Enquête parmi les préférés et les réprouvés du Pape Bergoglio. Avec un successeur en lice, ou plutôt deux

La véri­fi­ca­tion est sim­ple. Il suf­fit de com­pa­rer dans un tableau synop­ti­que les actes posés par le Pape François con­cer­nant la Communauté Sant’Egidio avec ceux con­cer­nant le mona­stè­re de Bose et les Chevaliers de Malte pour con­sta­ter com­bien ses cri­tè­res de gou­ver­nan­ce sont con­tra­dic­toi­res, com­bien ses sym­pa­thies sont incon­stan­tes et com­bien ses déci­sions sont indé­chif­fra­bles.

Entre le Pape François et Sant’Egidio, l’idylle est au beau fixe, en revan­che avec le fon­da­teur de Bose, Enzo Bianchi, l’amour d’un temps s’est mué en aver­sion, et avec les Chevaliers de Malte, c’est je t’aime moi non plus. Sans que le Pape François n’en expli­que jamais les rai­sons.

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Avec les Chevaliers de Malte, on peut le dédui­re faci­le­ment rien qu’en obser­vant les nomi­na­tions erra­ti­ques des car­di­naux aux­quel­les le pape a con­fié la respon­sa­bi­li­té de l’Ordre. Au car­di­nal patron Raymond L. Burke, dési­gné à ce poste en 2014 après avoir été démis, lui, un cano­ni­ste de valeur, de ses fonc­tions de Préfet du tri­bu­nal suprê­me de la Signature apo­sto­li­que, le Pape a pré­fé­ré en 2017 le délé­gué spé­cial Giovanni Angelo Becciu, qui sera à son tour scan­da­leu­se­ment démis de tou­tes ses char­ges et même dépouil­lé de ses « droi­ts » de car­di­nal et rem­pla­cé à l’Ordre de Malte par le car­di­nal Silvano Tomasi. Le tout sans que François n’ait jamais four­ni la moin­dre justi­fi­ca­tion sur la chu­te en disgrâ­ce des deux pre­miers, le second d’entre eux ayant même été con­dam­né « a prio­ri » par le Pape des mois avant que ne s’ouvre au Vatican le pro­cès con­tre lui, d’ailleurs tou­jours dans les starting-blocks, un pro­cès dont la régu­la­ri­té juri­di­que a été a con­te­stée à plu­sieurs repri­ses et dont l’avenir reste incer­tain.

Mais ce n’est pas tout. Alors qu’au début, le Pape avait obli­gé de façon péremp­toi­re le Grand Maître de l’époque, le bri­tan­ni­que Matthew Festing, à démis­sion­ner, alors qu’il était un défen­seur achar­né, tout com­me le car­di­nal Burke, de la dimen­sion spi­ri­tuel­le et de la fidé­li­té doc­tri­na­le de l’Ordre, pour favo­ri­ser le par­ti des oppo­san­ts inter­nes emme­nés par le Grand Chancelier, l’allemand Albrecht Freiherr von Boeselager, de ten­dan­ce plus « laï­que », aujourd’hui les rôles se sont inver­sés et François, en s’accaparant tou­tes les déci­sions et en impo­sant l’obéissance à tous, pous­se à pré­sent pour ren­for­cer l’aspect reli­gieux de l’Ordre et sa subor­di­na­tion au Saint-Siège, con­tre Boeselager et les siens qui reven­di­quent au con­trai­re davan­ta­ge de laï­ci­té et d’autonomie.

Là aus­si, sans que le Pape n’ait jamais expli­qué le pour­quoi de cet­te volte-face, rece­vant en audien­ce tan­tôt l’un, tan­tôt l’autre des pré­ten­dan­ts et fai­sant mine à cha­que fois de don­ner rai­son à son inter­lo­cu­teur du jour.

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Concernant le fon­da­teur du mona­stè­re de Bose, la rup­tu­re de l’amourette entre lui et le Pape François n’aura pas été moins bru­ta­le, et là enco­re, demeu­re à ce jour inex­pli­quée.

En 2019, le Pape François avait nom­mé Enzo Bianchi con­sul­teur du Conseil pon­ti­fi­cal pour l’unité des chré­tiens. Mais ce n’était là que la face visi­ble d’une soli­da­ri­té de lon­gue date entre eux deux, une rela­tion cimen­tée par le for­mi­da­ble réseau de rela­tions que le fon­da­teur de Bose entre­te­nait avec des car­di­naux et des évê­ques par­mi les plus appré­ciés de Jorge Mario Bergoglio et plus enco­re avec des chefs d’Églises ortho­do­xes et pro­te­stan­tes en bons rap­ports avec le Pape actuel, avec en tête le patriar­che œcu­mé­ni­que de Constantinople Bartholomée et le pri­mat de la com­mu­nion angli­ca­ne Justin Welby.

Puis, tout à coup, les fou­dres de François se sont abat­tues sur Bianchi, cul­mi­nant dans le décret du 13 mai 2020 le con­dam­nant à « se sépa­rer » d’esprit et de corps de Bose, signé par le car­di­nal Secrétaire d’État, Pietro Parolin, mais approu­vé par le Pape « en for­me spé­ci­fi­que », le ren­dant défi­ni­tif et sans appel.

Mais Bianchi ne s’est pas faci­le­ment plié à ce « dik­tat ». Et ses par­ti­sans ont éga­le­ment rési­sté, en attri­buant dans un pre­mier temps la tra­me de la répu­dia­tion à des cour­ti­sans du Pape, sans plus de pré­ci­sion. Mais un an plus tard, le 15 juin 2020, même le par­ti­san le plus fidè­le de Bianchi et du Pape Bergoglio, l’historien de l’Église et chef de file de ce que l’on appel­le « l’École de Bologne », Alberto Melloni, accu­se pour la pre­miè­re fois direc­te­ment le Pape François d’être à l’initiative de la rup­tu­re.

Aujourd’hui, il y a un nou­veau prieur à Bose, Sabino Chialà, élu le 30 jan­vier der­nier avec la béné­dic­tion du Vatican. Mais Bianchi ne s’est pas rési­gné à la per­te de son pre­mier amour. Il con­ti­nue à écri­re, à tenir des con­fé­ren­ces, à cul­ti­ver son réseau inter­na­tio­nal et œcu­mé­ni­que d’amitiés. Et il a ache­té, à une dizai­ne de kilo­mè­tres de Bose, à Albiano d’Ivrea, une gran­de fer­me qui, une fois restau­rée, l’hébergera en com­pa­gnie de la dizai­ne de moi­nes restés avec lui.

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Quant au cas de la Communauté Sant’Egidio, Settimo Cielo en a déjà four­ni les trai­ts essen­tiels dans cet arti­cle du 12 octo­bre der­nier :

> Conclave en vue, opé­ra­tion Sant’Egidio

Ce n’est un mystè­re pour per­son­ne que la Communauté mili­te pour fai­re éli­re Pape, lors du futur con­cla­ve, le car­di­nal Matteo Zuppi, actuel arche­vê­que de Bologne et figu­re de proue du mou­ve­ment depuis ses ori­gi­nes. Tout com­me il n’échappera à per­son­ne que si Zuppi était élu Pape, ce serait avant tout Andrea Riccardi, le tout puis­sant fon­da­teur et chef de la Communauté, qui serait aux manet­tes.

Cette per­spec­ti­ve ne déplaît natu­rel­le­ment pas au Pape François, vus les peti­ts gestes amou­reux qu’il mul­ti­plie envers la Communauté de Sant’Egidio et ses respon­sa­bles, à l’opposé des mesu­res puni­ti­ves qu’il réser­ve en revan­che à pre­sque tous les autres mou­ve­men­ts d’Église, qui lui déplai­sent plus au moins.

Par exem­ple, la limi­te de 10 ans maxi­mum de pré­si­den­ce impo­sée par le Pape François aux respon­sa­bles des mou­ve­men­ts par un décret du 3 juin der­nier, François l’a appli­quée pour le lea­der de Communion et Libération, Julian Carrón, bru­sque­ment con­traint à aban­don­ner sa char­ge. Mais le Pape se gar­de bien de l’appliquer à Marco Impagliazzo, qui pré­si­de sans inter­rup­tion la Communauté de Sant’Egidio depuis 2003, c’est-à-dire depuis pre­sque vingt ans.

Le Pape François a adop­té une même dispa­ri­té de trai­te­ment éga­le­ment en ce qui con­cer­ne les pages obscu­res de l’un ou l’autre mou­ve­ment d’Église. Avec cer­tains mou­ve­men­ts, François a agi de maniè­re impla­ca­ble, par des enquê­tes, des mises sous tutel­les et des con­dam­na­tions. Mais pas avec Sant’Egidio, qu’il a tou­jours épar­gnée. Parce que der­riè­re les appa­ren­ces, l’histoire de cet­te Communauté a éga­le­ment été mar­quée par des lut­tes de pou­voir, des fra­sques sexuel­les, des hié­rar­chies inter­nes extrê­me­ment rigi­des, des maria­ges for­cés et ensui­te décla­rés nuls dont Settimo Cielo a four­ni un compte-rendu judi­ciai­re, sans par­ler de la mise au pla­card de l’un ou l’autre mem­bre de haut rang de la Communauté, aux par­cours pas tou­jours impec­ca­bles.

Il n’en demeu­re pas moins que jamais la Communauté de Sant’Egidio n’a été plus puis­san­te qu’aujourd’hui, grâ­ce aux coups de chan­ce dont ont béné­fi­cié ces der­niè­res semai­nes deux de ses mem­bres les plus émi­nen­ts, Zuppi et Riccardi.

Le car­di­nal de Bologne jouis­sait déjà d’une lar­ge noto­rié­té inter­na­tio­na­le, mais le 14 jan­vier, il a eu en plus l’honneur de pré­si­der à Rome les funé­rail­les d’État du défunt pré­si­dent du par­le­ment euro­péen David Sassoli, avec qui a il par­ta­gé les bancs du lycée « Virgilio » de Rome dans lequel s’est for­mé le pre­mier noyau de Sant’Egidio. Naturellement, en pré­sen­ce des plus grands respon­sa­bles poli­ti­ques d’Italie et d’Europe.

En outre, les pro­ba­bi­li­tés sont gran­des que Zuppi devien­ne le pro­chain pré­si­dent de la Conférence épi­sco­pa­le ita­lien­ne, qu’il revient à François de choi­sir par­mi les évê­ques les plus plé­bi­sci­tés à la pro­chai­ne assem­blée plé­niè­re de mai. Quoi qu’il soit pos­si­ble que le Pape nom­me quelqu’un d’autre, juste­ment pour épar­gner à Zuppi le désa­gré­ment d’une pré­si­den­ce dif­fi­ci­le.

Mais com­me si cela ne suf­fi­sait pas, Riccardi s’est retrou­vé par­mi les pre­miers can­di­da­ts en lice à la pré­si­den­ce de la répu­bli­que ita­lien­ne. C’est fina­le­ment Sergio Mattarella qui a été recon­duit le 29 jan­vier der­nier mais le secré­tai­re du plus grand par­ti de gau­che, Enrico Letta, a qua­li­fié le fon­da­teur de Sant’Egidio, lors de l’élection, de « notre pro­fil idéal de pré­si­dent » que « nous avons eu l’honneur de racon­ter au pays », com­me « une bel­le per­son­ne, l’un des meil­leu­res per­son­na­li­tés de notre temps ».

Même si le palais pré­si­den­tiel du Quirinal, qui était autre­fois celui du Pape, est fina­le­ment pas­sé sous le nez de la Communauté de Sant’Egidio, ses chan­ces restent intac­tes, sinon ren­for­cées, d’accéder à la chai­re de Pierre.  Zuppi et Riccardi ont la répu­ta­tion de vou­loir pour­sui­vre le che­min enta­mé par François de maniè­re plus ordon­née et sans les désé­qui­li­bres carac­té­riels qui ont nui au pon­ti­fi­cat actuel. Mais c’est peut-être juste­ment à cau­se de cet­te con­ti­nui­té entre eux et le Pape Bergoglio, vu le mécon­ten­te­ment crois­sant et de plus en plus lar­ge con­cer­nant la maniè­re dont l’Église est aujourd’hui gou­ver­née, que le con­cla­ve pour­rait bien pren­dre la tour­nu­re inver­se.

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Sandro Magister est le vati­ca­ni­ste émé­ri­te de l’heb­do­ma­dai­re L’Espresso.
Tous les arti­cles de son blog Settimo Cielo sont dispo­ni­bles sur ce site en lan­gue fra­nçai­se.

Ainsi que l’in­dex com­plet de tous les arti­cles fra­nçais de www.chiesa, son blog pré­cé­dent.

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Date de publication: 3/02/2022