser. Et pas seulement parce que rien ne dit que les Ukrainiens continueront à résister ou pourraient parvenir à bouter les Russes hors des frontières de leur territoire. Mais surtout parce que, au nom des négociations de paix que l’Europe devrait entamer plutôt que de fournir de l’aide militaire à l’Ukraine, nous sommes en train de nous auto-flageller inutilement et nous perdons de vue la réalité.
Dans un article publié dans le quotidien italien « Domani » du premier juillet, Mario Giro a écrit que nous sommes accoutumés à la guerre, que nous ne parvenons pas à dépasser la rhétorique belliciste tandis que le monde nous toise désormais avec un dégoût croissant. Mais qu’est-ce que cela signifie ? S’il y a bien quelqu’un qui a beaucoup à perdre dans cette guerre, c’est nous les européens : c’est une guerre qui se déroule chez nous, qui menace notre bien-être, qui met nos économies en fibrillation, qui divise nos opinions publiques. Serions-nous désemparés au point de continuer à fournir de l’aide militaire à l’Ukraine si seulement il y avait une autre voie ? Serions-nous criminels au point de préférer la guerre à la paix ?
Ces questions me semblent surréalistes. Si nous sommes dans cette situation, c’est parce qu’un Monsieur nommé Vladimir Poutine a décidé d’envahir un autre pays souverain très proche du nôtre qui s’appelle l’Ukraine. Nous sommes dans cette situation parce que, contrairement à ce à quoi d’autres s’attendaient, les Ukrainiens ont décidé de combattre, de se faire massacrer, pour ne pas céder à l’envahisseur russe. Devons-nous le leur reprocher ? Devons-nous leur conseiller de se rendre ? Aurions-nous préféré une capitulation rapide de leur part ? Ou bien, vu qu’au fond ils combattent également pour nous, le moins que l’on puisse faire est-il de continuer à les aider ?
Selon Giro, de cette manière l’Europe et l’Occident risque de se couper du reste du monde, qui voudrait en revanche quelque chose d’autre. Mais quoi donc, de grâce ? Que l’on donne à Poutine ce qu’il désire ? Ou serait-il peut-être plus sensé, même pour le reste du monde, de souhaiter que Poutine ne gagne pas ? Surtout que, je le répète, ceux qui meurent dans cette guerre, ce sont surtout les Ukrainiens. Serait-il plus digne de les abandonner à leur triste sort ?
Il n’est pas ici question de géopolitique guidées par telle ou telle grande puissante, d’unipolarité, de multipolarité ou autre. Ce qui est en jeu, c’est une tragédie à laquelle on ne parvient pas à remédier parce que celui qui l’a déclenchée ne veut rien savoir. Y a-t-il eu une seule initiative de paix véritable et concrète de la part de qui que ce soit à laquelle l’Europe et les États-Unis auraient dit non ? Quelqu’un à Moscou a-t-il donc faire mine d’écouter les prières du Pape ?
Le problème, je le répète, c’est que les Ukrainiens, à tout le moins jusqu’à présent, préfèrent se faire massacrer plutôt que de céder face à la puissance russe. Si Poutine décidait demain de cesser le feu, des tractations de paix s’ouvriraient immédiatement. C’est lui qui a commencé cette guerre et c’est lui qui peut l’arrêter. Nous ne pouvons que la subir, nous y opposer avec les (quelques) armes que nous avons en espérant de nous faire le moins mal possible. Est-ce que cela signifie, comme l’a écrit Mario Giro, vouloir rester « enfermés dans ses propres raisons » ? Absolument pas, parce que cela ne dépend absolument pas de notre volonté. Nous ne pouvons que nous consoler qu’avec le fait que ce sont de bonnes raisons en espérant que quelqu’un (surtout les Ukrainiens) continueront à les défendre sans succomber. Je ne pense pas non plus que les pays de ce qu’on appelle le Sud Global sortent tellement grandis en refusant de prendre parti, simplement parce que de cette manière ils donnent une gifle aux États-Unis. Cette gifle, ils la donnent aux Ukrainiens, surtout ! Car pour eux ce ne sont là que de vains bavardages, animés de bonnes intentions certes, mais des bavardages quand même.
Cela dit, j’espère que le cardinal Matteo Zuppi soit allé à Moscou non pas pour faire l’ « anticonformiste », mais pour demander au patriarche Cyrille de faire pression sur Poutine pour qu’il restituer aux mères ukrainiennes les enfant que ses soldats ont enlevé et qu’il retire ses troupes d’Ukraine. Qu’aurait-il pu leur demander d’autre, sinon que l’on crée les conditions pour les Russes et les Ukrainiens s’assoient à la même table et entament des pourparlers de paix ?
Mais cela, c’est exactement ce que veulent tous les Européens ; cela ne peut pas devenir un prétexte pour créer une division entre pacifistes et va-t-en-guerre. Sinon certains, surtout en Ukraine, pourraient bien commencer à suspecter que bon nombre de ceux qui déclarent vouloir la paix espèrent en fait que la guerre se termine le plus rapidement possible par une défaite de l’Ukraine et sont impatients d’être félicités par Moscou, Pékin et de tout ce beau monde qui leur tourne autour, tels de véritables artisans de paix.
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Sandro Magister est le vaticaniste émérite de l’hebdomadaire L’Espresso.
Tous les articles de son blog Settimo Cielo sont disponibles sur ce site en langue française.
Ainsi que l’index complet de tous les articles français de www.chiesa, son blog précédent.